R. c. Russell, [2001] 2 R.C.S. 804, 2001 CSC 53
Donald Bruce Russell Appelant
c.
Sa Majesté la Reine Intimée
Répertorié : R. c. Russell
Référence neutre : 2001 CSC 53.
No du greffe : 27732.
2001 : 19 avril; 2001 : 14 septembre.
Présents : Le juge en chef McLachlin et les juges L’Heureux‑Dubé, Gonthier, Iacobucci, Major, Bastarache, Binnie, Arbour et LeBel.
en appel de la cour d’appel de l’ontario
POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel de l’Ontario (1999), 141 C.C.C. (3d) 556, [1999] O.J. No. 4862 (QL), qui a infirmé un jugement de la Cour supérieure de justice (1999), 138 C.C.C. (3d) 533, [1999] O.J. No. 3248 (QL), et rétabli un jugement de la Cour de l’Ontario (Division provinciale) renvoyant l’accusé à procès pour meurtre au premier degré. Pourvoi rejeté.
P. Andras Schreck et Mara B. Greene, pour l’appelant.
David Finley, pour l’intimée.
Version française du jugement de la Cour rendu par
1 Le Juge en chef — Deux questions importantes sont soulevées en l’espèce, l’une ayant trait à la compétence et l’autre au fond. Formulée en termes généraux, la question relative à la compétence est de savoir si le renvoi à procès d’un accusé par le juge de l’enquête préliminaire est susceptible de révision par voie de certiorari lorsqu’il est allégué que le juge a commis une erreur lorsqu’il a exposé les éléments de l’infraction. La question de fond est de savoir si le par. 231(5) du Code criminel, L.R.C. 1985, ch. C-46, selon lequel le meurtre que commet l’accusé est assimilé au meurtre au premier degré si celui‑ci a causé la mort d’une autre personne « en commettant ou tentant de commettre » une infraction mentionnée dans la disposition, exige que la victime du meurtre et la victime de l’infraction en question soient la même personne. Pour les motifs suivants, je conclus que le genre d’erreur alléguée par l’appelant en l’espèce est susceptible de révision par voie de certiorari, mais que le juge de l’enquête préliminaire n’a pas commis d’erreur en déterminant que le par. 231(5) peut s’appliquer même quand la victime du meurtre et la victime d’une infraction énumérée ne sont pas la même personne.
I. Les faits
2 L’appelant a été inculpé du meurtre au premier degré de John Whittaker. Il a également été accusé d’agression sexuelle, d’agression sexuelle armée, de séquestration et de vol qualifié à l’égard de la plaignante, Janet Seccombe. L’appelant n’a pas contesté son renvoi à procès quant à l’ensemble des accusations énumérées dans la dénonciation sauf en ce qui concerne l’accusation de meurtre au premier degré. La seule question en litige à l’enquête préliminaire consistait à savoir s’il pouvait être renvoyé à procès pour meurtre au premier degré plutôt que pour meurtre au deuxième degré.
3 À l’enquête préliminaire, Seccombe a produit le témoignage suivant. Seccombe a rencontré l’appelant en 1992, alors que celui‑ci purgeait une peine d’emprisonnement, et a noué une liaison amoureuse avec lui, qui s’est poursuivie après sa libération en mars 1997. Quand Seccombe a rencontré l’appelant pour la première fois, Whittaker était locataire chez elle depuis environ 18 ans et était « comme un frère » pour elle. Whittaker et l’appelant ne s’entendaient pas bien et étaient ouvertement hostiles l’un envers l’autre. Chaque fois que l’appelant rendait visite à Seccombe, Whittaker l’évitait en allant au sous-sol pour travailler sur son ordinateur. Whittaker a averti Seccombe qu’il déménagerait si l’appelant emménageait. Par conséquent, l’appelant n’est pas allé vivre avec Seccombe après sa libération. Seccombe attribuait l’hostilité existant entre l’appelant et Whittaker au racisme de Whittaker envers l’appelant, qui est noir.
4 La relation entre Seccombe et l’appelant s’est dégradée, apparemment parce que l’appelant refusait d’effectuer les paiements sur une automobile que Seccombe avait achetée en son nom. Ils se sont disputés le 24 décembre 1997. Le 28 décembre, l’appelant a téléphoné à Seccombe et celle‑ci a accepté d’aller souper et d’échanger des cadeaux de Noël.
5 L’appelant est arrivé à la maison de Seccombe vers 16 h 30 le 28 décembre. Whittaker se trouvait au sous‑sol. Rien ne prouve que l’appelant savait que Whittaker se trouvait dans la maison. Après avoir partagé une bouteille de bière avec Seccombe, bu une gorgée de rhum et donné deux cadeaux de Noël à Seccombe, l’appelant a dit à Seccombe qu’il lui avait aussi acheté une robe. Il lui a demandé de monter à l’étage et de la mettre pour le souper. Seccombe est montée, s’est assise sur son lit et a commencé à se déshabiller.
6 L’appelant l’a suivie dans la chambre, lui a mis le bras autour du cou et l’a menacée avec un couteau. L’appelant lui a dit qu’il avait [traduction] « énormément de problèmes » et qu’il avait besoin de ses clés d’auto, de sa carte de crédit et de son numéro d’identification personnel (NIP). L’appelant l’a ligotée sur le lit à l’aide d’une rallonge et de lacets de souliers, et il l’a bâillonnée. Ensuite, il est descendu; il est revenu avec une bouteille de rhum, s’est déshabillé, a délié les pieds de Seccombe et l’aurait agressée sexuellement. Après, il a libéré Seccombe pour qu’elle puisse se rendre à la salle de bain. Puis, l’appelant l’a de nouveau ligotée en se servant cette fois d’un fil téléphonique. Il a bu d’autre rhum, a amené une bière à Seccombe (lui retirant le bâillon mais la menaçant avec le couteau), a inséré un film pornographique dans l’appareil à vidéo‑cassettes, s’est masturbé et a de nouveau demandé le NIP de Seccombe ainsi que sa limite de retrait quotidienne. Après que Seccombe lui eut fourni ces renseignements, l’appelant a quitté la pièce.
7 Pendant cinq à dix minutes, la maison a semblé [traduction] « très tranquille » avant que Seccombe n’entende soudainement Whittaker crier [traduction] « Ô, mon Dieu, oh, non, oh non ». Dix à quinze minutes plus tard, l’appelant est retourné à la chambre, hors d’haleine; de l’eau ou de la sueur lui coulait au visage. Il a essuyé son couteau sur la robe de nuit de Seccombe, se trouvant sur le lit. La sonnette a alors commencé à retentir sans arrêt. L’appelant a demandé à Seccombe si les voisins étaient chez eux, ce à quoi elle a répondu qu’elle ne savait pas. L’appelant a quitté la chambre. Trois à quatre minutes plus tard, une policière est entrée dans la chambre de Seccombe et l’a déliée.
8 Les voisins de Seccombe ont témoigné avoir entendu une violente bagarre se déroulant dans le sous‑sol de la maison de Seccombe. Après que Whittaker eut dit [traduction] « arrête, tu vas me tuer » ou « tu vas me tuer », ils ont appelé la police et un agent a été envoyé à 19 h 14. Les agents sont arrivés à 19 h 18.
9 L’appelant a rencontré les policiers à la porte avec une grosse bosse sur le front. Les policiers ont trouvé Whittaker au sous‑sol; celui‑ci avait été battu et poignardé mortellement. Il avait environ quarante marques de coups de couteau de la poitrine au haut du corps, à l’avant et à l’arrière et avait été battu à l’aide d’un instrument contondant. Un maillet de bois a été trouvé sur le plancher près du corps de Whittaker. Le couteau a été découvert à l’étage dans le corridor. Seccombe a été trouvée ligotée au lit. Lors de son arrestation sur les lieux du crime, l’appelant a dit aux agents : [traduction] « Vous devriez appeler une ambulance [. . .] parce que je l’ai poignardé [. . .] il m’a frappé avec un marteau, donc je l’ai poignardé. »
II. Les jugements
1. Cour de l’Ontario (Division provinciale)
10 La seule question en litige soulevée à l’enquête préliminaire était de savoir si l’accusé pouvait être renvoyé à procès pour meurtre au premier degré plutôt que pour meurtre au deuxième degré. Le ministère public a avancé deux arguments. Il a prétendu en premier lieu que l’appelant pouvait être renvoyé à procès par application de l’al. 231(5)e) du Code criminel; en vertu de cette disposition, le meurtre que commet l’accusé est assimilé au meurtre au premier degré si ce dernier l’a perpétré « en commettant » une infraction prévue à l’art. 279 du Code criminel. L’article 279 vise les infractions d’enlèvement et de séquestration. Le ministère public a prétendu en deuxième lieu que l’appelant pouvait être renvoyé à procès en vertu du par. 231(2), qui prévoit que le meurtre au premier degré est le meurtre « commis avec préméditation et de propos délibéré ».
11 Relativement à l’argument fondé sur l’al. 231(5)e), il s’agissait avant tout de déterminer si l’application de cette disposition exige que la victime du meurtre et la victime d’une infraction énumérée — en l’espèce, la séquestration — soient la même personne. Suivant l’arrêt rendu par la Cour d’appel de l’Alberta dans R. c. Green (1987), 36 C.C.C. (3d) 137, le juge Wake a répondu à cette question par la négative. Le juge Wake a reconnu que certains passages de l’arrêt qu’a rendu notre Cour dans R. c. Paré, [1987] 2 R.C.S. 618, laissaient entendre que la victime du meurtre et la victime d’une infraction énumérée devaient être la même personne. Toutefois, selon lui, la formulation de l’arrêt Paré indiquait tout simplement que, dans cette affaire, la victime du meurtre et la victime du crime énuméré étaient la même personne. D’après le juge Wake, [traduction] « les arrêts Paré et Green indiquent essentiellement que, [pour entraîner l’application du par. 231(5)], il doit exister un lien temporel et causal suffisamment étroit entre l’infraction sous‑jacente et le meurtre ». Il a souligné qu’en l’espèce l’accusé avait admis la contemporanéité entre la séquestration et le meurtre et il a jugé que le jury pouvait raisonnablement inférer l’existence d’un lien de causalité entre le meurtre et la séquestration.
12 Appliquant l’arrêt R. c. Charemski, [1998] 1 R.C.S. 679, le juge Wake a estimé qu’il y avait suffisamment d’éléments de preuve pour renvoyer l’appelant à procès pour meurtre au premier degré et [traduction] « qu’il appartient au jury de déterminer si une explication logique autre que la culpabilité de l’accusé a été fournie relativement à cette preuve ». Ayant conclu que l’accusé pouvait être renvoyé à procès pour meurtre au premier degré en vertu de l’al. 231(5)e), il a jugé inutile d’aborder l’argument du ministère public fondé sur le par. 231(2).
2. Cour supérieure de justice de l’Ontario (1999), 138 C.C.C. (3d) 533
13 Dans le cadre d’une demande de certiorari présentée à la Cour supérieure de justice de l’Ontario, le juge Durno a annulé le renvoi à procès pour meurtre au premier degré et y a substitué un renvoi à procès pour meurtre au deuxième degré en s’appuyant sur la théorie selon laquelle le par. 231(5) exige que la victime du meurtre et la victime d’une infraction énumérée soient la même personne. Le juge Durno a souligné que dans chaque affaire où notre Cour avait traité le par. 231(5) depuis l’arrêt qu’a rendu la Cour d’appel de l’Alberta dans Green, précité, elle avait utilisé la notion d’« une seule affaire » pour déterminer si l’exigence de concomitance (« en commettant ») avait été respectée. Le juge Durno a interprété l’arrêt Paré, précité, comme appuyant la proposition selon laquelle un meurtre et une autre infraction peuvent faire partie d’une seule affaire seulement si le meurtre constitue la [traduction] « domination illégale continue exercée sur la victime et l’exploitation de la position de force créée par l’infraction sous‑jacente » (p. 545 (je souligne)). Selon lui, la notion d’« une seule affaire » [traduction] « exige la domination continue exercée sur la victime, le meurtre constituant l’exploitation ultime de la position de force créée par l’infraction sous‑jacente » (p. 546). Il a conclu que le par. 231(5) exigeait que la victime du meurtre et la victime d’une infraction énumérée soient la même personne.
14 Le juge Durno a ensuite déterminé si le renvoi pouvait être confirmé s’il était conclu en révision que le par. 231(5) n’exigeait pas que la victime du meurtre et la victime d’une infraction énumérée soient la même personne. Il a estimé que, si le par. 231(5) pouvait en fait être appliqué aux cas où il y a deux victimes, il existait des éléments de preuve circonstancielle qui permettaient de déduire l’existence d’un lien de causalité étroit entre le meurtre et la séquestration. Citant l’arrêt Charemski, précité, il a souligné que [traduction] « la question de savoir s’il y a une autre explication logique constitue une conclusion de fait découlant de l’appréciation de la preuve qu’il convient de laisser au jury » (p. 549). Il a conclu que, si le par. 231(5) pouvait en fait être appliqué aux cas où il y a deux victimes, le juge de l’enquête préliminaire n’avait pas commis d’erreur en renvoyant l’accusé à procès pour meurtre au premier degré.
3. Cour d’appel de l’Ontario (1999), 141 C.C.C. (3d) 556
15 Devant la Cour d’appel de l’Ontario, le ministère public a prétendu que, même si le juge de l’enquête préliminaire avait commis une erreur en concluant que le par. 231(5) pouvait s’appliquer lorsque la victime du meurtre et la victime d’une infraction énumérée ne sont pas la même personne, cette erreur avait été commise dans l’exercice de sa compétence et n’était donc pas susceptible de révision par voie de certiorari. S’exprimant au nom d’une formation unanime, le juge Finlayson était d’accord. Selon lui, notre Cour a tranché cette question dans l’arrêt Québec (Procureur général) c. Girouard, [1988] 2 R.C.S. 254 (ci-après Tremblay), qui, à son avis, appuie la proposition qu’une erreur d’interprétation du Code criminel de la part du juge de l’enquête préliminaire constitue une erreur commise dans l’exercice de sa compétence, qui n’est donc pas susceptible de révision par voie de certiorari. Appliquant l’arrêt Tremblay, précité, le juge Finlayson a rétabli l’ordonnance de renvoi de l’accusé à procès pour meurtre au premier degré qu’a délivré le juge Wake.
III. Les dispositions législatives
16 Code criminel, L.R.C. 1985, ch. C‑46
231. (1) . . .
(2) Le meurtre au premier degré est le meurtre commis avec préméditation et de propos délibéré.
. . .
(5) Indépendamment de toute préméditation, le meurtre que commet une personne est assimilé à un meurtre au premier degré lorsque la mort est causée par cette personne, en commettant ou tentant de commettre une infraction prévue à l’un des articles suivants :
a) l’article 76 (détournement d’aéronef);
b) l’article 271 (agression sexuelle);
c) l’article 272 (agression sexuelle armée, menaces à une tierce personne ou infliction de lésions corporelles);
d) l’article 273 (agression sexuelle grave);
e) l’article 279 (enlèvement et séquestration);
f) l’article 279.1 (prise d’otage).
548. (1) Lorsque le juge de paix a recueilli tous les témoignages, il doit :
a) renvoyer l’accusé pour qu’il subisse son procès, si à son avis la preuve à l’égard de l’infraction dont il est accusé ou de tout autre acte criminel qui découle de la même affaire est suffisante;
b) libérer l’accusé, si à son avis la preuve à l’égard de l’infraction dont il est accusé ou de tout autre acte criminel qui découle de la même affaire n’est pas suffisante pour qu’il subisse un procès.
IV. Les questions en litige
17 1. Si le juge de l’enquête préliminaire a commis une erreur en concluant que le par. 231(5) du Code criminel peut s’appliquer même lorsque la victime du meurtre et la victime d’une infraction énumérée ne sont pas la même personne, cette erreur était-elle susceptible de révision par voie de certiorari?
2. Le paragraphe 231(5) exige‑t‑il que la victime du meurtre et la victime d’une infraction énumérée soient la même personne?
V. Analyse
1. La compétence
18 L’appelant soutient que le juge de l’enquête préliminaire a commis une erreur en concluant que le par. 231(5) du Code criminel peut s’appliquer même lorsque la victime du meurtre et la victime d’une infraction énumérée ne sont pas la même personne. Dans le présent pourvoi, la question préliminaire consiste à savoir si une telle erreur (s’il y a erreur) est susceptible de révision par voie de certiorari.
19 La portée de la révision par voie de certiorari est très limitée. Même si à certains moments de son histoire, le bref de certiorari permettait une révision plus poussée, le certiorari d’aujourd’hui « permet dans une large mesure d’obtenir qu’une cour supérieure contrôle la façon dont les tribunaux établis en vertu d’une loi exercent leur compétence; dans ce contexte, il s’agit de “compétence” au sens restreint ou strict » : Skogman c. La Reine, [1984] 2 R.C.S. 93, p. 99. Par conséquent, la révision par voie de certiorari n’autorise pas une cour de révision à annuler la décision du tribunal constitué par la loi simplement parce que ce tribunal a commis une erreur de droit ou a tiré une conclusion différente de celle que la cour de révision aurait tirée. Au contraire, le certiorari permet la révision « seulement lorsqu’on reproche à ce tribunal d’avoir outrepassé la compétence qui lui a été attribuée par la loi ou d’avoir violé les principes de justice naturelle, ce qui, d’après la jurisprudence, équivaut à un abus de compétence » : Skogman, précité, p. 100 (citant l’arrêt Forsythe c. La Reine, [1980] 2 R.C.S. 268).
20 Pour ce qui est des enquêtes préliminaires tenues en vertu de l’art. 548 du Code criminel, les motifs de restriction de la portée des moyens de contrôle sont clairs. Bien que l’enquête préliminaire fournisse aussi à l’avocat de la défense l’occasion de déterminer à la fois la nature et le poids des éléments de preuve recueillis contre son client, son objet principal consiste à déterminer s’il existe suffisamment d’éléments de preuve pour justifier le renvoi de l’accusé à son procès : Skogman, précité, p. 106 (citant G. Arthur Martin, c.r. : « Preliminary Hearings », Special Lectures of the Law Society of Upper Canada (1955), p. 1); Dubois c. La Reine, [1986] 1 R.C.S. 366, p. 373-374. Fait très important à souligner, l’enquête préliminaire ne vise pas à déterminer la culpabilité ou l’innocence de l’accusé. Cette détermination a lieu au procès. L’enquête préliminaire a pour objet la vérification préalable et n’est pas censée fournir une tribune où se plaide le bien‑fondé de la preuve recueillie contre l’accusé. La portée restreinte des moyens de contrôle reflète l’objet limité de l’enquête préliminaire.
21 J’estime que, en l’espèce, l’appelant allègue l’existence d’une erreur de compétence susceptible de révision par voie de certiorari. Cette conclusion découle directement de l’arrêt qu’a rendu notre Cour dans Skogman, précité. L’arrêt Skogman a soulevé la question de savoir si le juge de l’enquête préliminaire commet une erreur de compétence lorsqu’il renvoie l’accusé à procès quand il n’y a aucun élément de preuve à l'égard d’un élément essentiel de l’infraction. Le juge Estey a répondu à cette question par l’affirmative. Il a conclu que « “[l]’absence d’éléments de preuve” concernant un élément essentiel de l’accusation [. . .] ne peut équivaloir à une “preuve suffisante” » et que l’art. 548 du Code criminel permet le renvoi d’un accusé à son procès seulement s’il y a une « preuve suffisante » : Skogman, p. 104. En conséquence, « [l]orsque le dossier [. . .] ne contient pas d’éléments de preuve concernant chaque élément essentiel de l’accusation portée contre l’accusé, le renvoi d’un accusé à son procès peut être soumis par voie de certiorari à une cour supérieure qui peut alors l’annuler » : Skogman, p. 106.
22 L’appelant prétend que, contrairement à la conclusion du juge de l’enquête préliminaire, le par. 231(5) exige que la victime du meurtre et la victime d’une infraction énumérée soient la même personne. Dans la présente affaire, la victime du meurtre et la victime de la séquestration n’étaient pas la même personne. Si son interprétation du par. 231(5) est juste, l’appelant a été renvoyé à procès pour meurtre au premier degré en « l’absence d’éléments de preuve concernant un élément essentiel » du par. 231(5). Par conséquent, si l’appelant a raison de dire que le juge de l’enquête préliminaire a mal interprété le par. 231(5), il s’agissait d’une erreur de compétence susceptible de révision par voie de certiorari.
23 C’est essentiellement le raisonnement que notre Cour a suivi dans l’arrêt Hawkshaw c. La Reine, [1986] 1 R.C.S. 668. Dans cette affaire, l’accusé avait été renvoyé à procès pour avoir illégalement produit une publication obscène en l’absence d’éléments de preuve indiquant qu’il avait publié ou avait l’intention de publier la photographie. Le juge McIntyre a conclu que le renvoi devait être annulé, écrivant que : « [c]ompte tenu du texte de l’acte d’accusation, il était nécessaire de faire la preuve de la publication ou de l’intention de publier. Le renvoi au procès sans une telle preuve ne peut être maintenu en fonction des motifs de cette Cour à la majorité dans l’arrêt Skogman » : Hawkshaw, précité, p. 676.
24 Il existe une différence entre l’espèce et l’affaire Hawkshaw. En effet, cette dernière porte sur l’absence d’éléments de preuve concernant un élément essentiel de l’infraction alors que la présente affaire a trait à l’absence d’éléments de preuve sur une condition essentielle du par. 231(5), qui n’est pas une disposition créant une infraction mais une disposition classifiant des peines : voir Paré, précité, p. 625; R. c. Luxton, [1990] 2 R.C.S. 711, p. 720. Toutefois, la logique qui s’applique à l’absence d’éléments de preuve concernant un élément de l’infraction s’applique aussi à l’absence d’éléments de preuve sur une condition essentielle d’une disposition de classification de peines comme l’art. 231. L’exigence de concomitance (« en commettant ») constitue une condition essentielle de l’application du par. 231(5). Si l’enquête préliminaire en l’espèce visait principalement à assurer qu’il y avait suffisamment d’éléments de preuve pour justifier un procès pour meurtre au premier degré, l’absence de preuve que l’accusé a commis un meurtre « en commettant » une infraction énumérée serait aussi déterminante que l’absence d’éléments de preuve sur un élément essentiel de l’infraction.
25 Pour contrer l’argument selon lequel il s’agissait d’une erreur de compétence, le ministère public invoque principalement notre arrêt de deux paragraphes dans Tremblay, précité. Dans cette affaire, l’accusé se serait déguisé en gardien pour amener un employé de banque à lui donner de l’argent. L’accusé a été inculpé de vol qualifié et il a admis avoir été armé. Toutefois, selon le juge de l’enquête préliminaire, le simple fait que l’accusé ait été armé n’était pas suffisant pour justifier un renvoi à procès pour vol qualifié, en l’absence de preuve qu’il avait menacé la victime ou que la victime avait été intimidée. Le juge a donc renvoyé l’accusé à procès relativement à des accusations de vol et de complot en vue de commettre un vol plutôt qu’à des accusations de vol qualifié et de complot en vue de commettre un vol qualifié. La demande de révision judiciaire du ministère public a été accueillie et la Cour d’appel du Québec a confirmé cette décision. Notre Cour a toutefois rétabli l’ordonnance du juge en disant : « Tenant pour acquis sans pour autant en décider que le juge a erré ainsi qu’on le lui reproche, cette erreur en était une commise dans l’exercice de sa compétence et ne donne pas comme tel ouverture à un recours par voie de certiorari » : Tremblay, p. 254.
26 Selon moi, le ministère public invoque à tort l’arrêt Tremblay. Dans Tremblay, il n’y avait aucun risque que l’accusé ait été renvoyé à procès en l’absence de preuve. Au contraire, il a été allégué dans cet arrêt qu’il y avait suffisamment d’éléments de preuve pour renvoyer l’accusé à procès relativement à une infraction plus grave que celle pour laquelle il avait été renvoyé à procès. Il est bien établi en droit que le juge de l’enquête préliminaire n’outrepasse pas sa compétence lorsqu’il commet des erreurs liées au caractère suffisant de la preuve, dans la mesure où certains éléments de preuve appuient le renvoi à procès : Dubois, précité. Par conséquent, les questions de compétence en cause dans Skogman, précité, ne se posaient pas dans Tremblay. Dans la présente affaire, toutefois, la contestation de la décision du juge de l’enquête préliminaire soulève la possibilité que l’accusé ait été renvoyé à procès en l’absence de preuve à l'égard d'une condition essentielle du par. 231(5), disposition sur laquelle repose l’accusation de meurtre au premier degré. Dans ces circonstances, c’est l’arrêt Skogman, et non pas l’arrêt Tremblay, qui s’applique.
27 Contrairement aux affirmations du ministère public, rien dans l’arrêt Dubois n’indique une conclusion différente. Dans Dubois, tous ont convenu que lorsque l’accusé conteste une ordonnance de renvoi, on peut utiliser le certiorari seulement pour corriger les erreurs de compétence. La question en litige était de savoir si la même règle s’applique quand le ministère public conteste une libération. Selon le juge Estey, la restriction applicable aux moyens de contrôle s’applique tant au ministère public qu’à l’accusé. Il a écrit que « [l]a remise en question d’erreurs de droit est [. . .] aussi inappropriée dans des procédures visant à annuler une libération qu’elle l’est dans des procédures visant à annuler un renvoi à procès » : Dubois, p. 374.
28 L’argument du ministère public en l’espèce veut qu’en vertu du principe de la « parité » de l’arrêt Dubois, si l’erreur du juge de l’enquête préliminaire quant aux éléments d’un crime n’est pas susceptible de révision en cas de contestation de la part du ministère public (le ministère public soutient qu’il s’agit du principe de droit énoncé dans l’arrêt Tremblay), ce genre d’erreur ne doit pas être susceptible de révision en cas de contestation de la part de l’accusé. Le ministère public prétend que [traduction] « la possibilité de recourir au certiorari ne dépend pas de l’identité de la partie sollicitant cette réparation, mais bien de la nature de la présumée erreur ». Je ne trouve rien de contestable dans cette affirmation, mais je ne peux voir comment celle‑ci permet de conclure que l’erreur alléguée en l’espèce n’est pas susceptible de révision par voie de certiorari. Cela tient au fait que le ministère public a qualifié l’erreur [traduction] « de présumée mauvaise interprétation des éléments de l’infraction ». Lorsque l’erreur est qualifiée ainsi, il est effectivement difficile de déterminer comment il est possible à l’accusé de la contester alors que le ministère public ne le peut pas. Le raisonnement devient toutefois clair une fois que la règle est formulée, comme il se doit, en ce qui a trait à la compétence du juge de l’enquête préliminaire : que l’erreur soit contestée par le ministère public ou par l’accusé, elle est susceptible de révision par voie de certiorari seulement si elle se rapporte à la compétence. S’il ne s’agit pas d’une erreur de compétence, on ne peut recourir au certiorari. Ce n’est pas parce que c’est l’accusé qui sollicite le certiorari en l’espèce que l’erreur est susceptible de révision. C’est le fait qu’il s’agit d’une erreur de compétence.
29 La disparité qui cause un problème au ministère public, à mon avis, ne porte pas à conséquence. Comme je l’ai mentionné précédemment, le principe applicable est le même, que l’erreur soit contestée par le ministère public ou par l’accusé. Il est vrai qu’il découle* de ce principe qu’en règle générale l’erreur portant sur des éléments constitutifs du crime n’est susceptible de révision que sur contestation par l’accusé, et non par le ministère public, mais cette disparité se justifie par le rapport des préjudices éventuels de part et d’autre : une libération prononcée à tort ne peut aboutir à une violation de l’art. 7 de la Charte canadienne des droits et libertés, alors qu’il est clair, à mon sens, que de renvoyer quelqu’un à procès sous un chef d’accusation dont l’un des éléments constitutifs ne s’appuie sur aucune preuve produite porterait atteinte aux principes de justice fondamentale. D’autant plus que dans des circonstances semblables à celles de l’affaire Tremblay, il est loisible au ministère public, sous réserve des conditions prévues à l’art. 577 du Code criminel, de déposer une nouvelle dénonciation ou de procéder par mise en accusation. De son côté, l’accusé ne dispose d’aucun moyen de redressement de ce genre.
30 Je conclus que l’appelant allègue l’existence d’une erreur de compétence susceptible de révision par voie de certiorari.
2. Le paragraphe 231(5)
31 J’aborde maintenant la question de savoir si le juge de l’enquête préliminaire a commis une erreur lorsqu’il a conclu que le par. 231(5) peut s’appliquer même si la victime du meurtre et la victime d’une infraction énumérée ne sont pas la même personne.
32 Il s’agit d’abord et avant tout d’une question d’interprétation législative. Par conséquent, les principes applicables sont bien établis : les mots en question devraient être interprétés dans leur contexte, en conformité avec l’objet de la disposition et l’intention du législateur : voir R. c. Heywood, [1994] 3 R.C.S. 761, p. 784 (citant E. A. Driedger, Construction of Statutes (2e éd. 1983), p. 87; R. c. Hasselwander, [1993] 2 R.C.S. 398). « Si l’acception courante des mots est compatible avec le contexte dans lequel ils sont utilisés et avec l’objet de la loi, c’est cette interprétation qui devrait être appliquée » : Heywood, précité, p. 784.
33 Le libellé du par. 231(5) est clair. Cette disposition n’énonce pas que la victime du meurtre et la victime d’une infraction énumérée doivent être la même personne. Elle ne fait qu’exiger que l’accusé ait tué « en commettant ou tentant de commettre » l’une des infractions énumérées. Rien dans cette expression ne laisse entendre que la disposition ne s’applique que dans les cas où la victime du meurtre et la victime d’une infraction énumérée sont la même personne. Une interprétation reconnaissant l’existence d’une telle limite intégrerait en fait dans la disposition une restriction qui n’y est pas énoncée.
34 D’autres dispositions du Code criminel indiquent que, lorsque le législateur veut restreindre la portée de l’expression « en commettant ou en tentant de commettre », il le fait de façon explicite. Par exemple, le par. 231(6) prévoit que :
Indépendamment de toute préméditation, le meurtre que commet une personne est assimilé à un meurtre au premier degré lorsque celle‑ci cause la mort en commettant ou en tentant de commettre une infraction prévue à l’article 264 [harcèlement criminel] alors qu’elle avait l’intention de faire craindre à la personne assassinée pour sa sécurité ou celle d’une de ses connaissances. [Je souligne.]
Sans cette restriction, le par. 231(6) s’appliquerait à une personne qui a commis un meurtre tout en se livrant à du harcèlement criminel à l’égard d’une autre personne. La restriction limite l’application de la disposition à ceux qui tuent la personne qu’ils harcèlent criminellement. Aucune restriction analogue ne figure au par. 231(5).
35 Pourtant, d’autres dispositions du Code criminel indiquent que l’usage par le législateur de l’expression « en commettant ou tentant de commettre » ne manifeste pas en soi l’intention de créer l’exigence d’une même victime. Par exemple, le par. 231(6.1) prévoit :
[L]e meurtre que commet une personne est assimilé à un meurtre au premier degré lorsque la mort est causée au cours de la perpétration ou de la tentative de perpétration d’une infraction prévue à l’article 81 [usage d’explosifs] au profit [. . .] d’un gang. [Je souligne.]
L’article 81 proscrit les actes comportant l’usage d’explosifs contre les biens : voir l’al. 81(1)c) (« Commet une infraction quiconque, selon le cas : [. . .] avec l’intention de détruire ou d’endommager des biens sans excuse légitime, place ou lance une substance explosive en quelque lieu que ce soit . . . »). Le législateur doit donc avoir voulu que le par. 231(6.1) puisse être appliqué même lorsque le crime « sous‑jacent » n’a fait aucune « victime ». Il serait insensé de dire que la victime du meurtre et la victime de l’infraction relative à l’usage d’explosifs doivent être la même personne alors que cette infraction pourrait n’avoir fait aucune victime. Le paragraphe 231(6.1) indique que l’usage de l’expression « au cours de la perpétration ou de la tentative de perpétration » ne crée pas en soi l’exigence selon laquelle la victime du meurtre et la victime de l’infraction doivent être la même personne.
36 Si le législateur avait voulu restreindre la portée du par. 231(5), il aurait pu l’indiquer expressément, comme il l’a fait au par. 231(6). Le fait que le législateur n’ait pas intégré une telle restriction indique qu’il voulait que l’expression « en commettant ou tentant de commettre » s’applique même lorsque la victime du meurtre et la victime d’une infraction énumérée ne sont pas la même personne. D’ailleurs, plusieurs infractions énumérées au par. 231(5) soulèvent très clairement la possibilité que la victime du meurtre et la victime de l’infraction énumérée soient des personnes différentes, et il serait difficile de conclure que les rédacteurs de cette disposition n’ont pas envisagé cette possibilité. Un pirate de l’air pourrait tuer une personne sur la piste; l’auteur d’un enlèvement pourrait tuer le parent de l’enfant qu’il veut enlever; le preneur d’otages pourrait tuer un passant ou une personne voulant leur porter secours. Il est difficile de conclure que le législateur n’a pas prévu de telles possibilités.
37 Le fait que le par. 231(5) vise non seulement les infractions réussies, mais également les tentatives, soulève des préoccupations semblables. De nombreuses accusations de tentative découlent de crimes contrecarrés ou ratés, souvent en raison de l’intervention d’un tiers. Le législateur a certainement prévu ces cas lors de la rédaction de cette disposition. Si le législateur n’avait pas voulu que cette disposition vise ces cas, il aurait facilement pu incorporer une restriction explicite au libellé de la disposition.
38 Pour prétendre que le par. 231(5) s’applique seulement lorsque la victime du meurtre et la victime d’une infraction énumérée sont la même personne, l’appelant s’appuie principalement sur l’arrêt Paré, précité, de notre Cour. Dans Paré, l’accusé avait tué un garçon deux minutes après s’être livré à un attentat à la pudeur sur lui. Il s’agissait en l’espèce de déterminer si l’accusé avait perpétré le meurtre « en commettant » l’attentat à la pudeur. Madame le juge Wilson citant le juge Martin de la Cour d`appel a répondu à la question par l’affirmative, concluant qu’on perpètre un meurtre « en commettant » une infraction énumérée au par. 231(5), « lorsque l’acte causant la mort et les actes constituant [l’infraction énumérée] font tous partie d’une suite ininterrompue d’événements qui constituent une seule affaire » : Paré, précité, p. 632. De l’avis du juge Wilson, cette interprétation de la disposition reflète le mieux les considérations de principe sous‑jacentes, qu’elle a décrites ainsi à la p. 633 :
Les infractions énumérées au par. 214(5) [maintenant le par. 231(5)] comportent toutes un élément de domination illégale de certaines personnes par d’autres personnes. On peut donc dégager du par. 214(5) un principe directeur. Suivant ce principe, lorsqu’un meurtre est perpétré par une personne qui commet déjà un abus de pouvoir en dominant illégalement une autre personne, ce meurtre doit être traité comme un crime exceptionnellement grave.
39 Ce passage n’indique pas comme tel que le par. 231(5) s’applique seulement lorsque la victime du meurtre et la victime d’une infraction énumérée sont la même personne, mais le juge Wilson a ajouté que : « c’est la domination illégale continue exercée sur la victime qui confère de la continuité à la suite d’événements qui aboutissent au meurtre. Le meurtre représente une exploitation de la position de force créée par l’infraction sous‑jacente et fait de l’ensemble des actes qui constituent la conduite en question “une seule affaire” » : Paré, précité, p. 633 (je souligne). Selon l’argument de l’appelant, le législateur [traduction] « n’a jamais voulu que l’existence de domination illégale [soit] suffisante en soi pour qu’un meurtre soit qualifié de meurtre au premier degré ». Au contraire, comme le juge Wilson l’a reconnu, [traduction] « c’est la domination illégale exercée sur la victime qui a justifié cette qualification » (mémoire de l’appelant, p. 20 (souligné dans l’original)).
40 La façon dont l’appelant interprète le par. 231(5) trouve un certain appui dans les autres arrêts qu’a rendus notre Cour relativement à cette disposition. Dans l’arrêt R. c. Arkell, [1990] 2 R.C.S. 695, nous avons examiné la question de savoir si le par. 214(5) (maintenant le par. 231(5)) contrevenait à l’art. 7 de la Charte parce qu’il engendrait des peines non proportionnelles à la gravité des infractions. Rejetant cette prétention, le juge en chef Lamer a écrit : « La décision du Parlement de traiter plus sévèrement les meurtres commis pendant que leur auteur exploitait une situation de puissance par la domination illégale de la victime est conforme au principe qu’il doit y avoir proportionnalité entre une peine et la culpabilité morale du délinquant, ainsi qu’à d’autres considérations comme la dissuasion et la réprobation sociale des actes du délinquant » : Arkell, précité, p. 704 (je souligne).
41 Dans l’arrêt Luxton, précité, nous avons examiné la question connexe de savoir si l’effet combiné du par. 214(5) et de l’al. 669a) portait atteinte à l’art. 7 de la Charte en empêchant l’imposition de peines individualisées et en violant ainsi le principe selon lequel la sévérité d’une peine doit correspondre au degré de culpabilité morale liée au crime. L’alinéa 669a) (maintenant l’al. 745a)) prévoit que l’accusé déclaré coupable de meurtre au premier degré doit être condamné à l’emprisonnement à perpétuité sans possibilité de libération conditionnelle avant l’accomplissement d’au moins 25 ans de la peine. Concluant que les dispositions contestées ne contrevenaient pas à l’art. 7, le juge en chef Lamer a écrit : « Les meurtres commis pendant la perpétration d’infractions comportant la domination illégale de la victime par le délinquant ont été qualifiés de meurtres au premier degré » : Luxton, p. 721-722 (je souligne).
42 Je ne suis toutefois pas convaincue que dans Paré, Arkell et Luxton, précités, notre Cour avait l’intention d’empêcher l’application du par. 231(5) dans les cas où il y a plus d’une victime. Aucune de ces affaires ne mettait en cause plus d’une victime, et notre Cour n’a tout simplement pas abordé la question. À mon avis, les références à la « victime » reflètent uniquement les faits de ces affaires. L’essentiel du raisonnement qu’a suivi le juge Wilson dans l’arrêt Paré est que les infractions énumérées au par. 231(5) sont choisies parce qu’il s’agit de crimes comportant la domination d’une personne par une autre. Elle estime essentiellement qu’il ressort du par. 231(5) que le législateur a déterminé que les meurtres commis à l'occasion de crimes de domination étaient particulièrement répréhensibles et qu’ils méritaient une peine plus sévère. Dans de nombreux cas, de tels meurtres constituent le point culminant de la domination qu’exerce l’accusé sur la victime d’une infraction énumérée. C’était le cas dans Paré, Arkell et Luxton. Dans d’autres cas, toutefois, l’accusé commet un meurtre à l’occasion de la domination d’une autre personne. Je ne puis pas conclure que les motifs du juge Wilson dans l’arrêt Paré ou ceux du juge en chef Lamer dans les arrêts Arkell et Luxton empêchent l’application du par. 231(5) dans de tels cas.
43 Je suis d’avis que l’appelant formule de façon trop restrictive le principe directeur du par. 231(5). Cette disposition indique que, de l’avis du législateur, les meurtres commis à l’occasion de crimes de domination sont particulièrement répréhensibles et méritent une peine plus sévère. L’expression « en commettant ou tentant de commettre » exige l’existence d’un lien temporel et causal étroit entre le meurtre et une infraction énumérée. Dans la mesure où ce lien existe, toutefois, il est sans importance que la victime du meurtre et la victime d’une infraction énumérée soient deux personnes différentes.
44 En plaidoirie, l’appelant s’est beaucoup appuyé sur le fait que le meurtre ne constituait pas en soi une infraction énumérée au par. 231(5). Selon la théorie de l’appelant, si le législateur avait voulu que la disposition puisse être appliquée dans les cas où il y a plus d’une victime, il aurait sûrement inclu le meurtre dans la liste des infractions parce que le meurtre commis en vue de faciliter la perpétration d’un ou d’autres meurtres implique manifestement le même degré de culpabilité morale que le meurtre perpétré en vue de faciliter la commission de l’une des infractions énumérées. D’après l’appelant, l’absence du meurtre de la liste des infractions peut uniquement s’expliquer par le fait que le législateur n’a pas envisagé que cette disposition puisse être appliquée dans les cas où la victime du meurtre et la victime d’une infraction énumérée ne sont pas la même personne.
45 J’estime que l’explication la plus vraisemblable de l’exclusion du meurtre de la liste des infractions énumérées au par. 231(5) est simplement que, dans la plupart des cas où l’accusé a assassiné deux personnes ou plus et où il existe un lien temporel et causal entre les meurtres, le par. 231(2) s’appliquera. Cette disposition prévoit que « [l]e meurtre au premier degré est le meurtre commis avec préméditation et de propos délibéré ». Bien que l’on puisse imaginer des cas où l’accusé a tué spontanément deux personnes ou plus, sans préméditation ou propos délibéré, il s’agit sûrement de l’exception plutôt que de la règle. En toute vraisemblance, le législateur n’a pas ajouté le meurtre aux infractions énumérées au par. 231(5) parce qu’il a conclu que la plupart des meurtres multiples entraîneraient l’application du par. 231(2).
46 L’appelant fait remarquer à juste titre que le par. 231(5) impose une peine sévère — il s’agit d’ailleurs de la peine la plus sévère infligée en vertu du Code criminel — et il est donc particulièrement important que cette disposition soit interprétée de façon restrictive. Bien que ce principe soit inattaquable, il ne peut en soi justifier la restriction du sens ordinaire du libellé de la disposition. Les arrêts de notre Cour relativement au par. 231(5) indiquent clairement que l’accusé commet un meurtre « en commettant ou tentant de commettre » une infraction énumérée seulement s’il existe un lien temporel et causal étroit entre le meurtre et l’infraction énumérée : voir, p. ex., Paré, précité, p. 632 (où l’on dit qu’une personne commet un meurtre « en commettant » une infraction énumérée uniquement « lorsque l’acte causant la mort et les actes constituant [l’infraction énumérée] font tous partie d’une suite ininterrompue d’événements qui constituent une seule affaire »); R. c. Kirkness, [1990] 3 R.C.S. 74, p. 86. Selon moi, cette exigence restreint à bon droit l’application du par. 231(5) aux situations visées par cette disposition.
47 Ainsi, j’arrive à la question de savoir s’il y avait suffisamment d’éléments de preuve en l’espèce pour justifier le renvoi de l’appelant à procès pour meurtre au premier degré. L’existence d’un lien temporel ayant été admise, la seule question à trancher est de savoir s’il existait un lien de causalité suffisant entre le meurtre et la séquestration. Pour conclure que le ministère public avait présenté suffisamment d’éléments de preuve pour permettre au jury de conclure à l’existence du lien de causalité requis, le juge Wake a mis l’accent sur le fait que l’appelant s’était rendu au sous‑sol pour affronter Whittaker même si ces deux personnes s’évitaient habituellement et que Seccombe était toujours ligotée et bâillonnée à ce moment. Le juge Wake a conclu que [traduction] « [l]e jury serait fondé de déduire de la preuve qu’en constatant la présence de M. Whittaker dans la maison, l’accusé a craint que ce dernier découvre facilement sa compagne de maison ligotée et bâillonnée à l’étage du haut et donne l’alarme, ce qui était susceptible de réduire à néant ses efforts en vue de se servir des cartes de crédit et de l’automobile de Seccombe ».
48 Comme nous l’avons mentionné dans l’arrêt Skogman, précité, il faut montrer la plus grande retenue à l’égard de la conclusion du juge de l’enquête préliminaire selon laquelle il existe une preuve suffisante; c’est seulement s’il n’y a aucun élément de preuve quant à un élément de l’infraction ou à une condition essentielle du par. 231(5) qu’une cour de révision peut annuler le renvoi : voir Skogman, p. 100 et 106. Ayant cela à l’esprit, je ne peux pas conclure que le renvoi de l’accusé était injustifié. Même si le jury avait le droit de conclure que l’intention qu’avait l’appelant en affrontant Whittaker était entièrement indépendante de la séquestration de Seccombe — l’animosité apparente entre l’appelant et Whittaker pourrait d’ailleurs appuyer une telle conclusion — le jury serait également autorisé à conclure que l’appelant a assassiné Whittaker en vue de faciliter la séquestration de Seccombe, ou que l’appelant a séquestré Seccombe en vue de faciliter la perpétration du meurtre de Whittaker.
VI. Conclusion
49 Pour les motifs qui précèdent, je conclus que l’erreur qu’allègue l’appelant aurait été susceptible de révision par voie de certiorari, mais que le juge de l’enquête préliminaire n’a commis aucune erreur.
50 Le pourvoi est rejeté.
Pourvoi rejeté.
Procureurs de l’appelant : Pinkofsky Lockyer, Toronto.
Procureur de l’intimée : Le ministère du procureur général, Toronto.
* Voir Erratum [2004] 3 R.C.S. iv