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28/05/2020 | FRANCE | N°19VE02396

France | France, Cour administrative d'appel de Versailles, 3ème chambre, 28 mai 2020, 19VE02396


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La SA GEMAR LUMITEC a demandé au Tribunal administratif de Strasbourg de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre des exercices clos de 2009 à 2011, et des pénalités correspondantes.

Par un jugement n° 1405738 du 29 juin 2017, le Tribunal administratif de Strasbourg a rejeté cette demande.

Par un arrêt n° 17NC01926 du 27 septembre 2018, la Cour administrative d'appel de Nancy a rejeté l'appel formé par la

SA GEMAR LUMITEC contre ce jugement.

Par une décision n° 425871 du 1er juillet 2019, le Co...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La SA GEMAR LUMITEC a demandé au Tribunal administratif de Strasbourg de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre des exercices clos de 2009 à 2011, et des pénalités correspondantes.

Par un jugement n° 1405738 du 29 juin 2017, le Tribunal administratif de Strasbourg a rejeté cette demande.

Par un arrêt n° 17NC01926 du 27 septembre 2018, la Cour administrative d'appel de Nancy a rejeté l'appel formé par la SA GEMAR LUMITEC contre ce jugement.

Par une décision n° 425871 du 1er juillet 2019, le Conseil d'État a, notamment, annulé cet arrêt et renvoyé l'affaire devant la Cour administrative d'appel de Versailles.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et des mémoires, enregistrés les 28 juillet 2017 et 16 mai 2018 au greffe de la Cour administrative d'appel de Nancy et les 11 septembre et 14 octobre 2019 au greffe de la Cour administrative d'appel de Versailles, la SA GEMAR LUMITEC, représentée par

Mes Gerardin et B..., avocats, demande à la Cour :

1° d'annuler le jugement susvisé du Tribunal administratif de Strasbourg ;

2° de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre des années 2009, 2010 et 2011, et des pénalités correspondantes ;

3° de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros en application de l'article l'article L. 761-1 du code de justice administrative

Elle soutient que :

- le jugement est insuffisamment motivé et est irrégulier ;

- l'administration a emporté, au cours de la vérification de comptabilité, sans aucun formalisme, les originaux de sept attestations et ne les lui a jamais restitués, entachant d'irrégularité la procédure d'imposition ;

- l'administration ne démontre pas l'existence d'un régime fiscal privilégié à Hong Kong au sens de l'article 238 A du code général des impôts ; il convient de neutraliser l'incidence des règles de territorialité applicables dans l'Etat de l'organisme financier ; pour procéder au calcul comparatif et déterminer si le régime fiscal de Hong Kong présente un caractère privilégié au regard du régime français, l'administration aurait dû calculer celui-ci en appliquant un taux de charges déductibles de 50 % prévu en matière de micro-BIC, ne pas majorer artificiellement son taux d'assiette de 25 % et prendre en compte la réalité du foyer fiscal du bénéficiaire des montants imposés ; la comparaison doit être réalisée sur l'impôt sur les sociétés dû par la société Taïwan Georgia Corp., laquelle aurait été soumise en France au taux réduit de 15 % ;

- le caractère privilégié du régime d'imposition ne repose pas sur le seul taux d'imposition ; la démonstration de l'administration, qui ne prend en compte aucune règle d'assiette, est erronée ;

- elle a apporté les éléments établissant la réalité des prestations de service fournies par la société Taiwan Georgia Corp. ;

- l'administration ne peut invoquer, par voie de substitution de base légale, le bénéfice des dispositions du 1. de l'article 39 du code général des impôts ; d'une part, les deux fondements ne sont pas substituables ; d'autre part, l'administration devrait apporter davantage d'éléments de preuve démontrant l'absence de réalité des prestations en litige dans la mesure où elle ne bénéficie plus de la présomption d'anormalité des dépenses posée par l'article 238 A du même code ; la preuve d'un acte anormal de gestion, c'est-à-dire d'un appauvrissement délibéré, n'est pas démontré ;

- l'article 238 A du code général des impôts introduit une différence de traitement et une présomption de fraude qui sont contraires au droit communautaire ;

- il est contraire au principe constitutionnel d'égalité devant la loi ;

- ces dispositions méconnaissent également l'article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et l'article 1er du premier protocole additionnel à cette convention ;

- l'article 238 A du code général des impôts constitue une discrimination à l'égard des personnes et sociétés domiciliées hors de France, dont les charges ne sont pas déductibles dans les mêmes conditions que si elles étaient payées par un résident de France, laquelle méconnaît l'article XXIII de la quasi-convention conclue entre la France et Taïwan.

..........................................................................................................

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la Constitution, notamment son Préambule ;

- la convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales et son premier protocole additionnel ;

- le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- loi n° 2010-1658 du 29 décembre 2010 de finances rectificative pour 2010 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme C...,

- les conclusions de M. Huon, rapporteur public,

- et les observations de Me B..., représentant la SA GEMAR LUMITEC.

Considérant ce qui suit :

1. La SA GEMAR LUMITEC, dont le siège social se trouve dans le département du Bas-Rhin, exerce une activité de négoce de matériel scénique, structures en aluminium et éclairages scéniques. A l'issue d'une vérification de comptabilité, l'administration a, sur le fondement de l'article 238 A du code général des impôts, réintégré dans le résultat imposable au titre des exercices clos en 2009, 2010 et 2011 les sommes versées par cette société en rémunération de services que lui aurait rendus son principal fournisseur, la société Taïwan Georgia Corp., établie à Taiwan, en application d'un contrat de prestation de services conclu en 2008 et comportant notamment des prestations de contrôle qualité et de mise en relation avec les fournisseurs situés en Asie. L'administration a également regardé ces sommes comme étant des revenus distribués au sens des articles 109 et 110 du code général des impôts et les a soumises à la retenue à la source prévue à l'article 119 bis du code général des impôts. Le Tribunal administratif de Strasbourg ayant rejeté sa demande tendant à la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre des années 2009, 2010 et 2011, et des pénalités correspondantes, la société a fait appel du jugement du

29 juin 2017. Par un arrêt du 27 septembre 2018, la Cour administrative d'appel de Nancy a rejeté l'appel formé contre ce jugement. Par une décision du 1er juillet 2019, le Conseil d'Etat a annulé cet arrêt et renvoyé l'affaire devant la Cour.

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. Aux termes de l'article L. 9 du code de justice administrative : " Les jugements sont motivés ". Si la SA GEMAR LUMITEC soutient que le tribunal administratif a insuffisamment motivé son jugement, ce dernier constate que les revenus de source étrangère n'étaient soumis à aucune fiscalité à Hong-Kong, puis analyse les éléments apportés par la SA GEMAR LUMITEC quant au caractère du régime fiscal applicable à Hong-Kong dont il déduit que l'administration fiscale doit être regardée comme apportant la preuve qui lui incombe que les sommes versées par la société requérante l'ont été sur un compte tenu par un organisme financier établi dans un territoire soumis à un régime fiscal privilégié. Ainsi, les juges de première instance, qui n'étaient pas tenus de se prononcer sur l'ensemble des arguments invoqués par la société requérante, ont suffisamment répondu au moyen tiré de la méconnaissance des dispositions de l'article 238 A du code général des impôts. Par ailleurs, il ressort du point 7. du jugement, que le tribunal a pris en compte l'avis de la commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires pour se prononcer sur le moyen relatif à la charge de la preuve au soutien duquel cet avis était invoqué. Ainsi, le moyen tiré du défaut de motivation du jugement doit être écarté.

Sur la régularité de la procédure d'imposition :

3. Il résulte de l'ensemble des dispositions du livre des procédures fiscales relatives aux opérations de vérification que celles-ci se déroulent chez le contribuable ou au siège de l'entreprise vérifiée. Toutefois, sur demande écrite du contribuable, le vérificateur peut emporter certains documents dans les locaux de l'administration, qui en devient ainsi dépositaire. En ce cas, il doit délivrer à l'intéressé un reçu détaillé des pièces qui lui sont remises. En outre, cette pratique ne doit pas avoir pour effet de priver le contribuable des garanties qu'il tient des articles L. 47 et suivants du livre des procédures fiscales, qui ont, notamment, pour objet de lui assurer sur place des possibilités de débat oral et contradictoire avec le vérificateur.

4. La SA GEMAR LUMITEC soutient qu'au cours de la vérification de comptabilité, le vérificateur a emporté, lors de la réunion du 8 octobre 2012, les originaux de sept attestations de fournisseurs sans respect d'aucune formalité, et que ces documents ne lui ont pas été restitués. Elle fait valoir, en outre, qu'une de ces attestations a servi au vérificateur pour justifier sa position. Toutefois, il n'est pas contesté que ces attestations ont été établies au cours et pour les besoins du contrôle et qu'elles n'apportent d'ailleurs des précisions que pour l'année 2012 alors qu'elles ne sont rédigées qu'en termes très généraux pour ce qui concerne les années contrôlées. S'il résulte de l'instruction que ces documents ont été mentionnées dans la proposition de rectification du 13 décembre 2012 comme ne permettant pas d'établir la réalité des prestations de services en litige, ils n'avaient, de par leur nature et la date de leur élaboration, pas la nature de pièces justificatives de la comptabilité de la société. Par suite, ils ne sauraient être regardés comme des documents comptables se rattachant à la période vérifiée, ayant servi à l'établissement de l'impôt, dont l'emport, par le vérificateur, sans demande écrite du contribuable et sans remise d'un reçu, serait de nature à vicier la procédure de contrôle.

Sur le bien-fondé de l'imposition :

5. En premier lieu, aux termes du premier alinéa de l'article 238 A du code général des impôts, dans sa rédaction applicable : " Les intérêts, arrérages et autres produits des obligations, créances, dépôts et cautionnements, les redevances de cession ou concession de licences d'exploitation, de brevets d'invention, de marques de fabrique, procédés ou formules de fabrication et autres droits analogues ou les rémunérations de services, payés ou dus par une personne physique ou morale domiciliée ou établie en France à des personnes physiques ou morales qui sont domiciliées ou établies dans un Etat étranger ou un territoire situé hors de France et y sont soumises à un régime fiscal privilégié, ne sont admis comme charges déductibles pour l'établissement de l'impôt que si le débiteur apporte la preuve que les dépenses correspondent à des opérations réelles et qu'elles ne présentent pas un caractère anormal ou exagéré ". Aux termes, par ailleurs, du deuxième alinéa du même article, alors applicable :

" Pour l'application du premier alinéa, les personnes sont regardées comme soumises à un régime fiscal privilégié dans l'Etat ou le territoire considéré si elles n'y sont pas imposables ou si elles y sont assujetties à des impôts sur les bénéfices ou les revenus dont le montant est inférieur de plus de la moitié à celui de l'impôt sur les bénéfices ou sur les revenus dont elles auraient été redevables dans les conditions de droit commun en France, si elles y avaient été domiciliées ou établies ". En vertu, enfin, du dernier alinéa du même article, les dispositions du premier alinéa " s'appliquent également à tout versement effectué sur un compte tenu dans un organisme financier établi dans un des Etats ou territoires " visés au même alinéa.

6. Pour l'application des dispositions précitées du dernier alinéa de l'article 238 A du code général des impôts, le titulaire d'un compte qui est tenu par un organisme financier et sur lequel des sommes sont versées par un contribuable français, est regardé comme soumis à un régime fiscal privilégié lorsque, dans l'hypothèse où il serait domicilié ou établi dans l'Etat ou le territoire où l'organisme financier est lui-même établi et où il réaliserait depuis cet Etat ou ce territoire l'activité ayant donné lieu au versement, il n'y serait pas imposable ou y serait assujetti à des impôts sur les bénéfices ou les revenus dont le montant serait inférieur de plus de la moitié à celui de l'impôt sur les bénéfices ou sur les revenus dont il aurait été redevable dans les conditions de droit commun en France, s'il y avait été domicilié ou établi et s'il avait réalisé depuis la France l'activité en cause.

7. D'une part, il résulte de l'instruction que la SA GEMAR LUMITEC a versé à

M. A..., directeur de la société Taiwan Georgia Corp., des sommes en rémunération de prestations de services qui aurait été réalisées au bénéfice de la société requérante à compter d'août 2008. Les commissions versées, à hauteur de 162 759,39 euros pour l'exercice clos en 2009, de 117 110,39 euros au titre de l'exercice clos en 2010 et de 129 644,89 euros au titre de celui clos en 2011, l'ont été sur un compte bancaire domicilié à Hong-Kong. La société requérante soutient que la comparaison des impôts, mentionnée au point précédent, doit porter sur l'impôt sur les sociétés dû par la société Taïwan Georgia Corp., laquelle aurait été soumise en France au taux réduit de 15 %. Toutefois, il est constant que les sommes en litige ont été versées sur un compte bancaire situé à Hong Kong et dont le titulaire est M. A.... Ainsi, il convient de comparer l'imposition qu'aurait supportée M. A..., bénéficiaire des versements, à Hong Kong et en France.

8. Pour démontrer le régime fiscal privilégié auquel l'activité de M. A... aurait été soumise à Hong Kong, l'administration a retenu un niveau de charges déductibles de 10 % conduisant à des bénéfices nets de charges pour les différentes années de 146 483 euros,

105 399 euros pour 2010 et 116 680 euros au titre de l'année 2011, ainsi que des taux moyens d'imposition en application du système d'imposition personnalisée, inférieurs au taux fixe de 15 %, respectivement de 14,77 %, 13,67 % et 13,38 %, soit un impôt en euros de 21 647 euros pour l'année 2009, 14 417 euros pour l'année 2010 et 15 6221 euros au titre de l'année 2011, pour un impôt français au titre des mêmes années respectivement de 60 809 euros, 40 660 euros et 46 441 euros. Ainsi, la démonstration de l'administration a pour effet de neutraliser l'incidence des règles de territorialité applicables dans l'Etat de l'organisme financier. Si la

SA GEMAR LUMITEC soutient que l'administration a retenu un taux de charges déterminé de manière arbitraire, elle ne conteste pas que le montant des rémunérations en litige ne permet pas de retenir le taux de charges qui découle de l'application du régime micro-BIC, lequel s'élève

à 50 % pour les prestations de service. Elle ne peut utilement faire grief à l'administration de ne pas avoir sollicité auprès des autorités taïwanaises d'indication sur le taux de charge applicable, la comparaison devant s'effectuer pour une activité réalisée à Hong Kong et, en tout état de cause, le taux de charges déductibles retenu est appliqué de manière identique à la simulation d'imposition pour une activité exercée d'une part à Hong Kong, et d'autre part en France. Par ailleurs, faute d'information sur la composition exacte du foyer de M. A..., le service a pu retenir pour la détermination de l'impôt dû dans les deux Etats, l'hypothèse qu'il était célibataire sans d'ailleurs qu'il soit invoqué que cet élément aurait un caractère plus déterminant dans l'un des deux Etats. Il est également fait grief à la démonstration de l'administration de majorer artificiellement de 25 % le montant de l'assiette de l'impôt dont M. A... aurait été redevable en France, alors qu'il ne peut être tenu pour acquis que ce dernier n'aurait pas été adhérent d'une association agréée, soit directement, soit par l'intermédiaire d'une société ou d'un groupement soumis au régime fiscal des sociétés de personnes. Toutefois, il résulte de l'instruction que même en l'absence de majoration de 1,25 des bénéfices réalisés, les montants d'impôt sur le revenu dus à Hong Kong seraient encore inférieurs de plus de la moitié à ceux dus en France. Par suite, dès lors qu'il est démontré par des éléments suffisamment pertinents et précis que M. A... aurait été soumis à un montant d'impôt sur le revenu à Hong Kong plus de la moitié moins élevé que celui auquel il aurait été soumis en France, l'administration, qui n'était pas tenue de recourir à l'assistance administrative internationale, a apporté la preuve du caractère privilégié du régime fiscal auquel le bénéficiaire des sommes versées par la SA GEMAR LUMITEC était soumis, au sens de l'article 238 A du code général des impôts.

9. D'autre part, pour justifier, comme la preuve lui en incombe en application de l'article 238 A du code général des impôts, de la réalité des prestations de services fournies par la société Taiwan Georgia Corp., la société requérante produit le contrat conclu en août 2008 avec cette dernière, lequel a notamment pour objet la confirmation des commandes auprès des fournisseurs en Chine, à Taiwan et à Hong-Kong, le contrôle qualité de chaque expédition et des lignes de production, la visite dans les salons professionnels en Asie et une prise de contact régulière avec les fournisseurs. En rémunération de ces services, le contrat prévoit le versement par la SA GEMAR LUMITEC à la société Taiwan Georgia Corp. de 5 % du montant total de ses achats réalisés en Asie ainsi qu'une rémunération fixe trimestrielle. La société requérante produit également les factures relatives à ces prestations, qui ne comportent toutefois aucun détail des services réalisés. Si elle fournit des attestations de ses associés et du directeur général délégué mentionnant des prestations accomplies par la société Taiwan Georgia Corp. au cours de l'année 2012, ces attestations ne sont suffisamment détaillées que pour la période postérieure aux années en litige au titre desquelles aucun élément ne vient préciser leur caractère très général. La société requérante n'apporte aucun élément au soutien de ses allégations selon lesquelles son niveau de marge brute est important et que son chiffre d'affaires est croissant, en raison selon elle des contrôles qualité mis en place par la société Taiwan Georgia Corp. Surtout, elle ne produit aucune pièce attestant des contrôles mis en place lors de la production ou des relations de la société Taiwan Georgia Corp. avec ses fournisseurs. Dans ces conditions, et en dépit de l'avis défavorable au maintien des rectifications émis par la commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires pour des motifs tenant au réalisme économique, la

SA GEMAR LUMITEC n'apporte pas, par la seule production des factures peu détaillées et du contrat, la preuve de la réalité des opérations ayant donné lieu au versement des sommes en litige. Par suite, c'est à bon droit que l'administration n'a pas admis comme charges déductibles pour l'établissement de l'impôt sur les sociétés les sommes versées par la SA GEMAR LUMITEC à la société Taiwan Georgia Corp. au titre des exercices clos en 2009, 2010 et 2011.

10. En deuxième lieu, la SA GEMAR LUMITEC soutient que les dispositions de l'article 238 A du code général des impôts instituent une différence de traitement contraire au droit communautaire entre une société résidant en France et une société établie dans un Etat disposant d'un régime de fiscalité privilégié. Toutefois, ce moyen est dépourvu de précisions suffisantes quant aux dispositions du droit communautaire dont la société entend se prévaloir.

A supposer que la société requérante puisse être regardée comme invoquant le principe de liberté des prestations de services, garanti par l'article 49 du traité instituant la Communauté européenne devenu l'article 56 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, ce droit ne s'applique qu'aux prestations effectuées à l'intérieur de l'Union européenne par un ressortissant d'un Etat membre établi dans un pays de l'Union, à l'exclusion des prestataires de services réalisées au profit d'un ressortissant d'un Etat tiers. Par suite, la SA GEMAR LUMITEC ne peut utilement invoquer la liberté de prestation de services, dès lors que les impositions en litige sont relatives à des relations avec la société Taiwan Georgia Corp. établie à Taïwan.

11. En troisième lieu, aux termes de l'article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales : " La jouissance des droits et libertés reconnus dans la présente convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l'origine nationale ou sociale, l'appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation ". En vertu des stipulations de l'article premier du premier protocole additionnel à cette convention : " Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international. Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu'ils jugent nécessaires pour réglementer l'usage des biens conformément à l'intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d'autres contributions ou des amendes ". Une distinction entre des personnes placées dans une situation analogue est discriminatoire, au sens des stipulations précitées de l'article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales, si elle n'est pas assortie de justifications objectives et raisonnables, c'est-à-dire si elle ne poursuit pas un objectif d'utilité publique, ou si elle n'est pas fondée sur des critères rationnels en rapport avec les buts de la loi.

12. Les dispositions de l'article 238 A du code général des impôts ont été instaurées à des fins de prévention d'un risque d'évasion fiscale. Cet article, qui se limite à imposer une obligation de justification des dépenses, laquelle, bien que plus lourde que celle du régime général de déduction défini au 1° du 1 de l'article 39, repose sur des risques objectifs d'évasion fiscale, ne constitue pas une contrainte excessive pour l'ensemble des sociétés concernées au regard du but poursuivi. Le moyen tiré de l'incompatibilité de la différence de traitement ainsi instituée entre les contribuables soumis aux obligations de l'article 238 A du code général des impôts et ceux soumis aux obligations du régime de droit commun défini au 1° du 1 de l'article 39 avec les stipulations de l'article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales combinées avec celles de l'article 1er du protocole n° 1 additionnel à cette convention doit donc être écarté.

13. En quatrième lieu, il résulte de ce qui précède que les impositions en litige ont été établies conformément aux dispositions de l'article 238 A du code général des impôts. Dès lors qu'il n'appartient pas à la juridiction administrative, laquelle n'a pas été saisie d'une question prioritaire de constitutionnalité présentée dans un mémoire distinct, en application de l'article R. 771-3 du code de justice administrative, de contrôler la conformité de ces dispositions à des principes ou règles constitutionnels, la société appelante ne peut utilement soutenir que l'interprétation faite par les juges de première instance de l'article 238 A méconnaîtrait le principe d'égalité au sens de l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 et, à supposer que la requérante ait entendu s'en prévaloir, le principe d'égalité des contribuables devant les charges publiques posé par l'article 13 de cette Déclaration.

14. Aux termes du 3 de l'article XXIII de la quasi-convention conclue entre la France et Taïwan, portée par l'article 77 de la loi n° 2010-1658 du 29 décembre 2010 : " A moins que les

1 du IX, 6 du XI ou 5 du XII ne soient applicables, les intérêts, redevances et autres dépenses payés par une entreprise française à un résident du territoire sur lequel s'applique la législation fiscale administrée par l'Agence des impôts de Taïwan sont déductibles, pour la détermination des bénéfices imposables de cette entreprise, dans les mêmes conditions que s'ils avaient été payés à un résident de France (...) ". Il résulte de ces stipulations que cet article s'applique aux sommes payées à un résident taïwanais. En vertu du 1. du IV de la quasi-convention

franco-taïwanaise, la notion de résident taïwanais désigne toute personne qui, en vertu de la législation de ce territoire, y est imposée en raison de son domicile, de sa résidence, de son lieu d'immatriculation, de son siège de direction ou de tout autre critère de nature analogue. En outre, la qualité de résident fiscal s'entend d'un assujettissement effectif à l'impôt.

15. La SA GEMAR LUMITEC soutient que l'article 238 A du code général des impôts instaure une discrimination à l'égard des personnes et sociétés domiciliées hors de France qui méconnaitrait les stipulations de l'article XXIII de la quasi-convention conclue entre la France et Taïwan. Cependant, et en tout état de cause, il ne résulte pas de l'instruction que M. A... ait été, en 2011, imposé à l'impôt sur le revenu à Taïwan ni, par voie de conséquence, qu'il ait eu la qualité de résident fiscal de ce territoire au sens de cette quasi-convention lui permettant de s'en prévaloir. Sur ce point, et en l'absence de tout commencement de preuve alors même qu'elle n'est pas dépourvue de tout contact avec M. A..., la SA GEMAR LUMITEC, qui revendique le bénéfice des stipulations de la quasi-convention, n'est pas fondée à soutenir qu'il incombait à l'administration, laquelle conteste la qualité de résident de M. A..., de mettre en oeuvre l'assistance administrative pour vérifier ses allégations. Dans ces conditions, la société requérante n'est pas fondée à se prévaloir des stipulations de la quasi-convention conclue entre la France et Taïwan et, en particulier, de son article XXIII.

16. Il résulte de tout ce qui précède que la SA GEMAR LUMITEC n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande.

Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

17. Aux termes de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : " Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation ".

18. Ces dispositions font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'État, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, la somme que demande la société requérante au titre des frais exposés par elle et non comprise dans les dépens.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de la SA GEMAR LUMITEC est rejetée.

2

N° 19VE02396


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Versailles
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 19VE02396
Date de la décision : 28/05/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

19-04-01-04-01 Contributions et taxes. Impôts sur les revenus et bénéfices. Règles générales. Impôt sur les bénéfices des sociétés et autres personnes morales. Personnes morales et bénéfices imposables.


Composition du Tribunal
Président : M. BRESSE
Rapporteur ?: Mme Marie-Gaëlle BONFILS
Rapporteur public ?: M. HUON
Avocat(s) : CMS BUREAU FRANCIS LEFEBVRE

Origine de la décision
Date de l'import : 09/06/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.versailles;arret;2020-05-28;19ve02396 ?
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