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27/09/2018 | FRANCE | N°17NC01926

France | France, Cour administrative d'appel de Nancy, 2ème chambre - formation à 3, 27 septembre 2018, 17NC01926


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La SA Gemar Lumitec a demandé au tribunal administratif de Strasbourg de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre des années 2009, 2010 et 2011, et des pénalités correspondantes.

Par un jugement n° 1405738 du 29 juin 2017, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté la demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés respectivement les 28 juillet 2017 et 16 mai 201

8, la SA Gemar Lumitec, représentée par MeC..., demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La SA Gemar Lumitec a demandé au tribunal administratif de Strasbourg de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre des années 2009, 2010 et 2011, et des pénalités correspondantes.

Par un jugement n° 1405738 du 29 juin 2017, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté la demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés respectivement les 28 juillet 2017 et 16 mai 2018, la SA Gemar Lumitec, représentée par MeC..., demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du 29 juin 2017 par lequel le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande tendant à la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre des années 2009, 2010 et 2011, et des pénalités correspondantes ;

2°) de prononcer la décharge de ces impositions et pénalités ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 5 000 euros au titre de l'article

L. 761- 1 du code de justice administrative ;

Elle soutient que :

- le jugement est insuffisamment motivé et est irrégulier ;

- l'administration a emporté, au cours de la vérification de comptabilité, sans aucun formalisme, les originaux de sept attestations et ne les lui a jamais restitués, entachant d'irrégularité la procédure d'imposition ;

- l'administration ne démontre pas l'existence d'un régime fiscal privilégié à Hong- Kong au sens de l'article 238 A du code général des impôts ;

- elle a apporté les éléments établissant la réalité des prestations de service fournies par la société Taiwan Georgia Corp. ;

- l'article 238 A du code général des impôts introduit une différence de traitement et une présomption de fraude qui sont contraires au droit communautaire ;

- ces dispositions méconnaissent également l'article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et l'article 1er du premier protocole additionnel à cette convention.

Par un mémoire en défense, enregistré le 27 février 2018, le ministre de l'action et des comptes publics conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens soulevés par la SA Gemar Lumitec ne sont pas fondés.

Vu :

- les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Lambing,

- les conclusions de Mme Peton, rapporteur public,

- et les observations de MeB..., représentant la SA Gemar Lumitec.

1. Considérant qu'à l'issue d'une vérification de comptabilité, l'administration a, sur le fondement de l'article 238 A du code général des impôts, réintégré dans le résultat imposable de la société anonyme (SA) Gemar Lumitec au titre des exercices clos en 2009, 2010 et 2011 les sommes qu'elle a versées en rémunération des services que lui aurait rendus la société Taïwan Georgia Corp. ; qu'elle a également regardé ces sommes comme étant des revenus distribués au sens des articles 109 et 110 du code général des impôts et les a soumises à la retenue à la source prévue à l'article 119 bis du même code ; que la SA Gemar Lumitec relève appel du jugement du 29 juin 2017 par lequel le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande tendant à la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre des années 2009, 2010 et 2011, et des pénalités correspondantes ;

Sur la régularité du jugement :

2. Considérant que la SA Gemar Lumitec soutient que le tribunal administratif a insuffisamment motivé son jugement eu égard, notamment, à ses arguments développés sur l'absence de justification par l'administration de la localisation à Hong-Kong d'un compte bancaire de destination du paiement des honoraires en litige permettant à la société bénéficiaire d'être soumise à un régime fiscal privilégié et au fait que la commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires avait rendu un avis qui lui était favorable ;

3. Considérant que pour répondre au moyen tiré de la méconnaissance des dispositions de l'article 238 A du code général des impôts, les premiers juges, qui n'étaient en tout état de cause pas tenus de répondre à l'ensemble des arguments invoqués par la SA Gemar Lumitec à l'appui dudit moyen, ont d'abord constaté que les revenus de source étrangère n'étaient soumis à aucune fiscalité à Hong-Kong ; qu'ils ont ensuite analysé les éléments apportés par la société requérante quant au caractère privilégié du régime fiscal applicable à Hong-Kong ; qu'ils en ont déduit que l'administration fiscale devait être regardée comme apportant la preuve qui lui incombait que les sommes versées par la société requérante l'avaient été sur un compte tenu par un organisme financier établi dans un territoire soumis à un régime fiscal privilégié au sens des dispositions précitées de l'article 238 A du code général des impôts ; qu'en outre, le tribunal n'était pas tenu de se prononcer au regard du sens de l'avis de la commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires ; qu'ainsi, la requérante n'est pas fondée à soutenir que le jugement attaqué serait entaché d'un défaut de motivation ;

Sur la régularité de la procédure d'imposition :

4. Considérant qu'il résulte de l'ensemble des dispositions du livre des procédures fiscales relatives aux opérations de vérification de comptabilité que celles-ci se déroulent chez le contribuable ou au siège de l'entreprise vérifiée ; que toutefois, sur la demande écrite du contribuable, le vérificateur peut emporter, dans les bureaux de l'administration qui en devient ainsi dépositaire, certains documents détenus par l'entreprise présentant le caractère de pièces comptables se rattachant à la période vérifiée ; qu'en ce cas, il doit remettre à l'intéressé un reçu détaillé des pièces qui lui sont confiées ; que cette pratique ne peut avoir pour effet de priver le contribuable des garanties qu'il tient des articles L. 47 et L. 52 du livre des procédures fiscales et qui ont notamment pour objet de lui assurer des possibilités de débat oral et contradictoire avec le vérificateur ; que cependant, un document établi postérieurement à la période vérifiée, à la demande du vérificateur et pour les seuls besoins du contrôle, ne peut être regardé comme une pièce comptable se rattachant à la période vérifiée dont l'emport, par le vérificateur, sans demande écrite du contribuable et sans remise d'un reçu, serait de nature à vicier la procédure de contrôle ;

5. Considérant que la SA Gemar Lumitec soutient qu'au cours de la vérification de comptabilité, le vérificateur a emporté, lors de la réunion du 8 octobre 2012, les originaux de sept attestations de fournisseurs sans respect d'aucune formalité, et que ces documents ne lui ont pas été restitués ; qu'elle fait valoir en outre qu'une de ces attestations a servi au vérificateur pour justifier sa position ; qu'il résulte de l'instruction, et notamment de la proposition de rectification du 13 décembre 2012, que lesdites attestations, datées de septembre 2012, ont été établies postérieurement à la période vérifiée, pour les besoins du contrôle ; que ces attestations n'ont pas été de nature à éclairer le vérificateur sur la réalité des prestations de services en litige ; que par suite, ces documents ne peuvent être regardés comme des pièces comptables se rattachant à la période vérifiée dont l'emport, par le vérificateur, sans demande écrite du contribuable et sans remise d'un reçu, serait de nature à vicier la procédure de contrôle ;

Sur le bien fondé de l'imposition :

6. Considérant en premier lieu qu'aux termes de l'article 238 A du code général des impôts : " (...) les rémunérations de services, payés ou dus par une personne physique ou morale domiciliée ou établie en Franceà des personnes physiques ou morales qui sont domiciliées ou établies dans un Etat étranger ou un territoire situé hors de France et y sont soumises à un régime fiscal privilégié, ne sont admis comme charges déductibles pour l'établissement de l'impôt que si le débiteur apporte la preuve que les dépenses correspondent à des opérations réelles et qu'elles ne présentent pas un caractère anormal ou exagéré. / Pour l'application du premier alinéa, les personnes sont regardées comme soumises à un régime fiscal privilégié dans l'Etat ou le territoire considéré si elles n'y sont pas imposables ou si elles y sont assujetties à des impôts sur les bénéfices ou les revenus dont le montant est inférieur de plus de la moitié à celui de l'impôt sur les bénéfices ou sur les revenus dont elles auraient été redevables dans les conditions de droit commun en France, si elles y avaient été domiciliées ou établies. Les dispositions du premier alinéa s'appliquent également à tout versement effectué sur un compte tenu dans un organisme financier établi dans un des Etats ou territoires visés au même alinéa. " ; qu'en vertu de ces dispositions, les personnes sont regardées comme soumises à un régime fiscal privilégié dans l'Etat ou le territoire considéré si elles n'y sont pas imposables ou si elles y sont assujetties à des impôts sur les bénéfices ou les revenus notablement moins élevés qu'en France ;

7. Considérant qu'il résulte de l'instruction que la SA Gemar Lumitec a versé à M. A..., directeur de la société Taiwan Georgia Corp., des sommes en rémunération de prestations de services qui aurait été réalisées au bénéfice de la société requérante à compter d'août 2008 ; que les commissions versées, à hauteur de 82 359 euros pour l'exercice clos en 2009, de 117 110, 39 euros en 2010 et de 129 644, 89 euros en 2011, l'ont été sur un compte bancaire domicilié... ;

8. Considérant d'une part, que l'administration, qui ne s'est pas uniquement fondée à l'information obtenue dans un magazine, contrairement à ce que soutient la société requérante, a justifié que les sommes en litige versées dans l'Etat de Hong-Kong n'ont fait l'objet d'aucune imposition ; que si ces sommes avaient été perçues en France, la société bénéficiaire des rémunérations en litige aurait été imposée à l'impôt sur les sociétés à raison de ces sommes ; que par suite, l'administration a apporté, la preuve qui lui incombe, que la société Taiwan Georgia Corp., étant soumise hors de France à une charge fiscale moindre pour l'imposition de ses bénéfices que celle à laquelle elle serait soumise en France si elle y était établie, devait être regardée comme soumise à un régime fiscal privilégié ; qu'en outre, pour l'application du dernier alinéa de l'article 238 A du code général des impôts, il n'y a pas lieu de tenir compte de l'Etat ou du territoire dans lequel la personne au nom de laquelle est ouvert le compte crédité est domiciliée... ; que par suite, la circonstance que la société Taïwan Georgia Corp. est établie à Taïwan est ici sans incidence ;

9. Considérant d'autre part, que pour justifier de la réalité des prestations de services fournies par la société Taiwan Georgia Corp., la société requérante produit le contrat conclu en août 2008 avec ladite société ayant notamment pour objet la confirmation des commandes auprès des fournisseurs en Chine, à Taiwan et à Hong-Kong, le contrôle qualité de chaque expédition et des lignes de production, la visite dans les salons professionnels en Asie et le contact régulier avec les fournisseurs ; qu'en rémunération de ces services, le contrat prévoit le versement par la SA Gemar Lumitec à la société Taiwan Georgia Corp. de 5 % du montant total de ses achats réalisés en Asie ainsi qu'une rémunération fixe trimestrielle ; que la société requérante produit également les factures relatives à ces prestations, qui ne comportent toutefois aucun détail des services réalisés ; qu'elle fournit des attestations de ses associés et du directeur général délégué mentionnant des prestations accomplies par la société Taiwan Georgia Corp. au cours de l'année 2012, postérieurement à la période en litige ; que la société requérante allègue que son niveau de marge brute est important et que son chiffre d'affaires est croissant, en raison selon elle des contrôles qualité mis en place par la société Taiwan Georgia Corp. ; que toutefois, la société requérante n'apporte aucun élément à l'appui de ses allégations ; qu'elle ne produit aucune pièce attestant des contrôles mis en place lors de la production ou des relations de la société Taiwan Georgia Corp. avec ses fournisseurs ; que dans ces conditions, la seule production des factures peu détaillées et du contrat ne suffit pas à établir la réalité des opérations ayant donné lieu au versement des sommes en litige ; que, par suite, c'est à bon droit que l'administration n'a pas admis comme charges déductibles pour l'établissement de l'impôt sur les sociétés les sommes versées par la SA Gemar Lumitec à la société Taiwan Georgia Corp. au titre des exercices clos en 2009, 2010 et 2011 ;

10. Considérant en deuxième lieu que la société requérante soutient que les dispositions de l'article 238 A du code général des impôts instituent une différence de traitement contraire au droit communautaire entre une société résidant en France et une société établie dans un Etat dont la fiscalité est privilégiée ; qu'elle n'a toutefois pas apporté de précisions suffisantes quant au droit ou aux dispositions du droit communautaire dont elle entend se prévaloir ; que si elle a entendu invoquer le droit à la libre prestation de service, ce droit ne s'applique qu'aux prestations effectuées à l'intérieur de l'Union européenne par un ressortissant d'un Etat membre établi dans un pays de l'Union ; que le traité de l'Union européenne n'étend pas le bénéfice de ce droit aux prestataires de services ressortissants d'un Etat tiers ; qu'il s'ensuit que la SA Gemar Lumitec ne peut utilement invoquer la libre prestation de services, dès lors que les impositions en litige sont relatives à ses relations avec la société Taiwan Georgia Corp. établie à Taïwan ;

11. Considérant en dernier lieu qu'aux termes de l'article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " La jouissance des droits et libertés reconnus dans la présente convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l'origine nationale ou sociale, l'appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation " ; qu'en vertu des stipulations de l'article premier du premier protocole additionnel à cette convention : " Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international. Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu'ils jugent nécessaires pour réglementer l'usage des biens conformément à l'intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d'autres contributions ou des amendes " ;

12. Considérant qu'il résulte des termes mêmes de l'article premier du premier protocole additionnel de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales que le droit au respect de ses biens ne porte pas atteinte au droit de chaque Etat de mettre en oeuvre les lois qu'il juge nécessaires pour assurer le paiement des impôts ; que la SA Gemar Lumitec ne saurait par conséquent invoquer ces stipulations pour contester le refus de l'administration d'admettre en déduction de ses bénéfices la rémunération des prestations de services en litige ;

13. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin de statuer sur la fin de non recevoir soulevée par le ministre, que la SA Gemar Lumitec n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande ;

Sur l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

14. Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'État, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, une somme au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ;

D E C I D E :

Article 1er : La requête de la SA Gemar Lumitec est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la SA Gemar Lumitec et au ministre de l'action et des comptes publics.

2

N° 17NC01926


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nancy
Formation : 2ème chambre - formation à 3
Numéro d'arrêt : 17NC01926
Date de la décision : 27/09/2018
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Autres

Analyses

Contributions et taxes - Généralités - Règles générales d'établissement de l'impôt - Contrôle fiscal - Vérification de comptabilité - Pouvoirs de l'administration.

Contributions et taxes - Impôts sur les revenus et bénéfices - Règles générales - Impôt sur les bénéfices des sociétés et autres personnes morales - Personnes morales et bénéfices imposables.


Composition du Tribunal
Président : M. DHERS
Rapporteur ?: Mme Stéphanie LAMBING
Rapporteur public ?: Mme PETON
Avocat(s) : CMS BUREAU FRANCIS LEFEBVRE

Origine de la décision
Date de l'import : 02/10/2018
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nancy;arret;2018-09-27;17nc01926 ?
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