Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler la décision du 6 août 2018 par laquelle le garde des sceaux, ministre de la justice, a rejeté sa demande de changement de nom de " B... " en " B...-G... de la Rouvière ", et d'enjoindre à ce ministre de réexaminer sa demande dans un délai de trois mois.
Par un jugement n° 1817891 du 4 octobre 2019, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.
Procédure devant la Cour :
Par une requête enregistrée le 29 novembre 2019 et un mémoire enregistré le 18 septembre 2020, M. A... B..., représenté par Me C... (F... et associés), demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 1817891 du 4 octobre 2019 du tribunal administratif de Paris ;
2°) d'annuler la décision du 6 août 2018 par laquelle le garde des sceaux, ministre de la justice, a rejeté sa demande de changement de nom de " B... " en " B...-G... de la Rouvière " ;
3°) d'enjoindre au garde des sceaux, ministre de la justice, de réexaminer sa demande dans un délai de trois mois ;
4°) de mettre à la charge de l'État le versement d'une somme de 2 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- le patronyme revendiqué a été légalement porté par ses ascendants, dès lors que des erreurs commises lors de la rédaction d'actes de l'état civil n'ont pu avoir pour effet de le modifier ;
- ce patronyme est menacé d'extinction au sens des dispositions du deuxième alinéa du code civil ;
- la décision litigieuse est donc entachée d'une erreur d'appréciation.
Par un mémoire en défense enregistré le 7 juillet 2020, le garde des sceaux, ministre de la justice, conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir qu'aucun des moyens de la requête n'est fondé.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code civil :
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. D...,
- et les conclusions de Mme Guilloteau, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. M. A... K... B..., né le 18 octobre 1995 a demandé au garde des sceaux, ministre de la justice, de l'autoriser d'adjoindre à son nom celui de " B...-G... de la Rouvière ". Cette demande a été rejetée par une décision du 6 août 2018 dont l'intéressé a demandé au tribunal administratif de Paris de prononcer l'annulation. Par un jugement du 4 octobre 2019, dont M. B... relève appel devant la Cour, ce tribunal a rejeté sa demande.
Sur les conclusions à fin d'annulation :
2. Aux termes de l'article 61 du code civil : " Toute personne qui justifie d'un intérêt légitime peut demander à changer de nom. / La demande de changement de nom peut avoir pour objet d'éviter l'extinction du nom porté par un ascendant ou un collatéral du demandeur jusqu'au quatrième degré. / Le changement de nom est autorisé par décret ". D'une part, le relèvement de nom, qui a pour objet d'éviter l'extinction d'un patronyme, doit, en principe, porter sur l'intégralité de ce patronyme. Il ne peut en aller autrement, à titre exceptionnel, que si le demandeur justifie d'un intérêt légitime suffisamment caractérisé à n'adjoindre à son nom qu'une partie du patronyme. D'autre part, un tel relèvement d'un nom ne saurait s'appliquer à un nom d'usage, mais suppose qu'il soit établi que le nom en cause a été légalement porté, ou pouvait l'être en dépit d'une altération irrégulière du patronyme originel du fait de l'administration, par un ascendant ou par un collatéral jusqu'au quatrième degré de celui qui demande à changer de nom.
3. Il ressort des pièces du dossier, et notamment de l'étude généalogique produite par M. B... qui, non contestée, s'appuie sur de très nombreux documents tels que des actes d'état civil, des contrats de mariage et des déclarations de succession et de mutation après décès, que le requérant est le fils de M. J... A... B..., né en 1960, lui-même fils I... (1930-1984), et que cette dernière est la fille de A... René G... (1902-1980), grand-père du requérant, et par ailleurs père de A... Paul Georges G... (1937-2016) grand-oncle du même et son parent collatéral au quatrième degré, et que A... René G... est le fils L... A... M... (1866-1942), ascendant au quatrième degré du requérant. Pour l'application des règles rappelées au point 2, il doit être établi, soit que le nom revendiqué a été légalement porté par ces deux derniers parents, ascendant et collatéral, soit qu'ils auraient pu le porter légalement en l'absence de son altération.
4. En premier lieu, d'une part, eu égard au mariage de deux de ses soeurs, au décès sans postérité d'une troisième et au décès en bas âge de son frère, Pierre A... M... a pu, seul de sa fratrie, transmettre le nom revendiqué à ses quatre enfants. Parmi ces derniers, à la suite du décès de deux d'entre eux en bas âge (respectivement, Suzane Noémie Claire en 1897 et A...-Alfred en 1899), et du décès au combat de Charles-Emile (1896-1916) seul A...-René G... a pu transmettre ledit nom.
5. D'autre part, ni le grand-oncle du requérant, mort sans descendant, ni son oncle Bertrand François B..., né en 1957 et célibataire sans héritier, n'ont transmis ce nom. L'étude généalogique conclut que le requérant est ainsi l'unique descendant vivant de la lignée issue de son trisaïeul Pierre A... M... (1866-1942) à pouvoir transmettre le patronyme objet de la demande de changement de nom.
6. Il résulte de ce qui précède que le patronyme, objet de la demande de changement de nom, porté à la fois par un ascendant et par un collatéral au quatrième degré du requérant est, en tout état de cause, menacé d'extinction au sens et pour l'application des dispositions précitées de l'article 61 du code civil.
7. En second lieu, il est constant que les actes d'état civil relatif à la naissance et au décès L... A... M... (1866-1942), trisaïeul du requérant, font mention du seul patronyme " G... ". Toutefois, il ressort des pièces du dossier que, d'une part, la naissance du père de ce dernier, Louis-Clément Alfred (1822-1869) a bien été déclarée à l'état civil en 1822 par son propre père, A... Victor Gaspard Fortuné G... de la Rouvière, sous ce nom complet à double composante, et qu'il en fut d'ailleurs de même pour sa soeur E..., née en 1820 et que, d'autre part, l'étude généalogique susmentionnée relève également que, sur les cinq enfants H... de la Rouvière " deux seuls sont baptisés avec le patronyme complet ", tandis que les actes de naissance de Charlotte (1856-1926), et de Raoul (en 1863-1870), respectivement soeur et frère L...-A...-Eugène, révèlent qu'ils ont été déclarés à l'officier de l'état civil sous le nom de " G... de la Rouvière ".
8. Il ressort ainsi des pièces du dossier que c'est nécessairement par une série d'irrégularités administratives, liées à des pratiques qui, relativement à la façon dont les noms composés notamment de plusieurs particules étaient retranscris dans leur intégralité ou seulement partiellement dans les actes d'état civil, ont pu varier dans le temps, que le trisaïeul du requérant, Pierre-A...-M..., a été mentionné dans les actes relatifs à sa naissance comme à son décès sous le patronyme, incomplet, de " G... ", puis que ce dernier nom a ensuite été mentionné sur les actes d'état civil de ses descendants. Ces pratiques administratives n'ayant pu avoir légalement pour effet de modifier le patronyme en cause, le requérant est fondé à soutenir que seul le nom de " G... de la Rouvière " pouvait être légalement porté par les descendants de son trisaïeul, et qu'il peut ainsi en revendiquer utilement le relèvement sur le fondement des dispositions précitées du code civil.
9. Il résulte de tout ce qui précède que le requérant est fondé à soutenir c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande dirigée contre la décision litigieuse du garde des Sceaux, ministre de la justice, en date du 6 août 2018 rejetant sa demande de changement de nom, et à demander à la Cour de prononcer l'annulation, tant de ce jugement que de cette décision.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
10. Aux termes de l'article L. 911-1 du code de justice administrative : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne une mesure d'exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d'un délai d'exécution. / La juridiction peut également prescrire d'office cette mesure. " Lorsqu'il prononce d'office une injonction, sur le fondement du deuxième alinéa de l'article L. 911-1 du code de justice administrative, tel qu'issu de l'article 40 de la n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice, le juge se borne à exercer son office et n'est, par suite, pas tenu de mettre les parties à même de présenter leurs observations.
11. En l'espèce, il y a lieu pour la Cour, d'office, d'enjoindre au garde des sceaux, ministre de la justice, non pas, comme se borne à le solliciter le requérant, de simplement réexaminer sa demande, mais de présenter au Premier ministre, dans un délai de trois mois à compter de la notification du présent arrêt, un projet de décret autorisant M. A... B... à changer son patronyme en " B...-G... de la Rouvière ".
Sur les frais du litige :
12. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de l'État (ministère de la justice), qui succombe dans la présente instance, le versement au requérant d'une somme de 1500 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement n° 1817891 du 4 octobre 2019 du tribunal administratif de Paris est annulé.
Article 2 : La décision du 6 août 2018 par laquelle le garde des sceaux, ministre de la justice, a rejeté la demande de changement de nom de M. A... B... est annulée.
Article 3 : Il est enjoint au garde des sceaux, ministre de la justice de présenter au Premier ministre, dans un délai de trois mois à compter de la notification du présent arrêt, un projet de décret autorisant M. A... B... à changer son patronyme en " B...-G... de la Rouvière ".
Article 4 : L'État (ministère de la justice) versera à M. A... B... une somme de 1 500 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête de M. A... B... est rejeté.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B... et au garde des sceaux, ministre de la justice.
Délibéré après l'audience du 22 octobre 2020, à laquelle siégeaient :
- M. Lapouzade, président de chambre,
- M. D..., président-assesseur,
- M. Gobeill, premier conseiller,
Lu en audience publique, le 19 novembre 2020.
Le rapporteur,
S. D...Le président,
J. LAPOUZADE Le greffier,
A. LOUNIS
La République mande et ordonne au garde des sceaux, ministre de la justice, en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 19PA03840