Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. C... E... a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler, d'une part, l'arrêté du 25 juin 2018 par lequel le garde des sceaux, ministre de la justice, a refusé de l'inscrire sur les registres du sceau de France comme ayant succédé au titre de duc E..., et, d'autre part, l'arrêté du 25 juin 2018 par lequel le même ministre a investi M. H... E... du titre de duc.
Par un jugement n° 1816301,1816302 du 4 juillet 2019, le tribunal administratif de Paris a rejeté ses demandes et mis à sa charge le versement d'une somme de 1 500 euros à M. H... E....
Procédure devant la Cour :
Par une requête enregistrée le 3 septembre 2019, M. C... E..., représenté par la SARL Cabinet Briard, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 1816301, 1816302 du 4 juillet 2019 du tribunal administratif de Paris ;
2°) d'annuler, d'une part, l'arrêté du 25 juin 2018 par lequel le garde des sceaux, ministre de la justice, a refusé de l'inscrire sur les registres du sceau de France comme ayant succédé au titre de duc E..., et, d'autre part, l'arrêté du 25 juin 2018 par lequel le même ministre a investi M. H... E... du titre de duc ;
3°) de mettre à la charge de l'État le versement de la somme symbolique d'un euro en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- le jugement attaqué est irrégulier, comme insuffisamment motivé ;
- le titre de duc E..., institué par le Roi Louis XV, lui est transmissible dès lors que depuis 2005, le droit français ne permet plus de distinguer entre enfants naturels et enfants légitimes ; il est donc fondé à en revendiquer la possession comme héritier du titre porté par son père décédé en 2012 ;
- les décisions contestées méconnaissent l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, combiné avec l'article 14 ;
- elles méconnaissent les dispositions du code civil relatives à l'égalité devant la succession des enfants nés dans ou hors mariage, le principe constitutionnel d'égalité et le principe de sécurité juridique ;
- certains États étrangers modifient ou envisagent de modifier leur droit en tant qu'il institue des inégalités dans la transmission des titres ; le droit nobiliaire français doit être lu à la lumière des évolutions du droit civil.
Par un mémoire enregistré le 24 janvier 2020, M. H... E..., représenté par Me Le Prado, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, conclut au rejet de la requête, ainsi qu'à la mise à la charge du requérant d'une somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il fait valoir qu'aucun des moyens de la requête n'est fondé.
Par ordonnance du 13 janvier 2020 la clôture de l'instruction a été fixée au 31 janvier 2020 à 12 heures.
Un mémoire a été présenté le 7 février 2020 par le garde des sceaux, ministre de la justice, postérieurement à la clôture de l'instruction.
Vu :
- la Constitution ;
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code civil ;
- le décret du 10 janvier 1872 supprimant le conseil du sceau des titres et attribuant ses fonctions au conseil d'administration du ministère de la justice, modifié par le décret n° 2005-565 du 27 mai 2005 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. B...,
- les conclusions de Mme Guilloteau, rapporteur public,
- les observations de Me Beauthier, avocat de M. C... E..., et de Me Demailly, avocat de M. H... E....
Considérant ce qui suit :
1. Par arrêté du 25 juin 2018, le garde des sceaux, ministre de la justice, a refusé d'inscrire sur les registres du sceau de France M. C... E... comme ayant succédé au titre de duc E... au motif qu'il n'est pas né " en légitime mariage " de Victor François, huitième titulaire, décédé le 12 février 2012 et déclaré comme étant son père par jugement du tribunal de grande instance de Paris du 5 février 1991, confirmé par un arrêt de la cour d'appel de Paris du 9 janvier 1992. Le même jour, le garde des sceaux, ministre de la justice, a inscrit M. H... E..., frère cadet de Victor François, sur le registre du sceau de France comme ayant succédé au titre de duc E..., conféré à son ancêtre par lettres patentes du mois de juin 1742. M. C... E... relève appel du jugement du 4 juillet 2019 par lequel le tribunal administratif de Paris a rejeté ses demandes tendant à l'annulation de ces arrêtés.
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. Contrairement à ce que soutient M. C... E..., les premiers juges ont précisément et suffisamment répondu, dans les points 3 à 6 de leur décision, aux différents moyens et arguments qu'il avait articulés et développés devant eux. Le moyen tiré de l'insuffisance de motivation du jugement attaqué manque donc en fait et doit être écarté.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
3. Depuis la promulgation des lois constitutionnelles de 1875, nulle autorité de la République ne dispose du pouvoir de collationner, de confirmer ou de reconnaître des titres nobiliaires, qui se transmettent de plein droit et sans intervention de ces autorités. La seule compétence maintenue au garde des sceaux, en application du décret modifié du 10 janvier 1872 qui a supprimé le conseil du sceau des titres et attribué les fonctions de ce conseil " en tout ce qui n'est pas contraire à la législation actuelle " à la direction des affaires civiles et du sceau, est celle de se prononcer sur les demandes de vérification des titres de noblesse, qui le conduisent uniquement à examiner les preuves de la propriété du titre par celui qui en fait la demande.
4. En premier lieu, lorsque le juge administratif statue sur les recours dirigés contre les décisions du garde des sceaux accordant ou refusant l'inscription au registre du sceau de France d'une personne prétendant succéder à la possession d'un titre nobiliaire, son office se limite, quant à la légalité interne de ces décisions, au seul examen de leur conformité aux règles gouvernant la dévolution de ce titre telles qu'elles résultent de l'acte de création du titre. En l'absence de disposition constitutionnelle ou législative expresse ayant, depuis la promulgation des lois constitutionnelles de 1875, affecté l'autonomie du droit applicable aux titres nobiliaires, qui n'est pas soumis au code civil, ne peuvent dès lors utilement être soulevés, pour contester une telle décision, des moyens tirés de la méconnaissance du principe constitutionnel d'égalité, de celle du principe de sécurité juridique, non plus que, comme en l'espèce, de celle des dispositions législatives ayant supprimé toute discrimination devant les règles de filiation entre les enfants naturels et ceux nés dans le cadre du mariage.
5. En deuxième lieu, eu égard, en l'état du droit positif, à la nature des titres nobiliaires, lesquels sont détachables de l'identité des individus qui en revendiquent l'investiture et ne constituent que des accessoires honorifiques de leur nom, les règles gouvernant leur usage et leur dévolution n'entrent pas dans le champ d'application de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales en tant qu'il garantit le droit au respect de la vie privée et familiale. Ainsi, la méconnaissance de ces stipulations, même combinées avec celles de son article 14, ne peut davantage être utilement invoquée pour contester la légalité des décisions susmentionnées.
6. En troisième lieu, le requérant ne peut sérieusement soutenir que la double circonstance tenant à ce que, au Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord, d'une part, les règles de succession au trône ont été modifiées par le Succession to the Throne Act de 2013 pour abolir la préférence donnée à la transmission de la Couronne en ligne agnatique - au demeurant sans que soit néanmoins supprimée l'exigence de la naissance d'un héritier au sein du mariage - et, d'autre part, que les règles de transmission exclusivement masculine des titres héréditaires de la pairie constitutionnelle sont contestées dans l'opinion, serait susceptible d'avoir une quelconque incidence sur la légalité d'une décision prise par les autorités administratives françaises.
7. En quatrième lieu, il ressort des pièces du dossier, d'une part, que les lettres patentes du Roi Louis XV de juin 1742 ont conféré le titre de duc E... à François-Marie E... " pour lui et l'ainé de ses mâles nés et à naitre de lui en légitime mariage ... ses enfants, postérité et descendants nés et à naitre en légitime mariage, selon l'ordre de primogéniture ", d'autre part, que M. C... E..., né le 28 avril 1987 et reconnu le 11 mai 1987 par Mme D..., n'est pas le fils légitime de G... E... (1949-2012), huitième titulaire, lequel n'a eu aucun descendant légitime, et, enfin, que M. H... E..., frère cadet du huitième titulaire, descend en ligne agnatique directe et légitime du premier duc E....
8. Eu égard à ce qui a été dit aux points 4 à 6 du présent arrêt, M. C... E... ne peut utilement contester devant le juge administratif la validité, au regard des dispositions d'ordre constitutionnel, conventionnel ou législatif, des règles de transmission du titre de duc E... déterminées par les lettres patentes du Roi Louis XV. Il s'ensuit que, d'une part, le garde des sceaux, ministre de la justice, était tenu de refuser d'inscrire sur le registre du sceau de France, comme ayant succédé au titre de duc E..., un fils naturel de Victor François E..., huitième titulaire et, d'autre part, a pu légalement inscrire sur ce registre, comme ayant succédé audit titre, M. H... E..., descendant légitime par voie agnatique du premier duc E... et frère cadet du huitième titulaire.
9. Il résulte de tout ce qui précède que M. C... E... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Paris a rejeté ses demandes tendant à l'annulation des arrêtés contestés du garde des sceaux, ministre de la justice, tant en ce qu'ils lui refusent l'inscription au registre du sceau de France comme ayant succédé au titre de duc E..., qu'en ce qu'ils y inscrivent M. H... E... en qualité de neuvième titulaire. Les conclusions de sa requête qui tendent à l'annulation de ce jugement et de ces décisions doivent donc être rejetées.
Sur les frais du litige :
10. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que M. C... E..., qui est la partie perdante dans la présente instance, en puisse invoquer le bénéfice. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à sa charge le versement d'une somme de 1 500 euros à M. H... E....
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de M. C... E... est rejetée.
Article 2 : M. C... E... versera une somme de 1 500 euros à M. H... E... sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... E..., à M. H... E... et au garde des sceaux, ministre de la justice.
Délibéré après l'audience du 13 février 2020, à laquelle siégeaient :
- Mme F..., président de chambre,
- M. B..., président-assesseur,
- M. Platillero, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 5 mars 2020.
Le rapporteur,
S. B...La présidente,
S. F... Le greffier,
M. A...
La République mande et ordonne au garde des sceaux, ministre de la justice, en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 19PA02876