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17/01/2022 | FRANCE | N°19PA02720

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 5ème chambre, 17 janvier 2022, 19PA02720


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C... a demandé au tribunal administratif de Paris :

1) Par une première requête, enregistrée sous le n° 1819193, d'annuler l'arrêté du 31 juillet 2018 par lequel le ministre de l'éducation nationale a prononcé la sanction de mise à la retraite d'office et d'enjoindre à l'Etat de le réintégrer dans le délai de quinze jours à compter de la notification du jugement.

2) Par une seconde requête, enregistrée sous le n° 1822802, d'annuler l'arrêté du 10 décembre 2018, par lequel le m

inistre de l'éducation nationale et de la jeunesse a prononcé la sanction d'exclusion temporair...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C... a demandé au tribunal administratif de Paris :

1) Par une première requête, enregistrée sous le n° 1819193, d'annuler l'arrêté du 31 juillet 2018 par lequel le ministre de l'éducation nationale a prononcé la sanction de mise à la retraite d'office et d'enjoindre à l'Etat de le réintégrer dans le délai de quinze jours à compter de la notification du jugement.

2) Par une seconde requête, enregistrée sous le n° 1822802, d'annuler l'arrêté du 10 décembre 2018, par lequel le ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse a prononcé la sanction d'exclusion temporaire pour une durée de dix-huit mois assortie d'un sursis de douze mois et d'enjoindre à l'Etat de le réintégrer d'office dans le délai de sept jours à compter de la notification du jugement.

Par un jugement n° 1819193 et 1822802 du 13 juin 2019, le tribunal administratif de Paris a annulé l'arrêté du 31 juillet 2018 prononçant la sanction de mise à la retraite d'office, mis à la charge de l'Etat le versement de la somme de 1 500 euros à M. C... et rejeté le surplus des conclusions présentées par M. C....

Procédure devant la Cour :

Par une requête et des mémoires enregistrés le 14 août 2019, le 9 décembre 2019, le 11 mars 2020, le 24 août 2020 et le 30 mars 2021, M. C... représenté par la SCP Arvis et Komly-Naller, demande à la Cour :

1°) d'annuler l'article 3 du jugement du 13 juin 2019 par lequel le tribunal administratif de Paris a rejeté ses conclusions d'annulation de l'arrêté du 10 décembre 2018 lui infligeant la sanction disciplinaire d'exclusion temporaire de fonctions pour une durée de dix-huit mois assortie d'un sursis de douze mois ;

2°) d'annuler l'arrêté du 10 décembre 2018 ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

M. C... soutient que :

- le jugement est insuffisamment motivé ;

- la sanction attaquée a été infligée en méconnaissance des droits de la défense et de l'article 19 de la loi du 13 juillet 1983 ; il n'a pas eu communication de son dossier dans son intégralité préalablement à l'édiction de la sanction, et il n'a pas pu faire valoir ses observations sur la sanction envisagée ;

- la sanction a été prise en méconnaissance du caractère exécutoire de l'ordonnance n° 1819192 du juge du référé du 7 novembre 2018 ;

- elle a été prise en violation du principe non bis in idem de non-cumul des sanctions ;

- elle a été prononcée en violation du principe de la légalité des délits et des peines, garanti par les articles 6 et 7§1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (CEDH) et l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen car l'obligation professionnelle d'exemplarité et d'irréprochabilité n'est pas définie dans la loi ;

- elle est entachée d'erreur de fait ;

- elle est disproportionnée.

Par des mémoires défense enregistrés le 14 novembre 2019, le 30 décembre 2019, le 3 août 2020 et le 21 septembre 2020, le ministre de l'éducation nationale, de la jeunesse et des sports conclut au rejet de la requête.

Le ministre fait valoir que les moyens soulevés par le requérant sont dépourvus de fondement.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;

- la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'Etat ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Vinot,

- les conclusions de Mme Lescaut, rapporteure publique,

- les observations de Me Bourgeois, représentant Me C...,

- et les observations de Mme A..., représentant le ministre de l'éducation nationale, de la jeunesse et des sports.

Considérant ce qui suit :

1. M. C... est un professeur certifié qui enseigne la philosophie au lycée Montaigne dans le 6ème arrondissement de Paris depuis 1998. Par un arrêté du 31 juillet 2018, le ministre de l'éducation nationale lui a infligé la sanction de mise à la retraite d'office. Par une ordonnance n° 1819192 du 7 novembre 2018, le juge des référés du tribunal administratif de Paris a suspendu l'exécution de cette décision et enjoint au ministre de l'éducation nationale de réintégrer M. C... dans un délai d'un mois à compter de la notification de l'ordonnance jusqu'à ce qu'il soit statué sur la requête au fond. Le ministre a alors pris un nouvel arrêté daté du 10 décembre 2018, par lequel il a réintégré M. C... dans ses fonctions à compter du 8 novembre 2018 et lui a infligé la sanction d'exclusion temporaire de fonctions d'une durée de dix-huit mois, assortie d'un sursis de douze mois. L'exécution de cette sanction d'exclusion temporaire de fonctions a elle aussi été suspendue, par une ordonnance n° 1822801 et 1822803 du 24 décembre 2018 du juge des référés du tribunal administratif de Paris. Statuant au fond par un jugement n° 1819193 et 1822802 du 13 juin 2019, le tribunal administratif de Paris a annulé l'arrêté du ministre de l'éducation nationale du 31 juillet 2018 infligeant à M. C... la sanction de mise à la retraite d'office, et rejeté le surplus des conclusions présentées par M. C.... M. C... relève appel de ce jugement du 13 juin 2019, en tant que le tribunal administratif de Paris a rejeté ses conclusions d'annulation de l'arrêté du 10 décembre 2018 lui infligeant la sanction disciplinaire d'exclusion temporaire de fonctions pour une durée de dix-huit mois assortie d'un sursis de douze mois.

Sur les conclusions aux fins d'annulation :

2. En vertu de l'article 19 de la loi du 13 juillet 1983 " le fonctionnaire à l'encontre duquel une procédure disciplinaire est engagée a droit à la communication de l'intégralité de son dossier individuel et de tous les documents annexes ".

3. Lorsqu'une enquête administrative a été diligentée sur le comportement d'un agent public ou porte sur des faits qui, s'ils sont établis, sont susceptibles de recevoir une qualification disciplinaire ou de justifier que soit prise une mesure en considération de la personne d'un tel agent, le rapport établi à l'issue de cette enquête, y compris lorsqu'elle a été confiée à des corps d'inspection, ainsi que, lorsqu'ils existent, les procès-verbaux des auditions des personnes entendues sur le comportement de l'agent faisant l'objet de l'enquête font partie des pièces dont ce dernier doit recevoir communication en application de l'article 19 de la loi du 13 juillet 1983, sauf si la communication de ces procès-verbaux serait de nature à porter gravement préjudice aux personnes qui ont témoigné.

4. Il ressort des pièces du dossier que la décision d'engager une procédure disciplinaire à l'encontre de M. C..., qui a conduit au prononcé de la sanction d'exclusion temporaire de fonctions pour une durée de dix-huit mois assortie d'un sursis de douze mois, a été prise au vu d'un rapport conjoint de l'inspection générale de l'éducation nationale (IGEN) et de l'inspection générale de l'administration de l'éducation nationale de l'enseignement supérieur et de la recherche (IGAENR) remis en octobre 2017. Et il ressort des termes de l'arrêté du 10 décembre 2018 en litige que ce rapport a été établi sur la base de " témoignages concordants " recueillis par la mission d'inspection qui, selon les termes de cet arrêté, " permettent de matérialiser l'existence de comportements et d'attitudes déplacées de ce professeur à l'égard de ses élèves de sexe féminin, par des propos humiliants, certains à connotation sexuelle, des insultes, et cultive une attitude provocante à l'égard de ses élèves ayant conduit à un dépôt de plainte d'un parent d'élève pour des propos humiliants voire à connotation raciste ". Cet arrêté précise " qu'il ressort de témoignages concordants que M. C... afficherait ses idées politiques lors de ses cours, en particulier lors des dernières élections présidentielles, et qu'il refuse de respecter les instructions de son chef d'établissement sur l'application du principe de laïcité ".

5. Cependant, si les rapports de la mission de l'IGEN et l'IGAENR du mois d'octobre 2017 et du proviseur du lycée Montaigne du 26 mars 2018 ont été communiqués à M. C..., il ressort des pièces du dossier qu'aucune notification n'a été faite à M. C... de " témoignages concordants " répondant aux caractéristiques décrites dans l'arrêté en litige. A cet égard, le rapport du chef d'établissement daté du 15 mai 2017, annexé à celui de la mission d'inspection de l'IGEN et l'IGAENR d'octobre 2017, qui cite des extraits d'un témoignage d'une seule élève en précisant qu'il serait " appuyé par la signature de six élèves de sa classe " ne saurait tenir lieu d'une telle communication alors qu'il est antérieur aux auditions auxquelles la mission a procédé et qu'en outre il ne mentionne aucun témoignage accréditant l'appréciation selon laquelle M. C... aurait tenu des propos humiliants voire à connotation raciste, ou affiché ses idées politiques lors des cours ou encore aurait refusé de respecter des instructions sur l'application du principe de laïcité. De plus, aucune réponse n'a été apportée par l'administration à l'objection faite par M. C..., dans sa réponse, datée du 26 septembre 2017, au pré-rapport de la mission d'inspection, daté du mois d'août 2017 et lui ayant été notifié dans le cadre de la procédure contradictoire, selon laquelle " la mission cite un rapport du 31 mai 2005, inconnu de moi, et quatre lettres dont je n'ai jamais eu à prendre connaissance, datées du 10 octobre 2006, 10 décembre 2009, 17 mars 2010 et 10 janvier 2013 ".

6. Pour sa part, le ministre de l'éducation nationale, de la jeunesse et des sports se borne à faire valoir, à l'appui de son allégation selon laquelle les droits de la défense de M. C... n'auraient pas été méconnus, d'une part, que de façon générale la communication à un enseignant de l'identité des élèves ayant témoigné à son encontre serait par principe de nature à leur porter préjudice, et, d'autre part, qu'à la date de leur audition par les membres de la mission menée conjointement par l'inspection générale de l'éducation nationale et de l'inspection générale de l'administration de l'éducation nationale de l'enseignement supérieur et de la recherche, l'année scolaire 2016-2017 n'était pas encore achevée de sorte les élèves de la classe de terminale littéraire, dont certains étaient mineurs, se trouvaient encore sous l'autorité du requérant. Cependant, le ministre ne démontre pas, ni même n'allègue, qu'une communication à M. C... préalablement à l'édiction de la sanction litigieuse, intervenue seulement le 10 décembre 2018, des témoignages sur lesquels le rapport de la mission d'inspection de l'IGEN et l'IGAENR d'octobre 2017 s'est appuyé, aurait été de nature à porter gravement préjudice aux personnes qui ont témoigné.

7. Par suite, M. C... est fondé à soutenir qu'il n'a pas reçu communication de l'ensemble des pièces qu'il était en droit d'obtenir en vertu de l'article 19 de la loi du 13 juillet 1983 préalablement à l'intervention de la sanction litigieuse dans les conditions rappelées au point 3, et qu'il a ainsi été privé d'une des garanties de la procédure disciplinaire, de sorte que la sanction d'exclusion temporaire de fonctions d'une durée de dix-huit mois, assortie d'un sursis de douze mois a été prise au terme d'une procédure irrégulière.

8. De plus, il ressort des pièces du dossier, et n'est d'ailleurs pas contesté, que la sanction d'exclusion temporaire de fonctions a été infligée à M. C..., le 10 décembre 2018, pour les mêmes griefs que la sanction de mise à la retraite d'office du 31 juillet 2018. Or à la date du 10 décembre 2018, l'arrêté du 31 juillet 2018 ayant placé d'office M. C... à la retraite demeurait dans l'ordonnancement juridique, seule son exécution ayant été suspendue par une ordonnance n° 1819192 du 7 novembre 2018. En effet, c'est seulement par le jugement du 13 juin 2019 du tribunal administratif de Paris, non attaqué sur ce point, que l'arrêté du 31 juillet 2018 a été annulé.

9. Ainsi, et dès lors que l'arrêté du 10 décembre 2018 a de nouveau sanctionné les faits à raison desquels M. C... avait été mis d'office à la retraite, par l'arrêté du 31 juillet 2018 qui demeurait dans l'ordonnancement juridique à la date du 10 décembre 2018, M. C... est fondé à soutenir qu'il a été illégalement sanctionné deux fois pour les mêmes faits, en violation du principe " non bis in idem ", et à demander pour ce motif l'annulation de l'arrêté du 10 décembre 2018 l'ayant sanctionné pour la seconde fois à raison de ces faits.

10. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens, que M. C... est fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Paris a rejeté ses conclusions en annulation dirigées contre l'arrêté du 10 décembre 2018 lui infligeant la sanction disciplinaire d'exclusion temporaire de fonctions pour une durée de dix-huit mois assortie d'un sursis de douze mois. Dès lors, le jugement du 13 juin 2019 du tribunal administratif de Paris, en tant qu'il a rejeté la demande de M. C... tendant à l'annulation de l'arrêté du 10 décembre 2018 du ministre de l'éducation nationale lui ayant infligé la sanction disciplinaire d'exclusion temporaire de fonctions de dix-huit mois assortie d'un sursis de douze mois, et l'arrêté du 10 décembre 2018 du ministre de l'éducation nationale, doivent être annulés.

Sur les frais liés à l'instance :

11. En application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 2 000 euros au titre des frais exposés par M. C... et non compris dans les dépens.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement n° 1819193 et 1822802 du 13 juin 2019 du tribunal administratif de Paris, en tant qu'il a rejeté la demande de M. C... tendant à l'annulation de l'arrêté du 10 décembre 2018 du ministre de l'éducation nationale lui ayant infligé la sanction disciplinaire d'exclusion temporaire de fonctions de dix-huit mois, assortie d'un sursis de douze mois, et l'arrêté du 10 décembre 2018 du ministre de l'éducation nationale, sont annulés.

Article 2 : L'Etat versera à M. C... la somme de 2 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... C... et au ministre de l'éducation nationale, de la jeunesse et des sports.

Copie en sera adressée au recteur de l'académie de Paris.

Délibéré après l'audience du 2 décembre 2021, à laquelle siégeaient :

- Mme Vinot, présidente de chambre,

- Mme Vrignon-Villalba, présidente assesseure,

- M. Aggiouri, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 17 janvier 2022.

La présidente assesseure,

C. VRIGNON-VILLALBALa présidente rapporteure,

H. VINOT

La greffière,

F. DUBUY-THIAM

La République mande et ordonne au ministre de l'éducation nationale, de la jeunesse et des sports en ce qui le concerne, ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

3

N° 19PA02720


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 5ème chambre
Numéro d'arrêt : 19PA02720
Date de la décision : 17/01/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

36 Fonctionnaires et agents publics.

Fonctionnaires et agents publics - Discipline.


Composition du Tribunal
Président : Mme VINOT
Rapporteur ?: Mme Isabelle MARION
Rapporteur public ?: Mme LESCAUT
Avocat(s) : SCP ARVIS et KOMLY-NALLIER

Origine de la décision
Date de l'import : 25/01/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2022-01-17;19pa02720 ?
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