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19/05/2020 | FRANCE | N°19PA01208

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 5ème chambre, 19 mai 2020, 19PA01208


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société anonyme (SA) ACOFI Gestion a demandé au Tribunal administratif de Paris de prononcer le versement des intérêts moratoires afférents à la créance de crédit d'impôt recherche de la société Link et Data Mobile au titre de l'année 2015 pour un montant de 7 428 euros.

Par un jugement n° 1718786 du 19 février 2019, le Tribunal administratif de Paris, après avoir accordé un non-lieu à statuer à concurrence de la somme de 489 euros dont l'administration a prononcé le dégrèvement en

cours d'instance, a condamné l'État à verser à la société ACOFI Gestion la somme de 7 428 ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société anonyme (SA) ACOFI Gestion a demandé au Tribunal administratif de Paris de prononcer le versement des intérêts moratoires afférents à la créance de crédit d'impôt recherche de la société Link et Data Mobile au titre de l'année 2015 pour un montant de 7 428 euros.

Par un jugement n° 1718786 du 19 février 2019, le Tribunal administratif de Paris, après avoir accordé un non-lieu à statuer à concurrence de la somme de 489 euros dont l'administration a prononcé le dégrèvement en cours d'instance, a condamné l'État à verser à la société ACOFI Gestion la somme de 7 428 euros au titre des intérêts moratoires que celle-ci réclamait sur le fondement de l'article L. 208 du livre des procédures fiscales et mis à la charge de l'État une somme de 1 500 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Procédure devant la Cour :

Par une requête enregistrée le 2 avril 2019, et un mémoire enregistré le 13 février 2020,

le ministre de l'action et des comptes publics demande à la Cour :

1°) d'annuler les articles 2 et 3 du jugement n° 1718786 du Tribunal administratif de Paris en date du 19 février 2019 ;

2°) d'ordonner la restitution de la somme de 7 428 euros.

Il soutient que :

- c'est à tort que le tribunal a considéré que le remboursement de la créance de crédit d'impôt pour dépenses de recherche dont la société Link et Data Mobile était titulaire au titre de l'année 2015 avait le caractère d'un dégrèvement contentieux et ouvrait droit au versement des intérêts moratoires prévus par l'article L. 208 du livre des procédures fiscales, dès lors que la demande de remboursement de la société ne tendait à la réparation d'aucune erreur commise dans l'assiette ou le calcul d'une imposition et que le cessionnaire n'avait pas la qualité de contribuable ;

- les sommes réclamées, qui correspondent à l'indemnisation du retard pris par l'administration dans le remboursement de la créance de crédit d'impôt recherche, n'entraient pas dans le champ d'application des dispositions de l'article L. 208 du livre des procédures fiscales ; aucune disposition du code monétaire et financier ne prévoit de sanctions en cas de retard mis par le débiteur à verser la somme due au cessionnaire ;

- ce retard peut seulement donner lieu au versement d'intérêts calculés au taux légal sur le fondement des dispositions de l'article 1231-6 du code civil ;

- les autres moyens soulevés par la société ACOFI Gestion devant le Tribunal administratif de Paris ne sont pas fondés.

Par des mémoires enregistrés les 21 juin 2019 et 28 février 2020, la société ACOFI Gestion, représentée par Me C..., conclut au rejet du recours du ministre de l'action et des comptes publics et à ce que soit mis à la charge de l'État le versement d'une somme de 5 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que les moyens soulevés par le ministre ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d'urgence pour faire face à l'épidémie de covid-19 ;

- la loi n° 2020-546 du 11 mai 2020 prorogeant l'état d'urgence sanitaire et complétant ses dispositions ;

- l'ordonnance n° 2020-305 du 25 mars 2020 portant adaptation des règles applicables devant les juridictions de l'ordre administratif modifiée ;

- le code civil ;

- le code monétaire et financier ;

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme B...,

- les conclusions de M. Lemaire, rapporteur public,

- et les observations de Me A... pour la société ACOFI Gestion.

Considérant ce qui suit :

1. Le fonds commun de titrisation Predirec Innovation 2020 a, par acte du 27 juin 2016, procédé à l'acquisition de la créance fiscale que la société Link et Data Mobile détenait sur l'État à raison d'un crédit d'impôt en faveur de la recherche d'un montant de 202 654 euros correspondant à des dépenses de recherches que celle-ci avait exposées au titre de l'année 2015. Le 5 juillet 2016, la société Link et Data Mobile a sollicité le remboursement de sa créance de crédit d'impôt recherche. Par une décision en date du 13 avril 2017, l'administration a fait droit à cette demande et a versé les sommes dues au fonds commun de titrisation Predirec Innovation 2020 le 28 avril suivant. Par un courrier du 26 juin 2017, la société ACOFI Gestion, en sa qualité de société de gestion de ce fonds, a vainement réclamé le versement des intérêts moratoires afférents à la créance de crédit d'impôt recherche remboursée le 28 avril 2017. Par un jugement du 19 février 2019, le Tribunal administratif de Paris, saisi par la société ACOFI Gestion, après avoir accordé un non-lieu à statuer à concurrence de la somme de 489 euros dont l'administration a prononcé le dégrèvement en cours d'instance, a condamné l'État à payer à l'intéressée des intérêts moratoires s'élevant à la somme de 7 428 euros sur le fondement de l'article L. 208 du livre des procédures fiscales et mis à la charge de l'État une somme de 1 500 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Le ministre relève appel de ce jugement en tant qu'il lui est défavorable et demande l'annulation des articles 2 et 3.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

2. D'une part, aux termes de l'article L. 313-27 du code monétaire et financier :

" La cession ou le nantissement prend effet entre les parties et devient opposable aux tiers à la

date apposée sur le bordereau lors de sa remise, quelle que soit la date de naissance, d'échéance ou d'exigibilité des créances, sans qu'il soit besoin d'autre formalité, et ce quelle que soit la loi applicable aux créances et la loi du pays de résidence des débiteurs. A compter de cette date, le client de l'établissement de crédit ou de la société de financement bénéficiaire du bordereau ne peut, sans l'accord de cet établissement ou de cette société, modifier l'étendue des droits attachés aux créances représentées par ce bordereau. La remise du bordereau entraîne de plein droit le transfert des sûretés, des garanties et des accessoires attachés à chaque créance, y compris les sûretés hypothécaires, et son opposabilité aux tiers sans qu'il soit besoin d'autre formalité (...) ".

3. D'autre part, aux termes de l'article L. 208 du livre des procédures fiscales : " Quand l'État est condamné à un dégrèvement d'impôt par un tribunal ou quand un dégrèvement est prononcé par l'administration à la suite d'une réclamation tendant à la réparation d'une erreur commise dans l'assiette ou le calcul des impositions, les sommes déjà perçues sont remboursées au contribuable et donnent lieu au paiement d'intérêts moratoires dont le taux est celui de l'intérêt de retard prévu à l'article 1727 du code général des impôts. Les intérêts courent du jour du paiement. Ils ne sont pas capitalisés (...) ". Aux termes de l'article 1231-6 du code civil : " Les dommages et intérêts dus à raison du retard dans le paiement d'une obligation de somme d'argent consistent dans l'intérêt au taux légal, à compter de la mise en demeure. Ces dommages et intérêts sont dus sans que le créancier soit tenu de justifier d'aucune perte. Le créancier auquel son débiteur en retard a causé, par sa mauvaise foi, un préjudice indépendant de ce retard, peut obtenir des dommages et intérêts distincts de l'intérêt moratoire ".

4. La demande de remboursement d'un crédit d'impôt recherche présentée sur le fondement des dispositions de l'article 199 ter B du code général des impôts constitue une réclamation au sens de l'article L. 190 du livre des procédures fiscales. Il résulte de la combinaison des articles

R. 198-10 et R. 199-1 du même livre que lorsque l'administration n'a pas statué sur cette réclamation dans le délai de six mois qui lui est imparti, elle est considérée comme ayant rejeté implicitement la réclamation dont elle était saisie. Le remboursement de la créance de crédit d'impôt recherche obtenu après le rejet par l'administration de cette réclamation présente le caractère d'un dégrèvement contentieux de la même nature que celui prononcé par un tribunal au sens des dispositions précitées de l'article L. 208 du livre des procédures fiscales, ouvrant droit au paiement d'intérêts moratoires qui courent à compter de la date de la réclamation qui fait apparaître le crédit remboursable.

5. Il résulte de l'instruction que le remboursement de la créance de crédit impôt recherche que la société Link et Data Mobile a obtenu par une décision du 13 avril 2017 est intervenu postérieurement au rejet implicite par l'administration de la réclamation que la société avait présentée le 5 juillet 2016 en vue de ce remboursement. Il a eu, du fait de ce rejet, le caractère d'un dégrèvement contentieux de la même nature que celui prononcé par un tribunal. La circonstance que ce remboursement ne procéderait pas, à l'origine, d'une erreur commise par l'administration dans l'assiette ou le calcul de l'imposition est dès lors sans incidence. Par suite, c'est à bon droit que le Tribunal administratif de Paris a jugé qu'il devait donner lieu au paiement d'intérêts moratoires sur la somme de 202 654 euros correspondant au montant de la créance de crédit d'impôt recherche détenue initialement par la société Link et Data Mobile.

6. Toutefois, le ministre fait valoir que la société ACOFI Gestion, qui n'était pas le contribuable, n'avait donc pas intérêt pour demander le versement des intérêts moratoires. Cependant, l'acte de cession au fonds commun de titrisation Predirec Innovation 2020, le 27 juin 2006, de la créance fiscale sur le Trésor détenue par la société Link et Data Mobile mentionnait expressément que la cession entrainait de plein droit au profit du cessionnaire le transfert de la créance cédée et de tous ses accessoires et que le montant de cette créance s'élevait à " 202 654 euros en principal, augmenté le cas échéant de tous intérêts y afférents ". Ainsi cette cession portait également sur les intérêts moratoires associés à la créance de crédit d'impôt recherche dont la société Link et Data Mobile était titulaire. Elle donnait dès lors qualité à la société cessionnaire pour demander à l'État que le remboursement des sommes soit assorti des intérêts moratoires prévus à l'article L. 208 du livre des procédures fiscales.

7. Enfin, les dispositions précitées de l'article 1231-6 du code civil s'appliquent, sauf disposition législative spéciale, en cas de retard pris par une personne publique dans le paiement d'une somme d'argent. Le remboursement de la créance de crédit d'impôt recherche détenue initialement par la société Link et Data Mobile entre dans le champ des dispositions de l'article L. 208 du livre des procédures fiscales. Dès lors, le ministre n'est pas fondé à soutenir que la société requérante pouvait demander le versement d'intérêts moratoires seulement sur le fondement de l'article 1231-6 du code civil.

8. Il résulte de tout ce qui précède que le ministre de l'action et des comptes publics n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Paris a condamné l'État à verser la somme de 7 428 euros à la société ACOFI Gestion sur le fondement de l'article L. 208 du livre des procédures fiscales.

Sur les conclusions présentées sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

9. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de l'État une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par la société ACOFI Gestion.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête du ministre de l'action et des comptes publics est rejetée.

Article 2 : L'État versera une somme de 1 500 euros à la société ACOFI Gestion au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'action et des comptes publics et à la société anonyme ACOFI Gestion.

Copie en sera adressée à la direction régionale des finances publiques d'Île-de-France et de Paris (Service du contentieux d'appel déconcentré - SCAD).

Délibéré après l'audience du 5 mars 2020, à laquelle siégeaient :

- M. Formery, président de chambre,

- Mme B..., président assesseur,

- Mme Lescaut, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 19 mai 2020.

Le président de la 5ème chambre,

S.-L. FORMERY

La République mande et ordonne au ministre de l'action et des comptes publics en ce qui le concerne, ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 19PA01208


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 5ème chambre
Numéro d'arrêt : 19PA01208
Date de la décision : 19/05/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

19-01-06 Contributions et taxes. Généralités. Divers.


Composition du Tribunal
Président : M. FORMERY
Rapporteur ?: Mme Valérie POUPINEAU
Rapporteur public ?: M. LEMAIRE
Avocat(s) : CABINET JEAUSSERAND ET AUDOUARD

Origine de la décision
Date de l'import : 02/06/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2020-05-19;19pa01208 ?
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