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20/11/2020 | FRANCE | N°19NT02896

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 4ème chambre, 20 novembre 2020, 19NT02896


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme A... a demandé au tribunal administratif de Caen d'annuler la décision du 7 avril 2017 par laquelle le Conseil national de l'ordre des médecins a refusé de transmettre sa plainte à la chambre disciplinaire de première instance, ainsi que la décision du 25 avril 2017 par laquelle le Conseil national de l'ordre des médecins a rejeté son recours contre cette décision.

Par un jugement n° 1801341 du 23 mai 2019, le tribunal administratif de Caen a annulé les décisions par lesquelles le Consei

l national de l'ordre des médecins a refusé de transmettre la plainte de Mme A......

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme A... a demandé au tribunal administratif de Caen d'annuler la décision du 7 avril 2017 par laquelle le Conseil national de l'ordre des médecins a refusé de transmettre sa plainte à la chambre disciplinaire de première instance, ainsi que la décision du 25 avril 2017 par laquelle le Conseil national de l'ordre des médecins a rejeté son recours contre cette décision.

Par un jugement n° 1801341 du 23 mai 2019, le tribunal administratif de Caen a annulé les décisions par lesquelles le Conseil national de l'ordre des médecins a refusé de transmettre la plainte de Mme A... à la chambre disciplinaire de première instance et a enjoint au président du Conseil national de l'ordre des médecins de réexaminer la demande de Mme A... dans un délai d'un mois.

Procédure devant la cour :

Par une requête et des mémoires, enregistrés le 22 juillet 2019, le 28 août 2020 et le 1er octobre 2020, le Conseil national de l'ordre des médecins, représenté par la SCP Matuchansky-Poupot et Valdelièvre, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1801341 du tribunal administratif de Caen du 23 mai 2019 ;

2°) de rejeter la demande de Mme A... présentée devant le tribunal administratif de Caen ;

3°) de mettre à la charge de Mme A... la somme de trois mille euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- le jugement est insuffisamment motivé en méconnaissance des dispositions de l'article L. 9 du code de justice administrative ; le jugement se borne en effet à relever que les faits reprochés à Mme B... ne relèvent pas de l'exercice de sa mission de contrôle mais de l'exercice de ses fonctions de supérieur hiérarchique ;

- les agissements imputés par Mme A... à l'encontre de Mme B... ne sont pas détachables de la fonction de contrôle et entrent bien dans le champ d'application du deuxième alinéa de l'article L. 4124-2 du code de la santé publique ; les actes commis dans l'exercice des fonctions de contrôle, pour lesquels seuls le ministre chargé de la santé, le représentant de l'Etat dans le département et le directeur général de l'Agence régionale de santé ou le procureur de la République peuvent traduire le médecin exerçant une fonction de contrôle devant la juridiction disciplinaire, concernent non seulement les mesures prises à l'égard des personnes soumises à leur contrôle, mais aussi les mesures ou agissements intervenus à l'occasion de la gestion et de l'organisation du service de contrôle médical ;

- dès lors que les faits invoqués relèvent du seul régime prévu au second alinéa de l'article L. 4124-2 du code de la santé publique, la plainte ne pouvait être introduite que par les autorités limitativement énumérées par ces dispositions, au nombre desquelles ne figure pas le président du Conseil national de l'ordre des médecins ; en outre, le régime de ces dispositions est exclusif de tout autre mode de saisine de la juridiction disciplinaire ; il ne pouvait donc mettre en oeuvre la prérogative qu'il tient de l'article R. 4126-1 du code de la santé publique ; il était donc en situation de compétence liée pour inviter Mme A... à saisir l'une des autorités mentionnées au second alinéa de l'article L. 4124-2 du code de la santé publique et pour refuser de saisir directement la juridiction disciplinaire au titre des pouvoirs propres de saisine qu'il détient de l'article R. 4126-1 du code de la santé publique.

Par un mémoire en défense, enregistré le 11 septembre 2020, Mme D... A..., représenté par la SELARL Concept Avocats, conclut au rejet de la requête et demande, en outre, qu'une somme de 2 500 euros soit mise à la charge du Conseil national de l'ordre des médecins en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le jugement du tribunal administratif de Caen est suffisamment motivé ;

- ne relèvent du régime institué au second alinéa de l'article L. 4124-2 du code de la santé publique que les actes commis dans l'exercice de la fonction de contrôle ; à défaut s'applique l'action disciplinaire de droit commun, prévue par l'article L. 4123-2 du code de la santé publique ; les faits reprochés à Mme B... ne relèvent pas de la catégorie des actes commis dans l'exercice de sa fonction de contrôle puisqu'il ne s'agit pas de contrôler des soins ; les actes reprochés se rattachent à l'organisation et à la surveillance du temps de travail ;

- la décision du Conseil national de l'ordre des médecins est entachée d'erreur de droit ; quand bien même les dispositions du second alinéa de l'article L. 4124-2 du code de la santé publique étaient applicables, le Conseil national de l'ordre des médecins était dans une situation de compétence liée pour transmettre la plainte à la chambre disciplinaire.

Par une ordonnance du 14 septembre 2020, la clôture de l'instruction a été fixée au 2 octobre 2020.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la santé publique ;

- le code de la sécurité sociale ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme E..., première conseillère,

- et les conclusions de M. Besse, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. Mme D... A..., chirurgienne-dentiste, ancienne chirurgienne-dentiste conseil ayant exercé à l'échelon local de Caen du service du contrôle médical de l'assurance maladie, a saisi le 10 mai 2015 l'Agence régionale de santé de Basse-Normandie afin que soit transmise à la section disciplinaire du conseil régional de l'ordre des médecins une plainte dirigée contre Mme C... B..., médecin conseil régional au sein de la direction du service médical de la caisse régionale d'assurance maladie de Normandie. Par un courrier du 22 juin 2015, la directrice générale de l'Agence régionale de santé a informé l'intéressée de son refus de transmettre la plainte au conseil régional de l'ordre au motif que les griefs formulés à l'encontre de Mme B... étaient détachables de l'exercice de sa fonction de contrôle. Par un courrier du 30 juin 2015, Mme A... a saisi le conseil départemental de l'ordre des médecins en vue de la transmission de sa plainte à la chambre disciplinaire de première instance. Après tenue d'une réunion de conciliation, par une décision du 30 octobre 2015, le conseil départemental de l'ordre des médecins de Seine-Maritime a décidé de ne pas saisir la chambre disciplinaire de Haute-Normandie d'une plainte contre Mme B.... Par un courrier du 24 mars 2017, Mme A... a saisi le président du Conseil national de l'ordre des médecins d'une demande tendant à la transmission de sa plainte contre Mme B... à la chambre disciplinaire de première instance. Par un courrier du 7 avril 2017, le président du Conseil national de l'ordre des médecins a invité Mme A... à saisir une des autorités mentionnées au deuxième alinéa de l'article L. 4124-2 du code de la santé publique, les faits reprochés à Mme B... étant rattachables à ses fonctions de médecin-conseil régional de l'assurance maladie. Mme A... a exercé un recours gracieux contre cette décision par un courrier du 19 avril 2017. Ce recours a été rejeté par une décision du président du Conseil national de l'ordre des médecins du 25 avril 2017. Par un jugement n° 1801341 du 23 mai 2019, le tribunal administratif de Caen a annulé les décisions par lesquelles le Conseil national de l'ordre des médecins a refusé de transmettre la plainte de Mme A... à la chambre disciplinaire de première instance et a enjoint au Conseil national de réexaminer la demande de Mme A... dans un délai d'un mois. Le Conseil national de l'ordre des médecins relève appel de ce jugement du 23 mai 2019.

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. Aux termes de l'article L. 9 du code de justice administrative : " Les jugements sont motivés ".

3. Contrairement à ce que soutient le Conseil national de l'ordre des médecins, le tribunal administratif de Caen, en qualifiant les actes reprochés par Mme A... à Mme B... de faits relevant non de l'exercice de sa mission de contrôle mais de l'exercice de ses fonctions de supérieur hiérarchique après avoir très précisément énuméré ceux-ci, n'a pas insuffisamment motivé son jugement. Il suit de là que le Conseil national de l'ordre des médecins n'est pas fondé à soutenir que ce jugement serait irrégulier en raison de la méconnaissance des dispositions de l'article L. 9 du code de justice administrative.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

4. L'article L. 4123-2 du code de la santé publique dispose que : " (...) Lorsqu'une plainte est portée devant le conseil départemental, son président en accuse réception à l'auteur, en informe le médecin, le chirurgien-dentiste ou la sage-femme mis en cause et les convoque dans un délai d'un mois à compter de la date d'enregistrement de la plainte en vue d'une conciliation. En cas d'échec de celle-ci, il transmet la plainte à la chambre disciplinaire de première instance avec l'avis motivé du conseil dans un délai de trois mois à compter de la date d'enregistrement de la plainte, en s'y associant le cas échéant (...) ". L'article R. 4126-1 du même code, dans sa rédaction applicable, dispose que : " L'action disciplinaire contre un médecin, un chirurgien-dentiste ou une sage-femme ne peut être introduite devant la chambre disciplinaire de première instance que par l'une des personnes ou autorités suivantes : / 1° Le conseil national ou le conseil départemental de l'ordre au tableau duquel le praticien poursuivi est inscrit à la date de la saisine de la juridiction, agissant de leur propre initiative ou à la suite de plaintes, formées notamment par les patients, les organismes locaux d'assurance maladie obligatoires, les médecins-conseils chefs ou responsables du service du contrôle médical placé auprès d'une caisse ou d'un organisme de sécurité sociale, les associations de défense des droits des patients, des usagers du système de santé ou des personnes en situation de précarité, qu'ils transmettent, le cas échéant en s'y associant, dans le cadre de la procédure prévue à l'article L. 4123-2 ; / 2° Le ministre chargé de la santé, le préfet de département dans le ressort duquel le praticien intéressé est inscrit au tableau, le directeur général de l'agence régionale de santé dans le ressort de laquelle le praticien intéressé est inscrit au tableau, le procureur de la République du tribunal de grande instance dans le ressort duquel le praticien est inscrit au tableau ; / 3° (...) / Les plaintes sont signées par leur auteur et, dans le cas d'une personne morale, par une personne justifiant de sa qualité pour agir. Dans ce dernier cas, la plainte est accompagnée, à peine d'irrecevabilité, de la délibération de l'organe statutairement compétent pour autoriser la poursuite ou, pour le conseil départemental ou national, de la délibération signée par le président et comportant l'avis motivé du conseil (...) ".

5. Par ailleurs, aux termes de l'article L. 4124-2 du code de la santé publique : " Les médecins, les chirurgiens-dentistes ou les sages-femmes chargés d'un service public et inscrits au tableau de l'ordre ne peuvent être traduits devant la chambre disciplinaire de première instance, à l'occasion des actes de leur fonction publique, que par le ministre chargé de la santé, le représentant de l'Etat dans le département, le directeur général de l'agence régionale de santé, le procureur de la République, le conseil national ou le conseil départemental au tableau duquel le praticien est inscrit. / Lorsque les praticiens mentionnés à l'alinéa précédent exercent une fonction de contrôle prévue par la loi ou le règlement, ils ne peuvent être traduits devant la chambre disciplinaire de première instance, à l'occasion des actes commis dans l'exercice de cette fonction, que par le ministre chargé de la santé, le représentant de l'Etat dans le département, le directeur général de l'agence régionale de santé ou le procureur de la République ".

6. Enfin, l'article L. 315-1 du code de la sécurité sociale, dans sa rédaction applicable, dispose que : " I.- Le contrôle médical porte sur tous les éléments d'ordre médical qui commandent l'attribution et le service de l'ensemble des prestations de l'assurance maladie, maternité et invalidité ainsi que des prestations prises en charge en application des articles L. 251-2 et L. 254-1 du code de l'action sociale et des familles. / II.- Le service du contrôle médical constate les abus en matière de soins, de prescription d'arrêt de travail et d'application de la tarification des actes et autres prestations. (...) / III.- Le service du contrôle médical procède à l'analyse, sur le plan médical, de l'activité des établissements de santé mentionnés aux articles L. 162-29 et L. 162-29-1 dans lesquels sont admis des bénéficiaires de l'assurance maladie, de l'aide médicale de l'Etat ou de la prise en charge des soins urgents mentionnée à l'article L. 254-1 du code de l'action sociale et des familles, notamment au regard des règles définies en application des dispositions de l'article L. 162-1-7. / III. bis.- Le service du contrôle médical procède auprès des établissements de santé visés à l'article L. 162-22-6, des pharmaciens et des distributeurs de produits ou prestations, dans le respect des règles déontologiques, aux contrôles nécessaires en matière de délivrance et de facturation de médicaments, produits ou prestations donnant lieu à remboursement par les caisses d'assurance maladie ou à prise en charge par l'Etat en application des articles L. 251-2 ou L. 254-1 du code de l'action sociale et des familles. / IV.- Il procède également à l'analyse, sur le plan médical, de l'activité des professionnels de santé dispensant des soins aux bénéficiaires de l'assurance maladie, de l'aide médicale de l'Etat ou de la prise en charge des soins urgents mentionnée à l'article L. 254-1 du code de l'action sociale et des familles, notamment au regard des règles définies par les conventions qui régissent leurs relations avec les organismes d'assurance maladie ou, en ce qui concerne les médecins, du règlement mentionné à l'article L. 162-14-2. La procédure d'analyse de l'activité se déroule dans le respect des droits de la défense selon des conditions définies par décret. (...) ".

7. Il ressort des pièces du dossier que les griefs formulés par Mme A... à l'encontre de Mme B... tenaient à avoir exercé sur elle une surveillance disproportionnée, à avoir obtenu la désignation d'un huissier pour constater ses absences, à l'avoir discriminée en raison de son orientation sexuelle et à avoir transmis une fausse attestation à la caisse nationale de l'assurance maladie. De tels faits sont uniquement en lien avec le fonctionnement du service du contrôle médical régional, et ne sont aucunement constitutifs du contrôle médical tel que défini par les dispositions de l'article L. 315-1 du code de la sécurité sociale. Dès lors, les faits fondant la plainte de Mme A... ne peuvent aucunement être regardés comme des actes commis dans l'exercice même de la fonction de contrôle qu'exerce le service du contrôle médical de l'assurance maladie, seuls actes pour lesquels le deuxième alinéa de l'article L. 4124-2 du code de la santé publique limite au ministre chargé de la santé, au représentant de l'Etat dans le département, au directeur général de l'agence régionale de santé ou au procureur de la République la possibilité d'engager une procédure disciplinaire devant la chambre disciplinaire de première instance. Dans ces conditions, les faits reprochés par Mme A... n'entrant pas dans le champ d'application des dispositions du deuxième alinéa de l'article L. 4124-2 du code de la santé publique, le Conseil national de l'ordre des médecins n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Caen a annulé les décisions par lesquelles il a refusé de transmettre à la chambre disciplinaire de première instance la plainte soulevée par Mme A... à l'encontre de Mme B....

Sur les frais du litige :

8. En premier lieu, les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de Mme A..., qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que le Conseil national de l'ordre des médecins demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.

9. En second lieu, il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge du Conseil national de l'ordre des médecins une somme de 1 500 euros à verser à Mme A... en application de ces mêmes dispositions.

DECIDE :

Article 1er : La requête du Conseil national de l'ordre des médecins est rejetée.

Article 2 : Le Conseil national de l'ordre des médecins versera à Mme A... une somme de 1 500 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme D... A... et au Conseil national de l'ordre des médecins.

Délibéré après l'audience du 3 novembre 2020, à laquelle siégeaient :

- M. Lainé, président de chambre,

- M. Rivas, président-assesseur,

- Mme E..., première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 20 novembre 2020.

La rapporteure,

M. E...Le président,

L. LAINÉ

La greffière,

V. DESBOUILLONS

La République mande et ordonne au ministre des solidarités et de la santé en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

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N° 19NT02896


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 19NT02896
Date de la décision : 20/11/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. LAINE
Rapporteur ?: Mme Marie BERIA-GUILLAUMIE
Rapporteur public ?: M. BESSE
Avocat(s) : SCP MATUCHANSKY POUPOT VALDELIEVRE

Origine de la décision
Date de l'import : 04/12/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2020-11-20;19nt02896 ?
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