Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. E... D... a demandé au tribunal administratif de Strasbourg d'annuler les décisions du 19 juillet 2016 et du 24 février 2017 par lesquelles le ministre de l'éducation nationale a, respectivement, prononcé à son encontre la sanction de révocation et maintenu cette sanction, de réformer ces décisions en leur substituant une sanction du 1er, du 2ème ou du 3ème groupe, d'enjoindre au ministre, sous astreinte, de le réintégrer dans ses fonctions, de condamner l'Etat au paiement rétroactif de son traitement et de ses accessoires et de condamner l'Etat au paiement d'un euro symbolique à titre de dommages et intérêts.
Par un jugement n° 1702095 du 16 mai 2019, le tribunal administratif de Strasbourg a annulé les décisions des 19 juillet 2016 et 24 février 2017, a enjoint à l'administration de réintégrer M. D..., a mis à la charge de l'Etat une somme à verser à ce dernier au titre des frais de l'instance et a rejeté le surplus des conclusions de la demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés les 16 juillet 2019 et 15 octobre 2020, le ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse demande à la cour d'annuler le jugement n° 1702095 du 16 mai 2019 du tribunal administratif de Strasbourg.
Il soutient que, contrairement à ce qu'a jugé le tribunal, la sanction de révocation infligée à M. D... n'est pas disproportionnée.
Par un mémoire en défense, enregistré le 16 septembre 2019, M. E... D..., représenté par Me B..., conclut au rejet de la requête et à ce que la somme de 5 000 euros à lui verser soit mise à la charge de l'Etat en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que, faute d'être présentée par un avocat, la requête n'est pas recevable et qu'aucun des moyens soulevés par le requérant n'est fondé.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;
- la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique d'Etat ;
- le décret n° 84-961 du 25 octobre 1984 relatif à la procédure disciplinaire concernant les fonctionnaires de l'Etat ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. A...,
- les conclusions de Mme Seibt, rapporteur public,
- et les observations de Me F... pour M. D... et de M. D....
Considérant ce qui suit :
1. M. D..., professeur certifié de lettres modernes, exerçait ses fonctions au collège Molière à Colmar. Le 15 juin 2015, le principal de ce collège a eu connaissance de ce qu'il entretenait une relation avec l'une de ses élèves de 3ème et l'a signalé au procureur de la République. A l'issue d'une procédure de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité, par une ordonnance du 16 décembre 2015, le juge délégué au tribunal de grande instance de Colmar a homologué la peine d'emprisonnement de 4 mois avec sursis et mise à l'épreuve pendant 18 mois proposée à son encontre par le procureur de la République, à raison de faits d'atteinte sexuelle sur une mineure de 15 ans par personne ayant autorité sur la victime, en l'espèce notamment par des caresses et en l'embrassant. Parallèlement à cette procédure pénale, le recteur de l'académie de Strasbourg, par des arrêtés des 28 août 2015, 18 décembre 2015 et 12 avril 2016, a suspendu M. D... de ses fonctions à titre conservatoire du 1er septembre 2015 au 31 août 2016. Par un arrêté du 19 juillet 2016, la ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche a prononcé à son encontre la sanction de révocation. Le 24 février 2017, à la suite de l'avis de la commission de recours du Conseil supérieur de la fonction publique de l'Etat du 17 janvier 2017, recommandant de substituer à cette sanction celle de l'exclusion temporaire de fonctions d'une durée de deux ans, la ministre a décidé de maintenir la mesure de révocation.
2. Le ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse relève appel du jugement du 16 mai 2019 par lequel le tribunal administratif de Strasbourg a annulé ses décisions des 19 juillet 2016 et 24 février 2017.
Sur le bien-fondé du jugement :
3. Le tribunal a annulé les décisions contestées au motif que la sanction de révocation est disproportionnée par rapport aux faits reprochés à M. D....
4. Il est reproché à M. D... d'avoir embrassé l'une de ses élèves de classe de 3ème et de lui avoir caressé le bras. Eu égard à l'exigence d'exemplarité et d'irréprochabilité qui incombe aux enseignants dans leurs relations avec des mineurs, y compris en dehors du service et compte tenu de l'atteinte portée, du fait de la nature des fautes commises par l'intéressé, à la réputation du service public de l'éducation nationale ainsi qu'au lien de confiance qui doit unir les enfants et leurs parents aux enseignants du service, ces faits présentent un degré certain de gravité.
5. Toutefois, il ressort des pièces du dossier que ces faits sont demeurés isolés, qu'ils ont été reconnus par l'intéressé et que celui-ci a pris conscience de l'anormalité de son comportement. Par ailleurs, il ressort tant de l'expertise psychiatrique diligentée dans le cadre de l'enquête pénale que du certificat de son médecin psychiatre du 11 avril 2016, que M. D... ne présente pas de structure pathologique de la personnalité, qu'il n'est affecté d'aucune manifestation perverse ou déviante, qu'il n'est pas dangereux et que le risque de réitération de l'infraction apparaît faible. La sanction pénale dont il a fait l'objet le 16 décembre 2015 n'a d'ailleurs été assortie d'aucune interdiction d'exercice d'une activité impliquant un contact habituel avec des mineurs. Et, contrairement à ce que fait valoir le ministre, le jugement du 16 juin 2009 du tribunal pour enfants du comté de Hamilton, aux Etats-Unis, où vivent l'ex-épouse de M. D... et leur fille, née en 2002, ne retient aucun des comportements inappropriés que son ex-épouse, pour justifier sa demande tendant à ce que son droit de visite s'exerce sous la supervision d'un tiers, lui reprochait d'avoir eus vis-à-vis de l'enfant et accorde à M. D... un droit de visite sans restriction à cet égard. Dans ces conditions, compte tenu de la très bonne manière de servir de l'intéressé, relevée notamment par la commission de recours du Conseil supérieur de la fonction publique de l'Etat, la sanction de révocation, qui est la plus sévère des sanctions disciplinaires prévues par l'article 66 de la loi du 11 janvier 1984 susvisée, présente un caractère disproportionné.
6. Par suite, le ministre n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal a, pour ce motif, annulé les décisions contestées.
7. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de statuer sur la fin de non-recevoir soulevée par M. D..., que les conclusions à fin d'annulation présentées par le ministre ne peuvent qu'être rejetées.
Sur les frais de l'instance :
8. Aux termes de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : " Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y pas lieu à cette condamnation ".
9. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros à verser à M. D... en application de ces dispositions.
D E C I D E :
Article 1 : La requête du ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse est rejetée.
Article 2 : L'Etat versera à M. D... la somme de 1 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent jugement sera notifié au ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse et à M. E... D....
N° 19NC02255 2