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05/11/2020 | FRANCE | N°19LY02960

France | France, Cour administrative d'appel de Lyon, 7ème chambre, 05 novembre 2020, 19LY02960


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

La société par actions simplifiée Distribution Casino France a demandé au tribunal administratif de Dijon d'annuler la décision du 27 juin 2018 par laquelle le directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (DIRECCTE) de Bourgogne-Franche-Comté lui a infligé des amendes administratives de 23 000 euros pour manquements aux règles relatives au temps de travail maximum et au temps de repos minimum, à titre subsidiaire, d'en réduire le montant à 5 400 euro

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Par jugement n° 1802213 lu le 28 mai 2019, le tribunal administratif ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

La société par actions simplifiée Distribution Casino France a demandé au tribunal administratif de Dijon d'annuler la décision du 27 juin 2018 par laquelle le directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (DIRECCTE) de Bourgogne-Franche-Comté lui a infligé des amendes administratives de 23 000 euros pour manquements aux règles relatives au temps de travail maximum et au temps de repos minimum, à titre subsidiaire, d'en réduire le montant à 5 400 euros.

Par jugement n° 1802213 lu le 28 mai 2019, le tribunal administratif de Dijon a ramené l'amende prononcée à la somme de 5 400 euros.

Procédure devant la cour

Par une requête et un mémoire enregistrés le 26 juillet 2019 et 30 décembre 2019, la ministre du travail demande à la cour d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Dijon du 28 mai 2019 en tant qu'il a réformé le montant de l'amende infligée à la société Distribution Casino France.

Elle soutient que :

- le tribunal administratif a méconnu les dispositions des articles L. 8115-1, L. 8115-3 et L. 8115-4 du code du travail dès lors qu'il résulte de ces dispositions que chaque manquement est susceptible de faire l'objet d'une amende et qu'ainsi l'amende est liée à un manquement donné et qu'une fois le montant de l'amende déterminé, son montant peut être multiplié par le nombre de salariés concernés ; le calcul des amendes suit le régime de cumul des peines applicable en matière contraventionnelle ;

- le fait de ne pas avoir respecté la durée maximale quotidienne de travail, de ne pas avoir respecté la durée maximale hebdomadaire de travail, de ne pas avoir attribué aux salariés un temps de repos quotidien suffisant et de ne pas avoir respecté le temps de repos minimum hebdomadaire constitue à chaque fois que ce non-respect est constaté, un manquement à des obligations différentes prévues aux articles L. 3121-18, L. 3121-20, L. 3131-1 et L. 3132-2 du code du travail et est sanctionné, à chaque fois par une amende ;

- le tribunal a méconnu le principe de proportionnalité ou d'individualisation de la peine ;

- le fait de compter une amende par manquement n'est pas contraire au principe de non cumul dès lors que ce ne sont pas les mêmes faits qui sont sanctionnés.

Par mémoires enregistrés les 29 octobre 2019 et 2 octobre 2020 (non communiqué), la société Distribution Casino France, représentée par Me C..., conclut au rejet de la requête et demande à la cour :

- par la voie de l'appel incident, d'annuler le surplus du jugement n° 1802213 lu le 28 mai 2019 ainsi que les amendes de 5 400 euros laissées à sa charge ;

- de mettre à la charge de l'État le versement d'une somme de 6 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que les moyens invoqués ne sont pas fondés et que l'interprétation de l'administration est contraire à la loi en ce qu'elle ajoute aux dispositions du code du travail ainsi qu'à l'intention du législateur qui ne prévoient qu'une amende par manquement et non pour chaque itération, période ou semaine à l'occasion de laquelle le manquement a été commis.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code du travail ;

- le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Burnichon, premier conseiller ;

- les conclusions de M. Chassagne, rapporteur public ;

- et les observations de M. B... pour la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion, ainsi que celles de M. A..., substituant Me C... pour la société Distribution Casino France ;

Considérant ce qui suit :

1. Suite à un contrôle relatif aux conditions d'emploi et au respect de la législation sur la durée du travail au sein de l'établissement de Montbard de la société par actions simplifiée Casino Distribution France réalisé le 1er décembre 2016, le DIRECCTE a notifié à la société Distribution Casino France une décision du 27 juin 2018 portant sur quarante-quatre amendes administratives pour un montant total de 23 000 euros concernant la méconnaissance des durées maximales quotidienne et hebdomadaire de travail et des dispositions relatives à la durée de repos des salariés. La ministre du travail relève appel du jugement du 28 mai 2019 par lequel le tribunal administratif de Dijon a réduit le montant de ces amendes à la somme de 5 400 euros. La société Distribution Casino France relève appel de ce jugement en tant qu'il a rejeté le surplus de ses conclusions.

2. Il résulte de l'instruction que les amendes d'un montant total de 23 000 euros ont été liquidées pour sanctionner quatre catégories de manquements. La première catégorie regroupe les dépassements de la durée quotidienne de travail de dix heures relevés les 23 et 29 mai 2017, les 14 et 23 juin 2017 pour deux salariés et, pour un salarié, les 24, 25, 31 mai 2017, 5, 9, 13, 15, 16, 20, 21 et 22 juin 2017, soit 8 000 euros, après application d'un tarif unitaire de 800 euros. La deuxième catégorie regroupe les dépassements de la durée hebdomadaire de quarante-huit heures, sanctionnés au tarif unitaire de 800 euros appliqué au nombre de salariés concernés, soit un seul pour les semaines du 22 au 28 mai 2017, du 29 mai au 4 juin et du 12 au 18 juin 2017 et deux salariés pour la semaine du 19 au 25 juin 2017 représentant un montant de 4 000 euros. La troisième catégorie regroupe les non-respects de la durée quotidienne de repos minimal de onze heures sanctionnés au tarif unitaire de 500 euros appliqué au nombre de salariés concernés soit un seul pour les périodes du 29 au 30 mai 2017, du 31 mai au 1er juin 2017, du 8 au 9 juin 2017, du 9 au 10 juin 2017, du 13 au 14 juin 2017, du 15 au 16 juin 2017, du 16 au 17 juin 2017, du 20 au 21 juin 2017, du 21 au 22 juin 2017 et du 22 au 23 juin 2017 et deux pour les périodes du 23 au 24 mai 2017, du 14 au 15 juin 2017 et du 23 au 24 juin 2017, représentant un total de 8 000 euros. La quatrième catégorie regroupe les non-respects du repos hebdomadaire sanctionné au tarif unitaire de 1 000 euros appliqué à raison d'un seul salarié concerné, du 22 mai au 28 mai 2017, du 29 mai au 4 juin 2017 et du 12 juin au 18 juin 2017, soit un montant de 3 000 euros.

3. Or et d'une part, aux termes de l'article L. 8115-1 du code du travail, dans sa rédaction applicable au litige : " L'autorité administrative compétente peut, sur rapport de l'agent de contrôle de l'inspection du travail (...), et sous réserve de l'absence de poursuites pénales, prononcer à l'encontre de l'employeur une amende en cas de manquement : 1° Aux dispositions relatives aux durées maximales du travail fixées aux articles L. 3121-18 à L. 3121-25 et aux mesures réglementaires prises pour leur application ; 2° Aux dispositions relatives aux repos fixées aux articles L. 3131-1 à L. 3131-3 et L. 3132-2 et aux mesures réglementaires prises pour leur application (...) ". Aux termes de l'article L. 8115-3 du même code : " Le montant maximal de l'amende est de 2 000 euros et peut être appliqué autant de fois qu'il y a de travailleurs concernés par le manquement. / Le plafond de l'amende est porté au double en cas de nouveau manquement constaté dans un délai d'un an à compter du jour de la notification de l'amende concernant un précédent manquement ".

4. D'autre part, aux termes de l'article L. 3121-18 du même code : " La durée quotidienne de travail effectif par salarié ne peut excéder dix heures (...) ". Aux termes de l'article L. 3121-20 de ce code : " Au cours d'une même semaine, la durée maximale hebdomadaire de travail est de quarante-huit heures ". Aux termes de l'article L. 3131-1 du code : " Tout salarié bénéficie d'un repos quotidien d'une durée minimale de onze heures consécutives (...) ". Aux termes de l'article L. 3132-1 du code : " Il est interdit de faire travailler un même salarié plus de six jours par semaine ". Enfin, aux termes de l'article L. 3132-2 du code : " Le repos hebdomadaire a une durée minimale de vingt-quatre heures consécutives auxquelles s'ajoutent les heures consécutives de repos quotidien prévu au chapitre Ier ".

5. Il résulte de la combinaison de ces dispositions, qui ne sont entachées d'aucune obscurité nécessitant que soit recherchée l'intention du législateur, d'une part, qu'un manquement est constitué dès qu'est dépassée la durée d'un cycle de travail, ou bien supprimée ou écourtée une période de repos, d'autre part, que le nombre de manquements et, partant, le nombre d'amendes susceptibles de sanctionner ces manquements doit être distingué du tarif unitaire entrant dans la liquidation du produit de chaque amende en fonction du nombre de salariés concernés par le manquement considéré. Par suite, la ministre du travail est fondée à soutenir que c'est à tort que le tribunal a limité à quatre manquements - un par catégorie de cycle de travail dépassé ou de temps de repos écourté ou supprimé - pour en déduire que le nombre d'amendes, après application du tarif unitaire au nombre de salariés, devaient également être limité à quatre.

6. Il appartient toutefois à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens invoqués par la société Distribution Casino France à l'encontre de la décision du 27 juin 2018 tant devant le tribunal administratif que devant la cour.

7. En premier lieu, aux termes de l'article L. 8115-5 du code du travail : " Avant toute décision, l'autorité administrative informe par écrit la personne mise en cause de la sanction envisagée en portant à sa connaissance le manquement retenu à son encontre et en l'invitant à présenter, dans un délai fixé par décret en Conseil d'État, ses observations. / A l'issue de ce délai, l'autorité administrative peut, par décision motivée, prononcer l'amende et émettre le titre de perception correspondant (...) ". Aux termes de l'article R. 8115-10 du même code " (...) lorsque le directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi décide de prononcer une amende administrative sur le fondement des articles (...) L. 8115-1 à L. 8115-8, il invite l'intéressé à présenter ses observations dans un délai d'un mois. / Ce délai peut être prorogé d'un mois à la demande de l'intéressé, si les circonstances ou la complexité de la situation le justifient ".

8. Lorsqu'il statue sur un recours dirigé contre une décision par laquelle l'administration a prononcé une amende sanctionnant la méconnaissance des dispositions relatives aux durées maximales quotidienne et hebdomadaire de travail, à la durée quotidienne de repos minimal et au repos hebdomadaire, il appartient au juge administratif, eu égard tant à la finalité de son intervention qu'à sa qualité de juge de plein contentieux, de se prononcer non sur les éventuels vices propres de la décision litigieuse mais sur le bien-fondé et le montant de l'amende fixée par l'administration. S'il estime que l'amende a été illégalement infligée, dans son principe ou son montant, il lui revient, dans la première hypothèse, de l'annuler et, dans la seconde, de la réformer en fixant lui-même un nouveau quantum proportionné aux manquements constatés et aux autres critères prescrits par les textes en vigueur.

9. Il suit de là que les moyens tirés de la méconnaissance, lors de la procédure préalable à l'édiction de la décision en litige, des stipulations de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, du principe du contradictoire et des droits de la défense ou encore des dispositions de l'article L. 8115-5 du code du travail alors que la procédure contradictoire organisée par les articles L. 8115-1 et suivants du même code s'est poursuivie devant le juge de plein contentieux et a donné tout loisir à la requérante de faire valoir ses arguments en contestation de la sanction, sont dépourvus d'effet utile sur le bien-fondé et le montant de l'amende en litige.

10. En second lieu, aux termes de l'article L. 8115-4 du code du travail : " Pour fixer le montant de l'amende, l'autorité administrative prend en compte les circonstances et la gravité du manquement, le comportement de son auteur ainsi que ses ressources et ses charges ".

11. Si, en application de ces dispositions, seules les ressources et les charges de l'employeur peuvent être prises en compte, sans que la circonstance que la société appartienne à un groupe de plusieurs enseignes soit à prendre en compte, il résulte de l'instruction que la DIRECTTE, au regard des différents manquements constaté, a, pour déterminer le montant de chacune des amendes, tenu compte de la nature des manquements reprochés et de leur gravité, et fixé ainsi qu'il a été dit, entre 400 euros et 1 000 euros par salarié concerné et par manquement, quantum qui permet de tenir compte de l'amplitude des dépassements relevés lors du contrôle. Compte tenu de ces circonstances et du montant maximal de l'amende alors en vigueur de 2 000 euros par salarié et par manquements, le moyen tiré de ce que la décision en litige prononçant plusieurs amendes administratives d'un montant total de 23 000 euros serait disproportionnée doit être écarté.

12. Il résulte de tout ce qui précède que le jugement attaqué doit être annulé en tant qu'il a ramené le montant des amendes prononcées par le DIRECCTE de Bourgogne-Franche-Comté dans sa décision du 27 juin 2018 de 23 000 euros à 5 400 euros et que, par les mêmes motifs, l'appel incident de la société Distribution Casino France et la demande qu'elle a présentée au tribunal doivent être rejetés.

13. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que l'État, qui n'a pas la qualité de partie perdante dans la présente instance, verse une somme à la société Distribution Casino France au titre des frais liés au litige.

DÉCIDE:

Article 1er : Le jugement n° 1802213 du tribunal administratif de Dijon lu le 28 mai 2019 est annulé en tant qu'il a réduit de 23 000 euros à 5 000 euros le montant des amendes infligées à la société Distribution Casino France par le directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi de Bourgogne-Franche-Comté, dans sa décision du 27 juin 2018.

Article 2 : Les demandes présentées par la société Distribution Casino France devant le tribunal administratif de Dijon, ensemble son appel incident sont rejetés.

Article 3 : Les conclusions de la société Distribution Casino France tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la société Distribution Casino France et à la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion.

Délibéré après l'audience du 8 octobre 2020, à laquelle siégeaient :

M. Arbarétaz, président de chambre ;

M. Seillet, président assesseur ;

Mme Burnichon, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 5 novembre 2020.

N° 19LY02960


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Lyon
Formation : 7ème chambre
Numéro d'arrêt : 19LY02960
Date de la décision : 05/11/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

66-03-01-01 Travail et emploi. Conditions de travail. Règlement intérieur. Contrôle par l'administration du travail.


Composition du Tribunal
Président : M. ARBARETAZ
Rapporteur ?: Mme Claire BURNICHON
Rapporteur public ?: M. CHASSAGNE
Avocat(s) : SCP J. AGUERA et ASSOCIES - LYON

Origine de la décision
Date de l'import : 20/11/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.lyon;arret;2020-11-05;19ly02960 ?
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