Vu la procédure suivante :
Par une requête et un mémoire enregistrés les 18 juillet 2019 et 17 décembre 2020 (non communiqué), la société d'exploitation du parc éolien de la Tête des Boucs, représentée par Me Cassin, demande à la cour :
1°) d'annuler l'arrêté n° PREF-SAPPIE-BE-2019-0197 du 22 mai 2019 par lequel le préfet de l'Yonne a rejeté sa demande d'autorisation d'exploiter une installation de production d'électricité utilisant l'énergie mécanique du vent sur la commune de Préhy ;
2°) d'enjoindre au préfet de l'Yonne de lui délivrer cette autorisation assortie, le cas échéant, des prescriptions nécessaires à la préservation des intérêts mentionnés à l'article L. 511-1 du code de l'environnement, à titre subsidiaire, de fixer les prescriptions techniques dans un délai de deux mois ;
3°) de mettre à la charge de l'État le versement de la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- l'arrêté attaqué est insuffisamment motivé ;
- le refus d'autorisation environnementale n'est pas fondé et est entaché d'erreur d'appréciation en l'absence d'impact sur le vignoble chablisien, de toute saturation visuelle et de potentielle atteinte au busard cendré.
Par mémoires enregistrés les 16 octobre 2019 et 18 décembre 2020 (non communiqués), l'association " Vents contre Air " et M. B... A..., représentés par Me Monamy, interviennent volontairement au soutien des conclusions présentées en défense par l'État.
Par mémoire enregistré le 30 octobre 2020, la ministre de la transition écologique conclut au rejet de la requête en soutenant qu'aucun des moyens invoqués n'est fondés.
Par ordonnance du 3 novembre 2020 la clôture de l'instruction a été fixée au 18 décembre 2020.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code de l'environnement ;
- le code de l'urbanisme ;
- l'ordonnance n° 2014-355 du 20 mars 2014 ;
- l'ordonnance n° 2017-80 du 26 janvier 2017 ;
- le décret n° 2014-450 du 2 mai 2014 ;
- le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Burnichon, première conseillère ;
- les conclusions de M. Chassagne, rapporteur public ;
- et les observations de Me Bes de Berc, substituant Me Cassin, pour la société d'exploitation du parc éolien de la Tête des Boucs, ainsi que celles de M. A... ;
Considérant ce qui suit :
1. La société d'exploitation du parc éolien (SEPE) de la Tête des Boucs a présenté, le 21 novembre 2016, une demande d'autorisation d'exploitation de sept aérogénérateurs d'une hauteur maximale de 149 mètres en bout de pale et de trois postes de livraison sur le territoire de la commune de Préhy qu'a rejetée le préfet de l'Yonne par l'arrêté attaqué, motif pris de l'atteinte portée à l'intérêt des lieux avoisinants. Compte tenu de la date de dépôt de la demande, celle-ci a été instruite selon les dispositions législatives et réglementaires relevant de l'ordonnance susvisés du 20 mars 2014 maintenant une dissociation entre l'autorisation environnementale de l'article L. 512-1 du code de l'environnement dont le régime relève du plein contentieux et l'autorisation d'urbanisme de l'article L. 421-1 du code de l'urbanisme dont le régime relève de l'excès de pouvoir.
Sur les interventions de l'association " Vents contre Air " et de M. A... :
2. L'objet de l'association " Vents contre Air " qui est de protéger la nature, l'environnement et le patrimoine de la commune de Saint-Cyr-Les-Colons et des communes limitrophes, dont Préhy, cette dernière dispose d'un intérêt suffisant au maintien de l'arrêté attaqué faisant obstacle à l'implantation d'une installation qui, par ses dimensions, est susceptible de léser son objet social. Son intervention doit, dès lors, être admise.
3. En revanche, si M. A... est propriétaire d'une maison d'habitation à Saint-Cyr-Les-Colons, commune voisine de Préhy, il ne justifie pas, en se bornant à alléguer qu'il verrait les éoliennes depuis son fonds, d'un intérêt suffisant pour intervenir à l'appui du maintien du refus en litige. Son intervention ne peut dès lors être admise.
Sur la légalité de l'arrêté du 22 mai 2019 :
4. En premier lieu, aux termes de l'article R. 111-27 du code de l'urbanisme : " Le projet peut être refusé ou n'être accepté que sous réserve de l'observation de prescriptions spéciales si les constructions, par leur situation, leur architecture, leurs dimensions ou l'aspect extérieur des bâtiments ou ouvrages à édifier (...), sont de nature à porter atteinte au caractère ou à l'intérêt des lieux avoisinants, aux sites, aux paysages naturels ou urbains ainsi qu'à la conservation des perspectives monumentales ". Il résulte de ces dispositions que, si les constructions projetées portent atteinte aux paysages naturels avoisinants, l'autorité administrative compétente peut refuser de délivrer le permis de construire sollicité ou l'assortir de prescriptions spéciales. Pour rechercher l'existence d'une atteinte à un paysage naturel de nature à fonder le refus de permis de construire ou les prescriptions spéciales accompagnant la délivrance de ce permis, il lui appartient d'apprécier, dans un premier temps, la qualité du site naturel sur lequel la construction est projetée et d'évaluer, dans un second temps, l'impact que cette construction, compte tenu de sa nature et de ses effets, pourrait avoir sur le site. Les dispositions de cet article excluent qu'il soit procédé dans le second temps du raisonnement, pour apprécier la légalité des permis de construire délivrés, à une balance d'intérêts divers en présence, autres que ceux visés à l'article R. 111-27 précité.
5. Il est constant que le projet doit être implanté, non dans le vignoble Chablisien mais sur l'unité paysagère voisine du plateau de Noyers. S'il ressort du volet paysager de l'étude d'impact, que les éoliennes de Préhy seront visibles depuis les coteaux du vignoble, leur perception sera largement atténuée par leur éloignement et n'est pas de nature à altérer l'intérêt touristique du site. De plus, il ressort des pièces du dossier que le nombre d'aérogénérateurs existants ou autorisés dans un rayon de vingt kilomètres ne saurait à lui seul créer un phénomène d'encerclement dès lors que la variabilité des distances d'implantation et la multiplicité des points d'observation font obstacle à ce que ces mâts puissent être perçus simultanément en totalité et avec la même profondeur de champ. Compte tenu de l'ensemble de ces éléments, la société d'exploitation du parc éolien de la Tête des Boucs est fondée à soutenir que le préfet de l'Yonne ne pouvait, sans entacher son arrêté d'erreur d'appréciation, refuser de lui délivrer l'autorisation unique sollicitée sur le fondement des dispositions précitées de l'article R. 111-27 du code de l'urbanisme.
6. En second lieu, aux termes de l'article L. 511-1 du code de l'environnement : " Sont soumis aux dispositions du présent titre (...) d'une manière générale, les installations exploitées ou détenues par toute personne physique ou morale, publique ou privée, qui peuvent présenter des dangers ou des inconvénients soit pour la commodité du voisinage (...) soit pour la protection de la nature, de l'environnement et des paysages (...) soit pour la conservation des sites et des monuments (...) ". Aux termes de l'article L. 512-1 du même code : " Sont soumises à autorisation les installations qui présentent de graves dangers ou inconvénients pour les intérêts mentionnés à l'article L. 511-1. / L'autorisation, dénommée autorisation environnementale, est délivrée dans les conditions prévues au chapitre unique du titre VIII du livre Ier ". Aux termes de l'article L. 181-3 du même code : " I. - L'autorisation environnementale ne peut être accordée que si les mesures qu'elle comporte assurent la prévention des dangers ou inconvénients pour les intérêts mentionnés aux articles L. 211-1 et L. 511-1, selon les cas ".
7. D'une part, il résulte de l'instruction que la société d'exploitation du parc éolien de la Tête des Boucs a modifié son projet en 2019 en ramenant la hauteur des machines de Préhy de 191 mètres à 149 mètres en bout de pale afin de préserver un rapport d'échelle cohérent le long de la ligne d'horizon vis-à-vis des projets éoliens déjà construits et visibles depuis la table d'orientation de Chablis. De même, elle a adopté une disposition en ligne selon un espacement régulier entre les machines pour assurer une lisibilité de l'aménagement. Compte tenu de ces modifications substantielles visant à concilier le projet avec la protection des paysages, le préfet de l'Yonne n'a pu sans méconnaître les dispositions précitées de l'article L. 511-1 du code de l'environnement, refuser de délivrer l'autorisation d'exploiter.
8. D'autre part, si le refus d'autorisation repose également sur les incidences du projet sur le busard cendré, oiseau migrateur placé sous statut de conservation en danger sur la liste rouge régionale 2015 dont la présence a été identifiée à proximité des éoliennes E5 et E6, le pétitionnaire s'est engagé, dans l'étude d'impact produite au dossier de demande, à adapter le déroulement des travaux et l'exploitation des aérogénérateurs aux exigences de cette espèce, telles qu'elles ressortiront de données à recueillir au cours d'une campagne d'étude et de surveillance du site conduite en collaboration avec une association de protection des oiseaux, avec une attention particulière portée à la période de reproduction. Il suit de là que l'impact du projet sur le busard cendré ne peut être regardé comme contraire aux intérêts protégés par l'article L. 511-1 précité.
9. Il résulte de l'ensemble de ces éléments que le préfet de l'Yonne ne pouvait, sans commettre une erreur d'appréciation, estimer que le projet serait de nature à générer un impact particulier pour le busard cendré, et que par suite, le refus d'autorisation environnementale attaqué serait légalement justifié.
10. Il résulte de ce qui précède, et sans qu'il soit besoin de se prononcer sur le moyen tiré de l'insuffisante motivation de l'arrêté attaqué, que l'arrêté en litige doit être annulé.
Sur les conclusions aux fins d'injonction :
11. Aux termes de l'article L. 911-1 du code de justice administrative : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit (...) prenne une mesure d'exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d'un délai d'exécution ". Lorsque l'exécution d'un jugement ou d'un arrêt implique normalement, eu égard aux motifs de ce jugement ou de cet arrêt, une mesure dans un sens déterminé, il appartient au juge administratif, saisi de conclusions sur le fondement des dispositions précitées, de statuer sur ces conclusions en tenant compte, le cas échéant après une mesure d'instruction, de la situation de droit et de fait existant à la date de sa décision. Si, au vu de cette situation de droit et de fait, il apparaît toujours que l'exécution du jugement ou de l'arrêt implique nécessairement une mesure d'exécution, il incombe au juge de la prescrire à l'autorité compétente.
12. Il ne résulte pas de l'instruction qu'une autre atteinte serait portée aux intérêts protégés par l'article L. 511-1 du code de l'environnement, dans des conditions qui rendraient l'implantation du parc éolien en litige incompatible avec la protection de ces intérêts, ni une méconnaissance d'autres dispositions relatives à l'environnement, ni encore un motif d'irrégularité de la procédure. Ainsi, eu égard au motif d'annulation retenu au présent arrêt, il y a lieu pour la cour d'enjoindre au préfet de l'Yonne de délivrer l'autorisation unique d'exploiter sollicitée éventuellement assortie des prescriptions indispensables à la protection des intérêts mentionnés à l'article L. 511-1 du code de l'environnement pour l'implantation et l'exploitation des aérogénérateurs sur la commune de Préhy, dans un délai de quatre mois à compter de la notification du présent arrêt.
Sur les frais du litige :
13. En application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, il y a lieu de mettre à la charge de l'État, partie perdante, le versement de la somme de 1 500 euros à la société d'exploitation du parc éolien de la Tête des Boucs.
DÉCIDE :
Article 1er : L'intervention de l'association " Vents contre Air " est admise.
Article 2 : L'intervention de M. A... n'est pas admise.
Article 3 : L'arrêté n° PREF-SAPPIE-BE-2019-0197 du 22 mai 2019 par lequel le préfet de l'Yonne a rejeté la demande d'autorisation unique d'exploiter des installations de production d'électricité utilisant l'énergie mécanique du vent sur la commune de Préhy est annulé.
Article 4 : Il est enjoint au préfet de l'Yonne de délivrer à la société d'exploitation du parc éolien de la Tête des Boucs une autorisation unique d'exploiter des installations de production d'électricité utilisant l'énergie mécanique du vent sur la commune de Préhy, si besoin assortie des prescriptions indispensables à la protection des intérêts mentionnés à l'article L. 511-1 du code de l'environnement, dans un délai de quatre mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 5 : L'État versera à la société d'exploitation du parc éolien de la Tête des Boucs la somme de 1 500 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à la société d'exploitation du parc éolien de la Tête des Boucs, à la ministre de la transition écologique, au préfet de l'Yonne, à l'association " Vents contre Air " représentée par son président en exercice et à M. B... A....
Délibéré après l'audience du 9 septembre 2021 à laquelle siégeaient :
M. Arbarétaz, président de chambre ;
M. Seillet, président assesseur ;
Mme Burnichon, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 30 septembre 2021.
N° 19LY02806
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