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16/06/2022 | FRANCE | N°19LY00541

France | France, Cour administrative d'appel de Lyon, 5ème chambre, 16 juin 2022, 19LY00541


Vu la procédure suivante :

Par un arrêt avant dire droit du 18 mars 2021, la cour administrative d'appel de Lyon a sursis à statuer sur la requête présentée par le ministre de l'économie, des finances et de la relance, tendant à l'annulation de l'article 1er du jugement n° 1704851 du 20 novembre 2018 par lequel le tribunal administratif de Lyon a déchargé la SARL Echo 5 des rappels de taxe sur la valeur ajoutée, ainsi que des intérêts de retard correspondants, mis à sa charge pour la période du 1er janvier au 31 décembre 2014 (article 1er) et a mis à la charge de l'Eta

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Vu la procédure suivante :

Par un arrêt avant dire droit du 18 mars 2021, la cour administrative d'appel de Lyon a sursis à statuer sur la requête présentée par le ministre de l'économie, des finances et de la relance, tendant à l'annulation de l'article 1er du jugement n° 1704851 du 20 novembre 2018 par lequel le tribunal administratif de Lyon a déchargé la SARL Echo 5 des rappels de taxe sur la valeur ajoutée, ainsi que des intérêts de retard correspondants, mis à sa charge pour la période du 1er janvier au 31 décembre 2014 (article 1er) et a mis à la charge de l'Etat une somme de 1 200 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative (article 2), jusqu'à ce que la Cour de justice de l'Union européenne se soit prononcée sur la question de savoir si l'article 392 de la directive du 28 novembre 2006 devait être interprété comme excluant l'application du régime de taxation sur la marge à des opérations de livraisons de terrains à bâtir dans les deux hypothèses suivantes :

- lorsque ces terrains, acquis bâtis, sont devenus, entre le moment de leur acquisition et celui de leur revente par l'assujetti, des terrains à bâtir ;

- lorsque ces terrains ont fait l'objet, entre le moment de leur acquisition et celui de leur revente par l'assujetti, de modifications de leurs caractéristiques telles que leur division en lots.

Par une ordonnance C-191/21 du 10 février 2022, la Cour de justice de l'Union européenne s'est prononcée sur cette question.

Par courrier du 22 février 2022, les parties ont été invitées à actualiser leurs écritures à la suite de l'intervention des décisions de la CJUE C-299/20 du 30 septembre 2021 et C-191/21 du 10 février 2022.

Par un mémoire enregistré le 14 mars 2022, la SARL Echo 5, représentée par la SELAS Bret Bremens agissant par Me Ripert, conclut au rejet de la requête, par les mêmes moyens, et demande à la cour de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 400 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient en outre que, malgré l'arrêt C-299/20 du 30 septembre 2021 de la Cour de Justice de l'Union européenne, elle est réputée remplir la condition relative à l'absence de droit à déduction, sur le fondement de l'article L. 80A du livre des procédures fiscales.

Par un mémoire enregistré le 15 avril 2022, le ministre conclut aux mêmes fins que la requête, par les mêmes moyens.

Il fait en outre valoir que les terrains initialement acquis par la SARL Echo 5 étaient bâtis, de sorte que la condition d'identité juridique avec les terrains à bâtir ultérieurement revendus n'est pas remplie.

Vu les autres pièces du dossier, y compris celles visées par l'arrêt du 18 mars 2021 ;

Vu :

- la directive 2006/112/CE du Conseil du 28 novembre 2006 relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée ;

- l'ordonnance C-191/21 du 10 février 2022 de la Cour de Justice de l'Union européenne ;

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- le code de l'urbanisme ;

- le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Le Frapper, première conseillère,

- les conclusions de M. Vallecchia, rapporteur public,

- et les observations de Me Ripert, représentant la SARL Echo 5 ;

Considérant ce qui suit :

1. La SARL Echo 5, qui exerce une activité de marchand de biens, a acquis par acte notarié du 29 septembre 2011 une propriété bâtie à Reyrieux (01), constituée de sept parcelles comprenant une maison d'habitation avec cour et jardin, des dépendances, une source et un terrain boisé. Après avoir procédé à plusieurs redécoupages parcellaires des terrains, elle a notamment revendu quatre lots comme terrains à bâtir à différents acquéreurs au cours de l'année 2014, en assujettissant chacune de ces opérations à la taxe sur la valeur ajoutée selon le régime de la marge prévu par l'article 268 du code général des impôts. A l'issue d'une vérification de comptabilité portant sur la période du 1er janvier 2012 au 31 décembre 2014, l'administration fiscale, selon proposition de rectification du 25 février 2016, a remis en cause l'application de la taxe sur la valeur ajoutée sur la marge à l'opération et procédé à des rappels pour la période de l'année 2014, assis sur l'intégralité du prix de vente des terrains cédés et mis en recouvrement le 17 octobre 2016, pour un montant de 43 054 euros en droits, assorti de 2 411 euros d'intérêts de retard. Le ministre de l'économie, des finances et de la relance demande à la cour d'annuler l'article 1er du jugement du 20 novembre 2018 par lequel le tribunal administratif de Lyon a prononcé la décharge totale de ces rappels ainsi que des intérêts de retard correspondants.

Sur le bien-fondé de l'imposition :

2. Selon l'article 12 de la directive du Conseil du 28 novembre 2006 relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée : " 1. Les États membres peuvent considérer comme assujetti quiconque effectue, à titre occasionnel, (...) une seule des opérations suivantes: / a) la livraison d'un bâtiment ou d'une fraction de bâtiment et du sol y attenant, effectuée avant sa première occupation; b) la livraison d'un terrain à bâtir. / 2. Aux fins du paragraphe 1, point a), est considérée comme " bâtiment " toute construction incorporée au sol. (...) / 3. Aux fins du paragraphe 1, point b), sont considérés comme " terrains à bâtir " les terrains nus ou aménagés, définis comme tels par les États membres ". Le I de l'article 257 du code général des impôts, dans sa rédaction applicable au présent litige, prévoit que sont soumises à la taxe sur la valeur ajoutée les opérations concourant à la production ou à la livraison d'immeubles, lesquelles comprennent les livraisons à titre onéreux de terrains à bâtir, définis en droit interne comme les terrains sur lesquels des constructions peuvent être autorisées en application d'un plan local d'urbanisme, d'un autre document d'urbanisme en tenant lieu, d'une carte communale ou de l'article L. 111-1-2 du code de l'urbanisme. En vertu du 2 du b de l'article 266 du même code, l'assiette de la taxe est en principe constituée par le prix de cession.

3. L'article 392 de la directive du Conseil du 28 novembre 2006 relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée dispose toutefois que : " Les États membres peuvent prévoir que, pour les livraisons de bâtiments et de terrains à bâtir achetés en vue de la revente par un assujetti qui n'a pas eu droit à déduction à l'occasion de l'acquisition, la base d'imposition est constituée par la différence entre le prix de vente et le prix d'achat ". L'article 268 du code général des impôts, pris pour la transposition de ces dispositions, prévoit, dans sa rédaction applicable, que : " S'agissant de la livraison d'un terrain à bâtir (...), si l'acquisition par le cédant n'a pas ouvert droit à déduction de la taxe sur la valeur ajoutée, la base d'imposition est constituée par la différence entre : / 1° D'une part, le prix exprimé et les charges qui s'y ajoutent ; / 2° D'autre part, selon le cas : / - soit les sommes que le cédant a versées, à quelque titre que ce soit, pour l'acquisition du terrain (...) ; / - soit la valeur nominale des actions ou parts reçues en contrepartie des apports en nature qu'il a effectués ".

4. Dans l'ordonnance du 10 février 2022 par laquelle elle s'est prononcée sur les questions dont la présente cour l'avait saisie à titre préjudiciel, la Cour de justice de l'Union européenne a dit pour droit que l'article 392 de la directive 2006/112/CE du Conseil, du 28 novembre 2006, relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée, doit être interprété en ce sens qu'il exclut l'application du régime de taxation sur la marge à des opérations de livraison de terrains à bâtir lorsque ces terrains acquis bâtis sont devenus, entre le moment de leur acquisition et celui de leur revente par l'assujetti, des terrains à bâtir, mais qu'il n'exclut pas l'application de ce régime à des opérations de livraison de terrains à bâtir lorsque ces terrains ont fait l'objet, entre le moment de leur acquisition et celui de leur revente par l'assujetti, de modifications de leurs caractéristiques telles qu'une division en lots.

5. Il résulte de l'interprétation ainsi donnée par la Cour de justice de l'Union européenne en réponse aux questions posées par la présente cour que, contrairement à ce qu'a jugé le tribunal administratif de Lyon, l'administration fiscale, pour remettre en cause l'applicabilité à l'opération litigieuse des dispositions de l'article 268 précité du code général des impôts, pouvait légalement opposer à la SARL Echo 5 la circonstance que les terrains revendus comme terrains à bâtir ne devaient pas avoir été préalablement acquis comme terrains bâtis. Par suite, le ministre est fondé à soutenir que c'est à tort que les premiers juges ont, pour ce motif, prononcé la décharge des impositions litigieuses.

6. Il appartient toutefois à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par la SARL Echo 5 tant en première instance qu'en appel.

7. Dès lors qu'il incombe à la juridiction de vérifier, en tenant compte des définitions prévues par la législation nationale et de toutes les circonstances dans lesquelles se sont déroulées les opérations en cause, si les biens acquis par l'assujetti relèvent de la notion de " terrain à bâtir " au sens du 3 précité de l'article 12 de la directive et, ainsi, du champ d'application de l'article 392, et que les possibilités réglementaires de construction prévues par le droit interne sont susceptibles de varier au sein d'une même unité foncière, la prise en compte des règles dégagées par la Cour de justice de l'Union européenne implique que la qualification éventuelle de terrain à bâtir doit s'apprécier distinctement pour chaque parcelle constituant le bien immobilier initialement acquis par l'assujetti.

8. Il résulte de l'instruction que l'intimée a acquis le 29 septembre 2011 un vaste terrain boisé cadastré section AM n° 55 classé en zone naturelle N du plan local d'urbanisme de Reyrieux, et six parcelles classées en zone urbaine UBb du même plan, cadastrées section AM n° 132, 134, 135, 136, 553 et 554. Ces six parcelles ont été brièvement réunies en une unique parcelle cadastrée section AM n° 704 selon document d'arpentage du 11 octobre 2011, avant d'être à nouveau divisées, le même jour, en deux parcelles cadastrées section AM n° 705, comportant des constructions, et une parcelle nue cadastrée section AM n° 706, dont les limites se superposent à celles des anciennes parcelles n° 134, 135 et 136, vierges de construction lors de leur acquisition auprès des vendeurs initiaux. Les quatre ventes de terrains à bâtir intervenues en 2014 portent sur des parcelles issues d'une nouvelle division en 6 parcelles de la parcelle 706, selon permis d'aménager un lotissement de quatre lots obtenu par la SARL Echo 5 le 3 mai 2012. Il résulte de ce qui précède, même si l'acte de vente du 29 septembre 2011 ne vise qu'une " propriété bâtie " sans faire explicitement état de la vente de terrains à bâtir, que les parcelles initiales 134, 135, 136, elles-mêmes dépourvues de constructions incorporées au sol et sur lesquelles des constructions pouvaient être autorisées en vertu du plan local d'urbanisme applicable, étaient, à la date de leur acquisition par la SARL Echo 5, des terrains à bâtir. La circonstance que ces terrains aient fait l'objet, entre le moment de leur acquisition et celui de leur revente par l'assujetti, d'un redécoupage parcellaire et d'une nouvelle division en lots, ne leur a pas fait perdre cette qualification et ne fait dès lors pas obstacle à l'application du régime de la taxe sur la valeur ajoutée sur la marge. Par ailleurs, le ministre ne conteste plus qu'il lui était possible, sous le contrôle du juge de l'impôt, de vérifier l'estimation du prix de revient de chaque lot effectué par la SARL Echo 5 par imputation d'une fraction du prix global d'acquisition de l'immeuble, aucune critique n'étant toutefois formée sur ce point. Par suite, la SARL Echo 5 est fondée à soutenir qu'elle a acquis puis revendu des terrains à bâtir et pouvait en conséquence appliquer aux ventes en litige le régime, prévu à l'article 268 du code général des impôts, de taxe sur la valeur ajoutée sur la marge.

9. Il résulte de tout ce qui précède que le ministre de l'économie, des finances et de la relance n'est pas fondé à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lyon a prononcé la décharge des rappels de taxe sur la valeur ajoutée en litige et des pénalités correspondantes.

Sur les frais liés au litige :

10. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, de mettre à la charge de l'Etat, partie perdante dans la présente instance, une somme de 2 000 euros au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête du ministre de l'économie, des finances et de la relance est rejetée.

Article 2 : L'Etat versera à la SARL Echo 5 une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique ainsi qu'à la SARL Echo 5.

Délibéré après l'audience du 25 mai 2022, à laquelle siégeaient :

M. Bourrachot, président de chambre,

Mme Dèche, présidente assesseure,

Mme Le Frapper, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 16 juin 2022.

La rapporteure,

M. Le Frapper

Le président,

F. Bourrachot

La greffière,

S. Bertrand

La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition,

La greffière,

2

N° 19LY00541

lc


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Lyon
Formation : 5ème chambre
Numéro d'arrêt : 19LY00541
Date de la décision : 16/06/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Fiscal

Analyses

Communautés européennes et Union européenne - Application du droit de l’Union européenne par le juge administratif français - Renvoi préjudiciel à la Cour de justice.

Contributions et taxes - Taxes sur le chiffre d'affaires et assimilées - Taxe sur la valeur ajoutée - Liquidation de la taxe - Base d'imposition.


Composition du Tribunal
Président : M. BOURRACHOT
Rapporteur ?: Mme Mathilde LE FRAPPER
Rapporteur public ?: M. VALLECCHIA
Avocat(s) : BRET BREMENS

Origine de la décision
Date de l'import : 28/06/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.lyon;arret;2022-06-16;19ly00541 ?
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