Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. J... F... a demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'annuler la décision du 28 février 2017 par laquelle le directeur du centre hospitalier (CH) de Villeneuve-sur-Lot l'a licencié à compter du 31 mars 2017, d'enjoindre à cet établissement de le réintégrer et de lui verser son traitement dans un délai de quinze jours à compter de la notification du jugement à intervenir, et de le condamner à lui verser une somme à parfaire de 500 000 euros en réparation des préjudices qu'il estime avoir subis du fait de l'illégalité de cette décision.
Par un jugement nos 1702498, 1800368 et 1800369 du 5 mars 2019, le tribunal administratif de Bordeaux a annulé la décision du 28 février 2017 du directeur du CH de Villeneuve-sur-Lot, a enjoint à cet établissement de réintégrer juridiquement M. F... entre le 31 mars et le 31 août 2017 et l'a condamné à lui verser une somme de 37 531,63 euros en réparation de ses préjudices.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 5 mai 2019, M. F..., représenté par Me E..., doit être regardé comme demandant à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Bordeaux du 5 mars 2019 en tant qu'il a rejeté le surplus de sa demande indemnitaire ;
2°) à titre principal, de condamner le CH de Saint-Cyr, anciennement CH de Villeneuve-sur-Lot, à lui verser une somme de 540 000 euros, assortie des intérêts au taux légal et de la capitalisation des intérêts, en réparation de ses préjudices et à titre subsidiaire, d'ordonner une expertise pour procéder à l'évaluation de ses préjudices ;
3°) d'enjoindre au CH de Saint-Cyr de le réintégrer et de lui verser son traitement dans un délai de quinze jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 200 euros par jour de retard ;
4°) de mettre à la charge du CH de Saint-Cyr la somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- le jugement attaqué est insuffisamment motivé s'agissant du rejet de sa demande indemnitaire pour perte de chance d'embrasser une carrière de chirurgien urologue dans le secteur public puis le secteur privé ;
- c'est à tort que les premiers juges ont retenu que son licenciement était justifié au fond, alors que, travaillant depuis 2001 en vertu d'un contrat à durée indéterminée, son contrat ne pouvait être résilié pour un autre motif que ceux limitativement prévus par la convention de formation de deux ans du 22 février 2016 ;
-la décision de licenciement repose sur un motif illégal et n'a pas été prise sur le fondement du dernier alinéa de l'article R. 6152-610 du code de la santé publique contrairement à ce qu'a retenu le tribunal ; à supposer même que son licenciement soit fondé sur la convention du 22 février 2016, le CH ne pouvait justifier de son impossibilité de recruter un praticien urologue et il n'établit pas l'existence d'une évolution de la situation de l'activité dans la structure au sens des dispositions de l'article R. 6152-610 du code de la santé publique ;
- il n'a pas reçu de proposition de réaffectation et la lettre du 28 février 2017 ne saurait être regardée comme un refus d'accepter une modification de ses conditions de travail ;
- les premiers juges ont fait une insuffisante appréciation de son préjudice moral et de ses troubles dans les conditions d'existence ; il y a lieu de porter la somme allouée à ce titre à 40 000 euros ;
- la somme allouée par les premiers juges au titre de son préjudice économique doit être portée à 500 000 euros ; le cas échéant, une expertise peut être ordonnée pour chiffrer ce poste de préjudice.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de la santé publique ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme C... G...,
- les conclusions de Mme K... B..., rapporteure publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. F..., praticien attaché associé au CH de Villeneuve-sur-Lot depuis 2001, a signé, en dernier lieu, un nouveau contrat de travail le 6 août 2014 pour une durée de trois ans, avec prise d'effet le 1er septembre 2014 et affectation au service des urgences de l'établissement. Par un avenant à ce contrat, l'intéressé s'est vu attribuer dix demi-journées hebdomadaires au sein du service de chirurgie digestive et générale et, par une convention de formation conclue le 29 septembre 2015 entre le CHU de Toulouse et le CH de Villeneuve-sur-Lot, M. F... a été autorisé à exercer en urologie sous la supervision d'un médecin sénior. Le 22 février 2016, a été conclu entre M. F... et le CH de Villeneuve-sur-Lot un contrat d'engagement de servir prévoyant que l'intéressé est affecté dans le service de chirurgie sous couvert d'un autre médecin spécialiste et qu'il est autorisé à suivre une formation en urologie au CHU de Toulouse deux journées par semaine afin de valider, du fait de la délivrance hors de l'Union européenne de ses diplômes, une Procédure d'autorisation d'exercice (PAE) dans cette spécialité. Par un courrier du 28 février 2017, le directeur du CH de Villeneuve-sur-Lot a informé l'intéressé de son licenciement à effet du 31 mars 2017, en raison, d'une part, de l'absence d'un praticien urologue en capacité d'assurer la responsabilité directe de son exercice dans le respect de la procédure d'autorisation d'exercice et, d'autre part, de son refus d'être réaffecté au service des urgences. M. F... relève appel du jugement du tribunal administratif de Bordeaux nos 1702498, 1800368 et 1800369 du 5 mars 2019 en tant qu'il a limité à 37 531,63 euros la somme que le CH de Villeneuve-sur-Lot, devenu CH de Saint-Cyr, a été condamné à lui verser en réparation des préjudices qu'il a subis du fait de l'illégalité de la décision du 28 février 2017 prononçant son licenciement.
Sur la régularité du jugement :
2. Il ressort des termes du jugement attaqué que les premiers juges ont rejeté la demande indemnitaire présentée par M. F... au titre d'une perte de chance de bénéficier d'une carrière de chirurgien urologue au motif que ce poste de préjudice n'était établi ni dans sa réalité ni dans son étendue. Une telle motivation doit être regardée comme suffisante, dans les circonstances de l'espèce, compte tenu de l'argumentation particulièrement succincte soumise par M. F... aux premiers juges s'agissant de ce poste de préjudice.
Sur le bien-fondé du jugement :
En ce qui concerne l'indemnisation des préjudices :
3. Aux termes de l'article R. 6152-610 du code de la santé publique, applicable aux praticiens attachés associés en vertu de l'article R. 6152-633 du même code : " Les praticiens attachés sont recrutés pour un contrat d'une durée maximale d'un an, renouvelable dans la limite d'une durée totale de vingt-quatre mois. (...) A l'issue de cette période de vingt-quatre mois, le renouvellement s'effectue par un contrat de trois ans, renouvelable de droit, par décision expresse. A l'issue du contrat triennal, le renouvellement s'effectue par un contrat à durée indéterminée. / Lorsque la situation de l'activité dans la structure le justifie, une modification de la quotité de travail, de la structure ou du lieu d'affectation peut être proposée par le directeur d'établissement, après avis du président de la commission médicale d'établissement ou, le cas échéant, de la commission médicale locale d'établissement, à un praticien attaché ou praticien attaché associé qui bénéficie d'un contrat triennal ou d'un contrat à durée indéterminée. A compter de la proposition de modification, l'intéressé dispose d'un mois pour la refuser. En cas de refus, le directeur propose prioritairement à ce praticien une nouvelle affectation. A défaut, il est fait application des dispositions prévues au deuxième alinéa de l'article R. 6152-629 ". Aux termes de l'article R. 6152-629 du même code : " (...) Le praticien attaché qui bénéficie d'un contrat triennal ou d'un contrat à durée indéterminée peut être licencié, après avis de la commission médicale d'établissement ou, le cas échéant, du comité consultatif médical. Le préavis est alors de trois mois. La décision de licenciement prononcée par le directeur est motivée. (...) ".
4. Pour annuler la décision contestée, les premiers juges ont retenu qu'" il ne ressort pas des pièces du dossier que le centre hospitalier aurait effectivement proposé à M. F... une modification de son contrat et que l'intéressé aurait disposé du délai d'un mois prévu par l'article R. 6152-610 du code de la santé publique pour la refuser. A supposer même ce refus établi, si le centre hospitalier a recueilli l'avis du président de la commission médicale d'établissement, il ne ressort d'aucune pièce du dossier que la commission médicale d'établissement ou le comité consultatif médical ait été saisi du licenciement pour avis ". Le tribunal a estimé que ces manquements avaient privé l'intéressé d'une garantie, de nature à affecter la légalité de la décision. Le tribunal a ensuite calculé l'indemnité de licenciement due à l'intéressé en fonction de son ancienneté de service, fixée à 28 728,24 euros, puis la perte de traitement jusqu'à la fin du contrat en cours, déduction faite des allocations journalières perçues, établie à 6 803,39 euros et enfin alloué à M. F... une indemnité de 2 000 euros au titre de son préjudice moral et des troubles dans ses conditions d'existence.
5. En vertu des principes généraux qui régissent la responsabilité de la puissance publique, un agent public irrégulièrement évincé a droit à la réparation intégrale du préjudice qu'il a effectivement subi du fait de la mesure illégalement prise à son encontre. Sont ainsi indemnisables les préjudices de toute nature avec lesquels l'illégalité commise présente, compte tenu de l'importance respective de cette illégalité et des fautes relevées à l'encontre de l'intéressé, un lien direct de causalité. Pour l'évaluation du montant de l'indemnité due, doit être prise en compte la perte des rémunérations ainsi que celle des primes et indemnités dont l'intéressé avait, pour la période en cause, une chance sérieuse de bénéficier, à l'exception de celles qui, eu égard à leur nature, à leur objet et aux conditions dans lesquelles elles sont versées, sont seulement destinées à compenser des frais, charges ou contraintes liés à l'exercice effectif des fonctions. Il y a lieu de déduire, le cas échéant, le montant des rémunérations nettes et des allocations pour perte d'emploi qu'il a perçues au cours de la période d'éviction.
6. Un praticien attaché associé dont le contrat à durée déterminée est renouvelé après une période de vingt-quatre mois, suivie par un contrat de trois ans ainsi que le prévoit l'article R. 6152-610 du code de la santé publique, ne peut, en l'absence de décision expresse en ce sens, être regardé comme titulaire d'un contrat à durée indéterminée. Il tient en revanche des dispositions de cet article, en cas d'interruption ultérieure de la relation d'emploi, un droit à l'indemnisation du préjudice qu'il a subi, évalué en fonction des avantages financiers auxquels il aurait pu prétendre en cas de licenciement s'il avait été employé dans le cadre d'un contrat à durée indéterminée. Ce préjudice doit être évalué en fonction des modalités de rémunération qui auraient été légalement applicables à un tel contrat.
7. Le requérant reproche en premier lieu au tribunal d'avoir estimé que le licenciement dont il a fait l'objet devait être regardé comme fondé sur les dispositions précitées du dernier alinéa de l'article R. 6152-610 du code de la santé publique, alors que les conditions prévues par ce texte n'étaient pas remplies, si bien que la décision était en réalité dépourvue de toute base légale. Toutefois, il résulte des termes de la décision du 28 février 2017 qui mentionne, d'une part, que l'établissement ne dispose pas de praticien urologue en capacité d'assurer la responsabilité directe du service de l'intéressé et, d'autre part, que M. F... a indiqué au cours de l'entretien du 28 février 2017 refuser une réaffectation au service des urgences, que c'est à bon droit que les premiers juges ont regardé la décision du 28 février 2017 comme implicitement mais nécessairement fondée sur les dispositions précitées du dernier alinéa de l'article R. 6152-610 du code de la santé publique. Ils n'ont ensuite nullement estimé que la décision serait justifiée au fond, mais se sont bornés à constater qu'elle avait été prise selon une procédure irrégulière.
8. M. F... reproche ensuite aux premiers juges d'avoir retenu, dans le cadre de l'examen de ses conclusions indemnitaires, que la décision de licenciement contestée mettait fin à un contrat à durée déterminée, alors qu'en application du quatrième alinéa de l'article R. 6152-610 du code de la santé publique, son contrat de travail aurait dû être requalifié en contrat à durée indéterminée. Cependant, les premiers juges ont rappelé à bon droit qu'en application des principes rappelés au point 6 ci-dessus, le contrat à durée déterminée de M. F... ne pouvait, faute de décision expresse de son employeur en ce sens, être regardé comme un contrat à durée indéterminée. Par ailleurs, il ne résulte pas de l'instruction que le centre hospitalier aurait disposé, ainsi que l'indique M. F..., d'un praticien susceptible d'encadrer la validation de sa procédure d'autorisation d'exercice, permettant de ce fait la poursuite de son activité au sein de l'établissement.
9. Il résulte des termes du jugement contesté que le tribunal a évalué le préjudice économique de M. F... à la somme de 28 728,24 euros, correspondant au montant des indemnités dont il aurait dû bénéficier en application de l'article R. 6152-629 du code de la santé publique, et à la somme de 6 803,39 euros correspondant au traitement qu'il aurait dû percevoir du 1er avril au 31 août 2017, après déduction des autres ressources qu'il a perçues durant cette période. Dans les circonstances de l'espèce, il ne saurait être ordonné une expertise sur les préjudices invoqués par le requérant, auquel il revient de soumettre à la cour une argumentation suffisamment détaillée et les éléments probants à sa disposition de nature à établir la réalité des préjudices dont il se prévaut. Si M. F... soutient que les premiers juges ont fait une insuffisante évaluation de son préjudice économique, il se borne à demander une somme forfaitaire de 500 000 euros sans en expliciter le calcul, ne formule aucune critique quant à la méthode appliquée par le tribunal pour déterminer le montant de cette indemnité, ni ne fournit à la cour aucun élément susceptible de justifier sa majoration.
10. Le requérant fait enfin valoir que le tribunal a insuffisamment apprécié son préjudice moral et ses troubles dans les conditions d'existence, alors qu'il a été brutalement licencié après seize ans d'exercice au centre hospitalier de Villeneuve-sur-Lot, qu'il n'aurait pas refusé un reclassement au service des urgences, qu'il est resté sept mois sans ressources avant de bénéficier d'une allocation d'aide au retour à l'emploi partiellement rétroactive, n'a pu subvenir à ses besoins et à ceux de sa famille, et a dû interrompre une formation qui lui aurait ouvert une carrière de chirurgien urologue, avec les émoluments et la retraite y afférents. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de porter la somme de 2000 euros allouée par le tribunal à ce titre à un montant de 5 000 euros.
11. Il résulte de tout ce qui précède que M. F... est seulement fondé à demander que la somme que le centre hospitalier de Villeneuve-sur-Lot a été condamné à lui verser en réparation de son préjudice moral par le jugement du tribunal administratif de Bordeaux du 5 mars 2019 soit portée de 2 000 à 5 000 euros. Par suite, il y lieu de porter le montant de la condamnation prononcée à l'article 4 du jugement attaqué à 40 531,63 euros.
En ce qui concerne les conclusions à fin d'injonction :
12. Ainsi qu'il a été dit précédemment, M. F... n'est pas fondé à soutenir que le contrat de travail à durée déterminée auquel il a été mis fin par la décision de licenciement litigieuse devrait être requalifié par la cour en un contrat à durée indéterminée, faute de décision expresse en ce sens du centre hospitalier de Villeneuve-sur-Lot. C'est ainsi à bon droit que les premiers juges ont seulement enjoint à cet établissement de santé de réintégrer juridiquement M. F... pour la période comprise entre le 31 mars 2017 et le 31 août 2017.
Sur les frais liés au litige :
13. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge du centre hospitalier Villeneuve-sur-Lot, désormais centre hospitalier de Saint-Cyr, une somme de 1 500 euros à verser à M. F... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DÉCIDE :
Article 1er : La somme de 37 531,63 euros que le centre hospitalier de Villeneuve-sur-Lot a été condamné à verser à M. F... par le jugement du tribunal administratif de Bordeaux est portée à 40 531,63 euros.
Article 2 : Le jugement du tribunal administratif de Bordeaux du 5 mars 2019 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 3 : Le centre hospitalier de Saint-Cyr versera à M. F... la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête de M. F... est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. J... F... et au centre hospitalier de Saint-Cyr.
Délibéré après l'audience du 12 janvier 2021 à laquelle siégeaient :
Mme I... H..., présidente,
Mme A... D..., présidente-assesseure,
Mme C... G..., conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 9 février 2021.
La rapporteure,
Kolia G...
La présidente,
Catherine H...
La greffière,
Virginie Guillout
La République mande et ordonne au ministre des solidarités et de la santé en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
4
N° 19BX01835