Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société Air Horizont Limited, a demandé au Tribunal administratif de Paris d'annuler la décision n° 17/331-1610MLH034 du 19 décembre 2017 par laquelle l'Autorité de contrôle des nuisances aéroportuaires (ACNUSA) lui a infligé une amende administrative d'un montant de 13 000 euros.
Par un jugement n° 1802578 du 10 juillet 2018, le Tribunal administratif de Paris a annulé cette sanction et a condamné l'Etat à verser à la société Air Horizont une somme de 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Procédure devant la Cour :
Par une requête enregistrée le 10 septembre 2018 et des mémoires enregistrés le
11 décembre 2018, le 24 janvier et le 14 juin 2019, l'ACNUSA, représentée par la SCP Lyon-Caen etA..., demande à la Cour :
A titre principal :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de rejeter la demande de la société Air Horizont Limited devant le tribunal administratif.
A titre subsidiaire :
3°) de substituer sa propre décision à la sanction attaquée et de confirmer la condamnation de la société Air Horizont à payer une amende de 13 000 euros.
Dans tous les cas :
4°) de mettre à la charge de la société Air Horizont Limited le versement de la somme de 3 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- elle a la capacité d'agir en justice ;
- le tribunal a méconnu le caractère contradictoire de la procédure dès lors que la note en délibéré produite le 2 juillet 2018, visée par le tribunal et dont il a tenu compte, ne lui a pas été communiquée alors qu'elle a nécessairement eu une influence sur la solution retenue par le tribunal ;
- il a également méconnu le principe d'égalité des armes dans le procès garanti par l'article 6 paragraphe 1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales dès lors que sa propre note en délibéré du 27 juin 2018, faisant état d'éléments nouveaux liés à l'évolution de la procédure législative, n'a pas bénéficié des mêmes garanties ;
- la procédure de sanction organisée par les articles L. 6361-14 et L. 6361-12 du code des transports ne méconnaît pas le principe d'impartialité tel qu'il résulte de l'article 6 paragraphe 1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales dès lors que les fonctions de poursuite ont été exercées par des agents assermentés, de même que les fonctions d'instruction ; le Conseil constitutionnel n'a d'ailleurs pas considéré que l'absence de classement sans suite d'une affaire conduisait le président à porter une appréciation sur le bien-fondé de celle-ci et donc à émettre un pré-jugement, avant le transfert du dossier au collège de l'ACNUSA ;
- le tribunal a omis de rechercher si, au cas d'espèce, le président avait préjugé de l'affaire et il n'a procédé qu'à un contrôle abstrait de la conventionnalité de ces dispositions législatives ;
- en l'espèce, le président n'a adopté aucun acte ni aucune mesure susceptible de faire douter légitimement de son impartialité ; en pratique, le rapporteur permanent propose le classement au président, qui ne fait que transmettre le dossier au collège sans exercer le moindre " pré-jugement " ; la convocation adressée à la compagnie a été établie par le rapporteur permanent et non par le président ; le collège n'est pas influencé par un quelconque acte effectué au stade des poursuites ou de l'instruction puisqu'il n'a prononcé aucune sanction dans 73 cas qui lui ont été présentés en 2017 ; aucun fait vérifiable n'autorisait à mettre en cause l'impartialité du président et la compagnie ne pouvait nourrir d'appréhension objectivement justifiée ;
- la compagnie aérienne n'a pas usé de la faculté qui était la sienne de récuser le président ;
- en ayant considéré que la procédure de sanction méconnaissait l'article 6 paragraphe 1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales sans faire application de son pouvoir de moduler dans le temps les effets de l'annulation décidée, le tribunal a rendu une décision qui parvient aux mêmes effets qu'une abrogation à effet immédiat des dispositions législatives en cause et a méconnu les exigences liées au principe de sécurité juridique ; ce faisant, il a également méconnu l'autorité de la chose jugée par le Conseil constitutionnel le 24 novembre 2017 ;
- les autres moyens de la société devant le tribunal administratif et devant la Cour ne sont pas fondés ; le bien-fondé de la sanction ne saurait être remis en cause ;
- à titre subsidiaire, il y a lieu pour la Cour de se substituer à l'ACNUSA ;
- en tout état de cause, un effet différé de l'éventuelle annulation des sanctions adoptées avant le 30 juin 2018 est seul de nature à respecter l'esprit de la chose jugée par le Conseil constitutionnel le 24 novembre 2017 puisque ce sont précisément les procédures en cours à la date de sa décision que le Conseil constitutionnel a voulu préserver en reportant au 30 juin 2018 les effets de l'abrogation des dispositions en cause ; l'intérêt général qui s'attache à l'effet dissuasif des sanctions justifie leur maintien jusqu'au 30 juin 2018 ; l'enjeu financier pour les 74 sanctions actuellement contestées devant la juridiction administrative s'élève à 2 737 000 euros dont le recouvrement est actuellement suspendu du fait des recours exercés ; à cela s'ajoute la perte, pour le budget de l'Etat, du montant de 3,25 millions d'euros correspondant aux sanctions que l'ACNUSA s'est abstenue d'infliger entre le 30 juin et le
5 octobre 2018, date de publication du décret d'application de la loi du 3 août 2018 modifiant la procédure applicable.
Par des mémoires en défense enregistrés le 15 novembre 2018, le 31 mai et le
17 juin 2019, la société Air Horizont Limited, représentée par MeB..., conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 2 000 euros soit mise à la charge de l'Etat au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la requête est irrecevable dès lors que l'ACNUSA, qui n'a pas la personnalité morale, n'a pas qualité pour ester en justice ;
- le cumul d'un pouvoir discrétionnaire de poursuite avec l'exercice du pouvoir de sanction par la participation à l'assemblée plénière reconnu au président de l'ACNUSA a pour conséquence que les faits sont déjà " pré-jugés " par le président lorsqu'ils sont présentés en assemblée plénière et que l'appréciation de celle-ci est biaisée dès lors que ses membres savent que ces faits ont déjà été considérés comme fautifs par lui ; ce défaut d'impartialité est aggravé par le fait que le président dispose d'une voix prépondérante ;
- le tribunal a constaté que le président fait effectivement usage de son pouvoir de classement ; en l'espèce, le président a engagé des poursuites à l'encontre de la compagnie par sa lettre de convocation du 13 juillet 2017 et a siégé lors de l'assemblée plénière du
10 mai 2017 ;
- l'annulation rétroactive de la sanction contestée ne méconnaît pas l'autorité de la chose jugée par le Conseil constitutionnel dès lors qu'elle n'a pas d'effet erga omnes et qu'elle n'est pas prononcée sur le même fondement ;
- la sanction a été également prise en violation de l'article L. 6361-12 du code des transports dès lors qu'une amende ne peut être prononcée qu'à l'encontre du frêteur, seul visé au 4) de cet article, et non de la compagnie aérienne ;
- en violation de l'article L. 227-1 du code de l'aviation civile, la séance de délibéré s'est tenue plus de trois mois après la séance d'audition ;
- l'éventuel effet différé de l'annulation de la sanction contestée serait critiquable au regard des articles 6 et 13 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ainsi que de l'article 1er de son premier protocole additionnel ; les conséquences de l'annulation rétroactive doivent s'apprécier à l'aune de chaque recours et non en considération de l'existence d'autres requêtes pendantes, de sorte que les montants en jeu permettent de considérer que l'annulation avec effet " immédiat " n'emporterait aucune conséquence manifestement excessive pour l'intérêt général ; en continuant de prononcer des sanctions après la décision du Conseil constitutionnel, l'ACNUSA a pris le risque délibéré d'une censure des sanctions qu'elle prononçait.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la Constitution ;
- la décision du Conseil constitutionnel n° 2017-675 QPC du 24 novembre 2017 ;
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'aviation civile ;
- le code des transports ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Heers,
- les conclusions de Mme Jayer, rapporteur public,
- les observations de MeA..., pour l'ACNUSA,
- et les observations de MeB..., pour la société Air Horizont Limited.
Considérant ce qui suit :
1. L'Autorité de contrôle des nuisances aéroportuaires (ACNUSA) relève appel du jugement du 10 juillet 2018 par lequel le Tribunal administratif de Paris a annulé sa décision du 19 décembre 2017 infligeant à la société Air Horizont Limited une amende administrative d'un montant de 13 000 euros en raison d'un manquement à l'arrêté du 10 septembre 2003 portant restriction d'exploitation de l'aérodrome de Bâle-Mulhouse (Haut-Rhin).
Sur les conclusions principales tendant à l'annulation du jugement attaqué et au rejet de la demande de la société :
En ce qui concerne la régularité du jugement :
2. Lorsqu'il est saisi, postérieurement à la clôture de l'instruction et au prononcé des conclusions du rapporteur public, d'une note en délibéré émanant d'une des parties à l'instance, il appartient dans tous les cas au juge administratif d'en prendre connaissance avant la séance au cours de laquelle sera rendue la décision. S'il a toujours la faculté, dans l'intérêt d'une bonne justice, de rouvrir l'instruction et de soumettre au débat contradictoire les éléments contenus dans la note en délibéré, il n'est tenu de le faire à peine d'irrégularité de sa décision que si cette note contient l'exposé soit d'une circonstance de fait dont la partie qui l'invoque n'était pas en mesure de faire état avant la clôture de l'instruction et que le juge ne pourrait ignorer sans fonder sa décision sur des faits matériellement inexacts, soit d'une circonstance de droit nouvelle ou que le juge devrait relever d'office.
3. Il ressort des pièces du dossier de première instance que si le tribunal a visé, sans d'ailleurs les analyser, la note en délibéré produite le 27 juin 2018 pour l'ACNUSA et celle produite le 2 juillet pour la société Air Horizont, il n'a communiqué aucune de ces notes à la partie adverse. Par ailleurs, il ne ressort pas des motifs du jugement que le tribunal se serait fondé sur des éléments mentionnés pour la première fois dans l'une ou l'autre de ces notes en délibéré. Dans ces conditions, l'ACNUSA n'est pas fondée à soutenir que le tribunal aurait, par le traitement qu'il a réservé aux notes en délibéré, méconnu le caractère contradictoire de la procédure ainsi que le principe d'égalité des armes dans le procès garanti par l'article 6 paragraphe1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
En ce qui concerne le bien-fondé du jugement :
4. D'une part, aux termes de l'article L. 6361-14 du code des transports, dans sa rédaction en vigueur jusqu'au 30 juin 2018 : " Les fonctionnaires et agents mentionnés à l'article L. 6142-1 constatent les manquements aux mesures définies par l'article L. 6361-12. Ces manquements font l'objet de procès-verbaux qui, ainsi que le montant de l'amende encourue, sont notifiés à la personne concernée et communiqués à l'autorité. / A l'issue de l'instruction, le président de l'autorité peut classer sans suite la procédure dès lors que les circonstances particulières à la commission des faits le justifient ou que ceux-ci ne sont pas constitutifs d'un manquement pouvant donner lieu à sanction. / (...) / (...) / Un rapporteur permanent et son suppléant sont placés auprès de l'autorité. / Au terme de l'instruction, le rapporteur notifie le dossier complet d'instruction à la personne concernée. Celle-ci peut présenter ses observations au rapporteur. / L'autorité met la personne concernée en mesure de se présenter devant elle ou de se faire représenter. Elle délibère valablement au cas où la personne concernée néglige de comparaître ou de se faire représenter. / Après avoir entendu le rapporteur et, le cas échéant, la personne concernée ou son représentant, l'autorité délibère hors de leur présence. / Les membres associés participent à la séance. Ils ne participent pas aux délibérations et ne prennent pas part au vote. ".
5. D'autre part, l'article R. 227-2 du code de l'aviation civile dispose : " Le rapporteur permanent clôt l'instruction menée par les fonctionnaires et agents mentionnés à l'article R. 227-1. Il communique le dossier d'instruction à la personne concernée en lui précisant les faits reprochés, leur qualification, les textes applicables à ces faits et l'amende encourue et en l'invitant à présenter ses observations dans un délai d'un mois. / A réception de ces observations ou, à défaut, à l'issue de ce délai, le rapporteur permanent communique le dossier au président de l'autorité. Ce dernier fait convoquer la personne concernée au minimum un mois avant la séance au cours de laquelle l'affaire doit être examinée en lui communiquant le dossier complet de l'instruction qui comporte une notification des griefs retenus, les textes qui les fondent et le montant de l'amende encourue et en lui indiquant qu'elle peut se présenter ou se faire représenter à la séance. / Dans les cas prévus au deuxième alinéa de l'article L. 227-4, le président de l'autorité peut prononcer le classement sans suite de la procédure. Le rapporteur permanent notifie cette décision à la personne concernée. ".
S'agissant de la portée de la décision du Conseil constitutionnel n° 2017-675 QPC du 24 novembre 2017 :
6. D'une part, aux termes du premier alinéa de l'article 61-1 de la Constitution : " Lorsque, à l'occasion d'une instance en cours devant une juridiction, il est soutenu qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit, le Conseil constitutionnel peut être saisi de cette question sur renvoi du Conseil d'Etat ou de la Cour de cassation. ". Aux termes du deuxième alinéa de son article 62 : " Une disposition déclarée inconstitutionnelle sur le fondement de l'article 61-1 est abrogée à compter de la publication de la décision du Conseil constitutionnel ou d'une date ultérieure fixée par cette décision. Le Conseil constitutionnel détermine les conditions et limites dans lesquelles les effets que la disposition a produits sont susceptibles d'être remis en cause ". Enfin, aux termes du troisième alinéa du même article : " Les décisions du Conseil constitutionnel ne sont susceptibles d'aucun recours. Elles s'imposent aux pouvoirs publics et à toutes les autorités administratives et juridictionnelles. ".
7. D'autre part, par la décision susvisée, le Conseil constitutionnel a déclaré contraires à l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen les dispositions précitées de l'article L. 6361-14 du code des transports, dans leur version applicable au présent litige, qui prévoient qu'à l'issue de l'instruction, le président de l'ACNUSA a le pouvoir de classer sans suite une procédure de sanction engagée à l'encontre d'une personne ayant fait l'objet d'un constat de manquement aux mesures définies par l'article L. 6361-12 du même code s'il estime que les faits ne sont pas constitutifs d'un manquement pouvant donner lieu à sanction ou que les circonstances particulières à la commission des faits justifient une décision de classement sans suite. Il a en effet relevé que ces dispositions n'opèrent aucune séparation entre, d'une part, les fonctions de poursuite des éventuels manquements et, d'autre part, les fonctions de jugement de ces mêmes manquements dès lors que le président dispose ainsi du pouvoir d'opportunité des poursuites des manquements constatés, alors qu'il est par ailleurs membre de la formation de jugement des faits susceptibles de donner lieu à sanction et y dispose d'ailleurs d'une voix prépondérante.
8. Il résulte des dispositions précitées de l'article 62 de la Constitution qu'une disposition législative déclarée contraire à la Constitution sur le fondement de l'article 61-1 n'est pas annulée rétroactivement mais abrogée pour l'avenir à compter de la publication de la décision du Conseil constitutionnel ou d'une date ultérieure fixée par cette décision. Par sa décision n° 2017-675 QPC du 24 novembre 2017, le Conseil constitutionnel a considéré que l'abrogation immédiate des dispositions contestées aurait des conséquences manifestement excessives et a décidé de la reporter au 30 juin 2018. Il n'a en revanche pas usé du pouvoir que lui confèrent les dispositions précitées, soit de déterminer lui-même les conditions et limites dans lesquelles les effets que la disposition a produits sont susceptibles d'être remis en cause, soit de décider que le législateur aura à prévoir une application aux instances en cours des dispositions qu'il aura prises pour remédier à l'inconstitutionnalité constatée. Dès lors, il n'y a pas lieu pour le juge du litige de remettre en cause d'office les effets produits par les dispositions déclarées inconstitutionnelles. La société Air Horizont ne se prévaut d'ailleurs pas davantage de cette déclaration d'inconstitutionnalité à l'encontre de la sanction qu'elle conteste.
9. Toutefois, les juridictions administratives et judiciaires, à qui incombe le contrôle de la compatibilité des lois avec le droit de l'Union européenne ou les engagements internationaux de la France, peuvent déclarer que des dispositions législatives incompatibles avec le droit de l'Union ou ces engagements sont inapplicables au litige qu'elles ont à trancher. Il appartient, par suite, au juge du litige, s'il n'a pas fait droit aux conclusions d'une requête en tirant les conséquences de la déclaration d'inconstitutionnalité d'une disposition législative prononcée par le Conseil constitutionnel, d'examiner, dans l'hypothèse où un moyen en ce sens est soulevé devant lui, s'il doit écarter la disposition législative en cause du fait de son incompatibilité avec une stipulation conventionnelle ou, le cas échéant, une règle du droit de l'Union européenne.
S'agissant de l'article 6 paragraphe 1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales :
10. Aux termes de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. (...) ".
11. D'une part, lorsqu'elle est saisie d'agissements pouvant donner lieu aux sanctions prévues par le code des transports, l'ACNUSA doit être regardée comme décidant du bien-fondé d'accusations en matière pénale au sens des stipulations précitées de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Compte tenu du fait que sa décision peut faire l'objet d'un recours de plein contentieux devant le juge administratif, la circonstance que la procédure suivie devant l'ACNUSA ne serait pas en tous points conforme aux prescriptions de l'article 6 paragraphe 1 précité n'est pas de nature à entraîner dans tous les cas une méconnaissance du droit à un procès équitable. Cependant, et alors même que l'ACNUSA n'est pas une juridiction au regard du droit interne, le moyen tiré de ce qu'elle aurait statué dans des conditions qui ne respecteraient pas le principe d'impartialité rappelé à l'article 6 paragraphe 1 précité peut, eu égard à la nature, à la composition et aux attributions de cet organisme, être utilement invoqué à l'appui d'un recours formé devant le juge administratif à l'encontre de sa décision infligeant une amende pour méconnaissance de la réglementation relative à la lutte contre les nuisances sonores aéroportuaires.
12. D'autre part, il résulte des dispositions précitées de l'article L. 6361-14 du code des transports et de l'article R. 227-2 du code de l'aviation civile régissant la procédure de sanction devant l'ACNUSA que lorsque le président décide de ne pas user de la faculté qui lui est reconnue par ces dispositions de classer l'affaire sans suite mais de la soumettre au collège, il ne peut être regardé comme ayant nécessairement, ce faisant, décidé que les faits relevés dans le procès-verbal transmis à l'ACNUSA étaient constitutifs d'un manquement. Il doit au contraire être regardé comme ayant seulement estimé que les faits pouvaient éventuellement donner lieu à sanction et méritaient un examen par le collège avec audition d'un représentant de la compagnie aérienne concernée. Sa décision de soumettre l'affaire au collège n'a donc pas nécessairement, à elle seule, la portée d'un jugement sur le principe de la culpabilité de cette compagnie.
13. Toutefois, pour soutenir que la sanction qui lui a été infligée a été prise en méconnaissance des exigences de l'impartialité garantie par les stipulations précitées, la société Air Horizont se prévaut de l'existence de faits vérifiables l'autorisant à suspecter l'impartialité du président de l'ACNUSA, et l'amenant, y compris sous l'angle des apparences, à craindre un " pré-jugement " de la part du président, compte tenu des actes accomplis au cours de la procédure, alors qu'il a non seulement siégé lors de la séance à laquelle la compagnie a été convoquée, mais qu'il a ensuite participé au délibéré puis signé la décision lui infligeant une amende. A cet égard, la circonstance que la société n'ait pas usé de la faculté, qui existe même sans texte, de récuser le président de l'ACNUSA à l'occasion de la séance ne fait pas obstacle à ce qu'elle se prévale d'un manquement à l'impartialité objective découlant de la mise en oeuvre de la procédure critiquée.
14. En premier lieu, si le président de l'ACNUSA a défendu à plusieurs reprises, notamment devant la représentation nationale, la thèse selon laquelle le plafond des amendes devait être revu très nettement à la hausse en vue d'accroître leur effet dissuasif, ces déclarations, faites dans le cadre de sa mission de lutte contre les nuisances sonores aéroportuaires, ne sauraient être interprétées comme révélant un quelconque manquement de sa part à l'impartialité, même considérée sous l'angle des apparences.
15. En deuxième lieu, il résulte au contraire de l'instruction que le président de l'ACNUSA, alors même qu'il n'a pas signé la lettre du 13 juillet 2017 prévue à l'article R. 227-2 du code de l'aviation civile précité, a fait convoquer la société Air Horizont à la séance du 5 septembre 2017 lors de laquelle a été examiné son dossier, en lui faisant notifier les griefs retenus à son encontre. Il est en outre constant que le président a siégé à cette séance et qu'il a participé au délibéré. La circonstance que ses décisions de classement sans suite des affaires ne s'écarteraient jamais, dans la pratique, des propositions du rapporteur permanent, lequel au demeurant a signé la lettre de convocation, est à cet égard indifférente. Dans ces conditions, et alors même que le collège de l'ACNUSA classe finalement sans suite, chaque année, une proportion non négligeable des dossiers qui lui sont présentés, la société Air Horizont pouvait raisonnablement avoir l'impression, compte tenu de l'enchaînement des actes pris au cours de la procédure devant l'ACNUSA, en particulier de la confusion des rôles tenus par le président, d'être poursuivie et jugée par la même personne. Dès lors, la sanction prononcée par le collège de l'ACNUSA à l'encontre de la compagnie aérienne est intervenue, dans le cas d'espèce, en méconnaissance de l'exigence d'impartialité consacrée à l'article 6 paragraphe 1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
16. Enfin, en écartant, en réponse à un moyen soulevé devant lui, une disposition législative incompatible avec une stipulation conventionnelle, le juge du litige ne méconnaît, contrairement à ce que soutient l'ACNUSA, ni les exigences liées au principe de sécurité juridique ni l'autorité de la chose jugée par le Conseil constitutionnel. Par ailleurs, l'annulation d'un acte administratif pris sur le fondement de cette disposition, alors même que ses effets en sont rétroactifs, ne méconnaît pas la portée d'une décision du Conseil constitutionnel reportant, comme en l'espèce, à une date postérieure à celle de l'adoption de cet acte l'abrogation de la disposition déclarée inconstitutionnelle. Dans ces conditions, l'autorité de la chose jugée par le Conseil constitutionnel n'impose pas de reporter à la date retenue par lui, s'agissant de l'abrogation des dispositions législatives qu'il censure, l'annulation de l'acte administratif pris sur le fondement de celles-ci.
17. Il résulte de tout ce qui précède que l'ACNUSA n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Paris a annulé sa décision du 19 décembre 2017 infligeant une amende de 13 000 euros à la société Air Horizont. Ses conclusions principales doivent donc être rejetées.
Sur les conclusions subsidiaires tendant au prononcé d'une amende :
18. Si, pour la première fois en appel, l'ACNUSA demande, à titre subsidiaire, à la Cour de faire usage de ses pouvoirs de pleine juridiction et de prononcer une sanction à l'encontre de la société Air Horizont, il n'appartient pas à la Cour, dans les circonstances de l'espèce, après avoir confirmé l'annulation pour irrégularité de la décision de sanction prise par l'ACNUSA, de se substituer à cette dernière pour apprécier s'il y a lieu d'infliger à la société Air Horizont une sanction à raison des faits qui lui sont reprochés. Par suite, les conclusions susvisées doivent, en tout état de cause, être rejetées.
19. Il résulte de l'ensemble de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur la fin de non recevoir opposée par la société Air Horizont, que la requête de l'ACNUSA doit être rejetée.
Sur les frais liés à l'instance :
20. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge de la société Air Horizont, qui n'est pas la partie perdante à l'instance. En revanche, il y a lieu de mettre à la charge de l'Etat le versement à la société Air Horizont d'une somme de 500 euros au titre des mêmes dispositions.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de l'ACNUSA est rejetée.
Article 2 : L'Etat versera à la société Air Horizont la somme de 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à l'Autorité de contrôle des nuisances aéroportuaires (ACNUSA), à la société Air Horizont Limited et au ministre de la transition écologique et solidaire.
Délibéré après l'audience du 24 juin 2019, à laquelle siégeaient :
- Mme Heers, président,
- Mme Julliard, présidente-assesseure,
- M. Mantz, premier conseiller,
Lu en audience publique le 12 juillet 2019
Le président-rapporteur,
M. HEERSL'assesseure la plus ancienne,
M. JULLIARD
Le greffier,
C. DABERT
La République mande et ordonne au ministre de la transition écologique et solidaire en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
N° 18PA03026 2