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30/06/2020 | FRANCE | N°18PA02724

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 7ème chambre, 30 juin 2020, 18PA02724


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société anonyme Observatoire d'Economie Appliquée a demandé au Tribunal administratif de Paris de prononcer la décharge des retenues à la source auxquelles elle a été assujettie au titre des exercices clos en 2013 et en 2014.

Par un jugement n° 1712188/1-2 du 5 juin 2018, le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés le 6 août 2018 et le 13 février 2020, la société anonyme Observatoire d'Economi

e Appliquée (OBEA), représentée par Mes Hepp et Cayrel, demande à la Cour :

1°) d'annuler le juge...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société anonyme Observatoire d'Economie Appliquée a demandé au Tribunal administratif de Paris de prononcer la décharge des retenues à la source auxquelles elle a été assujettie au titre des exercices clos en 2013 et en 2014.

Par un jugement n° 1712188/1-2 du 5 juin 2018, le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés le 6 août 2018 et le 13 février 2020, la société anonyme Observatoire d'Economie Appliquée (OBEA), représentée par Mes Hepp et Cayrel, demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1712188/1-2 du 5 juin 2018 du Tribunal administratif de Paris ;

2°) de prononcer la décharge des retenues à la source auxquelles elle a été assujettie au titre des exercices clos en 2013 et en 2014 ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 10 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- à titre principal, la société Infraforces International dispose de la qualité de résident fiscal en Tunisie, quand bien même elle bénéficie en Tunisie d'une exonération d'impôt sur les sociétés, laquelle n'est que partielle et temporaire, dès lors qu'elle est redevable des autres impôts tunisiens tels que la taxe sur les salaires, visée par la convention franco-tunisienne ;

- en conséquence l'article 11 de la convention franco-tunisienne fait obstacle à l'application de la retenue à la source instaurée par l'article 182 B du code général des impôts ;

- à titre subsidiaire, l'application de la retenue à la source entraîne une discrimination contraire aux libertés de circulation des capitaux et de prestation de services, à l'article 6 de la convention et à l'article 31 de l'Accord Euro-Méditerranéen, dès lors qu'elle est assise sur les revenus bruts alors que les résidents français sont imposés sur le montant net de leurs revenus.

Par des mémoires en défense, enregistrés le 11 octobre 2018 et le 21 février 2020, le ministre de l'action et des comptes publics conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens soulevés par la requérante ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention du 28 mai 1973 entre la France et la Tunisie tendant à éliminer les doubles impositions et à établir des règles d'assistance mutuelle administrative en matière fiscale ;

- le code tunisien d'incitations aux investissements ;

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- le code de justice administrative et l'ordonnance n° 2020-305 du 25 mars 2020 modifiée.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme A...,

- et les conclusions de Mme Stoltz-Valette, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. La société anonyme Observatoire d'Economie Appliquée (OBEA), dont le siège est situé à Paris, exerce une activité de prestations de services. Elle a fait l'objet en 2016 d'une vérification de comptabilité à l'issue de laquelle elle a été assujettie, selon la procédure contradictoire, à des retenues à la source sur le fondement de l'article 182 B du code général des impôts au titre des exercices clos le 31 décembre 2013 et le 31 décembre 2014, à raison des sommes qu'elle a versées, en paiement de prestations de service, à la société Infraforces International, société de droit tunisien dont le siège se situe à Tunis. Elle fait appel du jugement par lequel le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à la décharge totale des sommes ainsi mises à sa charge.

2. Si une convention bilatérale conclue en vue d'éviter les doubles impositions peut, en vertu de l'article 55 de la Constitution du 4 octobre 1958, conduire à écarter, sur tel ou tel point, la loi fiscale nationale, elle ne peut pas, par elle-même, directement servir de base légale à une décision relative à l'imposition. Par suite, il incombe au juge de l'impôt, lorsqu'il est saisi d'une contestation relative à une telle convention, de se placer d'abord au regard de la loi fiscale nationale pour rechercher si, à ce titre, l'imposition contestée a été valablement établie et, dans l'affirmative, sur le fondement de quelle qualification. Il lui appartient ensuite, le cas échéant, en rapprochant cette qualification des stipulations de la convention, de déterminer - en fonction des moyens invoqués devant lui ou même, s'agissant de déterminer le champ d'application de la loi, d'office - si cette convention fait ou non obstacle à l'application de la loi fiscale.

Sur l'application de la loi fiscale :

3. Aux termes de l'article 182 B du code général des impôts : " I- Donnent lieu à l'application d'une retenue à la source lorsqu'ils sont payés par un débiteur qui exerce une activité en France à des personnes ou des sociétés, relevant de l'impôt sur le revenu ou de l'impôt sur les sociétés, qui n'ont pas dans ce pays d'installation professionnelle permanente (...) c. Les sommes payées en rémunération des prestations de toute nature fournies ou utilisées en France ". Il résulte de ces dispositions que sont soumises à retenue à la source les sommes payées par une société qui exerce une activité en France à des personnes ou des sociétés qui n'y disposent pas d'une installation professionnelle permanente en rémunération de prestations qui sont soit matériellement fournies en France, soit, bien que matériellement fournies à l'étranger, effectivement utilisées par le débiteur pour les besoins de son activité en France.

4. Il est constant que les cotisations litigieuses de retenue à la source ont été établies à raison de sommes payées par la société OBEA, qui exerce son activité en France, à la société Infraforces International, qui n'y dispose d'aucune installation professionnelle permanente, en rémunération de prestations de services effectivement utilisées en France. Dès lors les sommes versées à la société Intraforces International par la requérante sont passibles de la retenue à la source prévue à l'article 182 B du code général des impôts.

Sur l'application de la convention fiscale franco-tunisienne :

5. Aux termes de l'article 1er de la convention du 28 mai 1973 entre la France et la Tunisie : " 1. La présente Convention s'applique aux personnes qui sont résidents d'un Etat contractant ou de chacun des deux Etats. (...) ". L'article 3 de cette convention stipule : " 1. Au sens de la présente convention, l'expression " résident d'un Etat contractant " désigne toute personne qui, en vertu de la législation dudit Etat, est assujettie à l'impôt dans cet Etat, en raison de son domicile, de sa résidence, de son siège de direction ou de tout autre critère analogue. / (...) ". Aux termes de l'article 9 de la même convention : " (...) / 3. Les impôts actuels auxquels s'applique la convention sont : / (...) / b) En ce qui concerne la Tunisie : - l'impôt de la patente / (...). 4. La Convention s'appliquera aussi aux impôts futurs de nature identique ou analogue qui s'ajouteraient aux impôts actuels ou qui les remplaceraient. (...) ". Enfin, aux termes de l'article 11 de cette convention : " 1. Les bénéfices d'une entreprise d'un Etat contractant ne sont imposables que dans cet Etat, à moins que l'entreprise n'exerce son activité dans l'autre Etat contractant par l'intermédiaire d'un établissement stable qui y est situé. (...) ".

6. Les stipulations de l'article 3 de la convention fiscale entre la France et la Tunisie précitées doivent être interprétées conformément au sens ordinaire à attribuer à leurs termes, dans leur contexte et à la lumière de leur objet et de leur but. Il résulte des termes mêmes de ces stipulations, conformément à leur objet, qui est d'éviter les doubles impositions, que les personnes qui ne sont pas soumises à l'impôt en cause par la loi de l'Etat concerné à raison de leur statut ou de leur activité ne peuvent être regardées comme assujetties au sens de ces stipulations.

7. L'article 10 du code tunisien d'incitations aux investissements relatif au régime totalement exportateur, dans sa rédaction applicable au litige, dispose que " Sont considérées comme totalement exportatrices les entreprises dont la production est destinée totalement à l'étranger ou celles réalisant des prestations de services à l'étranger ou en Tunisie en vue de leur utilisation à l'étranger. (...) ". L'article 12 de ce même code dispose que " Les entreprises totalement exportatrices ne sont soumises au titre de leurs activités en Tunisie qu'au paiement des impôts, droits, taxes, prélèvements et contributions suivants : (...) 7/ l'impôt sur les sociétés après déduction de 50 % des bénéfices provenant de l'exportation sous réserve des dispositions de l'article17 du présent code. Toutefois, et sur présentation d'une demande, lors du dépôt de la déclaration annuelle de l'impôt sur les sociétés, les bénéfices provenant de l'exportation sont déduits en totalité de l'assiette de l'impôt durant les dix premières années à partir de la première opération d'exportation et ce nonobstant les dispositions de l'article 12 de la loi n° 89-114 du 30 décembre 1989 portant promulgation du code de l'impôt sur le revenu des personnes physiques et de l'impôt sur les sociétés. ". Enfin les article 16 et 17 de ce code disposent que " Sous réserve des dispositions de l'article 17 du présent code, les entreprises totalement exportatrices peuvent être autorisées à effectuer des ventes ou des prestations de services sur le marché local portant sur une partie de leur propre production dans une limite ne dépassant pas 30 % de leur chiffre d'affaires à l'exportation départ usine réalisé durant l'année civile précédente. (...) " et que " Les revenus et bénéfices provenant des ventes et prestations de services effectuées par ces entreprises sur le marché local sont soumis à l'impôt sur le revenu ou à l'impôt sur les sociétés selon les dispositions du droit commun ".

8. Il résulte de l'instruction que si la société Infraforces International bénéficiait au titre des années en litige, en application des dispositions précitées de la loi fiscale tunisienne, d'une déduction de la totalité de ses bénéfices provenant de l'exportation de l'assiette de l'impôt sur les sociétés, durant les dix années suivant la première opération d'exportation, cette déduction, qui revient à exonérer ces bénéfices de l'impôt sur les sociétés, est octroyée, en application des articles 10, 12, 16 et 17 précités du code d'incitations aux investissements, sur présentation d'une demande annuelle et ne porte pas sur la totalité des bénéfices réalisés par la société mais uniquement sur les bénéfices provenant de l'exportation. Dans ces conditions, cette société tunisienne ne peut être regardée comme n'étant pas soumise à l'impôt sur les sociétés en Tunisie à raison de son activité, alors même qu'elle n'a pas réalisé de chiffre d'affaires sur le marché local au cours des années d'imposition en litige. La société Infraforces International est par suite résidente en Tunisie, au sens de l'article 3 de la convention fiscale entre la France et la Tunisie et les rémunérations en litige ne sont imposables qu'en Tunisie en application de l'article 11 de cette convention, dès lors qu'il est constant que cette société n'exerçait pas son activité en France par l'intermédiaire d'un établissement stable.

9. Il résulte de ce qui précède, et sans qu'il soit besoin de statuer sur les autres moyens de la requête, que la société anonyme Observatoire d'Economie Appliquée est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande de décharge des retenues à la source auxquelles elle a été assujettie au titre des exercices clos en 2013 et en 2014.

10. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros à verser à la société anonyme Observatoire d'Economie Appliquée sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement n° 1712188/1-2 du 5 juin 2018 du Tribunal administratif de Paris est annulé.

Article 2 : La société anonyme Observatoire d'Economie Appliquée est déchargée des retenues à la source auxquelles elle a été assujettie au titre des exercices clos en 2013 et en 2014.

Article 3 : L'Etat versera à la société anonyme Observatoire d'Economie Appliquée une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la société anonyme Observatoire d'Economie Appliquée et au ministre de l'action et des comptes publics.

Copie en sera adressée à la direction de contrôle fiscal Ile-de-France (division juridique).

Délibéré après l'audience du 16 juin 2020, à laquelle siégeaient :

- M. Jardin, président de chambre,

- Mme A..., président assesseur,

- Mme Oriol, premier conseiller,

Lu en audience publique, le 30 juin 2020.

Le rapporteur,

P. A...Le président,

C. JARDIN

Le greffier,

C. MONGISLa République mande et ordonne au ministre de l'action et des comptes publics en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 18PA02724


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 7ème chambre
Numéro d'arrêt : 18PA02724
Date de la décision : 30/06/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

19-01-01-05 Contributions et taxes. Généralités. Textes fiscaux. Conventions internationales.


Composition du Tribunal
Président : M. JARDIN
Rapporteur ?: Mme Perrine HAMON
Rapporteur public ?: Mme STOLTZ-VALETTE
Avocat(s) : CMS BUREAU FRANCIS LEFEBVRE

Origine de la décision
Date de l'import : 28/07/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2020-06-30;18pa02724 ?
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