La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

21/03/2019 | FRANCE | N°18PA01314

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 1ère chambre, 21 mars 2019, 18PA01314


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. H...F...-B..., Mme A...F...-B... et M. D...F...-B... ont demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler les décisions du 19 mai 2016 par lesquelles le garde des sceaux, ministre de la justice a refusé d'autoriser leur changement de nom en

" Le Floch-I... ", ensemble les décisions du 31 août 2016 rejetant leurs recours gracieux.

Par un jugement n° 1619178/4-3 du 22 février 2018, le tribunal administratif de Paris a rejeté leur demande.

Procédure devant la Cour :

Par un

e requête et des mémoires enregistrés le 18 avril 2018, le 19 avril 2018 et le

28 janvier 201...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. H...F...-B..., Mme A...F...-B... et M. D...F...-B... ont demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler les décisions du 19 mai 2016 par lesquelles le garde des sceaux, ministre de la justice a refusé d'autoriser leur changement de nom en

" Le Floch-I... ", ensemble les décisions du 31 août 2016 rejetant leurs recours gracieux.

Par un jugement n° 1619178/4-3 du 22 février 2018, le tribunal administratif de Paris a rejeté leur demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et des mémoires enregistrés le 18 avril 2018, le 19 avril 2018 et le

28 janvier 2019, M. H...F...-B..., Mme A...F...-B... et M. D...

F...-B..., représentés par MeG..., demandent à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1619178/4-3 du 22 février 2018 du tribunal administratif de Paris ;

2°) d'annuler les décisions du 19 mai 2016 par lesquelles le garde des sceaux, ministre de la justice a refusé d'autoriser leur changement de nom en " Le Floch-I... ", ensemble les décisions du 31 août 2016 rejetant leurs recours gracieux ;

3°) d'enjoindre au garde des sceaux, ministre de la justice de les autoriser à substituer à leur nom celui de " Le Floch-I... " ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros, sur le fondement de l'article

L. 761-1 du code de justice administrative.

Les requérants soutiennent que :

- l'article 61-3 du code civil a été méconnu ;

- ils portent le nom sollicité depuis leur naissance ;

- ils justifient de motifs affectifs ;

- ils renoncent au moyen tiré de l'extinction du nom ;

- l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales a été méconnu.

Par un mémoire enregistré le 29 janvier 2019, M. H...F...-B..., Mme A...F...-B... et M. D...F...-B... demandent à la Cour, en application de l'article 23-1 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 et à l'appui de leur requête tendant à l'annulation des décisions du 19 mai 2016 et du 31 août 2016, de transmettre au Conseil d'Etat la question prioritaire de constitutionnalité relative à la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution du premier alinéa de l'article 61 du code civil tel qu'il est interprété par la jurisprudence constante du Conseil d'Etat.

Ils soutiennent que les dispositions du premier alinéa de l'article 61 du code civil, interprétées par la jurisprudence constante du Conseil d'Etat, qui sont applicables au litige et n'ont pas fait l'objet d'une décision du Conseil constitutionnel les déclarant conformes à la Constitution, méconnaissent le droit au respect de la vie privée qui découle de l'article 2 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen.

Par un mémoire en défense enregistré le 25 janvier 2019, le garde des sceaux, ministre de la justice conclut au rejet de la requête.

Le garde des sceaux, ministre de la justice soutient que les moyens invoqués ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la Constitution, notamment son article 61-1, ensemble la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen ;

- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code civil ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Platillero ;

- et les conclusions de Mme Nguyên Duy, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. Par des requêtes publiées au Journal officiel du 6 juillet 2012 présentées par leur mère en qualité de représentante légale, M. H...F...-B..., Mme A...F...-B... et

M. D...F...-B... ont sollicité le changement de leur nom en " F...-I... ". M. H... et Mme A...F...-B..., devenus majeurs, ont repris cette demande à leur compte. Par trois décisions du 19 mai 2016, confirmées par trois décisions du 31 août 2016 prises sur recours gracieux, le garde des sceaux, ministre de la justice, a rejeté leurs demandes. Par un jugement du 22 février 2018, le tribunal administratif de Paris a rejeté les demandes de

M. H...F...-B..., Mme A...F...-B... et M. D...F...-B..., devenu majeur en cours d'instance, tendant à l'annulation de ces décisions. Les intéressés font appel de ce jugement.

Sur la question prioritaire de constitutionnalité :

2. Aux termes de l'article 61-1 de la Constitution : " Lorsque, à l'occasion d'une instance en cours devant une juridiction, il est soutenu qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit, le Conseil constitutionnel peut être saisi de cette question sur renvoi du Conseil d'Etat ou de la Cour de cassation qui se prononce dans un délai déterminé. Une loi organique détermine les conditions d'application du présent article ". L'article 23-1 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel dispose :

" Devant les juridictions relevant du Conseil d'État (...), le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution est, à peine d'irrecevabilité, présenté dans un écrit distinct et motivé. Un tel moyen peut être soulevé pour la première fois en cause d'appel. Il ne peut être relevé d'office ". Aux termes de l'article 23-2 de la même ordonnance : " La juridiction statue sans délai par une décision motivée sur la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité au Conseil d'État ou à la Cour de cassation. Il est procédé à cette transmission si les conditions suivantes sont remplies : / 1° La disposition contestée est applicable au litige ou à la procédure, ou constitue le fondement des poursuites ; / 2° Elle n'a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances ; / 3° La question n'est pas dépourvue de caractère sérieux. En tout état de cause, la juridiction doit, lorsqu'elle est saisie de moyens contestant la conformité d'une disposition législative, d'une part, aux droits et libertés garantis par la Constitution et, d'autre part, aux engagements internationaux de la France, se prononcer par priorité sur la transmission de la question de constitutionnalité au Conseil d'État (...) ".

3. Les requérants demandent à la Cour de transmettre au Conseil d'État la question prioritaire de constitutionnalité relative à la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution du premier alinéa de l'article 61 du code civil, tel qu'il est interprété par la jurisprudence constante du Conseil d'État. Ils soutiennent qu'en subordonnant l'intérêt légitime requis par ces dispositions pour déroger aux principes de dévolution et de fixité du nom établis par la loi, au titre de motifs d'ordre affectif, à des circonstances exceptionnelles, et, au titre de la possession d'état, à une durée d'usage présentant un caractère suffisamment ancien et constant, l'interprétation jurisprudentielle constante du premier alinéa de l'article 61 du code civil méconnaît le droit à la vie privée qui découle de l'article 2 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, selon lequel : " Le but de toute association politique est la conservation des droits naturels et imprescriptibles de l'Homme. Ces droits sont la liberté, la propriété, la sûreté, et la résistance à l'oppression ".

4. À supposer même que le premier alinéa de l'article 61 du code civil interprété par la jurisprudence constante du Conseil d'Etat relève du droit au respect de la vie privée qui découle de l'article 2 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, cette interprétation permet de concilier le droit au respect de la vie privée et l'intérêt général qui s'attache à la stabilité du nom de famille, en vue d'assurer la stabilité de l'état civil et la sécurité juridique des rapports sociaux. L'atteinte à la vie privée alléguée par cette interprétation jurisprudentielle, qui, contrairement à ce que soutiennent les requérants, ne rend pas en pratique impossible un changement de nom au titre des motifs affectifs ou de la possession d'état, est effectivement proportionnée à l'objectif poursuivi par le législateur. Dans ces conditions, la question prioritaire de constitutionnalité ne présente pas un caractère sérieux. Il n'y a donc pas lieu de la transmettre au Conseil d'État.

Sur le bien fondé du jugement attaqué :

5. Aux termes de l'article 61 du code civil : " Toute personne qui justifie d'un intérêt légitime peut demander à changer de nom. La demande de changement de nom peut avoir pour objet d'éviter l'extinction du nom porté par un ascendant ou un collatéral du demandeur jusqu'au quatrième degré. Le changement de nom est autorisé par décret ". Des motifs d'ordre affectif peuvent, dans des circonstances exceptionnelles, caractériser l'intérêt légitime requis par l'article 61 du code civil pour déroger aux principes de dévolution et de fixité du nom établis par la loi.

6. Il ressort des pièces du dossier que les requérants, nés en 1995, 1996 et 1999, ont porté à leur naissance le nom de leur père, " Le Floch ", conformément aux règles de dévolution du nom de famille alors applicables. Par un jugement du 29 octobre 2008, le tribunal de grande instance a prononcé l'adoption simple de M. E...F..., père des requérants, par M. B...et énoncé qu'il porterait désormais le nom de "F...-B... ". Ce jugement ordonne la mention du changement du nom du père et de ses enfants mineurs en marge des actes de naissance. Pour demander le changement de leur nom en " F...-I... ", les requérants se bornent à faire valoir que le nom " I... " est celui de leur mère et qu'ils font usage du nom sollicité depuis leur naissance. S'ils font également état de troubles psychologiques, ils se bornent à produire des certificats médicaux établis les 15 juin, 1er juillet et 5 juillet 2016 par un psychiatre, qui se limitent à indiquer que des refus seraient susceptibles d'avoir des effets préjudiciables sur leur santé psychique, aucun trouble ou préjudice en lien avec le port du nom " Le Floch-B... " n'étant avérés. Les requérants ne font ainsi état d'aucune circonstance exceptionnelle de nature à caractériser l'intérêt légitime requis pour déroger aux principes de dévolution et de fixité du nom établis par la loi.

7. Les requérants soutiennent qu'ils portent le nom sollicité depuis leur naissance. Toutefois, en produisant, en ce qui concerne H...Le Floch-B..., des documents se rattachant à ses activités scolaires et sportives, en ce qui concerne Marie Le Floch-B..., des documents administratifs ou se rattachant à ses activités scolaires et, en ce qui concerne Antoine

Le Floch-B..., une attestation, un certificat de baptême et un document lié à son activité sportive, ils n'établissent pas que la possession d'état dont ils entendent se prévaloir présente un caractère suffisamment ancien et constant pour justifier le changement de nom sollicité.

8. Les requérants font valoir que H...Le Floch-B..., âgé de plus de treize ans à la date du jugement d'adoption du 29 octobre 2008, n'a pas consenti au changement de nom et que le garde des sceaux, ministre de la justice a ainsi méconnu les dispositions de l'article 61-3 du code civil, qui disposent que : " Tout changement de nom de l'enfant de plus de treize ans nécessite son consentement personnel lorsque ce changement ne résulte pas de l'établissement ou d'une modification d'un lien de filiation. / L'établissement ou la modification du lien de filiation n'emporte cependant le changement du nom de famille des enfants majeurs que sous réserve de leur consentement ". Toutefois, ce moyen est inopérant, dès lors que le litige porte sur l'appréciation de l'existence ou non d'un intérêt légitime, pour l'application du premier alinéa de l'article 61 du code civil et non de l'article 61-3 du même code.

9. Il résulte de ce qui a été dit précédemment que le garde des sceaux, ministre de la justice n'a pas commis d'erreur d'appréciation en refusant d'autoriser le changement du nom des requérants en " Le Floch-I... ". Au regard des buts en vue desquels elles ont été prises, les décisions contestées ne portent par ailleurs pas une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée et familiale garanti par les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

10. Il résulte de tout ce qui précède que M. H...F...-B..., Mme A...

F...-B... et M. D...F...-B... ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a rejeté leur demande. Leurs conclusions à fin d'annulation, ainsi que, par voie de conséquence, celles à fin d'injonction, doivent dès lors être rejetées.

Sur les frais liés au litige :

11. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que M. H...F...-B..., Mme A...F...-B... et M. D...F...-B... demandent au titre des frais qu'ils ont exposés.

DÉCIDE :

Article 1er : Il n'y a pas lieu de transmettre au Conseil d'État la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par M. H...F...-B..., Mme A...F...-B... et M. D... F...-B....

Article 2 : La requête de M. H...F...-B..., Mme A...F...-B... et M. D...

F...-B... est rejetée.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. H...F...-B..., Mme A...F...-B..., M. D...F...-B... et au garde des sceaux, ministre de la justice.

Délibéré après l'audience du 28 février 2019, à laquelle siégeaient :

- M. Diémert, président de la formation de jugement en application des articles L. 234-3 (premier alinéa) et R. 222-6 (premier alinéa) du code de justice administrative,

- M. Legeai, premier conseiller,

- M. Platillero, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 21 mars 2019.

Le rapporteur,

F. PLATILLEROLe président,

S. DIÉMERTLe greffier,

M. C...La République mande et ordonne au garde des sceaux, ministre de la justice en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 18PA01314


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 18PA01314
Date de la décision : 21/03/2019
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

26-01-03 Droits civils et individuels. État des personnes. Changement de nom patronymique.


Composition du Tribunal
Président : M. DIEMERT
Rapporteur ?: M. Fabien PLATILLERO
Rapporteur public ?: Mme NGUYÊN-DUY
Avocat(s) : BENEDETTI

Origine de la décision
Date de l'import : 02/04/2019
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2019-03-21;18pa01314 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award