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21/11/2019 | FRANCE | N°18PA00712

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 8ème chambre, 21 novembre 2019, 18PA00712


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. D... E... a demandé au tribunal administratif de Melun de condamner solidairement l'Assistance publique - hôpitaux de Paris et l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des infections nosocomiales et des affections iatrogènes (ONIAM) à lui verser la somme totale de 1 041 880,33 euros en réparation des préjudices subis du fait de l'infection nosocomiale contractée lors de sa prise en charge à l'hôpital Henri Mondor de Créteil.

Par un jugement n° 1509775 du 22 décembre 2017, l

e tribunal administratif de Melun a :

- mis hors de cause l'Office national d'...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. D... E... a demandé au tribunal administratif de Melun de condamner solidairement l'Assistance publique - hôpitaux de Paris et l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des infections nosocomiales et des affections iatrogènes (ONIAM) à lui verser la somme totale de 1 041 880,33 euros en réparation des préjudices subis du fait de l'infection nosocomiale contractée lors de sa prise en charge à l'hôpital Henri Mondor de Créteil.

Par un jugement n° 1509775 du 22 décembre 2017, le tribunal administratif de Melun a :

- mis hors de cause l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des infections nosocomiales et des affections iatrogènes ;

- condamné l'Assistance publique - hôpitaux de Paris à verser à M. E... une somme de 28 135,14 euros ;

- condamné l'Assistance publique - hôpitaux de Paris à verser au régime social des indépendants Ile-de-France Est une somme de 23 774,60 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 29 juin 2017 et de leur capitalisation, ainsi qu'une somme de 1 055 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion ;

- mis à la charge de l'Assistance publique - hôpitaux de Paris une somme de

2 500 euros à verser à M. E... et une somme de 1 500 euros à verser au régime social des indépendants Ile-de-France Est au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

- rejeté le surplus des conclusions de la demande de M. E....

Procédure devant la Cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 28 février 2018 et 3 avril 2019, M. E..., représenté par Me C..., demande à la Cour dans le dernier état de ses écritures :

1°) d'annuler l'article 1er du jugement n° 1509775 du 22 décembre 2017 du tribunal administratif de Melun ;

2°) de réformer ce jugement en tant qu'il a limité la somme mise à la charge de l'Assistance publique - hôpitaux de Paris au titre de l'indemnisation de ses préjudices à 28 135,14 euros ;

3°) de condamner solidairement l'Assistance publique - hôpitaux de Paris et l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des infections nosocomiales et des affections iatrogènes à lui verser la somme totale de 1 041 880,33 euros en réparation de ses préjudices, assortie des intérêts au taux légal à compter du 16 avril 2012 et de leur capitalisation ;

4°) de rejeter la demande d'imputation des sommes versées par la caisse régionale du régime social des indépendants Ile-de-France Est sur les postes de préjudices tenant à la perte temporaire de revenus, à la perte de gains professionnels futurs et à l'incidence professionnelle ainsi qu'au déficit fonctionnel permanent ;

5°) de mettre à la charge de l'Assistance publique - hôpitaux de Paris et de l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des infections nosocomiales et des affections iatrogènes la somme de 5 000 euros chacun au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- le jugement est irrégulier dès lors qu'il n'est pas signé en méconnaissance des dispositions de l'article R. 741-7 du code de justice administrative ;

- il est insuffisamment motivé quant à la mise hors de cause de l'ONIAM, quant à l'évaluation de sa perte de revenus, de son préjudice économique et commercial, des frais d'assistance par un avocat, du déficit fonctionnel temporaire, du déficit fonctionnel permanent, des souffrances endurées, des préjudices esthétiques temporaire et permanent, du préjudice d'agrément et du préjudice sexuel ;

- le tribunal a omis de répondre à la demande d'annualisation et de capitalisation de la dépense impliquée par la conduite d'un véhicule adapté ;

- c'est à tort que les premiers juges ont mis hors de cause l'ONIAM alors qu'il a été en arrêt de travail du 16 septembre 2010 au 30 août 2011, soit pendant plus de 11 mois consécutifs, et qu'il a présenté un déficit fonctionnel temporaire total pendant la période du

22 septembre au 7 octobre 2010 ainsi qu'un déficit fonctionnel temporaire partiel évalué à

75 % pendant la période comprise entre le 8 octobre 2010 et le 27 mars 2011 ; l'ONIAM devra être condamné solidairement avec l'Assistance publique - hôpitaux de Paris à réparer ses préjudices subis du fait de l'infection nosocomiale ;

- le tribunal a insuffisamment évalué sa perte de revenus et a méconnu le principe de réparation intégrale de ce préjudice alors que l'Assistance publique - hôpitaux de Paris avait expressément accepté de l'indemniser à hauteur de la somme qu'il sollicitait, soit

85 175 euros déduction faite de la provision reçue de 25 745,57 euros ; il conviendra de lui allouer cette somme ;

- s'agissant de son préjudice économique et commercial, le lien de causalité entre la durée de l'interruption de son activité professionnelle imputable à l'infection nosocomiale et les difficultés financières de la société Deco Styl, privée de dirigeant et d'impulsion, est établi ; ce long arrêt de travail a également été préjudiciable à l'activité de la société Climatec ;

- c'est à tort que les premiers juges ont rejeté toute indemnisation du préjudice tiré de la perte des gains futurs et ont limité l'indemnisation de l'incidence professionnelle à la somme de 7 500 euros ; le jugement est entaché de contradictions, le tribunal ne pouvant pas reconnaître les " limitations professionnelles actuelles " dont il souffre, liées à hauteur de

80 % aux conséquences de l'infection nosocomiale, pour estimer ensuite que ces limitations n'ont eu aucun impact sur son activité professionnelle et ses revenus ; de fait, une pension d'invalidité lui a été accordée à compter du 1er janvier 2013 ;

- il doit être indemnisé des frais actuels et futurs liés à l'achat d'un véhicule adapté ;

- les premiers juges ne pouvaient pas retenir une indemnisation forfaitaire des frais d'assistance par un avocat alors qu'il produisait un justificatif de ces frais ;

- la somme de 9 880 euros doit lui être allouée au titre des frais d'assistance par une tierce personne ;

- la somme de 110 920,57 euros doit lui être allouée au titre de la perte de revenus ; de cette somme a déjà été soustrait le montant des indemnités et pensions versées par le régime social des indépendants ; ce dernier lui a versé la somme totale de 97 090,80 euros au titre des indemnités journalières et de la pension d'invalidité et non la somme de 135 902,60 euros ; l'imputation de la créance de la caisse locale déléguée pour la sécurité sociale des travailleurs indépendants revient en réalité à le priver de l'indemnisation de son préjudice et méconnait son droit à la réparation intégrale de celui-ci ; à titre subsidiaire, elle ne produit aucun justificatif ni relevé détaillé au soutien de ses affirmations et elle ne justifie pas de l'imputabilité à l'infection nosocomiale des indemnités journalières et de la pension d'invalidité qu'elle lui a versées ;

- la somme de 100 000 euros doit lui être allouée au titre du préjudice économique commercial ;

- la somme de 10 000 euros doit lui être allouée au titre des frais d'assistance par un avocat ;

- la somme de 5 613,20 euros doit lui être allouée au titre du déficit fonctionnel temporaire ; à titre subsidiaire, l'Assistance publique - hôpitaux de Paris sera condamnée à lui verser la somme de 4 393,93 euros correspondant à un taux journalier de 13 euros appliqué à l'ensemble des périodes de déficit temporaire fonctionnel ;

- la somme de 15 000 euros doit lui être allouée en réparation des souffrances endurées évaluées à 4,5/7 ;

- le tribunal a omis de distinguer entre les préjudices esthétiques temporaire et définitif ;

- la somme de 5 000 euros doit lui être allouée en réparation du préjudice esthétique temporaire évalué par l'expert à 3/7 ;

- la somme de 678 796,58 euros doit lui être allouée au titre de la perte de gains professionnels futurs et de l'incidence professionnelle ;

- la somme de 53 669,88 euros doit lui être allouée au titre des frais actuels et futurs de véhicule adapté ;

- la somme de 30 000 euros doit lui être allouée au titre du déficit fonctionnel permanent fixé à 15 % par l'expert mandaté par sa compagnie d'assurance après un examen médical réalisé le 17 décembre 2013 ; à titre subsidiaire, l'indemnité allouée ne saurait être inférieure à 10 518,50 euros pour un déficit fonctionnel permanent fixé à 7 % ;

- la somme de 10 000 euros doit lui être allouée en réparation du préjudice d'agrément qui a été reconnu par l'expert, la commission régionale de conciliation et d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales et l'Assistance publique - hôpitaux de Paris ;

- la somme de 8 000 euros doit lui être allouée au titre du préjudice esthétique permanent ;

- son préjudice sexuel doit être indemnisé à hauteur de 5 000 euros.

Par un mémoire en défense, enregistré le 19 avril 2018, l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des infections nosocomiales et des affections iatrogènes, représenté par Me B..., conclut au rejet des conclusions de la requête tendant à l'annulation de l'article 1er du jugement du 22 décembre 2017 du tribunal administratif de Melun.

Il soutient que la demande de condamnation solidaire de l'Assistance publique - hôpitaux de Paris et de l'ONIAM n'est pas fondée dès lors que, d'une part, seule l'Assistance publique - hôpitaux de Paris est intervenue dans la prise en charge médicale de M. E... et, d'autre part, que ce dernier ne remplit pas le critère de gravité permettant en cas d'infection nosocomiale de bénéficier d'une prise en charge par la solidarité nationale, le déficit fonctionnel permanent dont il est atteint étant évalué à 7 % ; l'Assistance publique - hôpitaux de Paris ne conteste pas sa responsabilité ; le requérant ne peut utilement se prévaloir du critère tiré d'un arrêt de travail supérieur à six mois prévu par l'article D. 1142-1 du code de la santé publique, celui-ci étant uniquement applicable aux accidents médicaux non fautifs.

Par des mémoires, enregistrés les 3 mai 2018, 7 juin 2018, 15 et 25 février 2019,

26 mars 2019 et 3 avril 2019, la caisse locale déléguée pour la sécurité sociale des travailleurs indépendants, venant aux droits et obligations de la caisse régionale du régime social des indépendants Ile-de-France Est, représentée par Me A..., demande à la Cour :

1°) de réformer le jugement du 22 décembre 2017 du tribunal administratif de Melun en tant qu'il n'a pas entièrement fait droit à la demande de la caisse régionale du régime social des indépendants Ile-de-France Est ;

2°) de condamner l'Assistance publique - hôpitaux de Paris à lui verser la somme de 40 572,11 euros en remboursement des prestations en nature prises en charge, assortie des intérêts au taux légal à compter du 13 janvier 2016, date de sa première demande pour la somme de 20 439,72 euros ;

3°) de condamner l'Assistance publique - hôpitaux de Paris à lui verser la somme de 38 554,94 euros en remboursement des indemnités journalières versées à M. E..., assortie des intérêts au taux légal à compter du 13 janvier 2016 ;

4°) de condamner l'Assistance publique - hôpitaux de Paris à lui verser la somme de 12 690,23 euros correspondant aux arrérages échus de la pension d'invalidité versée à

M. E... du 1er janvier 2013 au 31 septembre 2013 avant consolidation, assortie des intérêts au taux légal à compter du 13 janvier 2016 ;

5°) de condamner l'Assistance publique - hôpitaux de Paris à lui verser la somme de 50 500,89 euros correspondant aux arrérages échus de la pension d'invalidité versée à

M. E... du 1er octobre 2013 au 31 décembre 2018, assortie des intérêts au taux légal à compter du 13 janvier 2016, date de sa première demande pour la somme de 44 252,14 euros, à compter du 3 mai 2018 pour la somme de 2 111,60 euros, à compter du 7 juin 2018 pour la somme de 3 341,44 euros et à compter du 3 avril 2019 pour le surplus de 795,71 euros ;

6°) de condamner l'Assistance publique - hôpitaux de Paris à lui verser la somme correspondant aux arrérages à échoir de la pension d'invalidité versée à M. E... du

1er janvier 2019 à la date de lecture de l'arrêt ;

7°) d'assortir ces sommes de la capitalisation des intérêts dans les conditions de l'article 1343-2 du code civil ;

8°) de condamner l'Assistance publique - hôpitaux de Paris à lui verser la somme de 6 616,24 euros au titre des frais futurs engagés pour le compte de M. E... ;

9°) de condamner l'Assistance publique - hôpitaux de Paris à lui verser la somme de 1 080 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion de l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale ;

10°) à titre subsidiaire, de confirmer le jugement du 22 décembre 2017 du tribunal administratif de Melun sauf à porter le montant de l'indemnité forfaitaire de gestion à la somme de 1 080 euros ;

11°) de mettre à la charge de l'Assistance publique - hôpitaux de Paris la somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que sa créance actuelle s'élève à la somme de 144 620,59 euros se décomposant en dépenses de santé actuelles à hauteur de 40 572,11 euros, en indemnités journalières versées du 6 septembre 2010 au 31 décembre 2012 à hauteur de 38 554,94 euros, en arrérages échus de la pension d'invalidité versée à M. E... du 1er janvier 2013 au 31 mai 2018 pour un montant de 61 877,30 euros, et en dépenses de santé futures à hauteur de 6 616,24 euros ; sont également dus les arrérages à échoir de la pension d'invalidité pour la période comprise entre le 1er juin 2017 et la date de l'arrêt à intervenir.

Par un mémoire en défense, enregistré le 12 mars 2019, l'Assistance publique - hôpitaux de Paris, représentée par Me F..., conclut au rejet de la requête et demande à la Cour, par la voie de l'appel incident, de réformer le jugement du 22 décembre 2017 du tribunal administratif de Melun en tant qu'il a évalué à 9 950,38 euros les frais d'assistance par tierce personne et à 2 000 euros le préjudice esthétique de M. E....

Elle soutient que :

- l'évaluation du nombre d'heures d'assistance par une tierce personne doit tenir compte du fait que celles-ci ne sont pas entièrement imputables à l'infection nosocomiale ; en outre, il convient d'exclure la période du 28 mars au 4 avril 2011 et celle du 18 au 20 juillet 2011 qui sont intégralement imputables à la pseudarthrose et pendant lesquelles en tout état de cause M. E... était hospitalisé ; il s'ensuit que seules 437 heures d'assistance par une tierce personne doivent être admises correspondant à une indemnité de 5 681 euros ; la somme de 9 950, 38 euros allouée par les premiers juges doit ainsi être ramenée à

5 681 euros ;

- c'est à bon droit que les premiers juges ont fixé à la somme de 20 084,76 euros la part de la perte de gains professionnels intégralement imputable à l'infection nosocomiale ;

- s'agissant du préjudice économique, commercial et financier, M. E... est irrecevable à poursuivre l'indemnisation de la perte liée au rachat des parts de la société

Deco Styl' dès lors que ces parts ont été acquises par la société Climatec ; la société

Deco Styl' présentait un déficit depuis 2009 ; le lien de causalité entre les conséquences dommageables de l'infection nosocomiale et le déficit de la société en 2011 n'est pas établi ; en tout état de cause, l'accident de circulation de M. E... aurait entraîné un arrêt de travail d'au moins six mois, du 4 septembre 2010 au 5 mars 2011 ; l'arrêt de travail du

6 mars 2011 au 5 février 2012 n'est imputable à l'infection nosocomiale qu'à hauteur de

50 % ;

- c'est à bon droit que les premiers juges ont limité à la somme de 1 500 euros l'indemnité allouée au titre des frais d'assistance par un avocat ;

- les premiers juges ont fait une juste appréciation du déficit fonctionnel temporaire et des souffrances endurées par M. E... en allouant respectivement les sommes de 5 613,20 euros et de 7 500 euros ;

- la somme de 5 000 euros sollicitée au titre du préjudice esthétique temporaire devra être ramenée à de plus justes proportions, l'indemnisation de ce préjudice ne devant pas excéder 400 euros ;

- M. E... ne justifie pas d'une perte de gains professionnels futurs ;

- c'est par une juste évaluation que les premiers juges ont fixé à la somme de

7 500 euros le montant de l'indemnité destinée à compenser l'incidence professionnelle des séquelles de l'infection nosocomiale ;

- s'agissant des frais de véhicule adapté, seul le différentiel de prix entre un véhicule à boîte de vitesses automatique et un véhicule à boîte de vitesses manuelle est susceptible d'être regardé comme directement imputable à l'infection nosocomiale ; il est constant qu'un tel différentiel est de l'ordre de 1 500 euros ; le montant capitalisé de l'indemnité ne saurait donc excéder la somme de 5 832 euros ;

- la somme de 5 000 euros sollicitée au titre du préjudice esthétique temporaire devra être ramenée à de plus justes proportions ;

- les premiers juges ont fait une juste appréciation du déficit fonctionnel permanent en l'évaluant à 13 500 euros ;

- le requérant ne justifiant pas avoir pratiqué une activité sportive particulière avant de contracter l'infection nosocomiale, sa demande indemnitaire au titre du préjudice d'agrément doit être rejetée ;

- le préjudice esthétique permanent évalué à 2/7 justifie une indemnité de

1 850 euros et le jugement attaqué devra être réformé en ce sens ;

- les premiers juges ont fait une juste appréciation du préjudice sexuel en l'évaluant à 500 euros.

Vu les autres pièces des dossiers.

Vu :

- le code de la santé publique ;

- le code de la sécurité sociale ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme G...,

- les conclusions de Mme Bernard, rapporteur public,

- et les observations de Me C..., avocat de M. E....

Considérant ce qui suit :

1. Il résulte de l'instruction que le 3 septembre 2010, M. E..., alors âgé de

38 ans, a été victime d'un accident de la circulation sur la voie publique. Présentant une grave fracture du tibia gauche, associée à une fracture du quart inférieur et externe de la rotule gauche, il a subi une intervention chirurgicale le 4 septembre 2010 à l'hôpital Henri Mondor de Créteil consistant en la mise en place d'un fixateur externe sans ouverture du foyer osseux. Les suites de cette intervention ont été marquées par la survenue, le 20 septembre 2010, d'une infection à staphylocoque doré sensible à la méticilline qui a nécessité une antibiothérapie et une reprise chirurgicale pour lavage articulaire du genou réalisée le 22 septembre 2010. Le

29 août 2012, en raison d'une raideur du genou liée à l'arthrite septique, M. E... s'est vu poser une prothèse totale du genou lors de sa prise en charge à l'hôpital Ambroise-Paré.

2. Le 16 avril 2012, M. E... a saisi la commission régionale de conciliation et d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales d'Ile-de-France (CRCI). Après avoir diligenté une expertise, la CRCI a estimé, par un avis du 20 décembre 2012, que la réparation des préjudices de M. E... en raison de l'infection nosocomiale qu'il avait contractée incombait à l'Assistance publique - hôpitaux de Paris (AP-HP), invitait cette dernière à formuler une offre d'indemnité provisionnelle et décidait que l'état de l'intéressé n'étant pas consolidé, il serait procédé à une seconde expertise après consolidation. Par un courrier du 8 juillet 2013, l'AP-HP a proposé à

M. E... une indemnité provisionnelle de 38 600 euros qu'il a acceptée. Par un avis du 25 novembre 2014, rendu à la suite de la seconde expertise, la CRCI a notamment indiqué que la date de consolidation de l'état de M. E... pouvait être fixée au 24 septembre 2013 et a fixé les chefs de préjudices qu'il incombait à l'AP-HP de réparer. Par un courrier du

17 novembre 2015, l'AP-HP a proposé à M. E... une indemnisation de 138 945 euros, dont 38 600 euros correspondant à la provision préalablement versée à déduire. M. E... n'a pas accepté cette proposition et a saisi, le 27 novembre 2015, le tribunal administratif de Melun d'une demande tendant à la condamnation solidaire de l'AP-HP et de l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des infections nosocomiales et des affections iatrogènes (ONIAM) à lui verser la somme totale de 1 041 880,33 euros en réparation des préjudices subis du fait de l'infection nosocomiale contractée lors de sa prise en charge à l'hôpital Henri Mondor de Créteil. M. E... relève appel du jugement du 22 décembre 2017 en tant que le tribunal a mis hors de cause l'ONIAM et n'a pas entièrement fait droit à sa demande indemnitaire. L'AP-HP demande à la Cour, par la voie de l'appel incident, de réformer ce jugement en tant qu'il a évalué de manière excessive à 9 950,38 euros les frais d'assistance par tierce personne et à 2 000 euros le préjudice esthétique de M. E.... La caisse locale déléguée pour la sécurité sociale des travailleurs indépendants, venant aux droits et obligations de la caisse régionale du régime social des indépendants Ile-de-France Est, présente également devant la Cour des conclusions incidentes tendant à la réformation de ce même jugement en tant qu'il n'a pas entièrement fait droit à la demande de la caisse régionale du régime social des indépendants Ile-de-France Est.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

3. Aux termes de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique : " I. Hors le cas où leur responsabilité est encourue en raison d'un défaut d'un produit de santé, les professionnels de santé mentionnés à la quatrième partie du présent code, ainsi que tout établissement, service ou organisme dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins ne sont responsables des conséquences dommageables d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu'en cas de faute./ Les établissements, services et organismes susmentionnés sont responsables des dommages résultant d'infections nosocomiales, sauf s'ils rapportent la preuve d'une cause étrangère. / II. - Lorsque la responsabilité d'un professionnel, d'un établissement, service ou organisme mentionné au I ou d'un producteur de produits n'est pas engagée, un accident médical, une affection iatrogène ou une infection nosocomiale ouvre droit à la réparation des préjudices du patient, et, en cas de décès, de ses ayants droit au titre de la solidarité nationale, lorsqu'ils sont directement imputables à des actes de prévention, de diagnostic ou de soins et qu'ils ont eu pour le patient des conséquences anormales au regard de son état de santé comme de l'évolution prévisible de celui-ci et présentent un caractère de gravité, fixé par décret, apprécié au regard de la perte de capacités fonctionnelles et des conséquences sur la vie privée et professionnelle mesurées en tenant notamment compte du taux d'atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique, de la durée de l'arrêt temporaire des activités professionnelles ou de celle du déficit fonctionnel temporaire./ Ouvre droit à réparation des préjudices au titre de la solidarité nationale un taux d'atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique supérieur à un pourcentage d'un barème spécifique fixé par décret ; ce pourcentage, au plus égal à 25 %, est déterminé par ledit décret". En vertu des articles L. 1142-17 et L. 1142-22 du même code, la réparation au titre de la solidarité nationale est assurée par l'ONIAM.

4. Aux termes de l'article D. 1142-1 du code de la santé publique : " Le pourcentage mentionné au dernier alinéa de l'article L. 1142-1 est fixé à 24 %. Présente également le caractère de gravité mentionné au II de l'article L. 1142-1 un accident médical, une affection iatrogène ou une infection nosocomiale ayant entraîné, pendant une durée au moins égale à six mois consécutifs ou à six mois non consécutifs sur une période de douze mois, un arrêt temporaire des activités professionnelles ou des gênes temporaires constitutives d'un déficit fonctionnel temporaire supérieur ou égal à un taux de 50 %. A titre exceptionnel, le caractère de gravité peut être reconnu : 1° Lorsque la victime est déclarée définitivement inapte à exercer l'activité professionnelle qu'elle exerçait avant la survenue de l'accident médical, de l'affection iatrogène ou de l'infection nosocomiale ; 2° Ou lorsque l'accident médical, l'affection iatrogène ou l'infection nosocomiale occasionne des troubles particulièrement graves, y compris d'ordre économique, dans ses conditions d'existence. ".

5. Il résulte de l'instruction, en particulier du rapport d'expertise diligentée par la CRCI et déposé le 26 octobre 2012 que M. E... n'était porteur d'aucune infection à son arrivée au centre hospitalier Henri-Mondor de Créteil le 3 septembre 2010. Si la nature de la grave fracture du tibia de l'intéressé, associée à des dermabrasions étendues et à une contusion musculaire importante nécessitant la réalisation d'aponévrotomies de décharge, étaient de nature à augmenter le risque infectieux, ces éléments ne constituaient pas pour autant selon les experts une cause étrangère à l'infection par un staphylocoque doré contractée par M. E.... Cette infection doit ainsi être regardée comme trouvant sa cause dans l'intervention chirurgicale subie par le patient le 4 septembre 2010. Par suite, elle présente le caractère d'une infection nosocomiale. Il ressort du second rapport d'expertise diligentée par la CRCI et remis le 15 septembre 2014 que du 28 août 2012 au 18 juin 2013, M. E... a été en arrêt de travail en raison de la seule infection nosocomiale, soit pendant une période de plus de six mois consécutifs. Par suite, et même si l'expert a évalué l'atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique résultant des séquelles de l'infection nosocomiale dont il demeure atteint à seulement 5 %, l'infection nosocomiale contractée par M. E... répond au critère de gravité fixé par l'article D. 1142-1 précité du code de la santé publique ouvrant droit à une réparation au titre de la solidarité nationale. Il s'ensuit que la réparation des préjudices de M. E... doit être assurée à ce titre par l'ONIAM et non par l'AP-HP. Les conclusions présentées par M. E... et dirigées contre l'AP-HP doivent donc être rejetées.

6. Il résulte de ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'examiner les moyens tirés de l'irrégularité du jugement, que le jugement du 22 décembre 2017 du tribunal administratif de Melun doit être annulé en toutes ses dispositions.

Sur l'évaluation des préjudices de M. E... :

En ce qui concerne les préjudices patrimoniaux :

S'agissant des préjudices patrimoniaux temporaires :

Sur les frais d'assistance par un avocat :

7. Il résulte de l'instruction, notamment des notes de frais et honoraires des 10 avril 2012 et 16 juillet 2013 que M. E... a exposé des frais d'avocat dans le cadre de la procédure amiable devant la CRCI pour un montant total justifié de 5 161,93 euros. Par suite, il y a lieu de faire droit à la demande de M. E... et de mettre à la charge de l'ONIAM ces frais.

Sur les frais d'assistance par une tierce personne :

8. Il résulte de l'instruction, et notamment du rapport d'expertise du 15 septembre 2014, que l'état de santé de M. E... a justifié une aide humaine non spécialisée exclusivement en rapport avec la complication infectieuse nosocomiale à raison de deux heures par jour du 8 octobre 2010 au 27 mars 2011, soit 342 heures, d'une heure par jour du

5 avril 2011 au 17 juillet 2011, soit 104 heures, de trois heures par semaine pour les périodes pendant lesquelles il a présenté un déficit fonctionnel temporaire partiel à 40 %, soit les périodes du 21 juillet 2011 au 27 août 2012 et du 8 septembre 2012 au 31 janvier 2013 (78 semaines et trois jours au total), soit 235,5 heures et, enfin, de deux heures par semaine pour les périodes pendant lesquelles le déficit fonctionnel temporaire partiel était de 25 % soit du 1er février 2013 au 24 septembre 2013 (34 semaines et trois jours), soit 69 heures. Il convient de retenir le taux horaire de 13 euros sollicité par M. E..., qui a bénéficié de l'aide de sa compagne pendant les périodes en cause. Par suite, il conviendra de mettre à ce titre à la charge de l'ONIAM la somme de 9 756,50 euros.

Sur la perte de revenus :

9. Il résulte de l'instruction qu'à la date à laquelle M. E... a contracté l'infection nosocomiale en cause, il exerçait l'activité de gérant de deux sociétés, les sociétés Deco Styl' et Climatec. Il ressort de ses avis d'impôt sur le revenu qu'il a déclaré dans la catégorie des salaires, pour les deux années précédant celle pendant laquelle s'est réalisé le dommage, soit les années 2008 et 2009, respectivement 70 170 euros et 79 694 euros correspondant à un salaire annuel moyen de 75 000 euros. Il résulte de l'expertise que la seule fracture du tibia de M. E..., en raison de sa gravité, aurait en tout état de cause entraîné un arrêt de travail d'une durée de six mois du 4 septembre 2010 au 5 mars 2011. Ainsi, le requérant n'est pas fondé à se prévaloir d'une perte de revenus au titre de 2010 qui serait imputable à l'infection nosocomiale pour la période du 4 septembre 2010 au 31 décembre 2010.

10. Il ressort de l'expertise que pour la période comprise entre le 6 mars 2011 et le

31 décembre 2011, l'arrêt de l'activité professionnelle du requérant est imputable pour 50 % à l'infection nosocomiale. Toutefois, l'expert relève également que pour la période allant du

6 mars au 20 juillet 2011, la pseudarthrose présentée par M. E... et qui ne résulte pas de l'infection nosocomiale a entraîné à elle seule un déficit fonctionnel temporaire de plus de 30 %. Ainsi, M. E..., qui ne pouvait pas en tout état de cause poursuivre son activité professionnelle pendant cette période, n'est pas fondé à se prévaloir d'une perte de revenus due à l'infection nosocomiale pendant cette même période. Il ressort de l'avis d'impôt sur les revenus de M. E... que celui-ci a déclaré 62 515 euros dans la catégorie des salaires au titre de 2011, soit une perte de salaires annuelle de 12 485 euros. Pour la période comprise entre le 21 juillet 2011 et le 31 décembre 2011, la perte de salaire de M. E... est donc de 5 548,88 euros dont la moitié est imputable à l'infection nosocomiale, soit 2 774,44 euros.

11. Il ressort de l'avis d'impôt sur les revenus que le requérant a déclaré dans la catégorie des salaires au titre de 2012, 69 492 euros. M. E... justifie ainsi d'une perte annuelle de salaires de 12 485 euros, soit une perte mensuelle de 459 euros. Pour la période comprise entre le 1er janvier 2012 et le 5 février 2012, l'arrêt de l'activité professionnelle du requérant est imputable à hauteur de 50% à l'infection nosocomiale correspondant à une perte de salaires de 267,75 euros. L'arrêt de travail de M. E... pour la période couvrant le reste de l'année 2012 est entièrement imputable à l'infection nosocomiale, soit une perte de revenus de 4 941,9 euros. Il ressort de l'avis d'impôt sur les revenus de M. E... que celui-ci a déclaré dans la catégorie des salaires au titre de 2013, 60 249 euros, soit une perte de salaires annuelle de 14 751 euros correspondant à une perte de salaires mensuelle de 1 229,25 euros. Pour la période comprise entre le 1er janvier 2013 et le 18 juin 2013, date de la reprise de son activité professionnelle par M. E..., ce dernier a ainsi subi une perte de revenus entièrement imputable à l'infection nosocomiale de 6 842,82 euros. Ainsi,

M. E... justifie d'une perte de revenus imputable à l'infection nosocomiale qu'il a contractée d'un montant total de 14 826,91 euros.

12. Toutefois, il résulte de l'instruction que M. E... a perçu des indemnités journalières de la caisse régionale du régime social des indépendants Ile-de-France Est qui lui ont été versées pour la période du 6 septembre 2010 au 31 décembre 2012 pour un montant total de 38 554,94 euros, soit 48,08 euros par jour. Comme il a déjà été dit, les seules périodes d'arrêt de travail imputables à l'infection nosocomiale sont les périodes comprises entre le

21 juillet 2011 et le 31 décembre 2011 et entre 1er janvier 2012 et le 5 février 2012 pour 50 % ainsi que la période du 6 février au 31 décembre 2012 pour lesquelles le requérant a perçu, en raison de l'infection nosocomiale, respectivement 4 182,96 euros, 865,44 euros et

15 770, 24 euros, au titre des indemnités journalières soit un total de 20 818,64 euros. Par ailleurs, il ressort du relevé établi par la caisse régionale du régime social des indépendants Ile-de-France Est que M. E... a perçu une pension d'invalidité du 1er janvier 2013 au

30 mai 2017 (53 mois) pour un montant de 58 535,86 euros soit 1 104,45 euros par mois. Pour la période du 1er janvier 2013 au 18 juin 2013, date de la reprise de son activité professionnelle par M. E..., la pension d'invalidité doit être regardée comme entièrement imputable à l'infection nosocomiale pour un montant de 6 184,92 euros.

13. Il résulte des points 10, 11 et 12 que la perte de revenus de M. E... imputable à l'infection nosocomiale qui s'élève à 14 826,91 euros a été entièrement compensée par les indemnités journalières et la pension d'invalidité d'un montant de 27 003,56 euros qui lui ont été versées par la caisse régionale du régime social des indépendants Ile-de-France Est en raison de cette même infection.

Sur la perte de revenus à compter de 2014 :

14. Comme il a été déjà été dit, avant de contracter l'infection nosocomiale en cause, M. E... disposait d'un salaire annuel moyen de 75 000 euros. Il ressort des avis d'impôt sur le revenu produits au dossier que le requérant a déclaré au titre de 2014, 68 383 euros dans la catégorie des salaires et 17 561 euros dans la catégorie des pensions, soit un revenu global de 85 944 euros, et, au titre de 2015, 60 000 euros et 25 846 euros au titre respectivement de ces deux catégories, soit un revenu global de 85 846 euros. M. E... n'a donc pas subi de perte de revenus au titre de ces deux années. Par ailleurs, si M. E... justifie d'une perte de revenus de 31 285 euros au titre de 2016, le lien de causalité entre cette perte de revenus et l'infection nosocomiale contractée en 2010 n'est pas établi alors notamment que

M. E... avait déclaré plus de 68 000 euros de salaires au titre de 2013. Par suite,

M. E... n'est pas fondé à demander une indemnité au titre de la perte de revenus futurs.

Sur le préjudice économique et commercial :

15. Il résulte de l'instruction que M. E... était gérant de deux SARL, la société Deco Styl', qui avait pour activité l'agencement et la rénovation de boutiques et magasins, et la société Climatec, spécialisée dans la climatisation, le chauffage, la plomberie et les travaux annexes, qui possédait la moitié des parts de la société Deco Styl' comme cela ressort de l'acte de cession de parts sociales en date du 1er juin 2010 versé au dossier. La société Deco Styl' a été placée en liquidation judiciaire par un jugement du tribunal de commerce de Créteil du 25 juillet 2012. M. E... soutient que la société Climatec accusait un déficit de 70 104,94 euros au 30 septembre 2012 alors qu'au 30 septembre 2011, le résultat était bénéficiaire à hauteur de 91 185 euros. Toutefois, comme il a été dit, les arrêts de travail de M. E... ne sont pas exclusivement dus à l'infection nosocomiale qu'il a contractée. Dans ces conditions, le lien entre l'infection nosocomiale et les difficultés dans la gestion et le développement de ces deux sociétés commerciales n'est pas direct et certain. En tout état de cause, à supposer même que ces sociétés aient subi un préjudice économique du fait de l'infection nosocomiale contractée par leur gérant, il leur appartenait de présenter pour leur propre compte une demande indemnitaire. La demande de M. E... ne peut ainsi qu'être rejetée.

Sur le manque à gagner :

16. Il résulte de l'instruction et en particulier de l'expertise, que l'état de santé de

M. E... lui interdit définitivement la pratique de professions impliquant des stations debout et des marches (surtout en terrains accidentés comme sur les chantiers), la pratique d'échelles, d'échafaudages, les positions accroupies, le port et le soulèvement de fardeaux et que l'expert a relevé que, même en l'absence de toute infection, la gravité de la fracture dont M. E... a été atteint " aurait certainement laissé persister des troubles du genou (douleurs, limitation de mobilité, peut - être instabilité) ". Dans ces conditions, les limitations professionnelles actuelles du requérant doivent être regardées comme imputables à hauteur de 80 % aux conséquences de l'infection nosocomiale et de 20 % à l'état antérieur que constituait la fracture initiale. L'expert a également relevé que si au jour de l'accident,

M. E... consacrait environ 20 % de son temps de travail aux tâches administratives, cette fraction était de 90 % lorsqu'il a repris son activité de gérance de la société Climatec le

18 juin 2013. Eu égard à l'âge de M. E... et aux séquelles dont il reste atteint, il sera fait une juste appréciation de l'incidence professionnelle subie en l'évaluant à la somme de

8 000 euros.

S'agissant des préjudices patrimoniaux temporaires :

Sur les frais de véhicule adapté :

17. Il résulte de l'instruction que l'état de santé de M. E... nécessite désormais l'utilisation d'un véhicule adapté. M. E..., qui indique ne se déplacer, jusqu'à son accident, qu'en moto, produit une facture pour l'achat d'un véhicule Mercedes avec boîte automatique d'un montant de 46 690,19 euros. Toutefois, cette facture est établie au nom de la société Climatec. Dans ces conditions, M. E... n'établit pas avoir supporté le coût d'acquisition de ce véhicule et sa demande indemnitaire à ce titre ne peut qu'être rejetée. En revanche, il convient d'accorder au requérant, lors du renouvellement tous les sept ans de son véhicule, la prise en charge par l'ONIAM, sur présentation des justificatifs, des frais supplémentaires tenant à l'acquisition d'un véhicule de classe intermédiaire disposant d'une boîte automatique.

En ce qui concerne les préjudices extra-patrimoniaux :

S'agissant des préjudices extra-patrimoniaux temporaires :

Quant au déficit fonctionnel temporaire :

18. Il résulte de l'instruction, en particulier du rapport d'expertise déposé le

15 septembre 2014, que M. E... a souffert d'un déficit fonctionnel temporaire total entièrement imputable à l'infection nosocomiale du 22 septembre 2010 au 7 octobre 2010 et du 28 août 2012 au 7 septembre 2012, soit pendant 27 jours, d'un déficit fonctionnel temporaire de 75 % pour moitié imputable à l'infection nosocomiale du 8 octobre 2010 au

27 mars 2011, soit pendant 170 jours, d'un déficit fonctionnel temporaire de 60 % pour moitié imputable à l'infection nosocomiale du 5 avril 2011 au 17 juillet 2011, soit pendant 103 jours, un déficit fonctionnel de 40 % pour moitié imputable à l'infection nosocomiale du 21 juillet 2011 au 27 août 2012, soit pendant treize mois et une semaine, un déficit fonctionnel de 40 % entièrement imputable à l'infection nosocomiale du 8 septembre 2012 au 31 janvier 2013, soit pendant 146 jours, et, enfin, un déficit fonctionnel de 25 % entièrement imputable à l'infection nosocomiale du 1er février 2013 au 24 septembre 2013, date de la consolidation de l'état de M. E..., soit pendant 236 jours. Il sera fait une juste indemnisation de ce préjudice en allouant à M. E... la somme de 5 300 euros.

Quant aux souffrances endurées :

19. Il résulte du rapport d'expertise déposé le 15 septembre 2014 que le docteur Istria, expert désigné par la CRCI, a évalué les souffrances endurées par M. E... en raison de l'infection nosocomiale contractée lors de sa prise en charge au centre hospitalier universitaire de Bicêtre à 4,5 sur une échelle de 7 et que l'expert désigné par la compagnie d'assurance de M. E..., le docteur Senbel, les a évaluées à 5,5 sur une échelle de 7. Il sera fait une juste indemnisation de ce préjudice en allouant à M. E... la somme de 11 500 euros.

Quant au préjudice esthétique temporaire :

20. Il résulte de l'instruction que l'expert désigné par la CRCI a évalué le préjudice esthétique temporaire subi par M. E... en raison de l'utilisation d'un fauteuil roulant partiellement imputable à l'infection nosocomiale du 23 septembre 2010 au 27 mars 2011, puis de la marche avec des béquilles et du port d'attelles à 3 sur une échelle de 7. Il sera fait une juste indemnisation de ce préjudice en lui accordant la somme de 2 000 euros.

S'agissant des préjudices extra-patrimoniaux permanents :

Quant au déficit fonctionnel permanent :

21. Il résulte de l'instruction, notamment du rapport d'expertise déposé le

15 septembre 2014, que M. E... a subi le 29 août 2012 une intervention chirurgicale consistant en la mise en place d'une prothèse totale du genou en raison d'une raideur du genou imputable à l'infection nosocomiale. Il persiste une limitation de mobilité du genou, des douleurs résiduelles assez importantes, une faiblesse du quadriceps, et une diminution de mobilité de la cheville engendrant des difficultés à la marche, aux escaliers et à l'accroupissement. Toutefois, l'expert relève que M. E... aurait conservé des séquelles de sa fracture en raison de sa gravité, en l'absence de toute infection nosocomiale. Il évalue l'atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique de M. E... directement imputable à l'infection nosocomiale à 7 %. Si le requérant conteste ce taux en se prévalant de celui de 15 % retenu par l'expert de sa compagnie d'assurance, il n'apporte aucun élément de nature à remettre en cause celui de l'expert désigné par la CRCI. Compte tenu du taux de 7 % et de l'âge de M. E... à la date de consolidation fixée au 24 septembre 2013, soit

41 ans, il sera fait une juste indemnisation de ce préjudice en lui accordant la somme de 13 500 euros.

Quant au préjudice esthétique permanent :

22. Il résulte de l'instruction que le docteur Istria, expert désigné par la CRCI, a évalué le préjudice esthétique permanent de M. E... a 2 sur une échelle de 7. Il sera fait une juste appréciation de ce préjudice en lui allouant la somme de 2 000 euros.

Quant au préjudice d'agrément :

23. M. E... n'établit pas avoir pratiqué des activités sportives avant sa prise en charge par le centre hospitalier universitaire Bicêtre pendant laquelle il a contracté l'infection nosocomiale en cause. Dans ces conditions, M. E... ne justifiant pas avoir subi un préjudice d'agrément, il n'y a pas lieu de condamner l'ONIAM à verser une indemnité à ce titre.

Quant au préjudice sexuel :

24. M. E... se prévaut de la raideur de son genou imputable à l'infection nosocomiale. Il sera fait une juste indemnisation du préjudice sexuel de M. E... en lui allouant la somme de 500 euros.

25. Il résulte des points 7 à 24 du présent arrêt que l'évaluation de l'ensemble des préjudices de M. E... imputables à l'infection nosocomiale s'élèvent à la somme de 57 718,43 euros de laquelle il convient de soustraire la provision d'un montant de

38 600 euros déjà versée par l'AP-HP, soit la somme restant due de 19 118,43 euros. Toutefois, la situation du requérant ne pouvant pas être aggravé en appel, il y a lieu de mettre à la charge de l'ONIAM la somme de 28 135,14 euros qui a été allouée par le tribunal administratif de Melun et non contestée par l'ONIAM devant la Cour.

26. Par ailleurs, il appartiendra à l'AP-HP de solliciter de l'ONIAM le remboursement des sommes déjà versées à M. E..., d'une part, au titre de la provision susmentionnée et, d'autre part, en exécution du jugement du 22 décembre 2017 du tribunal administratif de Melun.

Sur les intérêts et la capitalisation des intérêts :

27. M. E... a droit aux intérêts légaux à compter de la réception de sa demande indemnitaire présentée à la CRCI le 16 avril 2012.

28. La capitalisation des intérêts peut être demandée à tout moment devant le juge du fond, même si, à cette date, les intérêts sont dus depuis moins d'une année. En l'espèce,

M. E... a demandé la capitalisation des intérêts, pour la première fois, dans son mémoire enregistré au greffe de la Cour le 3 avril 2019. Il y a lieu de faire droit à cette demande à compter de cette date, à laquelle était due une année d'intérêts, ainsi le cas échéant qu'à chaque échéance annuelle à compter de cette date.

Sur la demande de la caisse locale déléguée pour la sécurité sociale des travailleurs indépendants :

29. Aux termes des deux premiers alinéas de l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale : " Lorsque, sans entrer dans les cas régis par les dispositions législatives applicables aux accidents du travail, la lésion dont l'assuré social ou son ayant droit est atteint est imputable à un tiers, l'assuré ou ses ayants droit conserve contre l'auteur de l'accident le droit de demander la réparation du préjudice causé, conformément aux règles du droit commun, dans la mesure où ce préjudice n'est pas réparé par application du présent livre. / Les caisses de sécurité sociale sont tenues de servir à l'assuré ou à ses ayants droit les prestations prévues par le présent livre, sauf recours de leur part contre l'auteur responsable de l'accident dans les conditions ci-après. ". Il résulte de ces dispositions que le recours de la caisse de sécurité sociale, subrogée dans les droits de la victime d'un dommage corporel, s'exerce contre les auteurs responsables de l'accident. Si, en application des dispositions de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique, l'ONIAM doit indemniser au titre de la solidarité nationale M. E..., cet établissement public ne peut être regardé comme le responsable de l'accident médical non fautif. Il suit de là que la caisse locale déléguée pour la sécurité sociale des travailleurs indépendants, qui a versé des prestations à la victime d'un tel accident, ne peut exercer un recours subrogatoire contre l'ONIAM.

30. Par ailleurs, la caisse ne soutient pas, tant en première instance qu'en appel, que l'infection contractée par M. E... pendant sa prise en charge par l'hôpital Henri Mondor de Créteil résulterait d'une faute établie pour manquement caractérisé à l'origine du dommage, notamment un manquement caractérisé aux obligations posées par la réglementation en matière de lutte contre les infections nosocomiales. Ses conclusions dirigées contre l'AP-HP doivent donc être rejetées.

Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

31. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'AP-HP, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que M. E... et la caisse locale déléguée pour la sécurité sociale des travailleurs indépendants demandent au titre des frais liés à l'instance. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'ONIAM le versement à

M. E... de la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement n° 1509775 du 22 décembre 2017 du tribunal administratif de Melun est annulé.

Article 2 : L'ONIAM est condamné à verser à M. E... la somme de 28 135,14 euros, augmentée des intérêts au taux légal à compter du 16 avril 2012 et le cas échéant de leur capitalisation à compter du 3 avril 2019, sous réserve que cette somme n'a pas déjà été versée par l'AP-HP en exécution du jugement du 22 décembre 2017.

Article 3 : L'ONIAM est condamné à rembourser à M. E..., sur présentation des justificatifs, le surcoût exposé pour le renouvellement d'un véhicule de classe intermédiaire disposant d'une boîte automatique par rapport à l'achat d'un véhicule disposant d'une boîte manuelle de classe intermédiaire.

Article 4 : L'ONIAM versera à M. E... une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête de M. E..., les conclusions d'appel incident de l'AP-HP et les conclusions de la caisse locale déléguée pour la sécurité sociale des travailleurs indépendants sont rejetés.

Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à M. D... E..., à l'Assistance publique - hôpitaux de Paris, à l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales et à la caisse locale déléguée pour la sécurité sociale des travailleurs indépendants.

Délibéré après l'audience du 17 octobre 2019, à laquelle siégeaient :

- M. Luben, président,

- Mme Collet, premier conseiller,

- Mme G..., premier conseiller.

Lu en audience publique, le 21 novembre 2019.

Le rapporteur,

V. G...Le président,

I. LUBEN

Le greffier,

C. POVSELa République mande et ordonne à la ministre des solidarités et de la santé en ce qui la concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

16

N° 18PA00712


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 8ème chambre
Numéro d'arrêt : 18PA00712
Date de la décision : 21/11/2019
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

60-02-01-01 Responsabilité de la puissance publique. Responsabilité en raison des différentes activités des services publics. Service public de santé. Établissements publics d'hospitalisation.


Composition du Tribunal
Président : M. LUBEN
Rapporteur ?: Mme Virginie LARSONNIER
Rapporteur public ?: Mme BERNARD
Avocat(s) : TSOUDEROS

Origine de la décision
Date de l'import : 16/12/2019
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2019-11-21;18pa00712 ?
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