Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme B...E..., M. K...E..., M. D...E..., Mlle I...E...et Mme N... E...épouseC..., représentés par Me Guerreau, ont demandé au Tribunal administratif de Melun :
1°) de condamner le centre hospitalier de Marne-la-Vallée Jossigny à leur verser la somme de 305 842,33 euros en réparation des préjudices qu'ils estiment avoir subis à raison du décès de M. J... E... ;
2°) à titre subsidiaire, de surseoir à statuer dans l'attente de l'issue de la procédure pénale actuellement pendante et d'ordonner, avant dire droit, en application de l'article R. 621-1
du code de justice administrative, une mesure d'expertise technique.
Par un jugement n° 1408052 du 24 novembre 2017, le Tribunal administratif de Melun a rejeté leur demande.
Procédure devant la Cour :
Par une requête, enregistrée le 26 janvier 2018, et un mémoire en réplique, enregistré le 30 août 2018, Mme B...E..., M. K...E..., M. A...E..., Mlle I...E..., Mme N... E...épouseC..., en son nom propre et en sa qualité d'administratrice légale des biens de ses fils mineurs, M. H...C...et M. L...C...et M. D...E..., en son nom propre et en sa qualité d'administrateur légal des biens de ses fils mineurs, M. F...E...et M. G... E..., représentés par Me Guerreau, demandent à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 1408052 du 24 novembre 2017 du Tribunal administratif de Melun ;
2°) de juger que le centre hospitalier de Marne-la-Vallée Jossigny a commis une faute à l'origine du décès accidentel de M. J...E...et de le condamner à leur verser :
• à Mme B...E..., veuve de M. J...E..., une somme totale de 195 842,33 euros en réparation de son préjudice global,
• à M. K...E..., fils de M. J...E..., une somme de 20 000 euros en réparation de son préjudice d'affection,
• à M. A...E..., petit fils de M. J... E..., une somme de 10 000 euros en réparation de son préjudice d'affection,
• à Mlle I...E..., petite fille de M. J...E..., une somme de 10 000 euros en réparation de son préjudice d'affection,
• à Mme N...E...épouse C...une somme de 20 000 euros en réparation de son préjudice d'affection,
• à Mme N...E..., en sa qualité de représentante légale de son fils Corentin, petit fils de M. J...E..., une somme de 10 000 euros en réparation de son préjudice d'affection,
• à Mme N...E..., en sa qualité de représentante légale de son fils Clément, petit fils de M. J...E..., une somme de 10 000 euros en réparation de son préjudice d'affection,
• à M. D...E..., fils de M. J...E..., une somme de 20 000 euros en réparation de son préjudice d'affection,
• à M. D...E..., en sa qualité de représentant légal de ses fils Loukas et Mathis, petits fils de M. J...E..., une somme chacun de 10 000 euros en réparation de leur préjudice d'affection.
3°) à titre subsidiaire, et avant dire droit, en application de l'article R. 621-l du code de justice administrative, d'ordonner une mesure d'expertise technique. L'expert devra avoir pour mission de décrire les antécédents et l'état médical de M. J...E...au moment de la mise en place de l'activité thérapeutique sportive du 8 octobre 2013, de réunir tous les éléments devant permettre de déterminer si des fautes de quelque nature qu'elles soient, médicales, de soins ou mettant en cause l'organisation et le fonctionnement du service ont pu être commises lors de l'hospitalisation de M. E... et ayant conduit au décès accidentel de ce dernier ainsi que de dire à cet effet si M. E...a bénéficié des consultations, du traitement et d'une surveillance adaptée de son état et en particulier de dire si l'activité sportive proposée à M. E...était compatible avec l'état de santé de ce dernier et les traitements médicaux dont il faisait 1'objet, et ce après avoir convoqué les parties, recueilli leurs observations et pris connaissance des dossiers médicaux de M.E....
4°) de mettre à la charge du centre hospitalier de Marne-la-Vallée Jossigny le versement de la somme de 8 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent que des fautes dans l'organisation du service et des négligences du centre hospitalier de Marne-la-Vallée sont à l'origine du décès de M. J...E..., contrairement à ce qu'a estimé, de manière erronée, le tribunal administratif.
Par un mémoire, enregistré le 26 mars 2018, la caisse primaire d'assurance maladie de Seine-et-Marne, représentée par MeM..., conclut à l'annulation du jugement attaqué et à ce que le centre hospitalier de Lagny Marne-la-Vallée soit condamné à lui verser :
• la somme de 30 735,69 euros avec intérêts au taux légal à compter du 31 décembre 2014 ;
• la somme de 1 066 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion, compte tenu de son actualisation au 1er janvier 2018 ;
Et à ce que la somme de 2 000 euros soit mise à la charge du centre hospitalier de Lagny Marne-la-Vallée, au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Par un mémoire en défense, enregistré le 16 juillet 2018, le centre hospitalier de Lagny Marne-la-Vallée, représenté par Me Le Prado, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés par les consorts E...ne sont pas fondés.
Par un acte enregistré le 29 mars 2018, Mme N... E...épouse C...a été désignée en tant que représentante unique des requérants par Me Guerreau à la suite de la demande qui lui a été faite en application de la disposition de l'article R. 611-2 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de la sécurité sociale,
- le code de la santé publique,
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Luben,
- les conclusions de Mme Bernard, rapporteur public,
- et les observations de Me Guerreau, avocat des consortsE....
Considérant ce qui suit :
Sur la responsabilité du centre hospitalier de Marne-la-Vallée (Jossigny) :
1. Aux termes de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique : " I. - Hors le cas où leur responsabilité est encourue en raison d'un défaut d'un produit de santé, les professionnels de santé mentionnés à la quatrième partie du présent code, ainsi que tout établissement, service ou organisme dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins ne sont responsables des conséquences dommageables d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu'en cas de faute. (...) ".
2. Il résulte de l'instruction que M. J...E..., né le 7 octobre 1948, qui avait subi un remplacement des valves mitrale et aortique en 2008 à l'hôpital de la Pitié-Salpêtrière sur prothèses mécaniques et suivait depuis lors un traitement anti-coagulant (alternance de P...et Préviscan), en fonction de son taux d'INR, après avoir été hospitalisé du 4 au 16 septembre 2013 en médecine-cardiologie à l'hôpital privé Paul d'Egine pour une anémie et dans un contexte de chute, puis du 16 au 19 septembre 2013 pour un sevrage dans le service de gastroentérologie du centre hospitalier de Marne-la-Vallée, a été hospitalisé le 23 septembre 2013 dans le service de soins de suite et de réadaptation en addictologie du centre hospitalier de Marne-la-Vallée Jossigny pour un problème d'addiction à l'alcool. Au moment de l'accident, M. E...était dans sa troisième semaine de post-cure (d'une durée totale de six semaines). Le 8 octobre 2013, il a participé, avec treize autres patients, encadrés par trois infirmiers, à un jeu de " balle aux prisonniers " organisé dans le cadre des activités thérapeutiques du service. Alors qu'il était en position debout, statique, les bras le long du corps, le ballon (une balle souple en mousse, de la taille d'un ballon de football) l'a touché au niveau du thorax ou du ventre ; il a alors fait deux ou trois pas en arrière et est tombé en arrière, sans tenter d'amortir sa chute avec ses mains ; sa tête a percuté le sol ; il est resté inconscient quelques secondes, puis a repris connaissance et a voulu se relever ; des infirmières, qui l'avait placé en position latérale de sécurité, lui ont dit de rester allongé sur le côté, ont fait une compresse avec une serviette car il saignait de l'oreille droite, et ont appelé les pompiers qui sont arrivés cinq minutes plus tard. Il a été transporté au service des urgences de l'hôpital de Coulommiers puis, par le SAMU, à l'hôpital Henri Mondor à Créteil, où il est décédé le 17 octobre 2013 des suites de ses blessures.
3. Une plainte pénale a été déposée par la veuve et les enfants de M. E...pour homicide et blessures involontaires. Un médecin expert a été désigné par le procureur de la République de Meaux le 10 juillet 2014. La plainte a fait l'objet d'un classement sans suite le 4 août 2015 par une décision du procureur de la République de Meaux pour absence d'infraction.
4. D'une part, il résulte de l'instruction, et notamment du rapport d'expertise ordonnée dans le cadre de la procédure pénale, que l'activité de " balle aux prisonniers ", organisée sur prescription médicale, a été validée par le médecin psychiatre responsable des soins de suite et de réadaptation en addictologie (SSRA) sur le site Abel Lebland de Coulommiers, unité faisant partie du pôle de psychiatrie de l'hôpital de Coulommiers, où était hospitalisé M.E..., qui a estimé que son état stabilisé l'autorisait à pratiquer cette activité et qui n'avait émis aucune recommandation particulière concernant ce patient. Non seulement ce médecin, mais l'ensemble du personnel soignant du service de SSRA connaissait les antécédents de M.E..., et plus particulièrement le fait qu'un traitement anti-coagulant lui était dispensé, comme il ressort notamment des très nombreux procès-verbaux d'audition réalisés dans le cadre de la procédure pénale ; au surplus, la surveillance de ses bilans de coagulation y a été répétée, attentive et efficace. En effet, contrairement à ce que soutiennent les consorts requérants, si M. E...n'avait pas fait l'objet d'examens lors de son arrivée le 23 septembre 2013 au sein du service de SSRA, il avait cependant été vu à deux reprises, le 2 et le 9 septembre 2013, par le médecin psychiatre du service de SSRA avant son admission, et avait préalablement fait l'objet d'examens cliniques à l'hôpital privé Paul d'Egine puis dans le service de gastroentérologie du centre hospitalier de Marne-la-Vallée, et notamment un compte rendu d'analyse de biologie médicale le 7 septembre 2013, un examen tomodensitométrique abdomino-pelvien le 6 septembre 2013, une radiographie pulmonaire le 6 septembre 2013, une vidéoendoscopie oesogastroduodénale le 5 septembre 2013 et une échocardiographie Doppler le 5 septembre 2013. M.E..., pendant son hospitalisation dans le service de SSRA, se portait bien et ne souffrait pas de difficultés pour marcher ou de troubles de l'équilibre, comme il ressort de son dossier médical (en effet, les chutes dont il avait été antérieurement victime - et notamment une chute en 2012 qui avait provoqué un hématome sous-dural post-traumatique et les trois chutes dans la même semaine précédant son hospitalisation dans l'unité de cardiologie et de médecine interne de l'hôpital privé Paul d'Egine, qui avaient provoqué un trauma costal gauche et facial droit - ne trouvaient pas leur cause dans le traitement anti-coagulant qu'il suivait, mais dans son état ébrieux). D'autre part, il ne résulte pas de l'instruction, et notamment du rapport d'expertise ordonnée dans le cadre de la procédure pénale, que les anti-coagulants dispensés à M. E...(P...et/ou Préviscan) puissent être à l'origine de troubles de l'équilibre ; si l'expert médical se fonde, dans son rapport, sur une mention du dictionnaire des médicaments Vidal selon laquelle la notion de chute est mise en avant chez les personnes âgées sous traitement de Préviscan, M.E..., âgé de 65 ans au moment de l'accident, ne pouvait être regardé comme étant au nombre des personnes âgées. Si l'administration d'anti-coagulants majorait les risques d'hémorragie, ce qui excluait que M. E...puisse pratiquer des sports violents, l'activité de " balle aux prisonniers ", de surcroît pratiquée avec une balle souple en mousse de la taille d'un ballon de football, comme il ressort du témoignage précis d'un des infirmiers ayant assisté à l'accident, ne peut être regardée comme un sport violent qui aurait dû être déconseillée eu égard au traitement suivi par M.E....
5 Enfin, aux termes de l'article L. 1111-4 du code de la santé publique : " aucun acte médical ni aucun traitement ne peut être pratiqué sans le consentement libre et éclairé de la personne et ce consentement peut être retiré à tout moment. ".
6. Il résulte de l'instruction que l'activité physique de " balle aux prisonniers ", qui est organisée au sein du service de SSRA sur prescription médicale (l'objectif recherché étant " la compression d'une consigne et la réadaptation par des supports qui vont solliciter sa motricité "), doit être regardée en l'espèce comme un traitement. D'une part, comme il a été dit, M. E...avait été reçu, le 2 et le 9 septembre 2013, par le médecin psychiatre du service de SSRA avant son admission, et avait signé un engagement, le 6 septembre 2013, par lequel il s'engageait notamment " à participer à toutes les activités de [son] programme thérapeutique, et y être à l'heure " ; d'autre part, il avait librement accepté de participer à l'activité proposée de " balle aux prisonniers ", comme il ressort des témoignages des infirmiers ayant assisté à l'accident. Par suite, les dispositions précitées de l'article
L. 1111-4 du code de la santé publique n'ont pas été méconnues par l'équipe du service de SSRA qui a proposé cette activité à M.E..., celui-ci ayant accepté d'y participer de manière libre et éclairée.
Sur les conclusions subsidiaires tendant à ce qu'une expertise soit diligentée :
7. Dans les circonstances de l'espèce, dès lors notamment qu'une enquête pénale a permis de recueillir les pièces et les témoignages qui ont été versées au présent dossier et qu'un médecin expert a été désigné par le procureur de la République de Meaux le 10 juillet 2014, dont le rapport a également été communiqué dans le cadre de la présente procédure, une nouvelle expertise serait sans utilité pour la solution du litige et présenterait un caractère frustratoire. Par suite, les conclusions susvisées, présentées à titre subsidiaire, tendant à ce qu'une expertise soit diligentée doivent être rejetées.
8. Il résulte de tout ce qui précède que les consorts E...ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué du 24 novembre 2017, le Tribunal administratif de Melun a rejeté leur demande tendant à la condamnation du centre hospitalier de Marne-la-Vallée Jossigny à leur verser la somme de 305 842,33 euros en réparation des préjudices qu'ils estiment avoir subis à raison du décès de M. J...E.... Par voie de conséquence, leurs conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent qu'être rejetées.
Sur les droits de la caisse primaire d'assurance maladie de Seine-et-Marne :
9. Il résulte de ce qui précède que la responsabilité du centre hospitalier de Marne-la-Vallée n'étant pas engagée, les conclusions de la caisse primaire d'assurance maladie de Seine-et-Marne au titre de l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale, notamment au titre de l'indemnité forfaitaire prévue au 9e alinéa de cet article, et par voie de conséquence les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative dirigées contre cet établissement public doivent être rejetées.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête des consorts E...ainsi que les conclusions de la caisse primaire d'assurance maladie de Seine-et-Marne sont rejetées.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme N...E...épouseC..., désignée comme représentante unique par l'acte du 29 mars 2018, au centre hospitalier de Marne-la-Vallée Jossigny et à la caisse primaire d'assurance maladie de Seine-et-Marne.
Délibéré après l'audience du 6 septembre 2018, à laquelle siégeaient :
- M. Lapouzade, président,
- M. Luben, président assesseur,
- MmeO..., première conseillère.
Lu en audience publique, le 20 septembre 2018.
Le rapporteur,
I. LUBENLe président,
J. LAPOUZADELa greffière,
Y. HERBERLa République mande et ordonne au préfet de Seine-et-Marne en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 18PA00313