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09/07/2020 | FRANCE | N°18NC01898

France | France, Cour administrative d'appel de Nancy, 3ème chambre, 09 juillet 2020, 18NC01898


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme A... F..., ayant repris l'action engagée par son défunt époux M. C... F..., a demandé au tribunal administratif de Strasbourg d'ordonner une expertise, de condamner l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) à l'indemniser des préjudices subis par son époux du fait de sa contamination par le virus de l'hépatite C et de condamner cet office à lui verser une provision de 5 000 euros.

Mme A... F... a également demand

é à ce même tribunal d'ordonner une expertise, de condamner l'Office national d'...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme A... F..., ayant repris l'action engagée par son défunt époux M. C... F..., a demandé au tribunal administratif de Strasbourg d'ordonner une expertise, de condamner l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) à l'indemniser des préjudices subis par son époux du fait de sa contamination par le virus de l'hépatite C et de condamner cet office à lui verser une provision de 5 000 euros.

Mme A... F... a également demandé à ce même tribunal d'ordonner une expertise, de condamner l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) à lui verser la somme de 136 800 euros en réparation des préjudices qu'elle a subis du fait de la contamination de son époux par le virus de l'hépatite C.

La caisse primaire d'assurance maladie du Bas-Rhin, mise en cause, a demandé à ce tribunal de condamner l'ONIAM à lui rembourser la somme de 206 444,81 euros au titre de ses débours et de réserver ses droits pour les prestations non encore chiffrées.

Par un jugement avant dire droit du 4 octobre 2016, le tribunal administratif de Strasbourg a ordonné une expertise médicale, rejeté les conclusions présentées par Mme F..., en sa qualité d'ayant-droit de son époux, au versement d'une provision et réservé le surplus des conclusions des parties.

Par un mémoire, enregistré postérieurement au dépôt du rapport d'expertise, Mme F... a demandé au tribunal administratif de condamner l'ONIAM à lui verser, d'une part, la somme de 382 390 euros en sa qualité d'ayant droit de son époux et, d'autre part, la somme de 160 000 euros en réparation de ses préjudices personnels.

Par un jugement n° 1202090 et n°1202091 du 2 mai 2018, rectifié par une ordonnance de la présidente du tribunal administratif de Strasbourg du 14 mai 2018, le tribunal administratif de Strasbourg a condamné l'ONIAM à verser, d'une part, à Mme F..., en sa qualité d'ayant droit de son époux et en son nom personnel, les sommes respectivement de 80 000 euros et de 50 000 euros, d'autre part, à la caisse primaire d'assurance maladie du Bas-Rhin les sommes de 206 844,81 euros au titre de ses débours et de 1 066 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion. Il a également condamné l'ONIAM à verser à Mme F..., en sa qualité d'ayant droit de son époux et en son nom personnel, les sommes respectivement de 2 601,20 euros et de 35 euros en application de l'article R. 761-1 du code de justice administrative et la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du même code, mis à la charge de l'ONIAM les frais d'expertise liquidés et taxés aux sommes de 1 855,82 euros, 2 280 euros et 1 600 euros et enfin rejeté le surplus des conclusions des parties.

Procédure devant la cour :

Par une requête et des mémoires, enregistrés le 4 juillet 2018 et les 11 et 19 décembre 2019, l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM), représenté par Me Ribeiro, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du 2 mai 2018 en tant qu'il l'a condamné à verser à la caisse primaire d'assurance maladie du Bas-Rhin les sommes de 206 844,81 euros et de 1 066 euros au titre de ses débours et de l'indemnité forfaitaire de gestion et à Mme F... des indemnités au titre des préjudices sexuels, d'établissement et spécifique de contamination ;

2°) de rejeter la demande de la caisse primaire d'assurance maladie du Bas-Rhin ;

3°) de rejeter la demande d'indemnisation de Mme F..., en son nom personnel et en qualité d'ayant droit de son époux, au titre des préjudices sexuels, d'établissement et spécifique de contamination ;

4°) de rejeter l'appel incident de Mme F..., sauf allocation d'une somme de 500 euros au titre du préjudice esthétique subi par M. F....

Il soutient que :

- la CPAM du Bas-Rhin ne peut exercer contre lui le recours subrogatoire prévu par l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale dès lors qu'aucune procédure n'était en cours le 1er juin 2010, date à laquelle l'office a été substitué à l'Etablissement français du sang ; la procédure de référé était achevée et l'action au fond a été engagée près de deux ans après le 1er juin 2010 ;

- le jugement du tribunal administratif de Strasbourg du 4 octobre 2016, qui se borne à ordonner une expertise, n'a pas statué sur la recevabilité du recours de la CPAM du Bas-Rhin ; les motifs, qui ne constituent pas le support nécessaire du dispositif, ne sont pas revêtus de l'autorité de chose jugée ;

- les préjudices sexuels et d'établissement de M. et Mme F... ne sont pas établis ;

- le tribunal ne pouvait pas indemniser le déficit fonctionnel temporaire et le préjudice sexuel alors que l'état de M. F... n'était pas consolidé ; en outre, il a doublement indemnisé un même préjudice ;

- le tribunal a également doublement indemnisé M. F... en lui accordant une indemnité pour les souffrances endurées et le préjudice spécifique de contamination ;

- les préjudices sexuels et d'établissement sont des préjudices propres de la victime directe qui ne peuvent pas être indemnisés de manière autonome du préjudice moral de la victime indirecte ;

- le déficit fonctionnel temporaire a été correctement apprécié par le tribunal et l'indemnisation accordée à ce titre doit être confirmée ;

- le préjudice esthétique évalué à 1 sur une échelle de 7 peut être indemnisé à hauteur de 500 euros ;

- l'état de M. F... n'ayant jamais été consolidé, il n'y a pas lieu d'indemniser un déficit fonctionnel permanent ;

- la conscience par M. F... de sa mort imminente n'est pas établie ;

- le préjudice de la réduction de l'espérance de vie n'est pas distinct de celui résultant du décès.

Par des mémoires en défense, enregistrés le 28 septembre 2018 et le 17 décembre 2019, la caisse primaire d'assurance maladie du Bas-Rhin, représentée par Me Rosenstiehl, demande à la cour de rejeter la requête de l'ONIAM et de mettre à la charge de l'office la somme de 4 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- par le jugement avant dire droit du 4 octobre 2016, devenu définitif, le tribunal a estimé qu'une instance était en cours au 1er juin 2010 ; le tribunal a tranché la question de la recevabilité de sa demande dans ses motifs qui sont revêtus de l'autorité de chose jugée ;

- M. F... ayant sollicité, par une requête du 5 avril 2008, la désignation en référé d'un expert, afin de déterminer s'il avait été contaminé par le virus de l'hépatite C, une action était en cours au 1er juin 2010 ; en outre, il n'est pas contesté que l'établissement français du sang bénéficiait d'une assurance et que la couverture d'assurance n'était pas épuisée ou venue à expiration.

Par un mémoire d'appel incident, enregistré le 3 janvier 2019, Mme A... F..., représentée par Me Boukara, demande à la cour :

1°) de réformer le jugement du 2 mai 2018 en ce qu'il a limité le montant des indemnités qu'il lui a allouées, en qualité d'ayant droit de son époux et en son nom personnel, respectivement à 80 000 euros et à 50 000 euros en les portant à 441 210 euros et 160 000 euros, assorties des intérêts au taux légal à compter du 21 décembre 2010 et de leur capitalisation ;

2°) de mettre à la charge de l'ONIAM la somme de 4 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la période de déficit fonctionnel temporaire doit tenir compte du traitement de l'ostéite du fémur en lien avec le traitement de l'hépatite C ; M. F... a subi un déficit fonctionnel temporaire partiel entre les périodes de traitement dont les experts n'ont pas tenu compte qui doit être évalué à 10 % ; le déficit fonctionnel temporaire total a duré 16 ans et 2 mois ; il doit être évalué, sur une base de 700 euros par mois, à la somme globale de 14 210 euros ;

- les souffrances endurées par M. F... sont évaluées à la somme de 15 000 euros compte tenu des troubles inhérents à la pathologie, notamment l'asthénie et les céphalées, que n'ont pas été pris en compte par les experts, et de la durée de ce dommage ; en outre, le préjudice spécifique de contamination n'a pas à être intégré dans les souffrances endurées ;

- le préjudice esthétique, demandé pour la première fois en appel, et lié à la perte de cheveux, est évalué à 2 000 euros ;

- l'absence de consolidation ne s'oppose pas à l'indemnisation des préjudices sexuels et d'établissement pour permettre une réparation intégrale des préjudices subis par une victime dont la pathologie est, comme en l'espèce, évolutive ;

- rien ne s'oppose à l'indemnisation du préjudice sexuel avant consolidation en le distinguant du déficit fonctionnel temporaire dès lors qu'il n'y a pas de double indemnisation ; les premiers juges ont procédé distinctement à l'indemnisation du préjudice sexuel et du déficit fonctionnel temporaire et n'ont ainsi pas procédé à une double indemnisation d'un même préjudice ; le préjudice sexuel est avéré, compte tenu des séquelles physiques et psychologique dues à la pathologie et à la nécessité de protéger son épouse d'une contamination ;

- en raison de l'hépatite C, le couple a été contraint de mettre fin au processus de procréation médicalement assistée ; le préjudice sexuel et le préjudice de procréation ou d'établissement sont évalués à la somme de 130 000 euros ;

- le déficit fonctionnel permanent, évalué à 10 % par l'expert, s'élève à la somme de 15 000 euros ;

- le préjudice spécifique de contamination, qui constitue un poste de préjudice autonome, est estimé à la somme de 220 000 euros ;

- la cirrhose dont était atteint M. F... lui a fait perdre une chance de survivre à un sepsis sévère ; il a eu la conscience de sa mort imminente ; le préjudice moral lié à l'approche de la mort est évalué, compte tenu de la fraction imputable au VHC, à la somme de 25 000 euros ; la réparation de la réduction de l'espérance de vie de 14 ans, la moyenne de l'espérance de vie pour un homme étant de 80 ans, est évaluée à la somme de 20 000 euros ;

- Mme F... a subi un préjudice moral au cours des 16 années de maladie de son époux qui est évalué à la somme de 45 000 euros ;

- la pathologie de son époux a altéré leur relation ; elle a subi des troubles dans ses conditions d'existence et un préjudice d'accompagnement ; elle a subi un préjudice sexuel, également indemnisable ; les troubles dans ses conditions d'existence sont évalués à la somme de 50 000 euros ;

- le préjudice de procréation et d'établissement est estimé à la somme de 40 000 euros ;

- Mme F... a subi un préjudice moral et d'affection à la suite du décès de son époux évalué, compte tenu de la perte de chance retenue par l'expert, à la somme de 25 000 euros.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la santé publique ;

- l'ordonnance n° 2020-305 du 25 mars 2020 modifiée ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Barteaux,

- les conclusions de Mme Seibt, rapporteur public,

- et les observations de Me Boukara pour Mme F... et de Me Rosenstiehl pour la caisse primaire d'assurance maladie du Bas-Rhin.

Considérant ce qui suit :

1. Le 23 septembre 1973, M. F... a été victime d'un accident de la circulation dont la prise en charge a nécessité dix-neuf transfusions sanguines. Le 14 avril 1993, l'intéressé a subi une intervention chirurgicale consistant dans la pose d'une prothèse de la hanche gauche au cours de laquelle il a été à nouveau transfusé. A l'occasion d'un bilan réalisé le 3 février 1999, il a été informé de sa contamination par le virus de l'hépatite C. M. F... a bénéficié de deux traitements en avril 1999 et mai 2003 auxquels il n'a pas répondu. L'expert, désigné par une ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Strasbourg du 27 juin 2008, a déposé le 30 mai 2009 son rapport concluant à une contamination par le VHC d'origine transfusionnelle. Le 20 décembre 2010, M. F... et son épouse ont adressé une réclamation indemnitaire à l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) qui leur a fait une proposition qu'ils n'ont pas acceptée. Par une ordonnance du 9 novembre 2012, le juge des référés du tribunal administratif de Strasbourg a accordé à M. et Mme F... respectivement des provisions de 20 000 euros et 3 000 euros. Un nouvel expert, désigné par une ordonnance du 22 septembre 2014, a déposé son rapport le 9 janvier 2015. M. et Mme F... ont chacun saisi le tribunal administratif de Strasbourg d'une action tendant à la condamnation de l'ONIAM à les indemniser des préjudices consécutifs à la contamination de M. F.... Par un jugement avant dire droit du 4 octobre 2016, le tribunal a ordonné une expertise. A la suite du dépôt du rapport d'expertise du 22 septembre 2017, par un jugement du 2 mai 2018, rectifié par une ordonnance de la présidente du tribunal administratif de Strasbourg du 14 mai 2018, le tribunal a condamné l'ONIAM à verser, d'une part, à Mme F..., en sa qualité d'ayant droit de son époux et en son nom personnel, les sommes respectivement de 80 000 euros et de 50 000 euros, d'autre part, à la caisse primaire d'assurance maladie du Bas-Rhin les sommes de 206 844,81 euros et de 1 066 euros au titre de ses débours et de l'indemnité forfaitaire de gestion.

2. L'ONIAM, qui ne conteste pas le principe de la réparation au titre de la solidarité nationale, fait appel de ce jugement en tant qu'il l'a condamné à rembourser à la caisse primaire d'assurance maladie du Bas-Rhin ses débours et de l'indemnité forfaitaire de gestion et à Mme F..., en sa qualité d'ayant-droit de son époux et à titre personnel, des indemnités en réparation des préjudices sexuels, d'établissement et spécifique de contamination.

3. Mme F..., par la voie de l'appel incident, demande à la cour de réformer le jugement du 2 mai 2018 en portant les indemnités de 80 000 euros et à 50 000 euros que le tribunal lui a accordées, en sa qualité d'ayant droit de son époux et en son nom personnel, respectivement à 441 210 euros et 160 000 euros, assorties des intérêts au taux légal à compter du 21 décembre 2010 et de leur capitalisation.

Sur la recevabilité du recours subrogatoire de la caisse primaire d'assurance maladie du Bas-Rhin contre l'ONIAM :

4. Aux termes du deuxième alinéa de l'article L. 1142-22 du code de la santé publique, dans sa rédaction issue du II de l'article 67 de la loi du 17 décembre 2008, entré en vigueur à la même date que le décret n° 2010-251 du 11 mars 2010 pris pour son application, soit le 1er juin 2010, l'ONIAM est chargé " de l'indemnisation des victimes de préjudices résultant de la contamination par le virus de l'hépatite C causée par une transfusion de produits sanguins ou une injection de médicaments dérivés du sang en application de l'article L. 122114 ". Aux termes du premier alinéa de l'article L. 1221-14 du code de la santé publique : " Les victimes de préjudices résultant de la contamination par le virus de l'hépatite C causée par une transfusion de produits sanguins ou une injection de médicaments dérivés du sang réalisée sur les territoires auxquels s'applique le présent chapitre sont indemnisées par l'office mentionné à l'article L. 1142-22 dans les conditions prévues à la seconde phrase du troisième alinéa de l'article L. 3122-1, aux deuxième et troisième alinéas de l'article L. 3122-2, au premier alinéa de l'article L. 3122-3 et à l'article L. 3122-4 ". Aux termes du IV de l'article 67 de la loi du 17 décembre 2008, dans sa rédaction issue de l'article 72 de la loi du 17 décembre 2012 : " A compter de la date d'entrée en vigueur du présent article, l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales se substitue à l'Etablissement français du sang dans les contentieux en cours au titre des préjudices mentionnés à l'article L. 1221-14 du code de la santé publique n'ayant pas donné lieu à une décision irrévocable (...). / Lorsque l'office a indemnisé une victime et, le cas échéant, remboursé des tiers payeurs, il peut directement demander à être garanti des sommes qu'il a versées par les assureurs des structures reprises par l'Etablissement français du sang en vertu du B de l'article 18 de la loi n° 98-535 du 1er juillet 1998 relative au renforcement de la veille sanitaire et du contrôle de la sécurité sanitaire de produits destinés à l'homme, de l'article 60 de la loi de finances rectificative pour 2000 (n° 2000-1353 du 30 décembre 2000) et de l'article 14 de l'ordonnance n° 20051087 du 1er septembre 2005 relative aux établissements publics nationaux à caractère sanitaire et aux contentieux en matière de transfusion sanguine, que le dommage subi par la victime soit ou non imputable à une faute. Les tiers payeurs ne peuvent exercer d'action subrogatoire contre l'office si l'établissement de transfusion sanguine n'est pas assuré, si sa couverture d'assurance est épuisée ou encore dans le cas où le délai de validité de sa couverture est expiré ". Ces dispositions s'appliquent, en vertu du III de l'article 72 de la loi du 17 décembre 2012, aux actions juridictionnelles en cours à la date du 1er juin 2010, sous réserve des décisions de justice passées en force de chose jugée.

5. D'une part, dans le dispositif du jugement avant dire droit du 4 octobre 2016, le tribunal administratif de Strasbourg s'est borné à ordonner une expertise et à réserver les droits et moyens des parties. Ainsi, même s'il s'est prononcé sur la recevabilité de la demande de la caisse primaire d'assurance maladie du Bas-Rhin dans ses motifs, ces derniers, qui ne constituent pas le soutien nécessaire du dispositif, ne sont pas revêtus de l'autorité de chose jugée.

6. D'autre part, il résulte des dispositions précitées du IV de l'article 67 de la loi du 17 décembre 2008 selon lesquelles l'ONIAM se substitue à l'Etablissement français du sang (EFS) dans les procédures tendant à l'indemnisation des préjudices mentionnés à l'article L. 1221-14 du code de la santé publique, en cours à la date d'entrée en vigueur de cet article et n'ayant pas donné lieu à une décision irrévocable, que le législateur a entendu, dans ces procédures, substituer l'ONIAM à l'EFS tant à l'égard des victimes que des tiers payeurs. Il résulte de l'instruction que M. F... a saisi par une requête en référé, enregistrée le 5 avril 2008, le président du tribunal administratif de Strasbourg pour qu'il désigne un expert en vue de déterminer s'il avait été contaminé par le virus de l'hépatite C et, dans ce cas, de préciser l'origine de cette contamination et l'étendue de ses préjudices. Ainsi, alors même que l'expert désigné par le juge des référés avait déposé son rapport le 30 mai 2009 et que M. F... n'a exercé un recours tendant à l'indemnisation des préjudices résultant de sa contamination par le virus de l'hépatite C que le 11 mai 2012, l'instance devait être regardée, contrairement à ce que soutient l'ONIAM, comme étant en cours le 1er juin 2010. L'ONIAM n'est, dès lors, pas fondé à soutenir que c'est à tort que les premiers juges ont admis la recevabilité de la demande de la caisse primaire d'assurance maladie du Bas-Rhin.

Sur le bien-fondé du jugement :

7. Le taux de perte de chance imputable à l'hépatite C d'échapper au décès, évalué par les premiers juges, à 40 %, n'est pas contesté par les parties.

En ce qui concerne les préjudices de M. F... :

8. Dans le cas d'une pathologie évolutive insusceptible d'amélioration, l'absence de consolidation, impliquant notamment l'impossibilité de fixer définitivement un taux d'incapacité permanente, ne fait pas obstacle à ce que soit mise à la charge du responsable du dommage la réparation des préjudices matériels et personnels subis avec certitude par la victime avant son décès.

9. L'ONIAM fait valoir qu'en l'absence de consolidation, le préjudice sexuel de M. F... ne peut pas être indemnisé et qu'en outre, ce trouble est déjà indemnisé au titre du déficit fonctionnel si bien que l'indemnisation distincte de ce préjudice a pour conséquence une double indemnisation de la victime. Toutefois, il résulte de ce qui a été indiqué au point 8 que les préjudices subis avec certitude par la victime avant son décès peuvent être indemnisés alors même que son état n'est pas, comme en l'espèce, consolidé. Si les rapports d'expertise successifs n'évoquent pas de préjudice sexuel, ils ne comportent aucune indication l'excluant même implicitement. Il ressort de ces rapports d'expertise concordants, corroborés par les pièces médicales produites en première instance, que M. F... a souffert d'asthénie sur la période de 1999 à 2015 et de troubles psychologiques liés à sa contamination et à l'absence d'efficacité des traitements. Par ailleurs, il n'est pas contesté que les rapports sexuels devaient nécessairement être protégés pour ne pas risquer de contaminer l'épouse de M. F.... La réalité de ce préjudice doit donc être regardée comme établie. Il ressort des motifs du jugement attaqué que le tribunal administratif n'a pas indemnisé ce préjudice au titre du déficit fonctionnel temporaire mais de manière distincte. Par suite, l'ONIAM n'est pas fondé à soutenir que le préjudice sexuel aurait été doublement indemnisé. Mme F... n'apporte aucun élément de nature à démontrer que le tribunal aurait fait une évaluation insuffisante de ce préjudice en l'évaluant à la somme de 5 000 euros qu'il y a lieu de confirmer.

10. Il résulte de l'instruction, notamment du troisième rapport d'expertise, que M. et Mme F... s'étaient engagés dans un processus de procréation médicalement assistée. S'il est vrai qu'ils ont pu bénéficier de deux tentatives de fécondation en 2002 qui ont échoué, la troisième tentative a dû être abandonnée en raison de la charge virale positive au virus de l'hépatite C. Il ressort également des pièces médicales produites par Mme F... qu'en 2003, le projet de procréation médicalement assistée a dû être différé en raison de la contre-indication d'une grossesse durant le traitement de l'hépatite C. Compte tenu de l'échec des thérapies engagées en 1999 et 2003 et de la persistance de la charge virale s'opposant, pour des motifs sanitaires, à une fécondation in vitro, le couple a dû renoncer à son projet de concevoir un enfant. Il résulte également de l'instruction que, contrairement à ce que soutient l'ONIAM, l'oligo-asthéno-tératospermie que présentait M. F... n'est pas la cause de l'échec du projet du couple de concevoir un enfant. Par suite, nonobstant l'existence de deux tentatives de fécondation, l'ONIAM n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal a regardé ce préjudice comme étant en lien direct avec la contamination de M. F.... En allouant la somme de 25 000 euros au titre du préjudice d'établissement de M. F..., les premiers juges n'ont pas fait une insuffisante évaluation de ce poste de préjudice.

11. D'une part, il résulte de l'instruction que M. F... a éprouvé des inquiétudes du fait de sa contamination par le virus de l'hépatite C, diagnostiqué en février 1999, et des conséquences graves qui pouvaient résulter de cette pathologie évolutive. Le préjudice moral subi de ce fait par M. F... est distinct, contrairement à ce que soutient l'ONIAM, des souffrances physiques et du déficit fonctionnel temporaire. En outre, il ressort des motifs du jugement attaqué que le tribunal n'a pas indemnisé ce préjudice au titre des souffrances endurées. Par suite, l'ONIAM n'est pas fondé à soutenir que ce préjudice a été doublement indemnisé par le tribunal.

12. Il résulte de l'instruction que M. F... a subi des traitements en avril 1999, en mai 2003 et en février 2014 auxquels il n'a pas répondu, situation fréquente, selon les experts, pour les génotypes 1. Si quinze jours après le dernier traitement, l'ARN du virus de l'hépatite C n'était plus décelable, ce traitement n'a débuté que le 23 décembre 2014, soit moins de cinq mois avant le décès de M. F.... Il résulte également des rapports d'expertise que la fibrose de score F2 que présentait M. F... est restée stable jusqu'en novembre 2012 et que si elle a été évaluée à cette date à un score F3/F4, cette aggravation est due à l'apparition d'une hépatite auto-immune. Dans ces conditions, le tribunal administratif a fait une juste appréciation du préjudice moral subi par M. F..., notamment du fait des troubles résultant de l'incertitude quant à son avenir, en lui accordant une indemnité de 30 000 euros.

13. Il résulte de l'instruction, notamment des trois rapports d'expertise, que M. F... a subi un déficit fonctionnel total le 30 avril 1999, le 14 octobre 2009, du 25 au 26 janvier 2010 et, enfin, le 5 janvier 2011. Il est également établi que l'intéressé a souffert d'une ostéite du genou droit secondaire au traitement de l'hépatite C qui a nécessité une arthrotomie les 12 et 19 novembre 1999. Il ressort aussi des deux derniers rapports d'expertise que l'intéressé a subi un déficit fonctionnel temporaire évalué à 10 % par les experts durant les périodes de traitement du 17 février 2014 jusqu'au début du mois d'août 2014 et du 23 décembre 2014 au 4 mai 2015. Il ressort notamment des trois rapports d'expertise concordants qu'en dehors des périodes de traitement et des périodes de déficit fonctionnel total, M. F... a souffert d'une asthénie chronique et doit ainsi être regardé, comme l'a jugé le tribunal, comme ayant subi, de la date de constatation de la contamination par le virus de l'hépatite C jusqu'à son décès le 8 mai 2015, un déficit fonctionnel temporaire partiel justement évalué à 10 %. Dans ces conditions, c'est par une juste appréciation que les premiers juges ont alloué à ce titre une indemnité de 10 000 euros.

14. Il ressort des rapports d'expertises que M. F... a éprouvé, au moins de la mise en oeuvre du premier traitement le 30 avril 1999 jusqu'au 8 mai 2015, une forte asthénie. Il a également subi trois traitements, des ponctions pour biopsie hépatique et, par deux fois, une arthrotomie du genou droit secondaire au traitement de l'hépatite C. Les souffrances endurées par l'intéressé au cours de l'ensemble de cette période de 1999 à 2015 ont été justement évaluées par le tribunal à 2 sur une échelle de 7, dès lors que, contrairement à ce qu'avait fait le premier expert, l'anxiété générée par cette contamination n'avait pas à être prise en considération dans ce poste de préjudice. Dans ces conditions, en allouant à ce titre la somme de 10 000 euros, le tribunal administratif n'a pas sous-estimé le préjudice de M. F....

15. Il ressort du premier rapport d'expertise que M. F... a subi un préjudice esthétique, lié à la perte de ses cheveux à la suite des deux traitements de 1999 et 2003, évalué à 1 sur une échelle de 7. Il sera fait une juste appréciation de ce préjudice en allouant à ce titre à Mme F..., en sa qualité d'ayant droit de son époux, la somme de 500 euros, y compris tous intérêts échus et leur capitalisation à la date du présent arrêt.

16. La consolidation correspond au moment où les lésions se fixent et prennent un caractère permanent, tel qu'un traitement n'est plus nécessaire si ce n'est pour en éviter l'aggravation, et qu'il est possible d'apprécier un certain degré d'incapacité permanente réalisant un préjudice définitif.

17. Il résulte de l'instruction que M. F... était atteint du virus de l'hépatite C, maladie évolutive pour laquelle il a subi, en 1999 et 2003, des traitements auxquels il n'a pas répondu. Les deux premiers rapports d'expertise ont d'ailleurs précisé qu'en raison du caractère évolutif de la pathologie et de la mise en place un nouveau traitement le 23 décembre 2014, le taux de déficit fonctionnel permanent ne pouvait pas être déterminé. Si le troisième rapport d'expertise a fixé un taux de déficit fonctionnel permanent de 10 %, c'est après avoir fixé la consolidation de l'état de l'intéressé au 8 mai 2015, soit à la date du décès de M. F.... Dans ces conditions, M. F... ne peut être regardé comme ayant subi, de son vivant, un déficit fonctionnel permanent. Par suite, c'est à bon droit que le tribunal administratif a refusé d'allouer une indemnité à ce titre.

18. Mme F... fait valoir que son époux a éprouvé une douleur morale causée par la conscience de sa mort imminente. Toutefois, s'il ressort du troisième rapport d'expertise que M. F... a commencé à éprouver des douleurs le 6 mai 2015, lors de la consultation avec l'anesthésiste, il n'est pas établi que, du fait de ces douleurs, il aurait eu à ce moment la conscience d'une mort imminente. Cette prise de conscience n'est pas davantage établie les jours suivants dès lors qu'il ressort de ce rapport d'expertise que l'état de santé de M. F..., en raison d'une dégradation rapide, a nécessité, le 7 mai à partir de 16 heures 20 minutes, de l'intuber sous sédation en vue de le réanimer, puis de le transférer, vers 22 heures, dans le service de réanimation à l'hôpital de Hautepierre où il a été placé sous sédation et analgésique. L'expert a d'ailleurs relevé que l'état de choc septique dont il a été victime, compliqué d'une insuffisance rénale aiguë, a évolué rapidement vers une défaillance multi-viscérale qui a conduit à son décès le 8 mai 2015 à 23 heures 55 minutes. Ainsi, aucun élément du dossier ne permet d'établir que l'intéressé aurait pris conscience d'une mort imminente liée à la dégradation brutale de son état de santé. Dans ces conditions, c'est à bon droit que le tribunal n'a pas accordé d'indemnisation à ce titre.

19. Le droit à la réparation d'un dommage, quelle que soit sa nature, s'ouvre à la date à laquelle se produit le fait qui en est directement la cause. Si la victime du dommage décède avant d'avoir elle-même obtenu une indemnisation, son droit, entré dans son patrimoine avant son décès, est transmis à ses héritiers. Ainsi, le préjudice lié à la réduction de la durée de la vie de M. F..., qui s'est constitué à son décès, ne peut faire l'objet d'aucun droit à réparation à défaut d'être entré dans son patrimoine et, par suite, d'avoir pu être transmis à ses héritiers.

Sur les préjudices personnels de Mme F... :

20. Mme F... n'apporte aucun élément de nature à établir que le tribunal administratif de Strasbourg aurait fait une insuffisante appréciation du préjudice d'affection qu'elle a subi du fait du décès de son époux en l'évaluant à la somme de 25 000 euros, soit, compte tenu du taux de perte de chance retenu et non contesté de 40 %, la somme de 10 000 euros.

21. Il résulte de l'instruction que Mme F... a été aux côtés de son époux du jour de la constatation de sa contamination par le virus de l'hépatite C en 1999 jusqu'à son décès le 8 mai 2015. S'il ressort des rapports d'expertise que son époux a présenté une asthénie chronique et des troubles psychologiques, liés à l'angoisse de sa pathologie, la fibrose est restée stable jusqu'en 2012. L'évolution de la fibrose à un score F3/F4 est due à une hépatite auto-immune qu'il a développée par ailleurs. Par suite, les premiers juges ont fait une juste appréciation du préjudice d'accompagnement subi par Mme F... en évaluant l'indemnité due à ce titre à la somme de 10 000 euros.

22. Si Mme F... demande une indemnité de 45 000 euros au titre du préjudice d'affection qu'elle estime avoir subi durant la maladie de son époux antérieurement à son décès, un tel préjudice caractérise en réalité, eu égard aux éléments dont elle se prévaut, le préjudice d'accompagnement. Ce dernier ayant déjà été indemnisé ainsi qu'il a été indiqué au point 21, sa demande à ce titre doit être rejetée.

23. Compte tenu de ce qui a été indiqué au point 9, le préjudice sexuel de Mme F... doit être regardé comme établi. Il ne ressort pas des motifs du jugement, contrairement à ce que soutient l'ONIAM, que ce préjudice aurait été indemnisé par le tribunal administratif au titre du préjudice moral. Mme F... n'apporte aucun élément de nature à démontrer que le tribunal aurait fait une évaluation insuffisante de ce poste de préjudice en l'évaluant à la somme de 5 000 euros.

24. Pour les mêmes motifs que ceux indiqués au point 10, le préjudice d'établissement de Mme F... est établi. En l'évaluant à la somme de 25 000 euros, le tribunal administratif a fait une juste appréciation de ce préjudice distinct du préjudice moral et d'affection. Par suite, Mme F... n'est pas fondée à demander que l'indemnité qui lui a été allouée à ce titre soit portée à 40 000 euros.

25. Il résulte de tout ce qui précède que l'ONIAM n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Strasbourg l'a condamné à verser à Mme F..., en sa qualité d'ayant droit de M. F... et en son nom personnel, des indemnités au titre des préjudices sexuels, d'établissement et spécifique de contamination et à la caisse primaire d'assurance maladie du Bas-Rhin le remboursement de ses débours et l'indemnité forfaitaire de gestion. Mme F... est seulement fondée à demander, par la voie de l'appel incident, que la somme de 80 000 euros que les premiers juges ont mise à la charge de l'ONIAM soit portée à 80 500 euros, tous intérêts échus et leur capitalisation confondus sur la somme de 500 euros.

Sur les frais de l'instance :

26. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'ONIAM la somme que la caisse primaire d'assurance maladie du Bas-Rhin demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Il y a lieu en revanche de mettre à la charge de l'ONIAM, partie perdante, une somme de 1 500 euros à verser à Mme F... sur le fondement des mêmes dispositions.

D E C I D E :

Article 1er : La somme globale de 80 000 euros que l'ONIAM a été condamné à verser à Mme F..., en sa qualité d'ayant droit de son défunt époux, est portée à 80 500 euros, tous intérêts échus et leur capitalisation confondus sur la différence entre ces deux sommes.

Article 2 : La requête de l'ONIAM et le surplus des conclusions d'appel incident de Mme F... sont rejetés.

Article 3 : Le jugement du tribunal administratif de Strasbourg du 2 mai 2018 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.

Article 4 : L'ONIAM versera à Mme F... une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : Les conclusions présentées par la caisse primaire d'assurance maladie du Bas-Rhin sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales, à Mme F... et à la caisse primaire d'assurance maladie du Bas-Rhin.

N° 18NC01898 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nancy
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 18NC01898
Date de la décision : 09/07/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

60-02-01 Responsabilité de la puissance publique. Responsabilité en raison des différentes activités des services publics. Service public de santé.


Composition du Tribunal
Président : M. WURTZ
Rapporteur ?: M. Stéphane BARTEAUX
Rapporteur public ?: Mme SEIBT
Avocat(s) : BOUKARA

Origine de la décision
Date de l'import : 28/07/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nancy;arret;2020-07-09;18nc01898 ?
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