La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

22/10/2020 | FRANCE | N°18LY04574

France | France, Cour administrative d'appel de Lyon, 4ème chambre, 22 octobre 2020, 18LY04574


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

Mme E... I... épouse F..., M. D... F..., Mme C... F... et Mme B... F... ont demandé au tribunal administratif de Lyon, à titre principal, de condamner solidairement l'Etat et le centre hospitalier de Bourg-en-Bresse à leur verser la somme globale de 58 000 euros en réparation de leur préjudice moral résultant du décès de M. G... F..., à titre subsidiaire, de condamner l'Etat ou le centre hospitalier de Bourg-en-Bresse à leur verser la somme globale de 58 000 euros en réparation du préjudice moral résult

ant du décès de M. G... F....

Par un jugement n° 1603173 du 23 octobre 2018...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

Mme E... I... épouse F..., M. D... F..., Mme C... F... et Mme B... F... ont demandé au tribunal administratif de Lyon, à titre principal, de condamner solidairement l'Etat et le centre hospitalier de Bourg-en-Bresse à leur verser la somme globale de 58 000 euros en réparation de leur préjudice moral résultant du décès de M. G... F..., à titre subsidiaire, de condamner l'Etat ou le centre hospitalier de Bourg-en-Bresse à leur verser la somme globale de 58 000 euros en réparation du préjudice moral résultant du décès de M. G... F....

Par un jugement n° 1603173 du 23 octobre 2018, le tribunal administratif de Lyon a rejeté leur demande.

Procédure devant la cour

Par une requête, enregistrée le 18 décembre 2018, Mme E... I... épouse F..., M. D... F..., Mme C... F... et Mme B... F..., représentés par la SELARL " Etienne A... avocat ", demandent à la cour :

1°) d'annuler le jugement susmentionné du 23 octobre 2018 du tribunal administratif de Lyon ;

2°) de condamner l'Etat et le centre hospitalier de Bourg-en-Bresse à leur verser la somme globale de 58 000 euros en réparation de leur préjudice moral résultant du décès de M. G... F... ;

3°) de condamner l'Etat et le centre hospitalier de Bourg-en-Bresse aux entiers dépens ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat et du centre hospitalier de Bourg-en-Bresse la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent que :

- l'administration pénitentiaire a commis une faute en n'ayant pas su évaluer le risque suicidaire de M. G... F..., en reportant des informations erronées sur les grilles d'évaluation et en ne s'étant ainsi pas mise en meure de pouvoir adapter efficacement la surveillance de ce dernier à sa personnalité ;

- l'administration pénitentiaire a commis une négligence fautive concernant les informations communiquées dans le dossier individuel de M. G... F..., en particulier la mention d'une tentative de suicide le 12 août 2011 et ses antécédents d'hospitalisation d'office et en ne prenant pas en compte ces éléments, alors qu'elle ne pouvait ignorer la fragilité psychologique de l'intéressé ;

- il y a un lien de causalité entre les fautes commises par l'administration pénitentiaire et le préjudice qu'ils ont subi dès lors que si le Centre pénitentiaire avait mis en place une surveillance particulière de M. F..., son suicide aurait pu être évité ;

- le centre hospitalier de Bourg-en-Bresse, dont dépend l'unité médicale du centre pénitentiaire de Bourg-en-Bresse, a commis une faute en ne délivrant pas aux autorités pénitentiaires les renseignements nécessaires à l'orientation du détenu ainsi qu'aux modifications ou aux aménagements du régime pénitentiaire que pourrait justifier son état de santé, et en ne prenant pas en compte son état suicidaire, ce qui démontre une carence fautive dans son suivi médical ;

- il y a un lien de causalité entre la faute commise par le centre hospitalier de Bourg-en-Bresse et le préjudice qu'ils ont subi ;

- le préjudice moral subi est certain et ils sont fondés à obtenir en leur qualité respective de mère, père et soeurs du défunt, les sommes de 20 000 euros pour chaque ascendant et de 9 000 euros pour chaque soeur.

Par un mémoire en défense, enregistré le 4 mars 2020, le centre hospitalier de Bourg-en-Bresse, représenté par Me J..., conclut au rejet de la requête.

Il fait valoir qu'aucune faute ne peut lui être reprochée.

Par un mémoire enregistré le 2 juillet 2020, la garde des sceaux, ministre de la justice conclut au rejet de la requête.

Elle fait valoir que :

- la requête est irrecevable dès lors qu'elle ne contient aucun moyen d'appel ;

- elle s'en remet à son mémoire en défense produit le 18 juillet 2018 en première instance.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code de procédure pénale ;

- le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience.

Après avoir entendu au cours de l'audience publique :

- le rapport de M.H... ;

- les conclusions de M. Savouré, rapporteur public ;

- les observations de Me A..., représentant les requérants ;

Considérant ce qui suit :

1. M. G... F..., né le 23 janvier 1976, a été placé en détention provisoire à la maison d'arrêt de Corbas à compter du 12 mars 2011, puis incarcéré dans ce même établissement suite à sa condamnation par un arrêt de la cour d'assises du Rhône en date du 24 janvier 2014 à une peine de 15 ans de réclusion criminelle pour meurtre. L'intéressé a été transféré au centre pénitentiaire de Bourg-en-Bresse le 18 juin 2014. Le 23 janvier 2015 au matin, son co-détenu l'a découvert pendu dans la cellule. Malgré la mise en oeuvre de manoeuvres de réanimation et l'intervention des services de secours, le décès de M. F... a été constaté le 23 janvier 2015 à 6 h 51. Ses parents, Mme E... I... épouse F... et M. D... F..., et ses soeurs, Mme C... F... et Mme B... F..., ont, après le rejet de leur demande préalable, demandé au tribunal administratif de Lyon de condamner l'Etat et le centre hospitalier de Bourg-en- Bresse à leur verser la somme globale de 58 000 euros en réparation de leur préjudice moral résultant du décès de M. G... F.... Par un jugement du 23 octobre 2018, dont ils relèvent appel, le tribunal administratif de Lyon a rejeté leur demande.

Sur les conclusions à fin d'indemnisation :

En ce qui concerne la responsabilité de l'Etat :

2. La responsabilité de l'Etat en cas de préjudice matériel ou moral résultant du suicide d'un détenu peut être recherchée pour faute des services pénitentiaires en raison notamment d'un défaut de surveillance ou de vigilance. Une telle faute ne peut toutefois être retenue qu'à la condition qu'il résulte de l'instruction que l'administration n'a pas pris, compte tenu des informations dont elle disposait, en particulier sur les antécédents de l'intéressé, son comportement et son état de santé, les mesures que l'on pouvait raisonnablement attendre de sa part pour prévenir le suicide.

3. Il résulte de l'instruction que, dans une notice individuelle établie le 12 mars 2011, un juge d'instruction au tribunal de grande instance de Lyon a indiqué que M. F... avait fait état d'un épisode de dépression, qu'il était en cours de traitement médical, qu'un examen psychiatrique apparaissait nécessaire et que des éléments constatés dans la situation et le comportement de ce détenu laissaient craindre qu'il porte atteinte à son intégrité physique. Ces problèmes de dépression ont été confirmés par des expertises psychologiques intervenues les 3 mai et 19 juin 2011, qui concluaient à la nécessité d'un traitement pendant les phases dépressives de l'intéressé. M. F... a effectué une tentative de suicide par pendaison à la maison d'arrêt de Lyon-Corbas le 12 août 2011. Dès son incarcération le 12 mars 2011 à la maison d'arrêt de Lyon-Corbas, M. F... avait été placé en surveillance spécifique car signalé comme une personne fragile pouvant passer à l'acte. Il a été étroitement suivi par l'équipe du service médico-psychologique régional (SMPR), a plusieurs fois été placé en cellule sous dispositif de protection d'urgence (DPU), et a été hospitalisé en unité hospitalière spécialement aménagée (UHSA), dépendant du centre hospitalier spécialisé du Vinatier et réservée aux personnes détenues, du 17 août au 10 octobre 2011.

4. Toutefois, malgré ces antécédents, et en particulier la tentative de suicide précitée, ni la grille d'évaluation remplie lors de l'arrivée de l'intéressé au centre pénitentiaire de Bourg-en-Bresse, le 18 juin 2014, après son transfert de la maison d'arrêt de Lyon-Corbas, ni la fiche d'évaluation du potentiel suicidaire remplie le même jour, ne faisaient état d'une tentative antérieure de suicide. Cette dernière fiche mentionnait néanmoins des antécédents psychiatriques, tout en indiquant que l'intéressé avait indiqué ne pas nourrir de pensée suicidaires. M. F... ne faisait l'objet, avant le transfert précité, d'aucune mesure particulière relative à sa fragilité psychologique connue et à l'occasion de ce transfert, la maison d'arrêt de Corbas n'a pas fait part d'éléments particuliers laissant présager un penchant suicidaire. Le service médical du centre pénitentiaire de Bourg-en-Bresse n'a pas fait de signalement particulier et il n'y avait pas d'élément laissant penser que l'intéressé allait passer à l'acte. Le rapport de la commission pluridisciplinaire unique (CPU) " arrivants " du 23 juin 2014 a mentionné que l'état dépressif de l'intéressé était en voie d'amélioration et qu'il avait été un détenu " calme et correct " à Corbas. Par la suite, aucun problème particulier lié à sa santé n'a été relevé. Le personnel pénitentiaire n'a été témoin d'aucun signe laissant penser que M. F... était susceptible de passer à l'acte suicidaire, y compris avant et pendant l'examen de son appel par la cour d'assises, alors que sa tentative de suicide à la maison d'arrêt de Corbas remontait au 12 août 2011. Au contraire, M. F... adoptait un bon comportement en détention, avait une attitude normale les jours ou heures qui ont précédé son passage à l'acte, et recevait des visites très régulières de sa famille. M. F... partageait sa cellule avec un autre détenu faute de place disponible. Si son codétenu a, après le décès, déclaré que M. F... lui aurait fait part à plusieurs reprises à son retour en cellule la veille de sa mort, après avoir entendu dans la journée les réquisitions du parquet et dans la crainte du prononcé, qui devait intervenir lendemain, d'une lourde peine d'emprisonnement, de sa volonté de mettre fin à ses jours, il n'aurait cependant pas signalé au personnel pénitentiaire de telles déclarations de M. F..., faute d'y avoir apporté de crédibilité.

5. Il résulte de ce qui précède, eu égard au caractère imprévisible de l'acte suicidaire de M. F..., en l'absence d'élément ou de signes avant-coureurs connus du personnel pénitentiaire sur la possibilité d'un tel passage à l'acte, que les requérants ne sont pas fondés à soutenir que l'administration pénitentiaire a commis des fautes, d'une part, en n'ayant pas su évaluer et prévenir le risque suicidaire de M. F..., d'autre part, en ayant été négligente sur les informations communiquées dans le dossier individuel de M. G... F..., en particulier sa tentative de suicide le 12 août 2011 et ses antécédents médicaux, et en ne prenant pas en compte ces éléments.

En ce qui concerne la responsabilité du centre hospitalier de Bourg-en-Bresse :

6. Aux termes de l'article D. 368 du code de procédure pénale : " Les missions de diagnostic et de soins en milieu pénitentiaire et la coordination des actions de prévention et d'éducation pour la santé sont assurées par une équipe hospitalière placée sous l'autorité médicale d'un praticien hospitalier, dans le cadre d'une unité de consultations et de soins ambulatoires, conformément aux dispositions des articles R. 6112-14 à R. 6112-25 du code de la santé publique. /(...). ".

7. Il résulte de l'instruction que les observations médicales de 2013 à 2014 ne mentionnaient pas de suivi psychiatrique ni d'éléments dépressifs, ni d'idées suicidaires, et que l'intéressé ne suivait plus aucun traitement à base de psychotropes. Ni l'entretien infirmier organisé l'occasion de l'arrivée M. F... au centre pénitentiaire de Bourg-en-Bresse, le 18 juin 2014, ni sa consultation avec un médecin généraliste le 9 juillet 2014, ni le suivi par un psychiatre et par un psychologue dont il a bénéficié, n'ont révélé d'éléments dépressifs graves et d'idées suicidaires persistantes. L'intéressé n'a pas été signalé à l'unité de soins normalisés (USN) comme un patient ayant besoin d'être suivi sur le plan médical et psychologique. Ainsi, et eu égard, ainsi qu'il a été dit précédemment, en particulier au caractère imprévisible de l'acte suicidaire de M. F..., en l'absence d'élément sur la probabilité d'un tel passage à l'acte, et alors qu'il ne résulte pas de l'instruction que ce dernier ait du être pris en charge médicalement lors de son arrivée au centre pénitentiaire de Bourg-en-Bresse en raison d'un état dépressif et d'idées suicidaires, les requérants ne sont pas fondés à soutenir que le centre hospitalier de Bourg-en-Bresse, dont dépend l'unité médicale du centre pénitentiaire de Bourg-en-Bresse, a commis une faute en ne délivrant pas aux autorités pénitentiaires les renseignements nécessaires à l'orientation et la surveillance du détenu que justifiait son état de santé, et en ne prenant pas en considération son état suicidaire connu.

8. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin de statuer sur la fin de non-recevoir opposée par la garde des sceaux, ministre de la justice que les requérants ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lyon a rejeté leur demande. Leurs conclusions à fin d'indemnisation doivent donc être rejetées.

9. Leurs conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article R. 761-1 et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, doivent être rejetées par voie de conséquence.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de Mme E... I... épouse F..., M. D... F..., Mme C... F... et Mme B... F... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme E... I... épouse F..., M. D... F..., Mme C... F... et Mme B... F..., et au garde des sceaux, ministre de la justice.

Délibéré après l'audience du 1er octobre 2020, à laquelle siégeaient :

M. d'Hervé, président de chambre,

Mme Michel, président-assesseur,

M. H..., premier conseiller.

Lu en audience publique, le 22 octobre 2020.

2

N° 18LY04574


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Lyon
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 18LY04574
Date de la décision : 22/10/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : M. d'HERVE
Rapporteur ?: M. Christophe RIVIERE
Rapporteur public ?: M. SAVOURE
Avocat(s) : NOEL

Origine de la décision
Date de l'import : 07/11/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.lyon;arret;2020-10-22;18ly04574 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award