Vu la procédure suivante :
Par une requête enregistrée le 3 septembre 2018, la SAS les Cluses du Marais, représentée par Me D..., demande à la cour administrative d'appel de Lyon :
1°) d'annuler l'arrêté du 4 juillet 2018, par lequel le maire de Châtillon-sur-Cluses a refusé de lui délivrer un permis de construire valant autorisation commerciale ;
2°) d'enjoindre au maire de Châtillon-sur-Cluses de statuer de nouveau sur sa demande et de recueillir dans ce cadre un nouvel avis de la commission nationale d'aménagement commercial dans un délai de quatre mois à compter de la notification de la décision de la cour ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à son profit de la somme de 5 000 euros au titre de l'article L 761-1 du Code de justice administrative.
La SAS les Cluses du Marais soutient que :
- L'avis de la Commission nationale d'aménagement est insuffisamment motivé ;
- La commission n'a pas correctement apprécié les critères fixés par l'article L. 752-6 du code de commerce, tant en terme d'aménagement du territoire qu'en terme de développement durable ;
Par un mémoire enregistré le 12 février 2019, la société Douvaine Distribution représentée par Me B..., conclut au rejet de la requête de la SAS les Cluses du Marais.
Elle soutient qu'aucun moyen n'est fondé.
Par un mémoire enregistré le 4 mars 2019, la commune de Châtillon-sur-Cluses indique s'en remettre à la sagesse de la cour.
Par un mémoire enregistré le 12 février 2019, la société Douvaine distribution conclut au rejet de la requête.
Elle soutient que :
- les moyens invoqués ne sont pas fondés ;
- le projet, qui n'est pas compris dans le périmètre d'un schéma de cohérence territoriale, n'a pas reçu la dérogation prévue par l'article L. 142-5 du code de l'urbanisme préalablement à la saisine de la commission départementale d'aménagement commercial.
Par un mémoire enregistré le 29 mars 2019, la SAS les Cluses du Marais conclut aux mêmes fins que la requête, par les mêmes moyens.
Par un mémoire enregistré le 13 juin 2019, la société Taninges Distribution représentée par Me C..., conclu au rejet de la requête de la SAS les Cluses du Marais.
Elle soutient que les moyens invoqués ne sont pas fondés.
Les parties ont été informées que la cour était susceptible de relever d'office l'irrecevabilité des interventions, faute pour les défendeurs d'avoir conclu au rejet de la requête et, pour ce qui concerne la société Taninges distributions, d'avoir présenté des observations antérieurement à la clôture de l'instruction.
Par un mémoire enregistré le 7 novembre 2019, la société Douvaine distribution conclut aux mêmes fins que son précédent mémoire.
Elle soutient en outre qu'elle dispose de la qualité de partie et ne peut donc être qualifiée d'intervenant.
Par un mémoire enregistré le 13 novembre 2019, la société Taninges distribution conclut aux mêmes fins que son précédent mémoire.
Elle soutient en outre qu'elle dispose de la qualité de partie et ne peut donc être qualifiée d'intervenant.
Les sociétés Sabo et Odyssée, auxquelles la requête et les mémoires ont été communiqués, n'ont pas produit d'observations.
Après avoir été close en dernier lieu le 31 mai 2019, l'instruction a été rouverte.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code de commerce ;
- le code de l'urbanisme ;
- le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Savouré, premier conseiller,
- les conclusions de M. Vallecchia, rapporteur public,
- et les observations de Me D..., représentant la SAS Les Cluses du Marais, de Me B..., représentant Douvaine Distribution et de Me C..., représentant la SAS Taninges Distribution ;
Considérant ce qui suit :
1. La SAS les Cluses du Marais a déposé, le 25 octobre 2017, une demande de permis de construire, valant autorisation d'exploitation commerciale, pour la réalisation d'un supermarché de l'enseigne " bi1 " de 2 600 mètres carrés en centre bourg de Châtillon-sur-Cluses. La société Taninges Distribution, la société Douvaine Distribution, la société Sabo et la société Odyssée ainsi que la Fédération des groupements des commerçants de Haute-Savoie et le Mouvement écologique de la Haute-Vallée de l'Arve ont formé un recours contre l'avis favorable émis le 20 décembre 2017 par la commission départementale d'aménagement commercial de Haute-Savoie. Par un avis du 26 avril 2018, la commission nationale d'aménagement commercial, après avoir déclaré irrecevable le recours du Mouvement écologique de la Haute-Vallée de l'Arve, a rendu un avis défavorable au projet. Par arrêté du 4 juillet 2018, le maire de Châtillon-sur-Cluses a refusé de lui délivrer un permis de construire valant autorisation d'exploitation commerciale. Par la présente requête, la SAS les Cluses du Marais demande à la cour d'annuler cet arrêté.
Sur la légalité de l'arrêté attaqué :
2. En premier lieu, aux termes du second alinéa de l'article L. 752-20 du code de commerce : " Les décisions de la commission nationale indiquent le nombre de votes favorables et défavorables ainsi que les éventuelles abstentions. Elles doivent être motivées conformément aux articles L. 211-2 à L. 211-7 du code des relations entre le public et l'administration. " Aux termes de l'article L. 211-5 de ce code : " La motivation exigée par le présent chapitre doit être écrite et comporter l'énoncé des considérations de droit et de fait qui constituent le fondement de la décision ".
3. Pour succincte qu'elle soit, la motivation de l'avis est suffisante au regard des exigences résultant des dispositions précitées.
4. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 752-1 du code de commerce : " Sont soumis à une autorisation d'exploitation commerciale les projets ayant pour objet : / 1° La création d'un magasin de commerce de détail d'une surface de vente supérieure à 1 000 mètres carrés, résultant soit d'une construction nouvelle, soit de la transformation d'un immeuble existant (...) "
5. Aux termes de l'article L. 752-6 du code de commerce : " (...) La commission départementale d'aménagement commercial prend en considération : / 1° En matière d'aménagement du territoire : / a) La localisation du projet et son intégration urbaine ; / b) La consommation économe de l'espace, notamment en termes de stationnement ; / c) L'effet sur l'animation de la vie urbaine, rurale et dans les zones de montagne et du littoral ; / d) L'effet du projet sur les flux de transports et son accessibilité par les transports collectifs et les modes de déplacement les plus économes en émission de dioxyde de carbone ; / 2° En matière de développement durable : / a) La qualité environnementale du projet, notamment du point de vue de la performance énergétique, du recours le plus large qui soit aux énergies renouvelables et à l'emploi de matériaux ou procédés éco-responsables, de la gestion des eaux pluviales, de l'imperméabilisation des sols et de la préservation de l'environnement ; / b) L'insertion paysagère et architecturale du projet, notamment par l'utilisation de matériaux caractéristiques des filières de production locales ; / c) Les nuisances de toute nature que le projet est susceptible de générer au détriment de son environnement proche. (...) ".
6. L'autorisation d'aménagement commercial ne peut être refusée que si, eu égard à ses effets, le projet contesté compromet la réalisation des objectifs énoncés par la loi. Il appartient donc aux commissions d'aménagement commercial, lorsqu'elles statuent sur les dossiers de demande d'autorisation, d'apprécier la conformité du projet à ces objectifs, au vu des critères d'évaluation mentionnés à l'article L. 752-6 du code de commerce.
7. Pour émettre un avis défavorable au projet, la commission nationale d'aménagement commercial a estimé, tout d'abord, que le projet s'implantait le long d'une route à forte circulation entre Cluses et Taninges et ne comprenait qu'une voie d'accès et de sortie, ce qui était insuffisant pour assurer la sécurité routière, ensuite, qu'il ne répondait pas à l'objectif de consommation économe de l'espace et, enfin, que la consommation électrique du projet n'était pas optimale.
En ce qui concerne l'aménagement du territoire :
S'agissant de la consommation de l'espace :
8. L'emplacement du projet litigieux se situe à moins de 350 mètres du centre-ville et est bordé à l'est et à l'ouest par des lotissements résidentiels. En outre, si la commission nationale d'aménagement commercial a relevé que sur les 2,9 hectares que comporte le terrain assiette du projet, 1,35 hectares seront imperméabilisés soit 53 % de la surface, il ressort des pièces du dossier qu'il prendra la place d'un terrain en friche subissant actuellement des dépôts de gravas sans autorisation. Par ailleurs, la surface de pleine terre dédiée aux espaces verts représentera 11 883 mètres carrés, soit 46,8% de la surface foncière totale du projet. Si 0,44 hectares du terrain sont constitués de terrains agricole, il est prévu de maintenir les parcelles en question dans le cadre d'un bail ou d'une convention de mise à disposition avec l'exploitant.
9. Il ressort également des pièces du dossier que sur les 159 places de stationnement projetées, 69 seront réalisées en sous-sols, étant précisé que trente-neuf autres places sont perméabilisées. Par ailleurs, le bâtiment s'étendra seulement sur une surface plancher de 3 838 mètres carrés dont 2 600 mètres carrés de surface de vente grâce à la limitation des espaces perdus et des surfaces arrières (bureaux et laboratoires), de sorte que le ministre chargé du commerce comme le service instructeur de la commission se sont accordés pour relever la compacité du projet.
S'agissant des effets du projet sur les flux de transport :
10. Il ressort tout d'abord des pièces du dossier que le projet sera entouré de zones d'habitation qui constitueront une clientèle de proximité pouvant ainsi s'y rendre à pied. Le projet sera ainsi accessible en modes doux, contrairement à ce qu'indique la société Douvaine distribution. De même, étant situé sur une route menant aux stations de sport d'hiver, le projet bénéficiera du flux routier existant. Le projet, accessible depuis la quatrième branche d'un carrefour giratoire, placé sur la route départementale RD902 qui traverse la commune de Châtillon-sur-Cluses, permettra notamment d'engendrer un ralentissement du trafic lors de la traversée de la commune, augmentant ainsi la sécurité sur la voie. L'étude de trafic fournie en soutien de son mémoire en défense produit devant la commission nationale d'aménagement commercial, qui a été réalisée en mars 2018, au cours de la période de pointe dans la région que constituent les vacances d'hiver des zones B et C, a abouti à constater 11 400 traversées journalières de véhicules en moyenne, tandis que la charge du carrefour giratoire a quant à elle été évaluée à 1 600 véhicules lors de l'heure de pointe. Les réserves de capacité ont été évaluées à 53% de réserves de capacité minimum sur l'accès le plus chargé, ce qui est suffisant dès lors que les prévisions prévoient une augmentation du trafic correspondant à 160 véhicules supplémentaires par heure, maintenant ainsi une réserve de capacité de 43%. Enfin le pétitionnaire souligne que deux lignes de bus desservent l'arrêt " Chatillon-sur-Cluses - Mairie ", qui se situe à environ 150 mètres du terrain d'assiette du projet. Enfin le pétitionnaire a précisé que les livraisons seraient effectuées hors des heures d'ouverture au public entre 6h30 et 8h30.
11. Il résulte de ce qui précède que la commission nationale d'aménagement commercial a inexactement fait application des dispositions de l'article L. 752-6 du code de commerce en estimant que le projet compromettait les objectifs du législateur en matière d'aménagement du territoire.
En ce qui concerne le développement durable :
S'agissant de la qualité environnementale du projet :
12. Il ressort des pièces du dossier qu'ainsi qu'il a été dit plus haut, trente-six places de stationnement seront perméabilisées. Par ailleurs, le projet prévoit l'installation d'une centrale solaire pour la production d'eau chaude, permettant une économie de 30 % sur la production d'énergie ainsi que des panneaux solaires en toiture sur une surface de 975 m². Le projet prévoit également l'utilisation pour l'édification du bâtiment de matériaux éco responsables de la filière chanvre, qui est un isolant écologique à base de fibre végétale. Le projet prévoit aussi une attention particulière pour la gestion des déchets et des actions en matière de gestion des eaux, une limitation de la consommation énergétique et des nuisances lumineuses par l'emploi d'un éclairage LED permettant de programmer l'intensité. Enfin, la consommation prévisionnelle du bâtiment projeté de 241 KWha/mètre carrés par an correspond à l'étiquette énergétique D. Si le service instructeur a relevé quant à lui, que l'étude de faisabilité prévoit une consommation de 453 kwhEP/ m² par an, correspondant à une étiquette énergétique F, la pétitionnaire soutient sans être contredite que toutes les mesures d'économie d'énergie envisagées dans le cadre de son projet n'ont pu être prises en considération lors de ce calcul, celles-ci ne pouvant être sélectionnées dans le logiciel.
13. Il résulte de ce qui précède que la commission nationale d'aménagement commercial a inexactement fait application des dispositions de l'article L. 752-6 du code de commerce en estimant, au seul motif d'une mauvaise performance énergétique du projet, que celui-ci compromettait les objectifs du législateur en matière de développement durable.
14. Il résulte de tout ce qui précède que la SAS les Cluses du Marais est fondée à soutenir que le refus opposé à la demande de permis de construire valant autorisation commerciale est illégal du fait de l'illégalité de l'avis de la commission nationale d'aménagement commercial.
Sur la substitution de motif demandée par la société Douvaine distribution :
15. Aux termes de l'article L. 142-4 du code de l'urbanisme : " Dans les communes où un schéma de cohérence territoriale n'est pas applicable : (...) / 4° A l'intérieur d'une zone ou d'un secteur rendu constructible après la date du 4 juillet 2003, il ne peut être délivré d'autorisation d'exploitation commerciale en application de l'article L. 752-1 du code de commerce (...) ". Aux termes de l'article L. 142-5 du même code : " Il peut être dérogé à l'article L. 142-4 avec l'accord de l'autorité administrative compétente de l'Etat après avis de la commission départementale de la préservation des espaces naturels, agricoles et forestiers prévue à l'article L. 112-1-1 du code rural et de la pêche maritime et, le cas échéant, de l'établissement public prévu à l'article L. 143-16. La dérogation ne peut être accordée que si l'urbanisation envisagée ne nuit pas à la protection des espaces naturels, agricoles et forestiers ou à la préservation et à la remise en bon état des continuités écologiques, ne conduit pas à une consommation excessive de l'espace, ne génère pas d'impact excessif sur les flux de déplacements et ne nuit pas à une répartition équilibrée entre emploi, habitat, commerces et services ".
16. La société Douvaine distribution, qui doit être regardée, ainsi que la société Taninges distribution, comme partie à l'instance et non comme un simple intervenant, fait valoir que le projet est situé dans une commune où un schéma de cohérence territoriale n'est pas applicable et que la SAS Les cluses du marais n'a pas sollicité de dérogation préalablement à la saisine de la commission départementale d'aménagement commercial. Ce moyen présenté en défense par la société Douvaine distribution doit être regardé comme une demande de substitution de motif. Il n'y a cependant pas lieu de procéder à une telle substitution de motif qui ne peut être demandée au juge de l'excès de pouvoir que par l'administration auteure de la décision attaquée, laquelle s'est abstenue de produire un mémoire en défense et se borne à s'en remettre à la sagesse de la cour.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
17. Le présent arrêt implique nécessairement, eu égard à ses motifs, que la commission nationale d'aménagement commercial, qui se trouve à nouveau saisie de ce dossier, prenne un avis favorable au projet. Il est par ailleurs enjoint au maire de Châtillon-sur-Cluses de statuer à nouveau sur la demande de permis de construire de la société requérante après examen du respect des dispositions relatives au code de l'urbanisme.
Sur les frais liés au litige :
18. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
Article 1er : L'arrêté du 4 juillet 2018 du maire de Châtillon-sur-Cluses refusant de délivrer à la SAS les Cluses du Marais un permis de construire valant autorisation commerciale est annulé.
Article 2 : Il est enjoint, d'une part, à la commission nationale d'aménagement commercial, qui se trouve à nouveau saisie de ce dossier, de prendre un avis favorable au projet et, d'autre part, au maire de Châtillon-sur-Cluses de statuer à nouveau sur la demande de permis de construire de la société requérante.
Article 3 : L'Etat versera à la SAS les Cluses du Marais la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la SAS les Cluses du Marais, à la commune de Châtillon-sur-Cluses, à la société Douvaine Distribution, la SAS Taninges Distribution, à la société Sabo, à la société Odyssée au ministre de l'économie et des finances et au président de la Commission nationale d'aménagement commercial.
Délibéré après l'audience du 9 janvier 2020 à laquelle siégeaient :
M. Bourrachot, président de chambre,
Mme A..., présidente-assesseure,
M. Savouré, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 30 janvier 2020.
La greffière,
N° 18LY03384 2