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15/01/2020 | FRANCE | N°18LY00446

France | France, Cour administrative d'appel de Lyon, 5ème chambre, 15 janvier 2020, 18LY00446


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La SARL KW distribution a demandé au tribunal administratif de Lyon de lui accorder la décharge des droits supplémentaires de taxe sur la valeur ajoutée dont elle a été déclarée redevable au titre de la période du 15 novembre 2011 au 31 décembre 2012 et des pénalités correspondantes ;

Par un jugement n°1509459 du 5 décembre 2017, le tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 5 février 2018 et un mémoire enreg

istré le 23 septembre 2019, la SARL KW distribution demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement d...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La SARL KW distribution a demandé au tribunal administratif de Lyon de lui accorder la décharge des droits supplémentaires de taxe sur la valeur ajoutée dont elle a été déclarée redevable au titre de la période du 15 novembre 2011 au 31 décembre 2012 et des pénalités correspondantes ;

Par un jugement n°1509459 du 5 décembre 2017, le tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 5 février 2018 et un mémoire enregistré le 23 septembre 2019, la SARL KW distribution demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Lyon du 5 décembre 2017 ;

2°) de lui accorder la décharge demandée ;

3°) de mettre à la charge de l'État une somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- l'existence d'une fraude mise en place par les sociétés Mondial France et Mondial Company n'est pas démontrée ;

- l'administration ne démontre pas davantage qu'elle ait eu connaissance ou ne pouvait ignorer l'existence d'une telle fraude ;

- elle a méconnu sa propre doctrine, issue de l'instruction 3 A-7-07 ;

- l'administration a méconnu le principe d'égalité des armes.

Par un mémoire en défense, enregistré le 24 mai 2018, le ministre de l'action et des comptes publics conclut au rejet de la requête.

Il soutient qu'aucun des moyens invoqués par la SARL KW distribution n'est fondé.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience.

Après avoir entendu au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Savouré, premier conseiller,

- les conclusions de M. Vallecchia, rapporteur public,

- et les observations de Me C..., représentant la SARL KW Distribution ;

Considérant ce qui suit :

1. La SARL KW distribution a fait l'objet d'une vérification de comptabilité au titre de la période du 15 novembre 2011 au 31 décembre 2012, à l'issue de laquelle elle a été assujettie, à raison de son activité de grossiste en matériel informatique, à des rappels de taxe sur la valeur ajoutée, notifiés selon la procédure contradictoire, assortis des intérêts de retard et de la majoration pour manquement délibéré, au motif qu'elle avait participé à un circuit de fraude à la taxe sur la valeur ajoutée mis en place par les sociétés Mondial Company et Mondial France, qu'elle connaissait ou dont elle ne pouvait à tout le moins ignorer l'existence. La SARL KW distribution interjette appel du jugement par lequel le tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande tendant à la décharge des droits supplémentaires de taxe sur la valeur ajoutée dont elle a été déclarée redevable au titre de la période du 15 novembre 2011 au 31 décembre 2012 et des pénalités correspondantes.

2. Aux termes du 3 de l'article 272 du code général des impôts, dans sa rédaction alors applicable : " La taxe sur la valeur ajoutée afférente à une livraison de biens ne peut faire l'objet d'aucune déduction lorsqu'il est démontré que l'acquéreur savait ou ne pouvait ignorer que, par son acquisition, il participait à une fraude consistant à ne pas reverser la taxe due à raison de cette livraison ".

3. Si, pour l'application de ces dispositions, un assujetti à la taxe sur la valeur ajoutée disposant de justificatifs de l'expédition des biens à destination d'un autre Etat membre et du numéro d'identification à la taxe sur la valeur ajoutée de l'acquéreur doit être présumé avoir effectué une livraison intracommunautaire exonérée, cette présomption ne fait pas obstacle à ce que l'administration fiscale puisse établir que les livraisons en cause n'ont pas eu lieu, en faisant notamment valoir que des livraisons, répétées et portant sur des montants importants, ont eu pour destinataire présumé des personnes dépourvues d'activité réelle. Toutefois, le droit à exonération de cet assujetti ne peut être remis en cause que s'il est établi, au vu des éléments dont il avait connaissance, qu'il savait ou aurait pu savoir en effectuant les diligences nécessaires, que la livraison intracommunautaire qu'il effectuait le conduisait à participer à une fraude fiscale.

Sur l'activité des sociétés Mondial Company et Mondial France :

4. Le vérificateur a constaté que la SARL KW distribution avait acheté des disques durs, des clés USB, des tablettes et des processeurs auprès de la société de droit letton Mondial Company et de la société de droit français Mondial France, toutes deux dirigées par M. B.... La SARL Mondial Company, créée le 17 mai 2011, a été inscrite au registre du commerce et des sociétés de Paris le 23 juin 2011, avant d'en être radiée par jugement du tribunal de commerce de Paris le 17 février 2012. La société Mondial France a été créée le 20 février 2012, soit trois jours après la radiation de la SARL Mondial Company. Elle a elle-même été radiée du registre du commerce et des sociétés par un jugement du tribunal de commerce de Paris du 14 novembre 2012, publié le 19 décembre 2012. Le vérificateur a ainsi observé que ces deux sociétés étaient de création très récente, qu'elles avaient connu une croissance exponentielle de leur chiffre d'affaires et avaient ensuite brutalement cessé leur activité. Ces sociétés se sont aussi avérées défaillantes fiscalement pendant la durée de leur activité. Elles n'avaient pas d'employé et leur adresse était une domiciliation commerciale. Enfin, les marchandises facturées par ces deux sociétés étaient livrées directement vers les clients français par ses propres fournisseurs ou par une société tierce.

5. Si la SARL KW Distribution fait valoir que le vérificateur a indiqué que la société Mondial Company n'était que " partiellement défaillante ", il résulte de l'instruction que celui-ci faisait référence à des acomptes très modestes au regard de la fraude constatée et qui ont été payés en 2011 alors que les rappels portent sur l'année 2012. Par ailleurs, l'administration démontre suffisamment la défaillance de ces sociétés en produisant les propositions de rectification qui leur ont été adressées, et qui mentionnent qu'aucune déclaration de taxe sur la valeur ajoutée n'a été déposée malgré l'envoi d'une mise en demeure.

6. Il résulte de ce qui précède que l'administration démontre que les sociétés Mondial Company et Mondial France omettaient frauduleusement de reverser la taxe due à raison de livraisons de matériel dont la destinataire était la SARL KW Distribution.

Sur la connaissance de la fraude par la SARL KW Distribution :

7. Pour établir que la SARL KW distribution savait ou ne pouvait ignorer qu'elle participait à une fraude, le vérificateur a relevé que les prix pratiqués par les sociétés Mondial France et Mondial Company, qui représentaient environ un quart de son approvisionnement au cours de la période litigieuse, étaient quasiment toujours inférieurs au prix moyen pondéré.

8. Toutefois, tout d'abord, il convient de relever que la SARL KW Distribution disposait de plusieurs fournisseurs. Au cours de la période litigieuse, la société Mondial France n'était que son second fournisseur en terme de chiffre d'affaires, tandis que la société Mondial Company, qui l'a précédée, ne lui a adressé qu'une seule facture le 24 janvier 2012, peu avant sa liquidation.

9. Ensuite, si pour établir que les prix pratiqués par ces deux fournisseurs étaient inférieurs aux prix du marché, le vérificateur a comparé leurs prix, produit par produit, au prix moyen pondéré, tous fournisseurs compris, il ressort de la proposition de rectification que, quand bien-même ils étaient compétitifs, les prix des sociétés Mondial France et Mondial company n'étaient, pour l'essentiel, pas significativement inférieurs au prix moyen pondéré et ne représentaient que 23% des achats totaux durant la période litigieuse. Notamment, sur 111 factures fournisseur dépouillées, les sociétés Mondial France et Mondial Company ont émis 27 factures dont le montant était inférieur au prix moyen pondéré, tandis que les autres fournisseurs ont émis 25 factures inférieures au prix moyen pondéré. La société requérante propose une autre modalité de calcul tenant compte de la variation du dollar et de la variation alléguée du prix des marchandises au cours de l'année. Cette méthode, dont les résultats diffèrent peu de ceux qui résultent de celle de l'administration, aboutit à constater que 26 factures dont le prix est inférieur au prix du marché auraient été émises par les fournisseurs défaillants et 16 par d'autres fournisseurs. Surtout, les écarts de prix constatés sont peu significatifs. Ainsi, s'agissant du produit " HDD 3.5 Seagate ", les acquisitions auprès des sociétés défaillantes l'ont été pour un prix moyen de 41,14 euros tandis que le prix moyen pondéré était de 42,09 euros et le prix moyen des autres fournisseurs de 43,61 euros. S'agissant du produit " HDDEX Toshiba ", les acquisitions auprès des sociétés défaillantes l'ont été pour un prix moyen de 39,30 euros tandis que le prix moyen pondéré était de 40,59 euros et le prix moyen des autres fournisseurs de 46,57 euros. S'agissant du produit " processeur Intel Core ", les acquisitions auprès des sociétés défaillantes l'ont été pour un prix moyen de 132,25 euros tandis que le prix moyen pondéré était de 135,41 euros et le prix moyen des autres fournisseurs de 139,84 euros. S'agissant du produit " Soft Windows Home Premium 7 ", les acquisitions auprès des sociétés défaillantes l'ont été pour un prix moyen de 93,99 euros tandis que le prix moyen pondéré était de 95,01 euros et le prix moyen des autres fournisseurs de 96 euros euros. Enfin, s'agissant du produit " processeur Intel Core ", les acquisitions auprès des sociétés défaillantes l'ont été pour un prix moyen de 63,77 euros tandis que le prix moyen pondéré était de 63,85 euros et le prix moyen des autres fournisseurs de 63,89 euros. Il ressort de ces éléments que si les prix proposés par les sociétés Mondial France et Mondial Company étaient inférieurs aux prix pratiqués par les concurrents, les écarts sont, à l'exception d'une facture, inférieurs à 4 % et par conséquent insuffisamment significatifs pour considérer que la SARL KW Distribution savait ou ne pouvait ignorer qu'elle participait à une fraude.

10. En outre, l'imprécision de l'objet social (import-export de tous produits), la circonstance que le capital social des sociétés Mondial France et Mondial Company soit faible et la discordance entre l'adresse de domiciliation et celle du compte bancaire ne peuvent être regardées, en l'espèce, comme des indices suffisants pour permettre à leurs clients de soupçonner une fraude. De même, l'absence de salarié et l'absence de moyens d'exploitation n'était pas nécessairement connu de la SARL KW Distribution. La circonstance que la SARL KW Distribution savait que les produits étaient expédiés par les fournisseurs des sociétés Mondial France et Mondial Company ne permet pas davantage, à elle seule, d'établir qu'elle avait connaissance de participer à une fraude. L'administration ne saurait reprocher à la SARL KW Distribution la circonstance que les sociétés Mondial Company et Mondial France se soient montrées non coopératives lors des contrôles dont elles ont fait l'objet. De même, la circonstance qu'un associé de la SARL KW Distribution se soit déplacé le 23 janvier 2012 au domicile de M. B... en vue de prendre livraison de la première commande effectuée auprès de la société Mondial Company, ne suffit pas à établir l'existence de liens personnels ou économiques entre ces deux personnes.

11. Par ailleurs, si l'administration relève que certaines marchandises ont été payées avant l'émission de la facture et la livraison, ce qui constitue des modalités inhabituelles, il résulte de l'instruction que la société requérante procédait de la même façon avec d'autres fournisseurs.

12. Enfin, dans les circonstances de l'espèce, compte tenu de ce qui vient d'être dit aux points 8 à 10 ci-dessus, il ne saurait être reproché à la société requérante, qui avait demandé à ses fournisseurs un extrait K-bis, de ne pas avoir réclamé une attestation de régularité fiscale.

13. Dans ces conditions, et alors que les sociétés Mondial France et Mondial Company ne concourraient qu'à environ un quart de ses acquisitions, l'administration ne peut être regardée comme rapportant la preuve de ce que la SARL KW Distribution savait ou ne pouvait ignorer qu'elle participait à une fraude.

14. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que la SARL KW distribution est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande tendant à la décharge des impositions litigieuses.

Sur les frais liés au litige :

15. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros à verser à la SARL KW distribution au titre des frais liés au litige.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Lyon du 5 décembre 2017 est annulé.

Article 2 : La SARL KW distribution est déchargée des droits supplémentaires de taxe sur la valeur ajoutée dont elle a été déclarée redevable au titre de la période du 15 novembre 2011 au 31 décembre 2012 et des pénalités correspondantes.

Article 3 : L'Etat versera à la SARL KW distribution la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la SARL KW distribution et au ministre de l'action et des comptes publics.

Délibéré après l'audience du 9 décembre 2019 à laquelle siégeaient :

M. Bourrachot, président de chambre,

Mme A..., présidente-assesseure,

M. Savouré, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 15 janvier 2020.

2

N° 18LY00446


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Lyon
Formation : 5ème chambre
Numéro d'arrêt : 18LY00446
Date de la décision : 15/01/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Fiscal

Analyses

19-06-02-08-04 Contributions et taxes. Taxes sur le chiffre d'affaires et assimilées. Taxe sur la valeur ajoutée. Liquidation de la taxe. Fraude.


Composition du Tribunal
Président : M. BOURRACHOT
Rapporteur ?: M. Bertrand SAVOURE
Rapporteur public ?: M. VALLECCHIA
Avocat(s) : SCP MAZEN CANNET MIGNOT

Origine de la décision
Date de l'import : 21/01/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.lyon;arret;2020-01-15;18ly00446 ?
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