Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure
Mme B... E... a demandé au tribunal administratif de Clermont-Ferrand :
1°) d'annuler la décision en date du 6 août 2015 par laquelle le ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt a décidé de ne pas la titulariser dans le corps des maîtres de conférences de l'enseignement agricole ;
2°) d'annuler l'arrêté en date du 6 août 2015 du ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt mettant fin à ses fonctions de maître de conférences stagiaire des établissements d'enseignement supérieur publics à compter du 1er septembre 2015 ;
3°) d'annuler l'arrêté en date du 10 août 2015 par lequel le ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt a mis fin à ses fonctions de maître de conférences stagiaire des établissements d'enseignement supérieur publics à compter du 1er septembre 2015 ;
4°) d'enjoindre au ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt, de la titulariser à compter du 1er septembre 2015 et de procéder à la reconstitution de sa carrière sous astreinte que le tribunal voudra bien fixer.
Par un jugement n° 1501957 du 2 novembre 2017, le tribunal administratif de Clermont-Ferrand a rejeté la demande de Mme E....
Procédure devant la cour
Par une requête enregistrée le 2 janvier 2018 et un mémoire enregistré le 25 octobre 2019, Mme B... E..., représentée par Me I..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Clermont-Ferrand du 2 novembre 2017, la décision du 6 août 2015 par laquelle le ministre de l'agriculture a décidé de ne pas la titulariser et les arrêtés du 6 août 2015 et du 10 août 2015 mettant fin à ses fonctions de maître de conférences stagiaire à compter du 1er septembre 2015 ;
2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 800 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
* les premiers juges n'ont pas répondu au moyen tiré d'une méconnaissance du principe d'égalité prévu par l'article 6 de la loi du 13 juillet 1983 ;
* les signataires des décisions litigieuses étaient incompétents ;
* la décision de refus de titularisation et de prolongation de stage a été prise en méconnaissance de l'article 28 du décret n° 92-171 du 21 février 1992 car elle a été prise ans attendre l'avis de la commission nationale des enseignants chercheurs en agronomie ;
* c'est à tort que les juges de première instance ont considéré que le ministre de l'agriculture était en situation de compétence liée ;
* le refus de titularisation est entaché d'une erreur manifeste d'appréciation ;
* la décision litigieuse méconnaît le principe du droit de la défense dès lors que son licenciement n'est pas fondé sur une insuffisance professionnelle mais sur ses congés maladie ;
* elle est entachée d'un détournement de pouvoir.
Par un mémoire en défense, enregistré le 19 septembre 2018, le ministre de l'agriculture conclut au rejet de la requête.
Il soutient que :
* le jugement n'est pas irrégulier ;
* les moyens se rapportant à son bien-fondé doivent être écartés.
Les parties ont été informées, en application des dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que l'arrêt était susceptible d'être fondé sur un moyen relevé d'office, tiré de l'irrecevabilité du moyen tiré de l'illégalité de la décision de non-titularisation du 4 septembre 2014 dès lors que Mme E... ne s'est prévalue pour la première fois de cette illégalité que dans sa requête de première instance du 23 octobre 2015, soit plus d'un an après avoir eu connaissance de ladite décision. Ce délai excède le délai raisonnable au terme duquel il est porté atteinte au principe de sécurité juridique, qui implique que ne puissent être remises en cause, sans condition de délai, des situations consolidées par l'effet du temps, et qui fait obstacle à ce que puisse être contestée indéfiniment une décision administrative individuelle qui a été notifiée à son destinataire, ou dont il est établi, à défaut d'une telle notification, que celui-ci a eu connaissance (CE 27 février 2019 M. F... n° 418950 A).
Par un mémoire enregistré le 26 décembre 2019, Mme E... a présenté des observations sur ce moyen susceptible d'être soulevé d'office ;
Par ordonnance du 8 octobre 2019, la clôture d'instruction a été fixée au 28 octobre 2019.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
* la loi n° 83634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires ;
* la loi n° 8416 du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'Etat ;
* le décret n° 92171 du 21 février 1992 portant statuts particuliers des corps d'enseignants chercheurs des établissements d'enseignement supérieur publics relevant du ministre chargé de l'agriculture ;
* le décret n° 2005850 du 27 juillet 2005 relatif aux délégations de signature des membres du Gouvernement ;
* l'arrêté du 30 juin 2008 portant organisation et attributions du secrétariat général ;
* le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience.
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
* le rapport de M. Pierre Thierry, premier conseiller,
* les conclusions de M. Samuel Deliancourt, rapporteur public,
* et les observations de Mme E....
Considérant ce qui suit :
1. Mme E... a été nommée maître de conférences stagiaire en agronomie le 1er juin 2013 et affectée à l'Institut d'enseignement supérieur et de recherche en alimentation, santé animale, sciences agronomiques et de l'environnement (VetAgro Sup) relevant du ministre de l'agriculture. A l'issue de sa première année de stage, elle n'a pas été titularisée et sa période de stage a été renouvelée. Par un courrier du 6 août 2015, le ministre de l'agriculture l'a informée qu'elle ne serait pas titularisée et, par un arrêté du même jour, il a mis fin à ses fonctions à compter du 1er septembre 2015 pour cause de non-titularisation. Par un arrêté du 10 août 2015, il a repris la même décision. Mme E... relève appel du jugement du tribunal administratif de Clermont-Ferrand du 2 novembre 2017 qui a rejeté sa demande d'annulation de ces décisions.
Sur la régularité du jugement :
2. Le tribunal administratif de Clermont-Ferrand a répondu aux points 16 à 18 de son jugement au moyen tiré de la méconnaissance de l'article 6 de la loi du 13 juillet 1983. Le jugement est régulier.
Sur le bien-fondé du jugement :
En ce qui concerne la compétence des signataires des décisions attaquées :
3. Le moyen tiré de l'incompétence de M. C... et de Mme H... doit être écarté par les motifs retenus par le tribunal administratif de Clermont-Ferrand aux points 2 à 6 de son jugement, et qu'il y a lieu, pour la cour, d'adopter.
En ce qui concerne la décision de renouvellement de la période de stage :
4. En vertu de l'article 28 du décret n° 92-171 du 21 février 1992, la décision de renouvellement du stage est prise après avis conformes du directeur de l'établissement d'affectation, d'une commission constituée, dans chaque établissement, de membres du conseil des enseignants désignés par ce dernier et répartis à parité entre les maîtres de conférences et les professeurs et de la section compétente de la Commission nationale des enseignants-chercheurs. Par un courrier du 4 septembre 2014, Mme E... a été informée qu' " il a été décidé de prolonger votre stage préalable à la titularisation, jusqu'au 31 août 2015 " alors que la commission nationale des enseignants-chercheurs n'a rendu un avis à son sujet que le 2 octobre 2014. Mme E... est ainsi fondée à soutenir que la décision dont elle a été informée par ce courrier du 4 septembre 2014 a été prise en méconnaissance des dispositions susmentionnées.
5. Toutefois, Mme E..., qui ne conteste pas avoir été destinataire du courrier du 4 septembre 2014 décidant que sa période de stage était renouvelée, et qui a d'ailleurs indiqué à l'audience l'avoir reçu le 17 septembre 2014, n'a pas contesté cette décision.
6. Le principe de sécurité juridique, qui implique que ne puissent être remises en cause, sans condition de délai, des situations consolidées par l'effet du temps, fait obstacle à ce que puisse être contestée indéfiniment une décision administrative individuelle qui a été notifiée à son destinataire, ou dont il est établi, à défaut d'une telle notification, que celui-ci en a eu connaissance. En une telle hypothèse, si le non-respect de l'obligation d'informer l'intéressé sur les voies et les délais de recours, ou l'absence de preuve qu'une telle information a bien été fournie, ne permet pas que lui soient opposés les délais de recours fixés par le code de justice administrative, le destinataire de la décision ne peut exercer de recours juridictionnel au-delà d'un délai raisonnable. En règle générale et sauf circonstances particulières dont se prévaudrait le requérant, ce délai ne saurait, sous réserve de l'exercice de recours administratifs pour lesquels les textes prévoient des délais particuliers, excéder un an à compter de la date à laquelle une décision expresse lui a été notifiée ou de la date à laquelle il est établi qu'il en a eu connaissance.
7. Mme E... ne s'est prévalue de l'irrégularité de la décision de renouvellement de son stage notifiée par le courrier du 4 septembre 2014 pour la première fois que dans sa demande enregistrée au tribunal administratif de Clermont-Ferrand le 23 octobre 2015. Elle n'invoque pas de circonstances particulières qui auraient fait obstacle à ce qu'elle demande l'annulation ou le retrait de cette décision et n'est, dès lors, pas recevable à se prévaloir, par la voie de l'exception, de l'irrégularité de cette décision à l'appui de ses conclusions à fin d'annulation contre les décisions du 6 et 10 août 2015.
En ce qui concerne l'étendue du pouvoir du ministre de l'agriculture sur la décision de non titularisation :
8. En vertu des dispositions de l'article 28 du décret n° 92-171 du 21 février 1992, les maîtres de conférences dont le stage a été renouvelé sont, aux termes de celui-ci, soit titularisés, soit réintégrés dans leur corps d'origine, soit licenciés selon les mêmes modalités que pour la décision de renouvellement du stage.
9. Il ressort des pièces du dossier que si la commission de titularisation de l'établissement d'affectation de Mme E... ainsi que la section compétente de la Commission nationale des enseignants-chercheurs ont toutes deux émis un avis favorable à la titularisation l'intéressée, le directeur de l'établissement a émis un avis, le 5 juin 2015, défavorable à cette titularisation. Contrairement à ce que soutient Mme E..., c'est à bon droit que les premiers juges ont considéré que, dès lors qu'au moins un des avis était défavorable à la titularisation, le ministre ne pouvait pas légalement la titulariser.
En ce qui concerne l'appréciation portée sur Mme E... :
10. Il ressort de ces mêmes pièces que si l'activité de Mme E... en matière de recherche a fait l'objet d'appréciations positives sur la totalité de sa période de stage, les avis rendus sur son activité en matière d'enseignement ont fait état d'insuffisances, plus particulièrement lors de la deuxième année de stage. Ainsi, dans un avis rendu le 10 juillet 2014, le directeur général de l'établissement, M. G... a relevé les difficultés de Mme E... lors de son intégration en particulier les problèmes d'interactions avec ses collègues. Il avait également noté, dans un rapport de novembre 2014 sur son activité pédagogique, l'approche passive de cette dernière qui n'a pas souhaité réaliser de travaux dirigés ou de travaux pratiques ainsi que des difficultés pédagogiques, ses cours magistraux étant mal notés par les étudiants. A la suite du renouvellement de la période de stage de Mme E..., le directeur a encore constaté dans un rapport daté du 28 mai 2015 sur l'activité d'enseignement de celle-ci, sa défaillance et son insuffisance en dépit de l'investissement important de son référent pédagogique. Enfin, dans son avis du avis du 5 juin 2015, il a estimé que Mme E... n'avait pas " fait preuve d'un sens élevé du service public (...) ce qui se traduit par des défaillances dans ses enseignements tant en ce qui concerne leur régularité que la qualité de leur contenu. Ces défaillances sont en outre source de conflits avec les collègues ".
11. La tonalité de ses avis et de ce rapport a été confirmée par un avis du responsable du département agriculture et espace du 27 mai 2015 qui a notamment relevé un manque d'implication dans les activités transversales ou pluridisciplinaires et mentionne que Mme E... ne parvient pas à anticiper suffisamment l'organisation de son enseignement. Il a constaté sa défaillance dans plusieurs missions pédagogiques occasionnant des reports de cours et une absence aux soutenances de rapports de stage alors, selon le même avis, que sa charge de travail en matière d'enseignement a été en dessous d'un service normal.
12. Malgré une appréciation plus positive sur les efforts accomplis par Mme E..., son référent pédagogique dans son rapport du 27 mai 2015 n'a pas contesté la réalité de difficultés, notamment en début d'année, constatant que " les relations avec l'institution ont parfois été difficiles " et que les échanges avec Mme E... " n'ont pas toujours été simples ". Si ce même rapport a relevé le " degré d'inconfort qu'a engendré la situation administrative qui n'a pas été clarifiée par le ministère " et a témoigné des efforts accomplis, il n'en a pas moins mentionné dans sa conclusion qu'" il reste des points de tension ".
13. Dans ces conditions, les décisions attaquées ont été prises sur le fondement d'avis conformes qui ne sont pas entachés d'erreur manifeste d'appréciation.
En ce qui concerne la méconnaissance du droit de la défense invoquée :
14. En premier lieu, et contrairement aux affirmations de Mme E..., il ne ressort pas des pièces du dossier que son licenciement a été motivé par son état de santé, mais a pour fondement l'appréciation portée sur sa valeur et ses capacités professionnelles.
15. En second lieu, un agent public ayant, à la suite de son recrutement ou dans le cadre de la formation qui lui est dispensée, la qualité de stagiaire, il est placé dans une situation probatoire et provisoire. Il en résulte qu'alors même que la décision de ne pas le titulariser en fin de stage est fondée sur l'appréciation portée par l'autorité compétente sur son aptitude à exercer les fonctions auxquelles il peut être appelé et, de manière générale, sur sa manière de servir, et se trouve ainsi prise en considération de sa personne, elle n'est pas - sauf à revêtir le caractère d'une mesure disciplinaire - au nombre des mesures qui ne peuvent légalement intervenir sans que l'intéressé ait été mis à même de faire valoir ses observations ou de prendre connaissance de son dossier, et n'est soumise qu'aux formes et procédures expressément prévues par les lois et les règlements. Il en résulte, ainsi que l'a jugé à bon droit le tribunal administratif de Clermont-Ferrand, au point 12 de son jugement que le moyen tiré du défaut de communication du dossier et de la méconnaissance des droits de la défense doit être écarté.
En ce qui concerne le détournement de pouvoir allégué :
16. Le tiré moyen tiré du détournement de pouvoir doit être écarté par les motifs retenus à bon droit par le tribunal administratif de Clermont-Ferrand aux points 2 à 6 de son jugement, et qu'il y a lieu, pour la cour, d'adopter.
Sur les conclusions relatives aux frais d'instance :
17. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative faisant obstacle à ce que soit mise à charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante, une somme à ce titre, les conclusions de Mme E... en ce sens doivent être rejetées.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de Mme E... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... E... et au ministre de l'agriculture.
Délibéré après l'audience du 14 janvier 2020 à laquelle siégeaient :
Mme D... A..., présidente de chambre,
Mme J..., présidente-assesseure,
M. Pierre Thierry, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 6 février 2020.
No 18LY000032