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16/03/2018 | FRANCE | N°17NT01526

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 4ème chambre, 16 mars 2018, 17NT01526


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Le département de la Manche a demandé au tribunal administratif de Caen de condamner la société Signalisation France à lui verser la somme de 2 235 742 euros en réparation du préjudice subi du fait des pratiques anticoncurrentielles caractérisées par l'Autorité de la concurrence dans sa décision n° 10-D-39 du 22 décembre 2010.

Par un jugement n° 1500353 du 6 avril 2017, le tribunal administratif de Caen a condamné la société Signalisation France à verser au département de la Manche la som

me de 2 235 742 euros.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 15...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Le département de la Manche a demandé au tribunal administratif de Caen de condamner la société Signalisation France à lui verser la somme de 2 235 742 euros en réparation du préjudice subi du fait des pratiques anticoncurrentielles caractérisées par l'Autorité de la concurrence dans sa décision n° 10-D-39 du 22 décembre 2010.

Par un jugement n° 1500353 du 6 avril 2017, le tribunal administratif de Caen a condamné la société Signalisation France à verser au département de la Manche la somme de 2 235 742 euros.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 15 mai 2017, la société Signalisation France, représentée par MeA..., demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Caen du 6 avril 2017 ;

2°) de rejeter la demande présentée par le département de la Manche devant le tribunal administratif de Caen ;

3°) de mettre à la charge du département de la Manche la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le département de la Manche n'a pas émis de titre exécutoire pour recouvrer les sommes qu'il estime lui être dues, de sorte que sa demande de première instance est irrecevable ;

- l'action engagée par le département de la Manche était prescrite ;

- la méthode d'évaluation du prétendu surcoût est erroné ;

- pour le surplus, elle s'en rapporte à ses écritures de première instance.

Par un mémoire en défense, enregistré le 29 septembre 2017, le département de la Manche conclut au rejet de la requête et demande que la somme de 3 000 euros soit mise à la charge de la société Signalisation France en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient qu'aucun des moyens de la requête n'est fondé.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code civil ;

- le code de commerce ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Rimeu,

- les conclusions de M. Bréchot, rapporteur public,

- et les observations de Me de la Ferté Senectère, avocat de la société Signalisation France, et celles de Me Joly, avocat du département de la Manche.

1. Considérant que, les 21 janvier 2002 et 31 mars 2005, le département de la Manche a conclu avec la société Signature SA, devenue société Signalisation France, des marchés de fourniture et de pose de panneaux de signalisation routière ; que par une décision n° 10-D-39 du 22 décembre 2010 relative à des pratiques mises en oeuvre dans le secteur de la signalisation routière verticale, l'Autorité de la concurrence a sanctionné huit fabricants de panneaux de signalisation routière verticale, dont la société Signature SA, pour avoir mis en place entre 1997 et 2006 une entente de répartition des marchés publics de la signalisation routière verticale ; que par un arrêt du 29 mars 2012 devenu définitif, la cour d'appel de Paris a confirmé pour l'essentiel cette décision et minoré le montant des amendes infligées ; que, par un jugement du 6 avril 2017, le tribunal administratif de Caen a condamné la société Signalisation France à verser au département de la Manche la somme de 2 235 742 euros en réparation des préjudices subis du fait de ces pratiques anticoncurrentielles ; que la société Signalisation France relève appel de ce jugement ;

Sur la recevabilité de la demande de première instance :

2. Considérant qu'une collectivité publique est irrecevable à demander au juge administratif de prononcer une mesure qu'elle a le pouvoir de prendre ; qu'en particulier, les collectivités territoriales, qui peuvent émettre des titres exécutoires à l'encontre de leurs débiteurs, ne peuvent saisir directement le juge administratif d'une demande tendant au recouvrement de leur créance ; que cependant, lorsque la créance trouve son origine dans un contrat, la faculté d'émettre un titre exécutoire dont dispose une personne publique ne fait pas obstacle à ce que celle-ci saisisse le juge d'administratif d'une demande tendant à son recouvrement, y compris lorsque son action est fondée sur la responsabilité quasi délictuelle de son cocontractant en raison d'agissements dolosifs ;

3. Considérant que l'action introduite par le département de la Manche devant le juge administratif est fondée sur la responsabilité quasi délictuelle de la société Signalisation France en raison des agissements dolosifs de celle-ci lors de la conclusion les 21 janvier 2002 et 31 mars 2005 de deux marchés de fourniture de panneaux de signalisation routière ; que cette action trouve son origine dans le contrat et pouvait donc faire l'objet d'une saisine directe du juge administratif ; que la demande présentée par le département de la Manche devant le tribunal administratif de Caen était donc recevable ;

Sur la prescription :

4. Considérant qu'aux termes de l'article 2224 du code civil dans sa rédaction issue de l'article 1er de la loi du 17 juin 2008, entrée en vigueur le 19 juin suivant : " Les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer. " ; qu'aux termes de l'article 2222 du même code : " En cas de réduction de la durée du délai de prescription ou du délai de forclusion, ce nouveau délai court à compter du jour de l'entrée en vigueur de la loi nouvelle, sans que la durée totale puisse excéder la durée prévue par la loi antérieure " ;

5. Considérant qu'il est constant que le délai de prescription de l'action engagée par le département de la Manche, qui a été réduit par la loi précitée du 17 juin 2008, est, en application des dispositions précitées des articles 2224 et 2222 du code civil, de cinq ans à compter du jour où ce département a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d'exercer cette action ; qu'il résulte de l'instruction que si la presse a fait état dés 2006 de l'enquête en cours et si le département a été, dans ce cadre, interrogé par le conseil de la concurrence, ce n'est que lorsque l'Autorité de la concurrence a rendu sa décision précitée du 22 décembre 2010 que l'entente et les pratiques anticoncurrentielles dans ce secteur peuvent être regardées comme établies ; que dans ces conditions, le département n'a pas pu avoir connaissance des faits lui permettant d'exercer une action contre la société Signature SA, devenue Signalisation France, avant cette décision du 22 décembre 2010 ; qu'il suit de là que l'action engagée par le département de la Manche devant le tribunal administratif de Caen le 16 février 2015 n'était pas prescrite ;

Sur la responsabilité :

6. Considérant que la société Signature SA a été condamnée, pour les faits retenus par la décision de l'Autorité de la concurrence du 22 décembre 2010, par l'arrêt de la cour d'appel de Paris du 29 mars 2012 à une amende de 10 millions d'euros pour violation des articles L. 420-1 et L. 420-2 du code de commerce prohibant les ententes anticoncurrentielles et abus de position dominante ; qu'il résulte de ces décisions et n'est d'ailleurs pas contesté que la société Signature SA est à l'origine de la mise en place en 1997 du " cartel de la signalisation verticale " en France, qui sera démantelé en 2006 et qui a permis à huit sociétés, dont Signature SA, de se répartir les marchés de panneaux de signalisation par application d'un plan anticoncurrentiel ; que, par suite, il est constant que la responsabilité pour faute de la société Signalisation France à l'égard du département de la Manche, pour les marchés conclus les 21 janvier 2002 et 31 mars 2005 est engagée ;

7. Considérant que ni le choix d'une procédure restreinte pour la passation de ces marchés, ni la pondération à 30% du critère du prix, qui sont des circonstances sans lien avec les agissements dolosifs de la société Signalisation France, ne sont de nature à exonérer partiellement celle-ci de sa responsabilité ; qu'il suit de là que la société Signalisation France doit être condamnée à indemniser le département de la Manche de la totalité du préjudice subi du fait des agissements dolosifs mentionnés au point 6 ci-dessus ;

Sur l'évaluation du préjudice :

8. Considérant, d'une part, que les circonstances que l'expert a demandé l'extension de sa mission aux marchés attribués en 2005 à la société Signalisation France, qu'il a constaté que la société Signalisation France ne produisait pas de pièces relatives aux marchés litigieux, qu'il a proposé d'extrapoler une estimation relative au marché n° 05-019 conclu en 2005 à des marchés antérieurs, pour lesquels seuls des éléments issus de la comptabilité du département existaient, ne sont pas de nature à établir un doute sur l'impartialité de l'expert ; que ce dernier s'est ainsi borné à accomplir les démarches et à demander les documents utiles à l'accomplissement de sa mission ; que les parties ont eu connaissance de ses constatations et ont eu la possibilité de les contester, au cours de l'expertise puis devant le juge ;

9. Considérant, d'autre part, que le préjudice subi par le département de la Manche représente le montant des surcoûts générés par les agissements dolosifs constitués par les pratiques anticoncurrentielles de la société Signature SA et non seulement une perte de chance d'obtenir, en l'absence de pratiques anticoncurrentielles, des marchés à un moindre prix ; que si l'expert fait état dans son rapport des difficultés inhérentes à l'exercice qui consiste à établir quel aurait été le prix d'un marché passé dans le respect de la concurrence, il explique la méthode retenue, basée sur une analyse contrefactuelle qui prend notamment en compte les prix observés et les coûts ; qu'il résulte de ce rapport que l'expert a mené une étude des causes extérieures à l'entente susceptibles d'expliquer le niveau des prix à l'époque des marchés ; que s'agissant d'un marché de signalisation routière, le département de la Manche ne pouvait pas répercuter les prix élevés facturés par son cocontractant ; que si l'activité de signalisation routière a été reprise en 2007 par le groupe Eurovia et si la société Signalisation France n'a plus d'activité de vente de panneaux de signalisation routière, cette circonstance n'a pas d'incidence sur l'évaluation du surcoût, dans la mesure où l'expert s'est fondé sur la comparaison entre les marchés passés pendant l'entente et une estimation des prix qui auraient dû être pratiqués sans cette entente, à partir d'une analyse prenant notamment en compte la chute des prix postérieurement à la dissolution du " cartel " et les facteurs de prix exogènes à l'impact de l'entente ; que l'estimation du surprix global par l'Autorité de la concurrence, qui n'est au demeurant fondée que sur des témoignages et sur une étude réalisée à la demande de la société Signature SA, n'a servi qu'à qualifier l'importance du dommage à l'économie et ne pouvait permettre d'évaluer avec une précision suffisante le surcoût résultant des pratiques anticoncurrentielles ayant affecté des marchés publics déterminés ; que l'Autorité de la concurrence précise d'ailleurs dans les motifs de sa décision que le surprix vraisemblable de 5 à 10% est seulement un ordre de grandeur minimum ; qu'il suit de là que cette estimation ne saurait remettre en cause l'expertise réalisée précisément pour évaluer le surcoût subi par le département de la Manche ; que, par suite, la société Signalisation France n'est pas fondée à soutenir que l'évaluation du préjudice subi par le département de la Manche faite par le jugement attaqué à partir des constatations et analyses de l'expert serait erronée ;

10. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que la société Signalisation France n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué du 6 avril 2017, le tribunal administratif de Caen l'a condamnée à verser au département de la Manche la somme de 2 235 742 euros ;

Sur l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative:

11. Considérant que ces dispositions font obstacle à ce qu'il soit fait droit aux conclusions de la société Signalisation France, partie perdante, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ;

12. Considérant en revanche qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la société Signalisation France la somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par le département de la Manche et non compris dans les dépens ;

DECIDE :

Article 1er : La requête de la société Signalisation France est rejetée.

Article 2 : La société Signalisation France versera au département de la Manche la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la société Signalisation France et au département de la Manche.

Délibéré après l'audience du 20 février 2018, à laquelle siégeaient :

- M. Lainé, président,

- Mme Tiger-Winterhalter, présidente-assesseure,

- Mme Rimeu, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 16 mars 2018.

Le rapporteur,

S. RIMEULe président,

L. LAINÉ

Le greffier,

M. B...

La République mande et ordonne au préfet de la Manche en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 17NT01526


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 17NT01526
Date de la décision : 16/03/2018
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : M. LAINE
Rapporteur ?: Mme Sophie RIMEU
Rapporteur public ?: M. BRECHOT
Avocat(s) : CABINET BUES et ASSOCIES

Origine de la décision
Date de l'import : 20/03/2018
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2018-03-16;17nt01526 ?
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