Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Sous le n° 1401789, la commune de la Trinité-sur-Mer a demandé au tribunal administratif de Rennes, en premier lieu, de condamner conjointement et solidairement les sociétés Touristique de la Trinité et Groupe Partouche à lui verser, en raison de la résiliation de la convention de service public conclue le 15 septembre 1999 pour la gestion et l'exploitation d'un casino, les sommes de 5 550 000 euros au titre de l'investissement immobilier non créé, 307 336 euros au titre de la taxe de séjour, 244 962 euros au titre de ses préjudices patrimoniaux et extrapatrimoniaux, 128 670 euros au titre des contributions aux associations locales non versées au cours de la période allant de 2011 à 2015 et 305 000 euros au titre des manifestations annuelles de portée nationale non réalisées au cours de la période allant de 2011 à 2015, en deuxième lieu, à ce qu'il soit enjoint à la société Touristique de la Trinité, ou à défaut à la société groupe Partouche, de lui restituer les biens lui appartenant, à savoir le casino, l'hôtel et le restaurant inclus dans le périmètre du contrat de concession de 1999, en troisième lieu, à ce qu'il soit enjoint à la société touristique de la Trinité, ou à défaut à la société groupe Partouche, de régulariser, dans le délai d'un mois suivant la notification du jugement à intervenir, les actes notariés et la publicité foncière afin d'acter le droit de propriété de la commune sur les biens.
Sous le n° 1601281, la SAS Touristique de la Trinité a demandé au tribunal administratif de Rennes d'annuler la délibération du conseil municipal de la Trinité-sur-Mer du 17 septembre 2015 autorisant le maire à prononcer la déchéance du contrat de délégation de service public, approuvant le principe d'une nouvelle délégation de service public et autorisant le maire à signer une convention d'occupation du domaine public, sauf en ce qu'elle approuve le principe d'une nouvelle délégation de service public.
Par un jugement commun n° 1401789 - n° 1601281 du 9 mars 2017, le tribunal administratif de Rennes a, d'une part, condamné solidairement les sociétés Touristique de la Trinité et groupe Partouche à verser à la commune de la Trinité-sur-Mer la somme de 128 670 euros au titre des contributions aux associations locales pour les années 2011 à 2015 et rejeté le surplus de la demande de la commune de la Trinité-sur-Mer, et d'autre part, a rejeté la demande de la société Touristique de la Trinité.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 5 mai 2017, la commune de la Trinité-sur-Mer, représentée par MeA..., demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Rennes du 9 mars 2017 en tant qu'il a rejeté le surplus de sa demande ;
2°) de condamner conjointement et solidairement les sociétés Touristique de la Trinité et groupe Partouche à lui verser la somme totale de 6 710 790 euros, soit 5 550 000 euros au titre du bien de retour non construit, 307 336 euros au titre de la taxe de séjour non perçue, 361 380 euros au titre des manifestations annuelles non organisées entre 2011 et 2015, 405 574 euros au titre de la perte des bénéfices escomptés, 20 000 euros au titre de la perte d'attractivité touristique et 66 500 euros au titre de l'occupation sans droit ni titre du domaine public ;
3°) d'enjoindre à la société Touristique de la Trinité, ou à défaut à la société Groupe Partouche, sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard, d'une part, de lui restituer les clefs des locaux lui appartenant dans un délai de deux jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, et d'autre part, de régulariser les actes notariés et la publicité foncière relatifs à son droit de propriété sur le bien, dans un délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir ;
4°) de condamner conjointement et solidairement les sociétés Touristique de la Trinité et groupe Partouche aux dépens et de mettre à la charge conjointe et solidaire des sociétés Touristique de la Trinité et groupe Partouche une somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- elle doit être indemnisée des investissements immobiliers non réalisés, qui constituent des biens de retour et dont le défaut de réalisation constitue une méconnaissance par le concessionnaire de ses obligations ;
- elle a le droit également au montant de la taxe de séjour qu'elle n'a pas perçue du fait de l'absence de réalisation de ces investissements immobiliers ;
- contrairement à ce que prévoyait la convention, aucune manifestation n'a été organisée depuis 2010, ce qui doit lui être indemnisé ;
- elle a été contrainte de résilier la convention, de sorte qu'elle doit être indemnisée des bénéfices escomptés qui ne lui seront pas versés ;
- la fermeture du casino atteint son potentiel d'attractivité ;
- l'occupation irrégulière des ouvrages qui lui appartiennent doit également être indemnisée.
Par un mémoire en défense, enregistré le 27 novembre 2017, les sociétés Touristique de la Trinité et Groupe Partouche concluent au rejet de la requête et, par la voie de l'appel incident, demandent, d'une part, l'annulation du jugement en tant qu'il les condamne à verser à la commune de la Trinité-sur-Mer la somme de 128 670 euros, et d'autre part, la condamnation de la commune de la Trinité-sur-Mer à verser à la société Touristique de la Trinité la somme de 3 809 967,35 euros en réparation des préjudices subis du fait des trop-perçus de la commune et de l'absence de résiliation de la convention dès août 2009, enfin, que soient mis à la charge de la commune de la Trinité-sur-Mer les dépens et la somme de 3 000 euros chacune au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elles soutiennent que :
- les obstacles extérieurs et imprévisibles ont nécessité et justifié les modifications et la résiliation de la délégation de service public ;
- les demandes de la commune de la Trinité-sur-Mer ne sont pas fondées ;
- la société groupe Partouche n'est que l'actionnaire de référence de la société Grand Casino de la Trinité-sur-Mer devenue société Touristique de la Trinité, de sorte qu'elle ne peut être solidairement condamnée avec celle-ci à réparer les éventuels préjudices nés de la résiliation du contrat de délégation de service public ;
- le refus de la commune de modifier puis de résilier le contrat à partir de 2009 lui a causé des pertes supplémentaires d'un montant de 3 145 462 euros et est à l'origine d'un trop perçu par la commune de 664 505,35 euros ; cette demande est en lien direct avec les demandes de la requérante et elle a formé une réclamation préalable s'agissant des trop perçus de la commune.
Par une ordonnance du 8 mars 2018, prise en application des articles R. 611-11-1 et R. 613-1 du code de justice administrative, la clôture de l'instruction a été fixée avec effet immédiat.
Un mémoire, présenté pour la commune de la Trinité-sur-Mer a été enregistré le 19 mars 2018 et n'a pas été communiqué.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code général des collectivités territoriales ;
- le code des marchés publics ;
- la loi du 15 juin 1907 réglementant le jeu dans les cercles et les casinos des stations balnéaires, thermales et climatériques ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Lainé, président de chambre,
- les conclusions de M. Bréchot, rapporteur public,
- et les observations de MeA..., représentant la commune de La-Trinité-sur-Mer.
Une note en délibéré, présentée pour la SAS Touristique de La Trinité et la société groupe Partouche, a été enregistrée le 3 octobre 2018.
Une note en délibéré, présentée pour la commune de La Trinité-sur-Mer, a été enregistrée le 9 octobre 2018.
Considérant ce qui suit :
1. Par une convention signée le 15 septembre 1999, la commune de la Trinité-sur-Mer a confié à la société Grand Casino de la Trinité-sur-Mer, devenue société Touristique de la Trinité, l'exploitation d'un casino pour une durée de dix-huit ans à compter de la date de l'autorisation d'ouverture. Le " cahier des charges pour l'exploitation des jeux " de la convention de délégation de service public prévoyait que le délégataire prendrait à sa charge les investissements nécessaires pour réaliser un équipement d'hôtel restaurant de 60 chambres, des locaux d'assemblée et réunion incluant une salle polyvalente pour l'accueil de congrès et séminaires, un centre de remise en forme, et des locaux spécifiques et adaptés pour le fonctionnement permanent d'une galerie d'arts plastiques. Trois avenants ont été signés les 30 août 2002, 27 septembre 2006 et 18 septembre 2007. Par une délibération du 17 septembre 2015 le conseil municipal de la Trinité-sur-Mer a décidé la résiliation de cette convention pour faute du délégataire, a approuvé le principe d'une nouvelle délégation de service public et a autorisé le maire à signer une convention d'occupation du domaine public. Par un jugement du 9 mars 2017, le tribunal administratif de Rennes, d'une part, a rejeté la demande de la société Touristique de la Trinité tendant à l'annulation de cette délibération du 17 septembre 2015, d'autre part, a condamné solidairement les sociétés Touristique de la Trinité et Groupe Partouche à verser à la commune de la Trinité-sur-Mer la somme de 128 670 euros au titre des contributions aux associations locales versées pour les années 2011 à 2015, enfin, a rejeté le surplus de la demande indemnitaire de la commune. Cette dernière relève appel de ce jugement et demande, d'une part, la condamnation conjointe et solidaire des sociétés Touristique de la Trinité et groupe Partouche à lui verser les sommes de 5 550 000 euros au titre des biens de retour non construits, 307 336 euros au titre de la taxe de séjour non perçue, 361 380 euros au titre des manifestations annuelles non organisées entre 2011 et 2015, 405 574 euros au titre de la perte des bénéfices escomptés, 20 000 euros au titre de la perte d'attractivité touristique et 66 500 euros au titre de l'occupation sans droit ni titre du domaine public, et d'autre part, qu'il soit enjoint à la société Touristique de la Trinité, ou à défaut à la société Groupe Partouche, sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard, de lui restituer les clefs des locaux lui appartenant, dans un délai de deux jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, et de régulariser les actes notariés et la publicité foncière relatifs à son droit de propriété sur les biens, dans un délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt. Par la voie de l'appel incident, les sociétés Touristique de la Trinité et groupe Partouche demandent, d'une part, l'annulation du jugement en tant qu'il les condamne à verser à la commune de la Trinité-sur-Mer la somme de 128 670 euros, et d'autre part, la condamnation de la commune de la Trinité-sur-Mer à verser à la société Touristique de la Trinité la somme de 3 809 967,35 euros en réparation des préjudices subis du fait des trop-perçus de la commune et de l'absence de résiliation de la convention dès août 2009.
Sur la résiliation :
2. L'article 9 de la convention signée le 15 septembre 1999 stipule que : " En cas de faute grave du délégataire ou de non respect d'une clause du présent contrat, à l'expiration d'un délai de 30 jours courant à compter d'une mise en demeure adressée au délégataire restée sans effet, le présent contrat pourra être résilié par la ville si bon lui semble, aux torts exclusifs du délégataire. ".
3. Le cahier des charges de la " délégation de service public du casino " prévoit que le concessionnaire s'engage à assurer les investissements nécessaires à l'exploitation d'un " complexe casino " comprenant notamment un hôtel haut de gamme de 60 chambres. En raison de l'indisponibilité du terrain sur lequel était envisagée la construction et de contraintes d'urbanisme, le délégataire a acquis un immeuble existant qu'il a fait démolir pour construire, au 4-6 rue de Carnac à La Trinité-sur-Mer, un complexe de taille réduite comprenant un casino et un hôtel-restaurant. L'autorisation d'ouverture du casino a été délivrée à la société délégataire en octobre 2004, puis, à partir de décembre 2006, la société Grand Casino de la Trinité-sur-Mer a été autorisée à exploiter 20 machines à sous, nombre porté à 30 le 21 mars 2008. Parallèlement, par l'avenant n° 2 signé le 27 septembre 2006, qui modifie l'article 7 du cahier des charges de la concession, le délégataire s'est engagé, d'une part, dans un délai de dix-huit mois, à réaménager le casino existant pour accueillir 15 chambres d'hôtel de niveau trois étoiles, et d'autre part, dans un délai de trente-six mois, à créer sur le territoire communal un hôtel de 45 chambres de niveau trois étoiles avec des locaux adaptés pour y adjoindre une salle polyvalente permettant d'accueillir des séminaires et un centre de remise en forme. Le 19 août 2009, alors que le délai de trois ans prévu pour la construction du nouveau complexe hôtelier expirait le 29 septembre suivant, la commune de la Trinité-sur-Mer a mis en demeure son cocontractant de respecter ses obligations, sous peine d'une résiliation de la délégation pour faute du délégataire. Des discussions ont ensuite été engagées, au cours desquelles la société délégataire a fait valoir qu'en raison de ses difficultés financières, elle ne pouvait pas réaliser les investissements promis et souhaitait la signature d'un avenant n° 4 réduisant le prélèvement communal sur le produit des jeux prévu par l'article 3 du cahier des charges de la convention et supprimant les investissements immobiliers prévus par son article 7, ainsi que les contributions au développement touristique prévues par son article 5 et l'organisation d'une manifestation artistique annuelle prévue par son article 6. Le 6 avril 2012, la commune, estimant que de telles modifications bouleversaient l'économie du contrat, a refusé la signature de cet avenant. En dépit de ce refus, la société Casino de la Trinité-sur-Mer a cessé de remplir ses obligations découlant des articles 5 et 6 de la convention puis, en 2013, a saisi tribunal administratif de Rennes d'une demande tendant à la condamnation de la commune de la Trinité-sur-Mer à lui verser la somme de 664 505,35 euros qu'elle considérait avoir versé à tort à la commune, en application de la convention de délégation, depuis le début de l'exploitation du casino. Cette demande a été rejetée par un jugement du 18 décembre 2014 devenu définitif. Enfin, le 30 juin 2015, après en avoir préalablement informé la commune, la société délégataire a fermé définitivement le casino et l'hôtel restaurant. Après la demande du 24 juillet 2015 de la commune mettant en demeure la société de reprendre l'exécution de ses obligations contractuelles, restée sans effet, est intervenue la délibération du conseil municipal du 17 septembre 2015.
4. Ni les difficultés rencontrées pour obtenir l'autorisation d'ouverture, qui a donné lieu à un allongement du délai prévu par le cahier des charges par l'avenant n° 1, ni les difficultés liées au foncier, qui ont donné lieu à l'avenant n° 2 permettant de scinder le projet sur deux sites, ni les difficultés financières de la société délégataire ou la concurrence du casino ouvert à Carnac, qui était connue avant le début d'exécution de la convention fixée à la date de délivrance de l'autorisation des jeux, ne constituent des éléments extérieurs et imprévisibles qui rendaient impossible la poursuite de l'exécution du contrat. La société délégataire ne pouvait donc pas s'abstenir de remplir ses obligations contractuelles, auxquelles elle a pourtant manqué, d'une part, en renonçant à réaliser le complexe hôtelier de 45 chambres prévu par l'article 7 modifié du cahier des charges, alors qu'elle avait signé un compromis pour l'acquisition du lot n° 1 du lotissement " Les Hameaux de l'Allée Couverte " avant finalement d'y renoncer en décembre 2010, d'autre part, en refusant à partir de 2011 d'honorer les obligations découlant des articles 5 et 6 du cahier des charges relatifs respectivement à la contribution au développement touristique de la station et à l'organisation d'une manifestation artistique annuelle, enfin, en fermant définitivement le casino et l'hôtel- restaurant situé 4-6 rue de Carnac le 30 juin 2015. Elle a ainsi commis des fautes de nature à justifier la résiliation de la convention de délégation en application de l'article 9 précité du cahier des charges.
5. Dès lors que les discussions ont continué entre les deux cocontractants après août 2009 et que le délégataire n'a pas demandé la résiliation de la convention, la commune n'a pas commis de faute, contrairement à ce que soutiennent les sociétés défenderesses, en ne résiliant pas dès la fin septembre 2009, suite à la première mise en demeure adressée à la société Grand Casino de la Trinité-sur-Mer, le contrat litigieux.
Sur les préjudices :
6. En premier lieu, dans le cadre d'une délégation de service public ou d'une concession de travaux mettant à la charge du cocontractant les investissements correspondant à la création ou à l'acquisition des biens nécessaires au fonctionnement du service public, l'ensemble de ces biens, meubles ou immeubles, appartient, dans le silence de la convention, dès leur réalisation ou leur acquisition à la personne publique. Si les jeux de casino ne constituent pas, par eux mêmes, une activité de service public, la participation au développement économique et culturel et à l'animation touristique de la ville par le casino, les services y afférents tels la restauration ou l'hôtel et le financement d'associations et d'évènements artistiques participent du service public délégué. Il suit de là que les locaux situés 4-6 rue de Carnac, qui abritent le casino et constituent un ensemble immobilier nécessaire au fonctionnement de ce service public, constituent des biens de retour.
7. En revanche, l'entrée dans le patrimoine de la personne publique délégante des biens nécessaires au fonctionnement du service public dès leur construction ou leur acquisition implique la réalisation effective de ces biens et leur utilisation, à un moment donné de l'exécution de la concession, pour le service délégué. En effet, à l'expiration de la convention, les biens qui sont entrés, en application des principes rappelés au point 6, dans la propriété de la personne publique et font nécessairement retour à celle-ci gratuitement, sous réserve de clauses contractuelles permettant à la personne publique, dans les conditions qu'elle détermine, de faire reprendre par son cocontractant les biens qui ne seraient plus nécessaires au fonctionnement du service public, sont ceux qui ont été amortis au cours de l'exécution du contrat. Ainsi, lorsque la convention arrive à son terme normal ou que la personne publique la résilie avant ce terme, le concessionnaire est fondé à demander l'indemnisation du préjudice qu'il subit à raison du retour des biens à titre gratuit dans le patrimoine de la collectivité publique, en application des principes énoncés ci-dessus, lorsqu'ils n'ont pu être totalement amortis, soit en raison d'une durée du contrat inférieure à la durée de l'amortissement de ces biens, soit en raison d'une résiliation à une date antérieure à leur complet amortissement. Lorsque l'amortissement de ces biens a été calculé sur la base d'une durée d'utilisation inférieure à la durée du contrat, cette indemnité est égale à leur valeur nette comptable inscrite au bilan et, dans le cas où leur durée d'utilisation était supérieure à la durée du contrat, l'indemnité est égale à la valeur nette comptable qui résulterait de l'amortissement de ces biens sur la durée du contrat. S'il est loisible aux parties de déroger à ces principes dans leur convention, ce qui n'est pas le cas en l'espèce, l'indemnité mise à la charge de la personne publique au titre de ces biens ne saurait en toute hypothèse excéder le montant calculé selon ces modalités.
8. Il résulte des règles rappelées au point précédent que, si la commune concédante devait être indemnisée de la valeur des biens de retour non réalisés qui devaient être affectés à l'exploitation concédée, le calcul de cette valeur devrait être nécessairement réduit de la part non amortie de ces biens de retour, ce qui s'oppose à la demande de la commune de La Trinité-sur-Mer tendant à l'indemnisation de la valeur vénale même du complexe hôtelier de 45 chambres non construit. De plus, le bien n'ayant pas été construit, aucun amortissement n'est intervenu et la part non amortie du bien dont devrait être indemnisée le concessionnaire est donc égale à la totalité de sa valeur, ce dont il résulte que les créances respectives, d'ailleurs virtuelles, de la collectivité concédante et de la société concessionnaire s'annulent puisque du préjudice de la commune, consistant en la valeur du bien de retour non entré dans son patrimoine, devrait être déduite l'indemnité due par la collectivité concédante à son concessionnaire, fondée sur la valeur non amortie du bien de retour. Ainsi, la commune requérante ne saurait prétendre à aucune somme au titre de la valeur vénale de biens de retour non réalisés.
9. Toutefois il est constant que, comme l'invoque également la commune requérante, la société concessionnaire a manqué à ses obligations contractuelles en ne réalisant pas la deuxième partie du programme immobilier auquel elle était tenue par l'article 7 du cahier des charges de la concession, dans sa rédaction issue du deuxième avenant signé les 27 et 28 septembre 2006, qui stipulait que, outre l'ensemble immobilier comprenant le casino réaménagé et les quinze premières chambres d'hôtel sur les soixante prévues par la convention initiale, " le délégataire s'engage à créer sur le territoire de la commune un hôtel de 45 chambres minimum de niveau trois étoiles, disposant de locaux adaptés et spécifiques comprenant également une salle polyvalente permettant d'accueillir des séminaires et comprenant un centre de remise en forme, dans un délai de 36 mois à compter du caractère exécutoire du présent avenant ". Le défaut de réalisation du nouvel immeuble ainsi prévu constitue une faute contractuelle et les préjudices en résultant doivent être en conséquence indemnisés, quelle que soit la nature juridique dudit immeuble. Or il résulte de l'instruction que la faute sus-rappelée de la société concessionnaire a entraîné pour la commune concédante, d'une part, une perte de valeur économique de l'ensemble immobilier constitué par le casino et le petit hôtel restaurant construit et réaménagé, du fait de son absence d'insertion dans un complexe touristique plus important et de prestige, et d'autre part, une perte d'attractivité tenant à l'impossibilité d'accueillir une clientèle touristique plus nombreuse susceptible de se rendre au casino ou d'utiliser les équipements qui auraient dû être adjoints à l'hôtel d'au moins quarante-cinq chambres qui devait normalement être créé. Compte tenu de la nature et de l'importance de cet équipement hôtelier non réalisé alors qu'il était contractuellement prévu, de la date à laquelle sa construction aurait pu commencer, vers la fin de l'année 2010, de son délai de réalisation et de la valeur qu'il aurait conféré à la totalité du complexe touristique comprenant le casino, il sera fait une juste appréciation des préjudices subis de ce fait par la commune de La Trinité-sur-Mer en évaluant leur réparation à la somme de 300 000 euros.
10. En deuxième lieu, si le délégataire a droit, en cas de résiliation anticipée de la convention et dans le silence de celle-ci, à une indemnité couvrant la part non amortie des biens de retour, ces biens, comme il a été dit ci-dessus, entrent dans le patrimoine de la commune dès leur acquisition ou leur construction et, dès lors qu'ils étaient nécessaires à l'exploitation du service public constituent des dépendances de son domaine public. Par ailleurs, dès lors qu'il résulte de l'instruction que, postérieurement à la résiliation de la convention de délégation de service public du casino, qui était régulièrement fondée ainsi qu'il a été dit aux points 2 à 5 ci-dessus, l'occupation persistante par la SAS Touristique de La Trinité, et son sous-locataire la société Trinité Hôtel, des immeubles et terrains d'assiette du casino et hôtel restaurant attenant constituait une occupation sans droit ni titre du domaine public communal, dont la commune de La Trinité-sur-Mer est fondée à demander réparation. Il résulte de l'instruction que la société Touristique de la Trinité a perçu, dans le cadre du contrat de location-gérance qu'elle a conclu à partir du 1er novembre 2015, une redevance mensuelle de 3 500 euros, qui doit être regardée comme représentative du revenu que la commune aurait pu tirer de l'utilisation par elle-même de ses biens et du manque à gagner qu'elle a donc subi. Par suite, le montant du préjudice subi par la commune à ce titre du 1er novembre 2015 au 31 mai 2017, dont elle sollicite l'indemnisation sur le fondement de la responsabilité quasi-délictuelle de son ancien concessionnaire, doit être évalué à 66 500 euros.
11. En troisième lieu, ainsi qu'il a été dit, la convention modifiée par l'avenant n° 2 signé en septembre 2006 prévoyait la construction par la société délégataire d'un hôtel trois étoiles de 45 chambres. Le terrain nécessaire à la réalisation de cette opération, constitué d'un lot de 4 000 m2 dans le lotissement " Les Hameaux de l'Allée couverte " réalisé par la société Lotimer a fait l'objet en 2006 d'un compromis de vente mais la vente n'a pas pu être concrétisée dans les délais impartis par le compromis pour des motifs tenant à la réalisation du lotissement et étrangers à la société Touristique de la Trinité. Toutefois, en 2010, l'opération de vente est devenue possible, de sorte que, si la société délégataire n'avait pas renoncé à acquérir le terrain, l'hôtel de 45 chambres aurait pu, eu égard au délai de construction de trente-six mois prévu par le contrat de délégation, être ouvert au début de l'année 2014. Dans ces conditions, la commune de la Trinité-sur-Mer est fondée à être indemnisée du manque à gagner de ressources fiscales constitué par la taxe de séjour non perçue du fait du défaut de construction de cet équipement, à partir du début de l'année 2014. Eu égard au taux moyen de fréquentation des hôtels s'élevant à 47 % dans le pays d'Auray, tel qu'il ressort d'un rapport sur le tourisme dans le Morbihan en 2013, à la durée moyenne estimée des séjours et au montant de cette taxe fixé par une délibération du conseil municipal du 31 août 2001 à 0,85 euro par personne et par nuitée, il sera fait une juste appréciation de ce chef de préjudice, pour la période dont la requérante demande l'indemnisation allant de 2014 à octobre 2022, date d'expiration normale de la convention de délégation de service public, en l'évaluant à la somme totale de 115 000 euros.
12. En quatrième lieu, si l'arrêt de l'activité du casino décidée par la société Touristique de la Trinité a fait perdre à la commune de la Trinité-sur-Mer le montant du prélèvement sur le produit brut des jeux qu'elle percevait en exécution de la convention, c'est seulement le temps pour elle, après cet arrêt du casino et la résiliation de la convention qui en a résulté, d'organiser une nouvelle procédure afin de trouver un nouveau délégataire, comme le prévoyait d'ailleurs la même délibération du 17 septembre 2015 qui décide la résiliation. Il suit de là que la commune a droit à être indemnisée du manque à gagner tenant au défaut de perception du prélèvement sur les jeux durant une période correspondant à celle nécessaire pour trouver un autre cocontractant, de l'ordre de six mois. Ainsi, eu égard au montant mensuel moyen évalué à 20 000 euros, ce chef de préjudice doit être évalué à la somme totale de 120 000 euros.
13. En cinquième lieu, d'une part, la commune requérante n'établit pas avoir dû exposer à la place de la société délégataire les sommes correspondant aux manifestations annuelles non organisées entre 2011 et 2015 en méconnaissance de l'article 6-3 de la convention de délégation qui prévoyait l'organisation par le concessionnaire d'un évènement artistique annuel d'envergure nationale en y affectant des fonds propres initiaux de 400 000 F devant être ultérieurement portés à 1 000 000 F. Au surplus, la commune n'établit ni la nature ni l'évaluation monétaire du préjudice que lui aurait causé l'absence d'organisation des manifestations ainsi prévues au contrat. D'autre part, le préjudice qui résulterait de " la perte d'attractivité touristique de la commune " doit, en l'absence de davantage de précisions et de justifications, être regardé comme déjà pris en compte dans l'indemnisation du manquement contractuel tenant au défaut de réalisation de l'ensemble hôtelier de quarante-cinq chambres prévu par le contrat de concession en sus de la partie effectivement construite et dans l'indemnisation du manque à gagner sur les ressources fiscales de taxe de séjour qu'aurait permises la construction de ce nouvel ensemble hôtelier.
14. En dernier lieu, si les sociétés Touristique de la Trinité et Groupe Partouche soutiennent que c'est à tort que le jugement attaqué a retenu au bénéfice de la commune la somme de 128 670 euros au titre du préjudice résultant de l'absence de participation par le délégataire au fonctionnement des associations locales, en application de l'article 5 de la convention, elles ne contestent pas ne pas avoir honoré, à partir de 2011, les obligations contractuelles prévues par cet article et se bornent à soutenir que les stipulations de la convention signée le 15 septembre 1999, en ce qu'elles prévoient, en plus du prélèvement sur le produit brut des jeux de 15%, le financement d'associations et de manifestations artistiques et culturelles, seraient illégales. Or, si selon l'article L. 2333-54 du code général des collectivités territoriales les communes dotées d'un casino peuvent instituer sur le produit brut des jeux un prélèvement dont le taux ne peut dépasser 15 % de ce produit, ces dispositions ne font pas obstacle à ce que la convention de délégation de service public prévoie, compte tenu des exigences résultant de la loi du 15 juin 1907, la participation du délégataire au financement d'associations et de manifestations artistiques et culturelles communales, lesquelles concourent au développement culturel local et sont susceptibles de favoriser les différentes activités du délégataire.
Sur la demande de condamnation conjointe et solidaire des sociétés Touristique de la Trinité et groupe Partouche :
15. À la suite de l'avis d'appel public à la concurrence, c'est la société groupe Partouche qui a présenté une candidature puis une offre et qui a créé, pour exécuter les missions confiées par la convention signée le 15 septembre 1999, la société Grand Casino de la Trinité-sur-Mer, devenue ensuite société Touristique de la Trinité, dont elle est l'unique actionnaire. Toutefois, c'est la seule société Touristique de la Trinité, personne morale distincte, qui a signé la convention de délégation de service public et qui est donc le cocontractant de la commune de la Trinité-sur-Mer. Elle est, par suite, la seule responsable des manquements contractuels fautifs dont la commune demande réparation. La condamnation à réparer les préjudices mentionnés aux points 9, 10, 11 et 13 ci-dessus ne peut donc être prononcée qu'à l'encontre de la SAS Touristique de la Trinité et les conclusions de la commune tendant à ce que la société groupe Partouche soit conjointement et solidairement condamnée avec elle doivent être rejetées.
Sur les conclusions reconventionnelles des sociétés Touristique de La Trinité et groupe Partouche :
16. L'autorité de la chose jugée d'une décision juridictionnelle s'attache au dispositif de cette décision et aux motifs qui en sont le soutien nécessaire et elle est subordonnée à la triple identité de parties, d'objet et de cause. Il résulte de l'instruction que par un jugement n°1301915 du 18 décembre 2014, devenu définitif, le tribunal administratif de Rennes a rejeté les conclusions de la société Casino de la Trinité-sur-Mer, devenue société Touristique de La Trinité, tendant à la condamnation de la commune de La Trinité-sur-Mer à lui rembourser la somme de 664 505,35 euros en raison de ce qu'elle lui aurait versé des sommes supérieures à la redevance de 15 % prévue par les articles 5 et 6-3 de la convention du 15 septembre 1999. En raison de l'autorité de chose jugée dont est revêtue ce jugement, les conclusions reconventionnelles des sociétés tendant au versement d'une indemnité du montant de 664 505,35 euros ne peuvent être que rejetées.
17. Ainsi que l'a jugé le tribunal administratif de Rennes, la société Touristique de la Trinité n'a pas présenté de réclamation préalable tendant à ce que la commune de la Trinité-sur-Mer lui verse une indemnité de 3 145 462 euros au titre des pertes qu'elle a subies de 2010 à 2014 et la commune, dans son mémoire en défense de première instance, a opposé à titre principal la fin de non-recevoir tirée du défaut de demande préalable. Ainsi, en l'absence de liaison préalable du contentieux, les conclusions indemnitaires présentées par la société Touristique de la Trinité en vue de la condamnation de la commune à lui verser cette somme ne sont pas recevables.
18. Il résulte de tout ce qui précède, d'une part, que la commune de la Trinité-sur-Mer est fondée à demander que la somme de 128 670 euros que la société Touristique de la Trinité et la société groupe Partouche ont été solidairement condamnées à lui verser par le jugement attaqué soit portée à la somme totale de 730 170 euros. Toutefois, il résulte de ce qui a été dit au point 14 que cette somme doit être mise à la seule charge de la société Touristique de la Trinité. D'autre part, les conclusions d'appel incident présentées par la société Touristique de la Trinité et la société groupe Partouche doivent être rejetées.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
19. Comme il a été dit au point 9, l'occupation persistante par la SAS Touristique de La Trinité, et son sous-locataire la société Trinité Hôtel, des immeubles et terrains d'assiette du casino et hôtel restaurant attenant constitue une occupation sans droit ni titre du domaine public communal. De ce seul fait, il doit être ordonné à la SAS Touristique de La Trinité de libérer les locaux, d'en remettre les clefs à la commune après avoir quitté les lieux et de s'acquitter des formalités de publicité foncière nécessaires à ce que la commune recouvre la propriété de ses biens. La question de l'indemnisation de l'ancien concessionnaire pour la part non amortie des biens de retour est distincte de celle de l'occupation sans titre du domaine public. Il en résulte que les mesures ordonnées, qui devront être exécutées dans un délai de deux mois suivant la notification du présent arrêt, ne préjugent pas la solution à donner au litige se rapportant aux conséquences pécuniaires de la remise des biens pour la SAS Touristique de la Trinité et il appartiendra au besoin à cette société, en l'absence d'accord entre les parties, d'engager, si elle s'y croit fondée, une action adéquate devant le tribunal administratif en vue de l'indemnisation de la part non amortie des biens de retour.
Sur les dépens :
20. La présente instance ne comporte aucun dépens. Par suite, les conclusions de la commune de La Trinité-sur-Mer et des sociétés Touristique de la Trinité et groupe Partouche au titre des dépens sont sans objet et donc irrecevables.
Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
21. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'il soit fait droit aux conclusions présentées sur ce fondement par les sociétés Touristique de la Trinité et groupe Partouche, dès lors que la commune de La Trinité-sur-Mer n'est pas la partie perdante dans le présent litige. En revanche, il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la société Touristique de la Trinité, partie perdante, une somme de 2 000 euros au titre des frais exposés par la commune de La Trinité-sur-Mer et non compris dans les dépens.
DECIDE :
Article 1er : La somme de 128 670 euros que la société Touristique de la Trinité et la société groupe Partouche ont été solidairement condamnées à verser à la commune de La Trinité-sur-Mer est portée à 730 170 euros et mise à la charge de la seule SAS Touristique de La Trinité.
Article 2 : Il est enjoint à la société Touristique de La Trinité, et au besoin à son locataire, de libérer les locaux correspondant à l'ensemble immobilier du casino et hôtel restaurant appartenant à la commune de La Trinité-sur-Mer et de s'acquitter des formalités de publicité foncière nécessaires à ce que la commune recouvre la propriété de ses biens, dans un délai de deux mois suivant la notification du présent arrêt.
Article 3 : Le jugement du tribunal administratif de Rennes du 9 mars 2017 est réformé en ce qu'il a de contraire aux articles 1er et 2 du présent arrêt.
Article 4 : La société Touristique de la Trinité versera à la commune de la Trinité-sur-Mer la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête de la commune de La Trinité-sur-Mer, les conclusions d'appel incident présentées par les sociétés Touristique de la Trinité et groupe Partouche et les conclusions présentées par ces mêmes sociétés au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à la commune de la Trinité-sur-Mer, à la société Touristique de la Trinité et à la société groupe Partouche.
Délibéré après l'audience du 2 octobre 2018, à laquelle siégeaient :
- M. Lainé, président de chambre,
- Mme Tiger-Winterhalter, présidente-assesseure,
- Mme Allio-Rousseau, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 19 octobre 2018.
Le président de chambre, rapporteur,
L. LAINÉ
L'assesseur le plus ancien dans le grade le plus élevé,
N. TIGER-WINTERHALTER
Le greffier,
V. DESBOUILLONS
La République mande et ordonne au préfet du Morbihan en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
2
N° 17NT01468