Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. et Mme D...A...ont demandé au tribunal administratif de Nancy de constater l'irrégularité de l'emprise constituée par la présence d'un transformateur électrique sur leur parcelle, d'enjoindre à ERDF de le démolir ou de le déplacer et de condamner ERDF à leur verser une somme de 5 000 euros en réparation de leurs troubles de jouissance.
Par un jugement n° 1600206 du 30 mai 2017, le tribunal administratif a déclaré l'emprise irrégulière, enjoint à la société ENEDIS de déplacer le transformateur dans un délai de six mois sauf à conclure une convention avec M. et Mme A...en vue d'établir une servitude, et à verser à M. et Mme A...une somme de 500 euros en réparation de leurs préjudices.
Procédure devant la cour :
Par une requête, des pièces et des mémoires et pièces enregistrés les 25 et 26 juillet 2017, 5 et 15 février et 5 avril 2018, la société ENEDIS, représentée par la SCP Gaucher Dieudonné Niango etE..., demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Nancy ;
2°) de mettre à la charge de M. et Mme A...une somme de 3 000 euros à lui verser au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- il n'est pas démontré que la convention d'occupation du terrain conclue le 11 septembre 1986 ne l'a pas été avec le véritable propriétaire de la parcelle ;
- la prescription trentenaire lui était acquise quand M. et Mme A...ont demandé le déplacement du transformateur ; en outre M. et Mme A...connaissaient l'existence de l'ouvrage lors de l'acquisition de la parcelle ;
- le déplacement du transformateur priverait d'électricité de nombreux usagers alimentés par lui et comporterait ainsi des inconvénients excessifs au regard de l'impossibilité pour les époux A...d'utiliser une surface de 20 m² sur un terrain de 1 622 m².
Par un mémoire en défense et des pièces, enregistrés le 12 novembre 2017 et les 3 et 18 avril 2018 et le 20 juin 2018, M. et Mme A...représentés par Mes O. et J.T. B...concluent :
- au rejet de la requête ;
- par la voie de l'appel incident, à la condamnation d'ENEDIS à leur verser une somme de 5 000 euros à titre de dommages et intérêts ;
- à la condamnation de la société ENEDIS à leur verser une somme de 3 000 euros de dommages et intérêts en raison du caractère abusif de l'appel ;
- à ce que soit mise à la charge de la société ENEDIS une somme de 2 000 euros à leur verser au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent que :
- il y a emprise irrégulière dès lors que la convention de 1986 instaurant une servitude n'a pas été signée par le propriétaire du terrain ;
- la prescription trentenaire ne peut leur être opposée, le transformateur ayant été implanté en vertu de la convention du 11 septembre 1986 ;
- il n'est pas démontré que la demande d'enlèvement du transformateur porterait atteinte à des usagers de l'électricité.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code civil ;
- le code de l'énergie ;
- la loi du 15 juin 1906 sur les distributions d'énergie ;
- le décret n° 67-886 du 6 octobre 1967 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Stefanski,
- les conclusions de M. Favret, rapporteur public,
- et les observations de Me E...pour la société Enedis, ainsi que celles de Me B... pour M. et MmeA....
Considérant ce qui suit :
1. Le 18 octobre 2010, M. et Mme A...ont acheté une parcelle cadastrée section AC n° 63 à Errouville pour y construire une maison d'habitation. Le 13 mars 2015, ils ont demandé à la société ERDF aux droits de laquelle vient la société ENEDIS, de déplacer un transformateur situé sur leur terrain. A la suite de la décision implicite de rejet qui leur a été opposée, ils ont saisi le tribunal administratif de Nancy d'une demande tendant à ce que le tribunal constate l'irrégularité de l'emprise constituée par la présence du transformateur sur leur terrain, qu'il enjoigne à la société ENEDIS de démolir cet ouvrage et à ce qu'il condamne la société à leur verser 5 000 euros en réparation de leurs préjudices. La société ENEDIS forme appel du jugement du 30 mai 2017 par lequel le tribunal administratif a déclaré l'emprise irrégulière, lui a enjoint de déplacer le transformateur dans un délai de six mois sauf à conclure une convention avec M. et Mme A...et à verser à ceux-ci une somme de 500 euros en réparation de leurs préjudices. Par la voie de l'appel incident, M. et Mme A...demandent que la condamnation de la société ENEDIS à leur verser des dommages et intérêts soit portée à 5 000 euros.
Sur l'appel principal :
En ce qui concerne la régularité de l'implantation du transformateur :
2. Il résulte de l'instruction que le 11 septembre 1986, la société EDF a conclu avec M.C..., se présentant comme le propriétaire de la parcelle cadastrée section AC n° 63, une convention l'autorisant à implanter un transformateur sur ce terrain, la convention mentionnant en son article 5 qu'elle avait pour objet de conférer à EDF des droits plus étendus que ceux prévus par l'article 12 de la loi du 15 juin 1906 sur les distributions d'énergie.
3. Il résulte des termes de la convention du 11 septembre 1986, enregistrée à la recette des impôts de Briey le 9 octobre 1986, que M. C...déclarait expressément qu'il agissait en qualité de propriétaire du terrain en cause. Toutefois, par lettre du 30 mai 2014, un agent d'ERDF a mentionné qu'il ressortait d'un réexamen complet du dossier que M. C...n'avait jamais été propriétaire de cette parcelle. Cette lettre n'est pas utilement contredite par une lettre du 7 juillet suivant, par laquelle le même agent se borne à se référer aux termes de la convention de 1986 pour affirmer cette fois que M. C...déclarait être propriétaire de la parcelle. La société ENEDIS ne produit en appel aucun document nouveau de nature à établir que M. C...était bien propriétaire du terrain lors de la signature de la convention. De plus, l'acte de vente du terrain à M. et Mme A...ne fait pas état de l'existence d'une servitude relative à ce transformateur. Par suite, la société ENEDIS ne justifie d'aucun titre l'autorisant à instaurer une servitude portant atteinte au droit de propriété.
4. En deuxième lieu, la société ENEDIS ne peut utilement opposer à M. et Mme A..., sur le fondement des articles 2265 et 690 du code civil, la prescription acquisitive trentenaire au motif que le transformateur électrique en litige aurait été implanté plus de trente ans avant que M. et Mme A...ne lui aient demandé, en 2013, le déplacement de cet ouvrage public. En effet, les plans cadastraux n'indiquent la présence d'un transformateur sur la parcelle en cause qu'à compter de l'année 1993. En outre, il ressort d'une lettre du 3 octobre 2017 du géomètre du cadastre qu'un ancien transformateur situé sur une autre parcelle avait été supprimé du plan cadastral relatif à 1993 et que le nouveau transformateur avait été mesuré sur la parcelle cadastrée section AC n° 63 pour une mise à jour du plan au 31 août 1992. Il ressort de ces documents que le transformateur situé sur la parcelle appartenant à M. et Mme A...a été implanté que postérieurement à la signature de la convention du 11 septembre 1986 et la société ENEDIS ne peut dès lors invoquer l'écoulement de la prescription trentenaire.
5. En troisième lieu, les seules circonstances que M. et Mme A...connaissaient l'existence de ce transformateur lors de l'achat de cette parcelle et que les propriétaires précédents n'avaient pas émis de protestations ne suffisent pas à établir une acceptation de l'implantation de l'ouvrage par les propriétaires successifs, de nature à conférer un caractère régulier à l'emprise correspondante, sur le fondement des articles 2258 et 2261 du code civil.
6. Il résulte de ce qui précède que c'est à bon droit que le tribunal administratif a jugé que l'emprise constituée par la présence du transformateur en litige était irrégulière.
En ce qui concerne l'injonction de déplacer le transformateur :
7. Lorsque le juge administratif est saisi d'une demande tendant à ce que la démolition d'un ouvrage public édifié irrégulièrement soit ordonnée, il lui appartient, pour déterminer, en fonction de la situation de droit et de fait existant à la date à laquelle il statue, s'il convient de faire droit à cette demande, de rechercher, d'abord, si, eu égard notamment à la nature de l'irrégularité, une régularisation appropriée est possible. Dans la négative, il lui revient ensuite de prendre en considération, d'une part, les inconvénients que la présence de l'ouvrage entraîne pour les divers intérêts publics ou privés en présence et notamment, le cas échéant, pour le propriétaire du terrain d'assiette de l'ouvrage, d'autre part, les conséquences de la démolition pour l'intérêt général, et d'apprécier, en rapprochant ces éléments, si la démolition n'entraîne pas une atteinte excessive à l'intérêt général.
8. Il résulte de l'instruction que M. et Mme A...ont refusé la proposition d'achat du terrain d'assiette faite par la société ENEDIS en septembre 2017. Toutefois, il est constant que le transformateur litigieux, propriété de la société ENEDIS, est directement affecté à l'exécution du service public dont la société a la charge et a le caractère d'un ouvrage public. Par suite, même si M. et Mme A...ne sont pas disposés à signer une convention instaurant une servitude au profit de la société ou à lui vendre la parcelle correspondante, la société ENEDIS n'est pas dans l'impossibilité de faire déclarer cet ouvrage d'utilité publique, compte tenu de l'intérêt général qui s'y attache et d'obtenir la propriété de son terrain d'assiette par voie d'expropriation. Ainsi, une régularisation appropriée est possible. Dans ces conditions, c'est à tort que le tribunal administratif a enjoint à la société ENEDIS de démolir son ouvrage.
Sur l'appel incident de M. et Mme A...:
9. Si M. et Mme A...demandent que la condamnation de la société ENEDIS à leur verser des dommages et intérêts pour les préjudices de jouissance subis, soit portée de 500 euros à 5 000 euros, ils ne présentent aucun moyen à l'appui de leurs conclusions qui ne peuvent, par suite, qu'être rejetées.
Sur la demande présentée par M. et Mme A...tendant à la condamnation de la société ENEDIS à leur verser des dommages et intérêts en raison d'un appel abusif :
10. Il résulte de ce qui a été dit aux points précédents que l'appel de la société ENEDIS ne présente pas un caractère abusif. Par suite, les conclusions de M. et Mme A... tendant au versement de dommages et intérêts pour ce motif ne peuvent qu'être rejetées.
Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
11. Ces dispositions font obstacle à ce que soit mise à la charge de M. et Mme A..., qui ne sont pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que demande la société ENEDIS au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.
12. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la société ENEDIS une somme de 1 500 euros en application de ces dispositions.
Par ces motifs,
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Nancy du 30 mai 2017 est annulé en tant qu'il a prononcé une injonction à l'encontre de la société ENEDIS.
Article 2 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 3 : L'appel incident de M. et Mme A...et leurs conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetés.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la société ENEDIS et à M. et Mme D...A....
Copie en sera adressée au préfet de Meurthe-et-Moselle.
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N° 17NC01858