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14/01/2020 | FRANCE | N°17MA02704

France | France, Cour administrative d'appel de Marseille, 8ème chambre, 14 janvier 2020, 17MA02704


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme F... D..., veuve G..., a demandé au tribunal administratif de Toulon d'annuler la décision en date du 1er octobre 2014 par laquelle le ministre de la défense a rejeté sa demande, présentée en qualité d'ayant-droit de M. G..., tendant au bénéfice de la loi n° 2010-2 du 5 janvier 2010 relative à la reconnaissance et à l'indemnisation des victimes des essais nucléaires français et de condamner l'Etat à lui verser la somme totale de 323 328 euros en réparation des préjudices subis par M. C... G...

au titre de l'action successorale.

Par un jugement n° 1401696 du 27 avril 201...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme F... D..., veuve G..., a demandé au tribunal administratif de Toulon d'annuler la décision en date du 1er octobre 2014 par laquelle le ministre de la défense a rejeté sa demande, présentée en qualité d'ayant-droit de M. G..., tendant au bénéfice de la loi n° 2010-2 du 5 janvier 2010 relative à la reconnaissance et à l'indemnisation des victimes des essais nucléaires français et de condamner l'Etat à lui verser la somme totale de 323 328 euros en réparation des préjudices subis par M. C... G... au titre de l'action successorale.

Par un jugement n° 1401696 du 27 avril 2017, le tribunal administratif de Toulon a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et un mémoire enregistrés les 23 juin 2017 et 19 septembre 2017, Mme D... veuve G..., représentée par Me E..., demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1401696 du tribunal administratif de Toulon en date du 27 avril 2017 ;

2°) de condamner le ministère de la défense et le comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires (CIVEN) à verser des indemnisations en réparation des préjudices subis par M. G... ;

3°) d'enjoindre au ministre de la défense et au CIVEN de procéder à l'évaluation et à l'indemnisation des préjudices de toute nature imputables à la maladie radio-induite dont M. G... était atteint, dans un délai de trois mois sous astreinte de 200 euros par jour de retard à compter de la décision à intervenir ;

4°) de majorer le montant de l'indemnisation des préjudices, des intérêts de droit à compter de la date de la première demande d'indemnisation avec capitalisation des intérêts échus à compter de cette même formalité ;

5°) de mettre à la charge du ministre de la défense et du CIVEN la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ainsi que les entiers dépens.

Elle soutient que :

- le ministre de la défense ne rapporte pas la preuve que le risque imputable aux essais nucléaires dans la survenue de la maladie de son époux est négligeable en application du V de l'article 4 de la loi n° 2010-2 du 5 janvier 2010 ;

- qu'il est nécessaire de faire application des nouvelles dispositions du V de l'article 4 de la loi n° 2010-2 du 5 janvier 2010 modifié par l'article 113 de la loi n° 2017-256 du

28 février 2017 de programmation relative à l'égalité réelle en outre-mer et portant d'autres dispositions en matière sociale et économique.

Par des mémoires en défense, enregistrés le 20 octobre 2017 et le 9 décembre 2019, la ministre des armées conclut au rejet de la requête.

Elle soutient que les moyens invoqués ne sont pas fondés.

Par un mémoire en défense, enregistré le 14 novembre 2017, le CIVEN conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens invoqués ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la santé publique ;

- la loi n° 2010-2 du 5 janvier 2010 ;

- la loi n° 2013-1168 du 18 décembre 2013 ;

- la loi n° 2017-256 du 28 février 2017 ;

- la loi n° 2018-1317 du 28 décembre 2018 ;

- le décret n° 2014-1049 du 15 septembre 2014 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. A...,

- les conclusions de M. Angéniol, rapporteur public,

- et les observations de Me B..., substituant Me E..., représentant Mme D... veuve G....

Considérant ce qui suit :

Sur les conclusions en annulation de la décision attaquée :

1. M. C... G..., magasinier et chef d'équipe, a été employé par les sociétés Sodeteg, Sodetra et Thales, sous-traitantes du Commissariat à l'énergie atomique, et a été, à ce titre, affecté sur des sites d'expérimentation nucléaires à In Amguel, en Algérie, du 1er juin 1962 au 30 avril 1966 puis en Polynésie française au Centre d'expérimentation du Pacifique et sur les atolls de Mururoa et de Fangataufa du 13 mai 1966 au 8 juin 1974. Durant l'affectation de M. G..., il a été procédé à onze essais nucléaires dans le Sahara puis à trente-quatre essais nucléaires en Polynésie française. M. G..., qui a développé un cancer du côlon diagnostiqué en février 1990, est décédé le 2 avril 1990. Mme D... veuve G... a adressé une demande d'indemnisation des préjudices subis par ce dernier au comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires (CIVEN), en sa qualité d'ayant-droit de son époux, sur le fondement des dispositions de la loi n° 2010-2 du 5 janvier 2010. Par une décision du 1er octobre 2014, le ministre de la défense a rejeté sa demande. Elle a alors saisi le tribunal administratif de Toulon en vue de l'annulation de cette décision et de la condamnation de l'Etat à lui verser la somme totale de 323 328 euros à raison des préjudices subis par M. G... à la suite de son exposition aux rayonnements ionisants ayant causé son décès. Mme D...

veuve G... relève appel du jugement n° 1401696 du 27 avril 2017 par lequel le tribunal administratif de Toulon a rejeté sa demande d'annulation de la décision en date du 1er octobre 2014 ainsi que ses conclusions à fin de condamnation de l'Etat. Si la requérante demande la condamnation du CIVEN, qui a le statut d'autorité administrative indépendante depuis la loi du 18 décembre 2013, ses conclusions doivent être regardées comme étant en réalité dirigées contre l'Etat qui supporte seul la charge d'une indemnisation due au titre de la loi

n° 2010-2 du 5 janvier 2010.

Sur le droit à indemnisation :

2. Aux termes de l'article 1er de la loi n° 2010-2 du 5 janvier 2010, dans sa rédaction issue de l'article 232 de la loi n° 2018-1317 du 28 décembre 2018 : " Toute personne souffrant d'une maladie radio-induite résultant d'une exposition à des rayonnements ionisants dus aux essais nucléaires français et inscrite sur une liste fixée par décret en Conseil d'Etat conformément aux travaux reconnus par la communauté scientifique internationale peut obtenir réparation intégrale de son préjudice dans les conditions prévues par la présente loi (...). Si la personne est décédée, la demande de réparation peut être présentée par ses ayants droit (...). ".

3. Aux termes de l'article 2 de la même loi : " La personne souffrant d'une pathologie radio-induite doit avoir résidé ou séjourné : 1° Soit entre le 13 février 1960 et le 31 décembre 1967 au Centre saharien des expérimentations militaires, ou entre le 7 novembre 1961 et le

31 décembre 1967 au Centre d'expérimentations militaires des oasis ou dans les zones périphériques à ces centres ; 2° Soit entre le 2 juillet 1966 et le 31 décembre 1998 en Polynésie française (...). ".

4. Dans sa rédaction issue de l'article 232 de la loi n° 2018-1317 du 28 décembre 2018, le V de l'article 4 de la loi n° 2010-2 du 5 janvier 2010 énonce, s'agissant du CIVEN, que : " Ce comité examine si les conditions sont réunies. Lorsqu'elles le sont, l'intéressé bénéficie d'une présomption de causalité, à moins qu'il ne soit établi que la dose annuelle de rayonnements ionisants dus aux essais nucléaires français reçue par l'intéressé a été inférieure à la limite de dose efficace pour l'exposition de la population à des rayonnements ionisants fixée dans les conditions prévues au 3° de l'article L. 1333-2 du code de la santé publique (...) ".

5. Aux termes de l'article L.1333-2 du code de la santé publique : " Les activités nucléaires satisfont aux principes suivants : (...) 3° Le principe de limitation, selon lequel l'exposition d'une personne aux rayonnements ionisants résultant d'une de ces activités ne peut porter la somme des doses reçues au-delà des limites fixées par voie réglementaire, sauf lorsque cette personne est l'objet d'une exposition à des fins médicales ou dans le cadre d'une recherche mentionnée au 1° de l'article L. 1121-1. ".

6. Aux termes de l'article R. 1333-11 du même code : " Pour l'application du principe de limitation défini au 3° de l'article L. 1333-2, la limite de dose efficace pour l'exposition de la population à des rayonnements ionisants résultant de l'ensemble des activités nucléaires est fixée à 1 mSv par an, à l'exception des cas particuliers mentionnés à l'article R. 1333-12 (...) ".

7. La loi n° 2010-2 du 5 janvier 2010, modifiée par l'article 232 de la loi n° 2018-1317 du 28 décembre 2018, a instauré une présomption de causalité au bénéfice de toute personne s'estimant victime des rayonnements ionisants provoqués par les essais nucléaires français dès lors qu'elle justifie souffrir d'une maladie inscrite sur la liste fixée par le décret n° 2014-1049 du 15 septembre 2014 et avoir séjourné dans l'une des zones géographiques et au cours d'une période déterminée par la loi n° 2010-2 du 5 janvier 2010. Ainsi, le législateur a entendu qu'un demandeur, dès lors qu'il satisfait aux conditions de temps, de lieu et de pathologie, bénéficie de la présomption de causalité entre l'exposition aux rayonnements ionisants dus aux essais nucléaires français et la survenance de sa maladie. En outre, cette présomption ne peut être renversée que si l'administration établit que l'intéressé a reçu une dose inférieure à la limite prévue par la réglementation.

8. Il résulte de l'instruction que M. G..., décédé des suites d'un cancer du côlon, remplit les conditions de lieu, de temps et de maladie fixées par la loi n° 2010-2 du 5 janvier 2010 et le décret n° 2014-1049 du 15 septembre 2014. Dès lors, il relève de la présomption de causalité entre sa maladie et l'exposition à des rayonnements dus aux essais nucléaires français. Au demeurant, il ressort des pièces du dossier, et notamment de la " Recommandation dossier n° 686 " en date du 17 septembre 2013 et produite par le CIVEN que ce dernier, pour la présence de l'intéressé du 1er juin 1962 au 8 juin 1974 au Sahara et en Polynésie française, lui a attribué, de manière forfaitaire, un total de 16,2 millisieverts (mSv). Ainsi, M. G... a reçu une dose annuelle de rayonnements ionisants dus aux essais nucléaires français supérieure à la limite de dose efficace pour l'exposition de la population à des rayonnements ionisants, soit un millisievert (mSv) par an.

9. L'administration indique ainsi elle-même dans ses écritures que M. G... a reçu, sur les périodes précitées, une dose efficace supérieure à la limite prévue par la réglementation. Dès lors, la présomption de causalité prévue par la loi n'est pas renversée de sorte que c'est à tort que les premiers juges ont considéré que Mme D... veuve G... n'était pas fondée à demander l'annulation de la décision du 1er octobre 2014 du ministre de la défense.

10. Il résulte de ce qui précède que Mme D... veuve G... est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Toulon a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du 1er octobre 2014 du ministre de la défense. Par suite, elle est fondée à obtenir l'indemnisation des préjudices subis par son époux.

Sur les préjudices :

11. Aux termes de l'article R. 621-1 du code de justice administrative : " La juridiction peut, soit d'office, soit sur la demande des parties ou de l'une d'elles, ordonner, avant dire droit, qu'il soit procédé à une expertise sur les points déterminés par sa décision. La mission confiée à l'expert peut viser à concilier les parties ".

12. Ainsi qu'il vient d'être dit, Mme D... veuve G... est fondée à demander à être indemnisée des préjudices subis par son époux à la suite des essais nucléaires en Polynésie française. Toutefois, l'état du dossier ne permet pas à la Cour d'apprécier la réalité et l'étendue des préjudices directement consécutifs à la maladie radio-induite dont M. G... a souffert. Par suite, il y a lieu d'ordonner, avant dire droit, une expertise aux fins indiquées à l'article 3 du dispositif du présent arrêt.

D É C I D E :

Article 1er : Le jugement n° 1401696 du tribunal administratif de Toulon du 1er juillet 2019 et la décision du ministre de la défense du 1er octobre 2014 sont annulés.

Article 2 : Il est mis à la charge de l'Etat, la réparation des préjudices subis par M. G... et imputables à la pathologie radio-induite dont il est décédé.

Article 3 : Avant de statuer sur la demande indemnitaire de Mme D... veuve G..., il sera procédé à une expertise médicale.

Article 4 : L'expert aura pour mission de :

1°) se faire communiquer par tout tiers détenteur l'entier dossier médical relatif au cancer du côlon dont M. C... G... est décédé ;

2°) décrire cette pathologie depuis les premiers signes de son apparition, son évolution et les traitements mis en oeuvre jusqu'au décès ;

3°) déterminer et chiffrer les dépenses de santé restées à la charge de M. G... en lien avec cette maladie ;

4°) donner son avis sur les conséquences de la maladie sur l'activité professionnelle de M. G... et préciser si cette maladie a nécessité une adaptation de l'emploi ou une cessation anticipée d'activité professionnelle ;

5°) dire si l'état de M. G... a nécessité l'assistance d'une tierce personne ; fixer les modalités, la qualification et la durée de cette intervention en lien avec la maladie ;

6°) déterminer et chiffrer le déficit fonctionnel en lien direct avec la maladie, de son apparition jusqu'au jour du décès de M. G...;

7°) déterminer et chiffrer sur une échelle allant de 1 à 7 les préjudices personnels (notamment, souffrances physiques et morales endurées, préjudice esthétique, préjudice d'agrément, préjudice sexuel).

8°) et, s'il y a lieu, de faire toutes autres constatations nécessaires et d'annexer à son rapport tout document utile.

Article 5 : L'expertise aura lieu en présence de Mme D... veuve G... et de l'Etat (ministère des armées).

Article 6 : L'expert sera désigné par la présidente de la Cour. Après avoir prêté serment, il accomplira sa mission dans les conditions prévues par les articles R. 621-2 à R. 621-4 du code de justice administrative. Il ne pourra recourir à un sapiteur sans l'autorisation préalable de la présidente de la Cour.

Article 7 : L'expert déposera son rapport en deux exemplaires au greffe de la Cour. Il en notifiera des copies aux parties intéressées. Avec leur accord, cette notification pourra s'opérer sous forme électronique. L'expert n'établira un pré-rapport que s'il l'estime indispensable.

Article 8 : Tous droits et moyens des parties sur lesquels il n'est pas expressément statué par le présent arrêt sont réservés jusqu'en fin d'instance.

Article 9 : Le présent arrêt sera notifié à Mme F... D... veuve G..., au comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires et à la ministre des armées.

Copie en sera transmise à l'expert.

Délibéré après l'audience du 17 décembre 2019, où siégeaient :

- M. A..., président,

- M. d'Izarn de Villefort, président assesseur,

- M. Ury, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 14 janvier 2020.

2

N° 17MA02704

kp


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Marseille
Formation : 8ème chambre
Numéro d'arrêt : 17MA02704
Date de la décision : 14/01/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

60-01-05 Responsabilité de la puissance publique. Faits susceptibles ou non d'ouvrir une action en responsabilité. Responsabilité régie par des textes spéciaux.


Composition du Tribunal
Président : M. BADIE
Rapporteur ?: M. Alexandre BADIE
Rapporteur public ?: M. ANGENIOL
Avocat(s) : SELARL TEISSONNIERE et ASSOCIÉS

Origine de la décision
Date de l'import : 21/01/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.marseille;arret;2020-01-14;17ma02704 ?
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