Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La Sarl Paradis a demandé au tribunal administratif de Nice d'ordonner la saisine du tribunal des conflits aux fins de lui poser la question préjudicielle suivante : " Le tribunal administratif est-il compétent pour examiner la responsabilité contractuelle de la SA Yacht Club International de Saint-Laurent-du-Var (SA YCISV) à l'égard de ses actionnaires de catégorie C au regard des statuts de la SA qui lui confèrent la jouissance à titre exclusif d'un local commercial situé sur le domaine public maritime ' ", de prononcer un sursis à statuer dans l'attente de la décision rendue par le tribunal des conflits et, dans l'hypothèse où le tribunal ne ferait pas droit à la mesure d'instruction sollicitée, de condamner la SA Yacht Club International de Saint-Laurent-du-Var à lui verser la somme de 1 941 409 euros majorée des intérêts de retard, sauf à parfaire.
Par un jugement n° 1300873 du 28 mars 2017, le tribunal administratif de Nice a rejeté ces demandes.
Procédure devant la Cour :
Par une requête et des mémoires, enregistrés les 29 mai 2017, 11 juillet 2017, 4 mars 2019, sous le n° 17MA02160, M. A..., en qualité de H..., représenté par Me C..., demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement du 28 mars 2017 du tribunal administratif de Nice ;
2°) de condamner la SA Yacht Club International de Saint-Laurent-du-Var à lui verser la somme de 1 941 409 euros majorée des intérêts de retard ;
3°) de mettre à la charge de la SA Yacht Club International de Saint-Laurent-du-Var la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- le tribunal a commis une erreur de droit en estimant irrecevable la demande de la SARL Paradis au motif tiré du défaut de liaison du contentieux alors que cette société avait justifié avoir adressé, par note en délibéré, avant que les premiers juges aient statué, une réclamation préalable ;
- dans le cadre de l'effet dévolutif, il s'en rapporte aux écritures de première instance ;
- dès le stade de sa demande de première instance, il a été identifié un fondement de responsabilité extracontractuelle ;
- le tribunal ayant constaté l'irrégularité des clauses des statuts et du règlement intérieur, il était alors tenu d'écarter le contrat et de régler le litige sur le terrain contractuel ;
- le principe de non cumul des responsabilités ne fait pas obstacle à ce qu'il soit retenu la responsabilité extracontractuelle dès lors que ce fondement a été évoqué à titre subsidiaire dans les écritures de première instance ;
- la responsabilité quasi-délictuelle de la SA Yacht Club International de Saint-Laurent-du-Var doit être engagée dès lors qu'elle a laissé croire à la société qu'elle pouvait signer un bail commercial ;
- son préjudice indemnisable correspond à l'ensemble des préjudices commerciaux et financiers résultant de cette faute.
Par deux mémoires en défense, enregistrés les 8 janvier 2018 et 25 mars 2019, la SA Yacht Club International de Saint-Laurent-du-Var, représentée par Me B..., conclut au rejet de la requête et demande à la Cour de mettre à la charge de la Sarl Paradis la somme de 2 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- à titre principal, la demande de première instance de la Sarl Paradis était irrecevable ;
- à titre subsidiaire, les moyens soulevés par M. A... ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code général de la propriété des personnes publiques ;
- la loi n° 68-1250 du 31 décembre 1968 ;
- le décret n° 2015-233 du 27 février 2015 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme E...,
- les conclusions de M. Chanon, rapporteur public,
- et les observations de Me C... représentant la Sarl Paradis et Me B... représentant la SA Yacht Club International de Saint-Laurent-du-Var.
Considérant ce qui suit :
1. Par un arrêté préfectoral du 17 avril 1975, l'Etat a concédé à la commune de Saint-Laurent-du-Var l'établissement et l'exploitation d'un port de plaisance. La commune a conclu, le 28 novembre 1975, un sous-traité de concession avec la société Yacht Club International de Saint-Laurent-du-Var et la société Fermière du Port de Saint-Laurent-du-Var. A la suite du transfert de compétence opéré par la loi n° 83-663 du 22 juillet 1983, la commune s'est trouvée substituée dans les droits et obligations de l'Etat. Elle est donc devenue concédante et la société Yacht Club International concessionnaire. La société Fermière ayant été dissoute le 13 janvier 1978, la société Yacht Club International de Saint-Laurent-du-Var est devenue seule concessionnaire du port de plaisance. La Sarl Paradis a acquis, le 17 décembre 1976, 162 " actions de catégorie C " du capital social de la société Yacht Club International de Saint-Laurent-du-Var lui donnant droit à la jouissance à titre privatif des cellules commerciales n° 50 à 55 situées sur le port de plaisance. Par courriers des 21 mai 2001 et 30 juillet 2008, la Sarl Paradis a demandé à la société concessionnaire de lui établir un contrat d'amodiation à son profit. Cette demande a fait l'objet d'une décision de rejet du 5 août 2008 de la société Yacht Club International de Saint-Laurent-du-Var qui a été contestée par la Sarl Paradis par courriers des 25 août et 8 septembre 2008 et 15 mars 2010. La société concessionnaire a rejeté ces recours gracieux par décision du 7 avril 2010. Par un jugement du 24 juin 2011, le tribunal de commerce, après avoir écarté une exception d'incompétence au bénéfice du juge administratif soulevée par la société Yacht Club International de Saint-Laurent-du-Var, a enjoint à cette dernière de délivrer à la Sarl Paradis un contrat d'amodiation et l'a condamnée à lui verser une somme de 450 000 euros correspondant à son manque à gagner de février 2004 à janvier 2011. Toutefois, par un arrêt du 9 mai 2012 devenu définitif, la cour d'appel d'Aix-en-Provence a infirmé ce jugement en estimant que le litige relevait de la compétence d'une juridiction administrative et a renvoyé les parties à mieux se pourvoir. M. A..., en qualité de H..., relève appel du jugement du 28 mars 2017 par lequel tribunal administratif de Nice a rejeté les demandes tendant à ce que soit ordonnée la saisine du tribunal des conflits aux fins de lui poser la question préjudicielle suivante : " Le tribunal administratif est-il compétent pour examiner la responsabilité contractuelle de la SA Yacht Club International de Saint-Laurent-du-Var (SA YCISV) à l'égard de ses actionnaires de catégorie C au regard des statuts de la SA qui lui confèrent la jouissance à titre exclusif d'un local commercial situé sur le domaine public maritime ' ", à ce que soit prononcé un sursis à statuer dans l'attente de la décision rendue par le tribunal des conflits et, dans l'hypothèse où le tribunal administratif ne ferait pas droit à la mesure d'instruction sollicitée, à la condamnation de la SA Yacht Club International de Saint-Laurent-du-Var à lui verser la somme de 1 941 409 euros majorée des intérêts de retard, sauf à parfaire.
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. Aux termes de l'article L. 2331-1 du code général de la propriété des personnes publiques : " Sont portées devant la juridiction administrative les litiges relatifs : 1° Aux autorisations ou contrats comportant occupation du domaine public, quelle que soit leur forme ou leur dénomination, accordées ou conclus par les personnes publiques ou leurs concessionnaires ". Aux termes de l'article 32 du décret du 27 février 2015 relatif au Tribunal des conflits et aux questions préjudicielles : " Lorsqu'une juridiction de l'ordre judiciaire ou de l'ordre administratif a, par une décision qui n'est plus susceptible de recours, décliné la compétence de l'ordre de juridiction auquel elle appartient au motif que le litige ne ressortit pas à cet ordre, toute juridiction de l'autre ordre, saisie du même litige, si elle estime que le litige ressortit à l'ordre de juridiction primitivement saisi, doit, par une décision motivée qui n'est susceptible d'aucun recours même en cassation, renvoyer au Tribunal des conflits le soin de décider sur la question de compétence ainsi soulevée et surseoir à toute procédure jusqu'à la décision du tribunal ".
3. Ainsi qu'il a été dit au point 1, la société Yacht Club International de Saint-Laurent-du-Var est concessionnaire de l'exploitation du port de plaisance de Saint-Laurent-du-Var dont les installations sont situées sur le domaine public maritime. Par suite, le tribunal a estimé à juste titre que les litiges qui peuvent s'élever entre cette société et ses actionnaires relatifs à l'application des statuts et du règlement intérieur de la société concessionnaire qui confèrent aux actionnaires des droits d'occupation du domaine public portuaire portant notamment sur les cellules commerciales implantées sur les terre-pleins du port relèvent en application des dispositions précitées de l'article L. 2331-1 du code général de la propriété des personnes publiques de la compétence du juge administratif. Par ailleurs, il résulte de l'instruction que, par un jugement du 24 juin 2011, le tribunal de commerce après avoir écarté une exception d'incompétence au bénéfice du juge administratif soulevée par la société Yacht Club International de Saint-Laurent-du-Var a enjoint à cette dernière de délivrer à la Sarl Paradis un contrat d'amodiation et l'a condamnée à lui verser une somme de 450 000 euros correspondant à son manque à gagner de février 2004 à janvier 2011. Toutefois, par un arrêt du 9 mai 2012, devenu définitif, la cour d'appel d'Aix-en-Provence a infirmé ce jugement en estimant que le litige relevait de la compétence d'une juridiction administrative et a renvoyé les parties à mieux se pourvoir. Il n'y a ainsi pas lieu, pour la Cour, de renvoyer au tribunal des conflits le soin de décider sur la question de compétence en application de l'article 32 du décret du 27 février 2015 relatif au tribunal des conflits et aux questions préjudicielles.
4. Aux termes de l'article R. 421-1 du code de justice administrative dans sa rédaction applicable à la date d'enregistrement de la requête de première instance de la Sarl Paradis le 25 février 2015 : " Sauf en matière de travaux publics, la juridiction ne peut être saisie que par voie de recours formé contre une décision, et ce, dans les deux mois à partir de la notification ou de la publication de la décision attaquée. (...) ".
5. Aucune fin de non-recevoir tirée du défaut de décision préalable ne peut être opposée à un requérant ayant introduit devant le juge administratif un contentieux indemnitaire à une date où il n'avait présenté aucune demande en ce sens devant l'administration lorsqu'il a formé, postérieurement à l'introduction de son recours juridictionnel, une demande auprès de l'administration sur laquelle le silence gardé par celle-ci a fait naître une décision implicite de rejet avant que le juge de première instance ne statue, et ce quelles que soient les conclusions du mémoire en défense de l'administration. Lorsque ce mémoire en défense conclut à titre principal, à l'irrecevabilité faute de décision préalable et, à titre subsidiaire seulement, au rejet au fond, ces conclusions font seulement obstacle à ce que le contentieux soit lié par ce mémoire lui-même.
6. Il résulte de l'instruction que M. A... a, par une note en délibéré enregistrée le jour de l'audience qui s'est tenue le 28 février 2017, produit une copie de la réclamation préalable indemnitaire qui avait été notifiée à la SA Yacht Club International de Saint-Laurent-du-Var le 26 mars 2013, postérieurement à la date d'enregistrement de sa demande le 25 février 2013 par le greffe du tribunal. Ainsi, une décision implicite de rejet est née le 26 mai 2013, soit avant que le tribunal ne statue sur le litige par le jugement attaqué du 28 mars 2017. Dès lors M. A... est fondé à soutenir que c'est à tort que les premiers juges ont rejeté ses demandes comme irrecevables en l'absence de liaison du contentieux. Par suite, le jugement attaqué est irrégulier et doit être annulé.
7. Il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur la demande présentée par M. A... devant le tribunal administratif de Nice et la Cour.
Sur la responsabilité de la SA Yacht Club International de Saint-Laurent-du-Var :
En ce qui concerne la responsabilité sans faute :
8. M. A... n'établit pas que la Sarl Paradis aurait subi un préjudice anormal et spécial. Dès lors il n'est pas fondé à invoquer une rupture d'égalité devant les charges publiques.
9. Si M. A... soutient que la responsabilité de la société concessionnaire serait susceptible d'être engagée en application de la théorie du fait du prince, ce moyen n'est pas assorti de précisions suffisantes pour permettre à la Cour d'en apprécier le bien-fondé.
En ce qui concerne les fins de non-recevoir opposées par la SA Yacht Club International de Saint-Laurent-du-Var :
10. Lorsque les parties soumettent au juge un litige relatif à l'exécution du contrat qui les lie, il incombe en principe à celui-ci, eu égard à l'exigence de loyauté des relations contractuelles, de faire application du contrat. Toutefois, dans le cas seulement où il constate une irrégularité invoquée par une partie ou relevée d'office par lui, tenant au caractère illicite du contenu du contrat ou à un vice d'une particulière gravité relatif notamment aux conditions dans lesquelles les parties ont donné leur consentement, il doit écarter le contrat et ne peut régler le litige sur le terrain contractuel.
11. Par ailleurs, les parties au contrat dont le juge, saisi d'un litige engagé sur le terrain de la responsabilité contractuelle, est conduit à constater, le cas échéant d'office, la nullité, peuvent poursuivre le litige qui les oppose en invoquant, y compris pour la première fois en appel, des moyens tirés de leur responsabilité quasi-contractuelle ou quasi-délictuelle, bien que ces moyens, qui ne sont pas d'ordre public, reposent sur des causes juridiques nouvelles, de tels moyens ne peuvent être soulevés au-delà du délai d'appel, lorsque la nullité du contrat a été constatée par le juge de première instance.
12. Aux termes de l'article 12 des statuts précités (" droits et obligations attachés aux actions ") : " la possession d'une action emporte de plein droit adhésion aux statuts et aux décisions de l'assemblée générale. Les droits et obligations attachés à l'action suivent le titre dans quelque main qu'il passe (...). Les 24.000 actions émises en représentation du capital social sont divisées en trois catégories, à savoir (...) la troisième, composée des 4093 actions portant les numéros 19908 à 24000, dites " actions C ", donnant droit à leurs propriétaires, dans les conditions définies au règlement intérieur, à l'usage du port et à la jouissance, à titre privatif, d'un local commercial (...) ". Selon l'article 2.5 du règlement intérieur du contrat de sous-traité passé entre la commune de Saint-Laurent-du-Var et la SA Yacht Club International de Saint-Laurent-du-Var : " Après en avoir informé la société tout propriétaire d'actions ayant droit à l'occupation privative d'un lot pourra désigner une personne de son choix pour bénéficier de ce droit ".
13. Il résulte des clauses des statuts de la SA Yacht Club International de Saint-Laurent-du-Var et du règlement intérieur du contrat de sous-traité passé entre la commune de Saint-Laurent-du-Var et la SA Yacht Club International de Saint-Laurent-du-Var mentionnés au point 12 que les actionnaires détenteurs d'actions de la " catégorie C " détenaient un droit de jouissance sur les cellules commerciales implantées sur les terre-pleins du port sans avoir l'obligation de les occuper à titre personnel ainsi que la possibilité de désigner une personne de leur choix pour bénéficier de ce droit de jouissance. Ces clauses méconnaissent le caractère personnel et incessible des autorisations d'occupation du domaine public et sont, par suite, incompatibles avec les principes de la domanialité publique. Ainsi, et compte tenu de ce qui a été dit aux points 10 et 11, la SA Yacht Club International de Saint-Laurent-du-Var n'est pas fondée à soutenir que la demande de M. A... sur le fondement de la responsabilité quasi-délictuelle était nouvelle et donc irrecevable ni à invoquer le principe de non cumul des responsabilités contractuelle et quasi-délictuelle. Il en va de même de la circonstance qu'en tant qu'actionnaire, la société Paradis ne peut rechercher la responsabilité de la personne morale du fait des statuts auxquels elle avait adhéré.
En ce qui concerne la responsabilité contractuelle :
14. Compte tenu de ce qui a été aux points 10 à 13, M. A... ne peut utilement se prévaloir des clauses irrégulières de l'article 12 des statuts et de l'article 2.5 du règlement intérieur pour rechercher la responsabilité contractuelle de la SA Yacht Club International de Saint-Laurent-du-Var.
15. Il ne résulte pas des clauses des statuts et du règlement intérieur autres que celles mentionnées au point 12 et du cahier des charges de la concession, que la SA Yacht Club International de Saint-Laurent-du-Var avait obligation d'avertir préalablement les actionnaires de l'impossibilité de disposer librement d'un bien accordé par un contrat d'amodiation et situé sur le domaine public. Si M. A... soutient que la société Paradis n'était pas un professionnel de l'immobilier ni de la domanialité publique et qu'elle n'a pas reçu ce courrier, il résulte de l'instruction qu'elle était une société civile ayant une activité immobilière avant de devenir une société à responsabilité limitée et que son gérant était administrateur de la SA Yacht Club International de Saint-Laurent-du-Var. Les circonstances que le contrat d'amodiation a été accordé à la société Le Moorea pour l'occupation des cellules n° 50 à 55 sans l'assentiment de la société Paradis et qu'elle n'a jamais renoncé à ses droits de sorte que ce contrat est illégal sont sans incidence. Il s'en suit que la société concessionnaire n'a commis aucune faute en ne donnant pas ces informations à la Sarl Paradis.
16. Aux termes de l'article 2 du cahier des charges de la concession du port de plaisance de Saint-Laurent-du-Var " (...) Les parties de la concession portées au plan visé à l'article 1° qui sont hachurées en traits discontinus pourront faire l'objet d'amodiations au profit de personnes physiques ou morales exerçant des activités de longue durée en rapport avec l'utilisation du port comme il est précisé à l'article 26 ci-après ". Selon l'article 26 de ce cahier des charges : " Les amodiations accordées suivant les règles précisées à l'article 2 du présent cahier des charges seront accordées par le concessionnaire, sous réserve de l'approbation du préfet (...) / 1° Elles sont réservées dans la limite de la zone hachurée en ligne continue au plan visé à l'article 1er du présent cahier des charges aux personnes physiques ou morales ayant participé au financement des ouvrages (...) / 2° Dans la limite des zones hachurées en traits discontinus au plan défini ci-dessus aux personnes physiques ou morales exerçant des activités de longue durée en rapport avec l'utilisation du port. / Les conditions générales de ces amodiations doivent être conformes aux clauses des contrats type d'amodiation. Les contrats d'amodiation sont approuvés par M. G.... En aucun cas la durée de ces amodiations ne pourra excéder la date d'expiration de la concession. (...) ".
17. Il résulte de l'instruction que pour rejeter la demande de contrat d'amodiation de la société Paradis, la SA Yacht Club International de Saint-Laurent-du-Var a estimé par courrier du 5 août 2008 que la société civile et immobilière (SCI) Paradis n'exerçait aucune activité sur le port de Saint-Laurent-du-Var puisqu'elle avait elle-même donné à bail les cellules pour lesquelles elle demandait un contrat. Elle lui a également opposé dans une lettre du 7 avril 2010 que sa qualité d'actionnaire de la société ne lui permettait pas de se prétendre propriétaire des cellules lesquelles sont situées sur le domaine public concédé, que les cellules n° 50 à 55 étaient actuellement occupées par la société Le Moorea, titulaire d'un contrat d'amodiation approuvé par l'autorité concédante et que cette société avait pris possession des cellules avec son accord. Puis par lettre du 1er juillet 2011 et après que la SCI Paradis soit devenue une société à responsabilité limitée (Sarl), la société concessionnaire lui a demandé de lui transmettre son projet d'exploitation commerciale comportant la description de l'activité, le nombre de personnes affectées à l'exploitation, les périodes, journées, horaires d'ouverture et de fermeture envisagées, le détail, le coût des travaux et leur financement ainsi qu'un bilan prévisionnel d'exploitation. La société Paradis ne lui a transmis aucune des informations réclamées de nature à justifier son projet d'exploitation commerciale. Une telle justification n'est pas démontrée par le fait qu'elle serait désormais une société à responsabilité limitée. Les circonstances que le contrat d'amodiation a été accordé à la société Le Moorea pour l'occupation des cellules n° 50 à 55 sans son assentiment et sans qu'elle n'ait jamais renoncé à ses droits de sorte que ce contrat est illégal sont sans incidence. Par suite, la SA Yacht Club International de Saint-Laurent-du-Var n'a commis aucune faute en refusant de délivrer à la société Paradis le contrat d'amodiation qu'elle sollicitait.
En ce qui concerne la responsabilité quasi-délictuelle :
18. En raison du caractère précaire et personnel des titres d'occupation du domaine public et des droits qui sont garantis au titulaire d'un bail commercial, un tel bail ne saurait être conclu sur le domaine public. Lorsque l'autorité gestionnaire du domaine public conclut un " bail commercial " pour l'exploitation d'un bien sur le domaine public ou laisse croire à l'exploitant de ce bien qu'il bénéficie des garanties prévues par la législation sur les baux commerciaux, elle commet une faute de nature à engager sa responsabilité. Cet exploitant peut alors prétendre, sous réserve, le cas échéant, de ses propres fautes, à être indemnisé de l'ensemble des dépenses dont il justifie qu'elles n'ont été exposées que dans la perspective d'une exploitation dans le cadre d'un bail commercial ainsi que des préjudices commerciaux et, le cas échéant, financiers qui résultent directement de la faute qu'a commise l'autorité gestionnaire du domaine public en l'induisant en erreur sur l'étendue de ses droits.
19. Si, en outre, l'autorité gestionnaire du domaine met fin avant son terme au bail commercial illégalement conclu en l'absence de toute faute de l'exploitant, celui-ci doit être regardé, pour l'indemnisation des préjudices qu'il invoque, comme ayant été titulaire d'un contrat portant autorisation d'occupation du domaine public pour la durée du bail conclu. Il est à ce titre en principe en droit, sous réserve qu'il n'en résulte aucune double indemnisation, d'obtenir réparation du préjudice direct et certain résultant de la résiliation unilatérale d'une telle convention avant son terme, tel que la perte des bénéfices découlant d'une occupation conforme aux exigences de la protection du domaine public et des dépenses exposées pour l'occupation normale du domaine, qui auraient dû être couvertes au terme de cette occupation.
20. Comme dit au point 13, la Sarl Paradis, détentrice d'actions de catégorie C s'est vue illégalement reconnaître par les statuts de la SA Yacht Club International de Saint-Laurent-du-Var et le règlement intérieur du contrat de sous-traité un droit de jouissance sur les cellules commerciales n° 50 à 55 implantées sur les terre-pleins du port sans avoir l'obligation de les occuper à titre personnel, ainsi que la possibilité de désigner une personne de son choix pour bénéficier de ce droit de jouissance. Dans ce cadre, la Sarl Paradis a consenti, le 25 mai 1977, un bail commercial à la Sarl SE.R.B. devenue Le Makaï. Cette dernière a vendu ce fond de commerce, le 10 avril 1981, à la société Le Moorea en vue de l'occupation de ces cellules. Néanmoins, ce bail a été déclaré nul par un jugement du 4 avril 2006 du tribunal de grande instance de Grasse, confirmé par un arrêt du 26 février 2009 de la cour d'appel d'Aix-en-Provence laquelle a condamné la société Paradis à payer à la société Le Moorea la somme de 1 288 649 euros en réparation de ses préjudices par un arrêt du 16 septembre 2011. Par ailleurs, il résulte de l'instruction que le 30 juin 2004, la SA Yacht Club International de Saint-Laurent-du-Var a consenti à la société Le Moorea un contrat d'amodiation moyennant le versement des redevances d'occupation du domaine public. Par suite et alors même qu'elle n'a jamais conclu de bail commercial avec la société Paradis, la SA Yacht Club International de Saint-Laurent-du-Var a commis une faute de nature à engager sa responsabilité quasi-délictuelle en laissant croire à la société Paradis qu'elle bénéficiait d'un droit de jouissance sur ces cellules commerciales, ainsi que de la possibilité de désigner une personne de son choix pour bénéficier de ce droit.
21. Toutefois, la société Paradis a également commis une faute en concluant un bail commercial avec la société Le Moorea sans en avoir informé au préalable la SA Yacht Club International de Saint-Laurent-du-Var, contrairement aux dispositions de l'article 2.5 du règlement intérieur mentionnées au point 12. Si la société Paradis soutient qu'elle n'est pas un professionnel de l'immobilier ni de la gestion du domaine public portuaire, il résulte de l'instruction qu'elle a été une société civile immobilière avant de devenir une Sarl dont le gérant est administrateur de la SA Yacht Club International de Saint-Laurent-du-Var. Dès lors, il sera fait une juste appréciation du partage de responsabilité en fixant à 50 % la part de la SA Yacht Club International de Saint-Laurent-du-Var.
Sur les préjudices :
En ce qui concerne la perte de bénéfice :
22. Si M. A... demande la réparation du préjudice lié à la perte de bénéfice pour la période allant de 2010 à 2014 compte tenu du fait que la société Paradis entendait se substituer à la société Le Moorea pour reprendre l'exploitation des cellules n° 50 à 55, cette demande doit être rejetée dès lors qu'ainsi qu'il a été dit au point 17, la SA Yacht Club International de Saint-Laurent-du-Var n'a commis aucune faute en refusant de lui délivrer un contrat d'amodiation.
En ce qui concerne les conséquences indemnitaires de la nullité du bail commercial :
23. La société Paradis demande la condamnation de la société concessionnaire à lui verser la somme de 1 288 649 euros qu'elle a été condamnée à régler à la société Le Moorea en raison de la nullité du bail commercial conclu sur les cellules n° 50 à 55. Il résulte de l'arrêt du 6 septembre 2011 de la Cour d'appel d'Aix-en-Provence que cette somme correspond à la valeur résiduelle du fonds de commerce après déduction du prix des parts sociales des sociétés exploitant des commerces sur le domaine public du port de Saint-Laurent-du-Var sans droit au bail. Cependant et ainsi qu'il a été dit au point 18, eu égard au caractère révocable et personnel d'une autorisation d'occupation du domaine public, celle-ci ne peut donner lieu à la constitution d'un fonds de commerce dont l'occupant serait propriétaire. La société Paradis occupait le domaine public en vertu d'un titre délivré antérieurement à la loi du 18 juin 2014 relative à l'artisanat, au commerce et aux très petites entreprises qui a permis dans certaines conditions l'exploitation de fonds de commerce sur le domaine public. Elle n'a dès lors jamais été légalement propriétaire d'un fonds de commerce et ne peut prétendre à l'indemnisation de la perte d'un tel fonds. Par suite, cette demande doit être rejetée.
En ce qui concerne les pertes de loyer :
24. La Sarl Paradis demande l'indemnisation de la perte des loyers versés par la société Le Moorea, estimée à 359 947 euros, pour la période de juillet 2004 à mars 2010. Toutefois, compte tenu des principes de la domanialité publique et plus particulièrement du caractère personnel d'une autorisation d'occuper le domaine public, la Sarl Paradis ne disposait pas du droit de sous-louer les cellules commerciales, ce qu'elle savait antérieurement à la période réclamée dès lors que le 21 mai 2001, elle a sollicité la délivrance d'un contrat d'amodiation, puis le 16 septembre 2003, elle a été assignée par la société Le Moorea devant le tribunal de grande instance de Grasse, lequel a constaté, par un jugement du 4 avril 2006, la nullité du bail commercial intervenu entre les deux sociétés. Elle ne peut invoquer utilement sur le terrain quasi-délictuel les stipulations contractuelles entachées de nullité. Dans ces conditions, la perte de revenus locatifs non conformes à une occupation normale du domaine public ne saurait faire l'objet d'une indemnisation.
En ce qui concerne le préjudice moral :
25. La société Paradis ne justifie pas d'un préjudice moral résultant des " affres du présent contentieux " distinct de son préjudice financier. Par suite, elle n'est pas fondée à demander l'indemnisation de ce préjudice.
26. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'ordonner une mesure d'expertise et d'examiner l'exception de prescription quadriennale, que M. A... H... n'est pas fondé à demander la condamnation de la SA Yacht Club International de Saint-Laurent-du-Var à lui verser la somme de 1 941 409 euros majorée des intérêts au taux légal.
Sur les frais liés au litige :
27. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de la SA Yacht Club International de Saint-Laurent-du-Var, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que M. A... H... demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Il y a lieu, en revanche, de mettre à la charge de la Sarl Paradis une somme de 2 000 euros au titre des frais exposés par la SA Yacht Club International de Saint-Laurent-du-Var et non compris dans les dépens.
D É C I D E :
Article 1er : Le jugement du 28 mars 2017 du tribunal administratif de Nice est annulé.
Article 2 : La demande présentée par la Sarl Paradis devant le tribunal administratif de Nice est rejetée.
Article 3 : La Sarl Paradis versera à la SA Yacht Club International de Saint-Laurent-du-Var une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions de M. A... est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. F... A... H... et à la SA Yacht Club International de Saint-Laurent-du-Var.
Délibéré après l'audience du 8 novembre 2019, où siégeaient :
- M. Pocheron, président de chambre,
- M. Guidal, président assesseur,
- Mme E..., première conseillère.
Lu en audience publique, le 22 novembre 2019.
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N° 17MA02160
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