Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure
La société Ahouandjinou a demandé au tribunal administratif de Dijon d'annuler l'arrêté en date du 3 juin 2016 par lequel la préfète de la Côte-d'Or l'a mise en demeure de régulariser sa situation, soit en déposant une déclaration auprès de la préfecture de la Côte-d'Or au titre de la rubrique n° 2714, accompagnée d'une demande d'agrément relatif à la collecte des déchets de pneumatiques, soit en cessant ses activités et lui a interdit, à titre transitoire, de réceptionner et d'exporter des déchets de pneumatiques et de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros au titre des frais d'instance.
Par un jugement n° 1601797 du 10 juillet 2017, le tribunal administratif de Dijon a rejeté la demande de la société Ahouandjinou.
Procédure devant la cour
Par une requête enregistrée le 22 septembre 2017, la société Ahouandjinou, représentée par Me I... et Me D..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Dijon du 10 juillet 2017 et la décision du 3 juin 2016 de la préfète de la Côte-d'Or la mettant en demeure de régulariser sa situation administrative et lui interdisant dans cette attente de réceptionner des pneumatiques dans ses locaux ;
2°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 5 000 euros au titre des frais d'instance.
Elle soutient que :
Sur la régularité du jugement :
* en écartant le moyen tiré de l'incompétence du signataire de la décision litigieuse sans mettre en oeuvre ses pouvoirs d'instruction, le tribunal administratif de Dijon a dénaturé ses écritures.
Sur le bien-fondé du jugement :
* la décision a été signée par Mme G... qui était incompétente dès lors qu'il n'est pas établi que le secrétaire général de la préfecture était absent ou empêché le jour de l'édiction de la décision litigieuse ;
* contrairement aux affirmations de la préfète de la Côte-d'Or, les pneumatiques dont la limite d'usage n'est pas atteinte ne constituent pas des déchets ;
* les pneus entreposés dans le cadre de ses activités ne sont pas des pneumatiques hors d'usage ou usagés ;
* ses activités ne sont donc pas celles d'un collecteur de pneumatiques usagés au sens de l'article R. 543-145 du code de l'environnement ; ainsi la décision litigieuse est elle entachée d'une erreur de droit ;
* les juges de première instance ont entaché le jugement d'une erreur d'appréciation en considérant que le volume de pneus qu'elle détient dépassant le témoin d'usure est supérieur à 100 m 3.
Par un mémoire en défense, enregistré le 26 février 2019, le ministre de la transition écologique et solidaire conclut au rejet de la requête.
Il soutient que :
* il n'est pas établi que le signataire de l'arrêté en litige, qui disposait d'une délégation de signature, n'était pas compétent pour signer ce jour-là ;
* la société Ahouandjinou se fournissant auprès de garages, de centres de véhicules hors d'usage ou de casses d'automobiles, doit être regardée comme détentrice de déchets de pneumatiques sans qu'il soit nécessaire de s'interroger sur le caractère certain de leur utilisation ultérieure ;
* un certain nombre de pneumatiques présents dans cette entreprise ont dépassé le seuil d'usure permettant leur réutilisation et ne peuvent être exportés qu'en tant que déchets.
Par ordonnance du 28 février 2019, la clôture d'instruction a été fixée au 29 mars 2019.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
* le décret n° 2010-369 du 13 avril 2010 modifiant la nomenclature des installations classées ;
* l'arrêté du 29 juillet 1970 modifié relatif aux caractéristiques et conditions d'utilisation des pneumatiques des véhicules automobiles et de leurs remorques ;
- l'arrêté du 14 octobre 2010 relatif aux prescriptions générales applicables aux installations classées pour la protection de l'environnement soumises à déclaration sous la rubrique n° 2714 ;
- le code de l'environnement ;
- le code de justice administrative.
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Pierre Thierry, premier conseiller,
- et les conclusions de M. Samuel Deliancourt, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. La société Ahouandjinou exerce une activité de vente et d'export de pneus neufs ou ayant été déjà utilisés, qu'elle acquiert, notamment, auprès de centres de véhicules hors d'usage et stocke dans un entrepôt situé à Saint-Apollinaire (Côte-d'Or). Les services de l'inspection des installations classées pour la protection de l'environnement qui ont procédé le 6 avril 2016, à un contrôle de A... entrepôt, ont considéré que les pneus collectés par l'entreprise constituent des déchets de pneumatiques dont la collecte et le stockage nécessitent une déclaration et un agrément préfectoral. Par un arrêté du 3 juin 2016, la préfète de la Côte-d'Or a mis en demeure la société Ahouandjinou de régulariser sa situation, soit en déposant une déclaration au titre de la rubrique 2714 de la nomenclature des installations classées pour la protection de l'environnement (ICPE), soit en cessant son activité. Dans l'attente, il lui a été interdit, à titre transitoire, de réceptionner et d'exporter des déchets de pneumatiques. La société Ahouandjinou relève appel du jugement rendu le 10 juillet 2017 par lequel le tribunal administratif de Dijon a rejeté sa demande d'annulation de A... arrêté.
Sur la régularité du jugement :
2. Par un arrêté du 12 avril 2016 publié au recueil des actes administratifs de la préfecture du 13 avril 2016, la préfète de la Côte-d'Or a donné délégation de signature au secrétaire général de la préfecture, M. C..., " à l'effet de signer tous arrêtés (...) relevant des attributions de l'Etat dans le département (...) à l'exception des déclinatoires de compétences et arrêtés de conflit " et, en cas d'absence ou empêchement de ce dernier, à la directrice de cabinet, Mme G.... En écartant le moyen tiré de l'incompétence de la directrice de cabinet de la préfecture, le tribunal administratif de Dijon n'a ni " dénaturé " les écritures de la requérante, ni méconnu l'étendue de ses pouvoirs d'instruction.
Sur bien-fondé du jugement :
En ce qui concerne la compétence du signataire :
3. La société Ahouandjinou n'établit pas que M. C... n'était pas empêché de signer l'acte litigieux. Par suite, en application de l'arrêté du 12 avril 2016 mentionné au point précédent, Mme G..., signataire de l'arrêté en litige, pouvait faire usage de la délégation de signature dont elle disposait en cas d'empêchement du secrétaire général. Ainsi, et sans qu'il soit besoin de procéder à une mesure d'instruction complémentaire, le moyen tiré de ce que l'arrêté attaqué est entaché d'incompétence doit être écarté.
En ce qui concerne les conditions d'exploitation de l'activité de la société Ahouandjinou :
S'agissant de la qualification des pneus entreposés par la société Ahouandjinou :
4. Le code de l'environnement dispose à son article L. 171-7 que : " I. Indépendamment des poursuites pénales qui peuvent être exercées, lorsque des installations ou ouvrages sont exploités, des objets et dispositifs sont utilisés ou des travaux, opérations, activités ou aménagements sont réalisés sans avoir fait l'objet de l'autorisation, de l'enregistrement, de l'agrément, de l'homologation, de la certification ou de la déclaration requis en application du présent code, ou sans avoir tenu compte d'une opposition à déclaration, l'autorité administrative compétente met l'intéressé en demeure de régulariser sa situation dans un délai qu'elle détermine, et qui ne peut excéder une durée d'un an. / Elle peut, par le même acte ou par un acte distinct, suspendre le fonctionnement des installations ou ouvrages, l'utilisation des objets et dispositifs ou la poursuite des travaux, opérations, activités ou aménagements jusqu'à ce qu'il ait été statué sur la déclaration ou sur la demande d'autorisation, d'enregistrement, d'agrément, d'homologation ou de certification, à moins que des motifs d'intérêt général et en particulier la préservation des intérêts protégés par le présent code ne s'y opposent. / L'autorité administrative peut, en toute hypothèse, édicter des mesures conservatoires aux frais de la personne mise en demeure. (...) ". Aux termes de l'article L. 541-1-1 de ce même code " Au sens du présent chapitre, on entend par : (...) Déchet : toute substance ou tout objet, ou plus généralement tout bien meuble, dont le détenteur se défait ou dont il a l'intention ou l'obligation de se défaire ; ". Son article R. 543-145 prévoit que : " I. - La collecte des déchets de pneumatiques est subordonnée à la délivrance d'un agrément, qui est accordé, pour une durée maximale de cinq ans, par arrêté du préfet du département où est située l'installation du demandeur. ".
5. Selon la rubrique n° 2714. 2 de la nomenclature des installations classées, les " Installations de transit, regroupement ou tri de déchets non dangereux de (...) caoutchouc, (...) " dont " le volume susceptible d'être présent dans l'installation étant (...) 2. supérieur ou égal à 100 m 3 mais inférieur à 1000 m 3 " font l'objet d'un régime de déclaration.
6. A la suite de la visite d'inspection du 6 avril 2016 ayant conduit au constat que la société Ahouandjinou stocke dans son entrepôt plusieurs centaines de mètres cubes de pneus, acquis auprès de détenteurs tels que des garages ou des centres de véhicules hors d'usage, la préfète de la Côte-d'Or a, par l'arrêté en litige, considéré que la société a pour activité la collecte (ramassage et regroupement) de déchets de pneumatiques, qu'elle ne dispose ni de l'agrément prévu par l'article R. 543-145 précité, ni n'a procédé à la déclaration prévue pour les installations décrites à la rubrique n° 2714.2 de la nomenclature des installations classées et l'a mise en demeure, en application des dispositions de l'article L. 171-7 précitées, de régulariser sa situation.
7. Pour l'application de la législation en cause, doit être regardé comme déchet toute substance qui n'a pas été recherchée comme telle dans le processus de production dont elle est issue, à moins que son utilisation ultérieure, sans transformation préalable, soit certaine.
8. Aux termes de l'article R. 314-1 du code de la route : " Les pneumatiques, à l'exception de ceux des matériels de travaux publics, doivent présenter sur toute leur surface de roulement des sculptures apparentes. / Aucune toile ne doit apparaître ni en surface ni à fond de sculpture des pneumatiques. / En outre, ceux-ci ne doivent comporter sur leurs flancs aucune déchirure profonde. /(...) La nature, la forme, l'état et les conditions d'utilisation des pneumatiques et autres dispositifs prévus par le présent article sont déterminés par arrêté du ministre chargé des transports. ". L'arrêté du 29 juillet 1970 pris pour l'application de ces dispositions dispose à son article 3 que : " Les pneumatiques destinés à être montés sur les voitures particulières doivent comporter un indicateur d'usure de la bande de roulement qui permette de signaler de façon visuelle que les rainures principales du pneumatique n'ont plus qu'une profondeur de 1,6 mm. A... indicateur d'usure doit être constitué par des bossages situés à l'intérieur des rainures principales. ". Son article 9.1 prévoit que : " Les pneumatiques des véhicules (...) doivent présenter, pendant toute leur utilisation sur route, dans les rainures principales de la bande de roulement, une profondeur d'au moins 1,6 millimètre. ". Il résulte de ces dispositions qu'un pneumatique dont l'état physique ne remplit pas les conditions prévues par celles-ci doit être considéré comme un déchet de pneumatique puisque son utilisation, en tant que tel, est prohibée et que sa réutilisation éventuelle nécessite une transformation préalable.
9. La seule circonstance que les pneus collectés par la société Ahouandjinou ont été acquis par elle auprès de détenteurs tels que des garages ou des centres de véhicules hors d'usage, ne suffit pas à leur conférer la qualité de déchet de pneumatique dès lors qu'elle ne détermine ni l'état d'usure des pneus et leur capacité à pouvoir rouler sans enfreindre la réglementation applicable ni, par suite, leur utilisation ultérieure sans transformation préalable. En achetant ces pneumatiques dans le but de les vendre comme pneus d'occasion en France ou en les exportant, la société Ahouandjinou leur confère une utilisation qui peut être regardée comme certaine.
10. Par suite, ainsi que l'a relevé à bon droit que tribunal administratif de Dijon, la préfète de la Côte-d'Or ne pouvait légalement fonder l'arrêté litigieux sur la qualité des détenteurs de pneus auprès desquels la société Ahouandjinou avait acquis ces pneumatiques.
S'agissant du volume des déchets de pneumatiques contenus dans les entrepôts de la société Ahouandjinou :
11. Il n'est pas contesté par la société Ahouandjinou que la préfète a entendu également fonder son arrêté sur l'état d'usure des pneus stockés dans son entrepôt. Il résulte toutefois de l'instruction que la société a fait procéder, par un huissier, à l'examen de ce stock de pneus. Dans le constat que celui-ci a établi le 14 juin 2016, il est indiqué, d'une part " que l'examen de la quasi totalité du stock " permet de constater " que les pneumatiques présents sont usés mais que le niveau d'usure est au-dessus du témoin d'usure intégré dans les pneumatiques. " et d'autre part, qu'il n'a trouvé aucun pneumatique dont le niveau d'usure est inférieur à 2 mn. Le ministre de la transition écologique et solidaire ne produit aucun élément plus précis que le rapport établi à la suite de l'inspection du 6 avril 2016 qui se borne à faire état de ce que " l'observation de quelques pneumatiques montre que le témoin d'usure est largement atteint ". Si la société Ahouandjinou ne conteste pas la réalité de cette observation, ce seul rapport, antérieur de près de deux mois à l'arrêté en litige, ne permet pas de regarder comme établi que la société Ahouandjinou stocke dans ses entrepôts une quantité de déchets de pneumatiques égale ou supérieure à 100 mètres cubes.
12. La société Ahouandjinou est dès lors fondée à soutenir que la préfète de la Côte-d'Or a méconnu les dispositions de l'article L. 171-7 du code de l'environnement en la mettant en demeure de régulariser sa situation, et en lui interdisant, dans l'attente, toute réception de déchets de pneumatiques et de transferts de déchets vers l'étranger, ce qui, au demeurant, ne constitue pas son activité.
13. Il résulte de ce qui précède que la société Ahouandjinou est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Dijon a rejeté sa demande.
Sur les conclusions relatives aux frais d'instance :
14. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros qu'il paiera à la société Ahouandjinou, au titre des frais non compris dans les dépens que cette dernière a exposés.
D E C I D E :
Article 1er : Le jugement n° 1601797 du tribunal administratif de Dijon du 10 juillet 2017 et l'arrêté du 3 juin 2016 de la préfète de la Côte-d'Or sont annulés.
Article 2 : L'Etat versera une somme de 1 500 euros à la société Ahouandjinou en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la société Ahouandjinou et au ministre de la transition écologique et solidaire.
Copie en sera délivrée à la préfète de la Côte-d'Or.
Délibéré après l'audience du 1er octobre 2019 à laquelle siégeaient :
Mme F... B..., présidente de chambre,
M. Pierre Thierry, premier conseiller,
Mme E... H..., première conseillère.
Lu en audience publique, le 22 octobre 2019.
No 17LY034612