Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure
L'EARL La Cave du Maître F... a demandé au tribunal administratif de Dijon, à titre principal, d'annuler le titre de recettes émis le 24 juin 2016 par le directeur général de l'établissement public national des produits de l'agriculture et de la mer (FranceAgriMer) en vue du remboursement d'une aide à l'investissement viticole, ensemble la décision implicite ayant rejeté ses recours gracieux, à titre subsidiaire, de réduire la somme à restituer à un euro symbolique.
Par un jugement n° 1603158 du 22 mai 2017, le tribunal administratif de Dijon a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour
Par une requête et un mémoire, enregistrés les 22 septembre 2017 et 25 janvier 2019, l'EARL La Cave du Maître F..., représentée par Me B..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 22 mai 2017 du tribunal administratif de Dijon ;
2°) d'annuler le titre de recettes émis le 24 juin 2016 par le directeur général de l'établissement public national des produits de l'agriculture et de la mer (FranceAgriMer) en vue
du remboursement d'une aide à l'investissement viticole, ensemble la décision implicite ayant rejeté ses recours gracieux, de condamner FranceAgriMer à lui rembourser la somme de 67 882 ,07 euros assortie de l'aide au taux d'intérêt légal à compter du 28 juillet 2017, et à lui verser une somme de 643,10 euros au titre des intérêts perçus ;
3°) à titre subsidiaire, de réduire la somme à restituer à un euro symbolique ;
4°) de mettre à la charge de FranceAgriMer la somme de 2 500 euros, au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- l'action de FranceAgriMer était prescrite en application de l'article 3,1°, du règlement n°2988/95 du 18 décembre 1995 ;
- le titre de recettes est infondé dès lors que FranceAgriMer ne justifie pas sa créance à son égard ;
- les irrégularités relevées par FranceAgriMer n'ont exercé aucune influence dans l'étude de validité du projet et dans la décision d'octroi des concours communautaires ;
- l'irrégularité sur la date de commencement des travaux n'a pas de base légale et FranceAgriMer n'est pas habilité à fixer de nouvelles conditions d'octroi de l'aide ;
- la récupération intégrale de l'aide est sévère.
Par deux mémoires, enregistrés les 1er juillet 2019 et 30 août 2019, l'établissement national des produits de l'agriculture et de la mer (FranceAgriMer), représenté par Me D..., conclut au rejet de la requête et à ce que la somme de 2 500 euros soit mise à la charge de l'EARL La Cave du Maître F... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il fait valoir qu'aucun des moyens soulevés par la requérante n'est fondé.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le règlement (CE, Euratom) n° 2988/95 du Conseil du 18 décembre 1995 ;
- le règlement (CE) n° 479/2008 du Conseil du 29 avril 2008 ;
- le règlement (CE) n° 555/2008 de la Commission du 27 juin 2008 ;
- le code civil ;
- le code rural et de la pêche maritime ;
- le décret n° 2009-178 du 16 février 2009 ;
- l'arrêté du 17 avril 2009 définissant les conditions de mise en oeuvre de la mesure de soutien aux investissements éligibles au financement par les enveloppes nationales en application du règlement (CE) n° 479/2008 du Conseil du 29 avril 2008 portant organisation commune du marché vitivinicole ;
- l'arrêt de la Cour de justice de l'Union européenne du 6 octobre 2015, Firma Ernst Kollmer Fleischimport und-export (C-59/14) ;
- l'arrêt de la Cour de justice de l'Union européenne du 2 mars 2017, Glencore Céréales France (C-584/15) ;
- le code de justice administrative.
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique ;
- le rapport de Mme G..., présidente-assesseure,
- les conclusions de M. Deliancourt, rapporteur public,
- et les observations de Me D..., représentant l'établissement national des produits de l'agriculture et de la mer (FranceAgriMer) ;
Considérant ce qui suit :
1. L'EARL La Cave du Maître F... a bénéficié d'une aide aux investissements vinicoles relative à l'achat de matériels de vinification et de stockage, accordée le 11 mai 2010, pour un montant de 76 123,43 euros. A l'issue d'un contrôle sur place organisé, le 11 décembre 2014, par la mission " contrôle des opérations dans le secteur agricole " du ministère de l'économie et des finances, l'établissement public national des produits de l'agriculture et de la mer (FranceAgriMer), estimant que sa production n'avait pas fait l'objet d'une déclaration au titre de la législation sur les installations classées et que les travaux avaient débuté avant la date autorisée a émis, le 20 juin 2016, un titre de recettes pour le remboursement de l'aide. L'EARL La Cave du Maître F... relève appel du jugement du 22 mai 2017 par lequel le tribunal administratif de Dijon a rejeté sa demande tendant à titre principal, à l'annulation du titre de recettes émis le 24 juin 2016 par le directeur général de FranceAgriMer en vue du remboursement de l'aide, ensemble la décision implicite ayant rejeté ses recours gracieux, et à titre subsidiaire, à la réduction de la somme à restituer à un euro symbolique.
2. En premier lieu, d'une part, aux termes de l'article 1er du règlement (CE, Euratom) n° 2988/95 du Conseil du 18 décembre 1995 : " 1. Aux fins de la protection des intérêts financiers des Communautés européennes, est adoptée une réglementation générale relative à des contrôles homogènes et à des mesures et des sanctions administratives portant sur des irrégularités au regard du droit communautaire. / 2. Est constitutive d'une irrégularité toute violation d'une disposition du droit communautaire résultant d'un acte ou d'une omission d'un opérateur économique qui a ou aurait pour effet de porter préjudice au budget général des Communautés ou à des budgets gérés par celles-ci, soit par la diminution ou la suppression de recettes provenant des ressources propres perçues directement pour le compte des Communautés, soit par une dépense indue ". L'article 3 du même règlement dispose que : " 1. Le délai de prescription des poursuites est de quatre ans à partir de la réalisation de l'irrégularité visée à l'article 1er paragraphe 1 (...). / 3. Les Etats membres conservent la possibilité d'appliquer un délai plus long que celui prévu (...) au paragraphe 1 (...) ".
3. D'autre part, l'article 2224 du code civil dans sa rédaction issue de la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008, dispose que : " Les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer ".
4. Dans son arrêt rendu le 2 mars 2017 dans l'affaire Glencore Céréales France, C-584/15, la Cour de justice de l'Union européenne a interprété l'article 3 du règlement (CE, Euratom) n° 2988/95 du Conseil du 18 décembre 1995 en ce sens que lorsque les Etats membres fixent des délais de prescription plus longs que celui prévu au paragraphe 1 de l'article 3 du règlement, ce qu'il leur est loisible de faire, ils ne sont pas tenus de les prévoir dans des réglementations spécifiques ou sectorielles, qu'il leur est également loisible d'adopter des dispositions législatives instituant un délai de prescription à caractère général, et que le délai quinquennal prévu à l'article 2224 du code civil, qui n'est supérieur que d'un an à celui prévu par le règlement n° 2988/95, ne va pas au-delà de ce qui est nécessaire pour permettre aux autorités nationales de poursuivre les irrégularités portant préjudice au budget de l'Union et respecte l'exigence de proportionnalité. Par suite, et en l'absence de délai inférieur prévu par une réglementation sectorielle de l'Union, le délai de cinq ans prévu à l'article 2224 du code civil est applicable au présent litige.
5. Par ailleurs, par un arrêt du 6 octobre 2015 Firma Ernst Kollmer Fleischimport und -export c/ Hauptzollamt Hamburg-Jonas (C-59/14), la Cour de justice de l'Union européenne, statuant sur renvoi préjudiciel, a dit pour droit que les articles 1.2 et 3.1, premier alinéa, du règlement n° 2988/95 du Conseil du 18 décembre 1995 doivent être interprétés en ce sens que, dans des circonstances où la violation d'une disposition du droit de l'Union n'a été détectée qu'après la réalisation d'un préjudice, le délai de prescription commence à courir à partir du moment où tant l'acte ou l'omission d'un opérateur économique constituant une violation du droit de l'Union que le préjudice porté au budget de l'Union ou aux budgets gérés par celle-ci sont survenus, et donc à compter de la plus tardive de ces deux dates. Le point de départ du délai de prescription se situe ainsi, dans le cas d'espèce, au moment où l'avantage a été définitivement accordé, soit lors du versement de l'aide, le 19 septembre 2013. Par suite, la prescription ne peut être opposée.
6. En deuxième lieu, pour remettre en cause l'aide accordée, le directeur général de FranceAgriMer s'est notamment fondé sur le motif que le dossier d'installation classée pour la protection de l'environnement (ICPE) de l'EARL La Cave du Maître F... était incomplet. L'engagement de respecter ses obligations environnementales figuraient dans la demande de subvention qu'elle a présentée le 2 décembre 2009 et lui est dès lors opposable.
7. Dans sa demande, du 1er décembre 2009, la requérante a déclaré ne relever ni du régime de déclaration, ni du de régime d'autorisation au titre des ICPE et respecter les obligations environnementales. Par un courrier, en date du 5 février 2015, la direction départementale de la cohésion sociale et de la protection de la population indique que l'EARL La Cave du Maître F... a déclaré pour la campagne 2009/2010 et les trois suivantes une production supérieure à 500 hectolitres sans être régulièrement déclarée au titre des installations classées. L'appelante ne peut se prévaloir de ce que M.C..., l'un des trois exploitants de l'EARL La Cave du Maître F... avait déposé, le 5 décembre 1994, sous la rubrique n°2251, une déclaration d'installation classée pour une production annuelle de 1450 hectolitres par an, ni de la circonstance qu'elle a engagé une démarche de régularisation au regard des ICPE le 18 décembre 2014, avant le dépôt du rapport de contrôle du 11 mai 2015. Par suite, et sans qu'il soit besoin de se prononcer sur le motif tiré du non respect de la date de commencement des travaux, le directeur général de FranceAgriMer pouvait remettre en cause, sur ce seul motif tiré du non-respect des obligations environnementales, l'aide accordée au l'EARL La Cave du Maître F....
8. En dernier lieu, aux termes du 3 de l'article 2 du règlement n° 2988/95, " Les dispositions du droit communautaire déterminent la nature et la portée des mesures et sanctions administratives nécessaires à l'application correcte de la réglementation considérée en fonction de la nature de l'irrégularité, du bénéfice accordé ou de l'avantage reçu et du degré de responsabilité ". Selon le 1 de l'article 4 : " 1. Toute irrégularité entraîne, en règle générale, le retrait de l'avantage indûment obtenu : - par l'obligation (...) de rembourser les montants indûment perçus (...) 2. L'application des mesures visées au paragraphe 1 est limitée au retrait de l'avantage obtenu (...) " ; que le 1 de l'article 5 prévoit des sanctions administratives dont " la privation totale ou partielle d'un avantage octroyé par la réglementation communautaire ".
9. La Cour de Justice de l'Union européenne a jugé dans l'affaire C-670/11, le 13 décembre 2012, que l'exclusion d'une aide résultant de l'inobservation d'une condition d'éligibilité est non pas une sanction mais " la simple conséquence du non-respect " de cette condition (§ 64), qu'un pouvoir d'appréciation des Etats membres sur l'opportunité d'exiger ou non la restitution d'une aide serait " incompatible " avec la réglementation de l'Union (§ 66) et que, par suite, les Etats doivent exiger le remboursement de " l'intégralité " de l'aide (§ 72). Dès lors que l'EARL La Cave du Maître F... ne remplissait pas les obligations environnementales auxquelles elle s'était engagée, FranceAgrimer devait demander un remboursement total.
10. Il résulte de ce qui précède que l'EARL La Cave du Maître F... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Dijon a rejeté sa demande.
Sur les frais liés au litige :
11. Les dispositions de l'article L 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'il soit mis à la charge de FranceAgriMer qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement de la somme demandée par l'EARL La Cave du Maître F.... Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'EARL La Cave du Maître F... le versement d'une somme de 1 500 euros à FranceAgriMer au titre des mêmes dispositions.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de l'EARL La Cave du Maître F... est rejetée.
Article 2 : L'EARL La Cave du Maître F... versera une somme de 1 500 euros à l'établissement FranceAgriMer sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à l'EARL La Cave du Maître F... et à FranceAgriMer.
Délibéré après l'audience du 17 octobre 2019, à laquelle siégeaient :
M. E... A..., présidente de chambre,
Mme H..., présidente-assesseure,
M. Pierre Thierry, premier conseiller.
Lu en audience publique le 18 novembre 2019.
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N°17LY03457