Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme D... C..., veuve A..., a demandé au tribunal administratif de Lille de condamner, en application de la loi n° 2010-2 du 5 janvier 2010, le comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires (CIVEN) à l'indemniser des préjudices que son mari, M. E... A..., a subis et d'enjoindre au ministre de la défense et des anciens combattants de saisir le CIVEN afin qu'il procède à l'évaluation des préjudices de toute nature imputables à la maladie radio-induite.
Par un jugement n° 1303203 du 31 janvier 2017, le tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et des mémoires, enregistrés le 30 mars 2017 et le 22 décembre 2018, Mme A..., représentée par Me G... H..., demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du 31 janvier 2017 du tribunal administratif de Lille ;
2°) d'enjoindre au comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires de procéder à l'évaluation de ses préjudices de toute nature liés à la maladie radio-induite de son mari, dans le délai de trois mois, sous astreinte de 200 euros par jour de retard, à compter de la décision à intervenir ;
3°) de majorer les sommes dues des intérêts de droit et de capitaliser ces sommes à compter de la date de la première demande d'indemnisation ;
4°) de mettre la somme de 3 000 euros à la charge de l'Etat sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le lien de causalité entre le cancer dont est décédé M. A... et ses missions sur les sites d'expérimentations nucléaires est présumé ;
- le ministre des armées n'établit pas que cette pathologie résulterait exclusivement d'une cause étrangère.
Par un mémoire, enregistré le 24 décembre 2018, la ministre des armées s'en remet à la sagesse de la cour. Elle soutient que M. A... n'a fait l'objet d'aucune mesure de surveillance de contamination interne ou externe.
Par un mémoire en défense, enregistré le 13 décembre 2018 et un mémoire enregistré le 17 mai 2019, le comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires conclut au rejet de la requête.
Il soutient que :
- M. A... n'était pas soumis à un risque radiologique particulier du fait de ses fonctions d'électricien sur le bâtiment-base Maurienne ;
- ce bâtiment n'a pas subi de retombées radioactives durant les tirs de juin-juillet 1974 ; la dosimétrie d'ambiance était à dose nulle ;
- aucune contamination interne n'a pu se produire par ingestion d'eau ou d'aliments.
Les parties ont été informées, en application des dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que l'arrêt était susceptible d'être fondé sur un moyen relevé d'office, tiré de ce que la cour, saisie d'un recours de plein contentieux, entend régler le litige sur le terrain des dispositions de l'article 232 de la loi n° 2018-1317 du 28 décembre 2018 et du décret n° 2019-520 du 27 mai 2019 qui prévoient que la présomption de causalité de la maladie peut être inversée lorsqu'il est établi que la dose annuelle de rayonnements ionisants dus aux essais nucléaires français, reçue par l'intéressé, a été inférieure à la limite de dose efficace pour l'exposition de la population à des rayonnements ionisants fixée dans les conditions prévues au 3° de l'article L. 1333-2 du code de la santé publique.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de la santé publique ;
- la loi n° 2010-2 du 5 janvier 2010 ;
- la loi n° 2017-256 du 28 février 2017 ;
- la loi n° 2018-1317 du 28 décembre 2018 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Jean-Jacques Gauthé, premier conseiller,
- les conclusions de M. Jean-Philippe Arruebo-Mannier, rapporteur public,
- et les observations de Me B... F..., représentant Mme A....
Considérant ce qui suit :
1. M. E... A..., né le 3 janvier 1954 est décédé le 10 juillet 2009 d'un cancer de l'intestin grêle détecté en 2007. Il a servi en tant qu'appelé dans la Marine nationale à Mururoa du 4 octobre 1973 au 1er août 1974. Durant cette période, quatre tirs nucléaires aériens ont eu lieu : Capricorne, le 16 juin 1974, Gémeaux, le 7 juillet 1974, Centaure, le 17 juillet 1974, Maquis le 25 juillet 1974, ainsi que deux tirs de sécurité : Bélier, le 1er juillet 1974 et Persée le 28 juillet 1974. Son épouse, Mme D... A..., née C..., a demandé le 28 novembre 2011 à être indemnisée des préjudices nés de la mort de son mari. Le comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires (CIVEN) a proposé le rejet de sa demande le 22 janvier 2013, le ministre suivant cet avis le 19 décembre 2013 au motif du caractère négligeable de l'exposition de M. A... au risque attribuable aux essais nucléaires. Mme A... relève appel du jugement du 31 janvier 2017 par lequel le tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande tendant à la condamnation du CIVEN à l'indemniser de ses préjudices et sa demande qu'il soit enjoint au CIVEN de lui proposer une indemnisation.
2. Aux termes de l'article 1er de la loi du 5 janvier 2010 relative à la reconnaissance et à l'indemnisation des victimes des essais nucléaires français, dans sa rédaction issue de la loi
du 28 décembre 2018, applicable aux instances en cours au lendemain de la publication de cette loi, comme en l'espèce : " I- Toute personne souffrant d'une maladie radio-induite résultant d'une exposition à des rayonnements ionisants dus aux essais nucléaires français et inscrite sur une liste fixée par décret en Conseil d'État conformément aux travaux reconnus par la communauté scientifique internationale peut obtenir réparation intégrale de son préjudice dans les conditions prévues par la présente loi. (...) III.-Lorsqu'une demande d'indemnisation fondée sur le I de l'article 4 a fait l'objet d'une décision de rejet par le ministre de la défense ou par le comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires avant l'entrée en vigueur de la
loi n° 2017-256 du 28 février 2017 de programmation relative à l'égalité réelle outre-mer et portant autres dispositions en matière sociale et économique, le demandeur ou ses ayants droit, s'il est décédé, peuvent présenter une nouvelle demande d'indemnisation avant le 31 décembre 2020.". Aux termes de l'article 2 de cette même loi : " La personne souffrant d'une pathologie
radio-induite doit avoir résidé ou séjourné :/ 1° Soit entre le 13 février 1960 et le 31 décembre 1967 au Centre saharien des expérimentations militaires, ou entre le 7 novembre 1961 et
le 31 décembre 1967 au Centre d'expérimentations militaires des oasis ou dans les zones périphériques à ces centres ;/ 2° Soit entre le 2 juillet 1966 et le 31 décembre 1998 en Polynésie française./ Un décret en Conseil d'État délimite les zones périphériques mentionnées au 1°. ". L'article 4 de ladite loi dispose que : " I. Les demandes d'indemnisation sont soumises au comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires (...). V. Ce comité examine si les conditions sont réunies. Lorsqu'elles le sont, l'intéressé bénéficie d'une présomption de causalité, à moins qu'il ne soit établi que la dose annuelle de rayonnements ionisants dus aux essais nucléaires français reçue par l'intéressé a été inférieure à la limite de dose efficace pour l'exposition de la population à des rayonnements ionisants fixée dans les conditions prévues au 3° de
l'article L. 1333-2 du code de la santé publique. (...) ". Enfin, aux termes de
l'article R. 1333-11 du code de la santé publique : " I.-Pour l'application du principe de limitation défini au 3° de l'article L. 1333-2, la limite de dose efficace pour l'exposition de la population à des rayonnements ionisants résultant de l'ensemble des activités nucléaires est fixée à 1 mSv par an, à l'exception des cas particuliers mentionnés à l'article R. 1333-12./ (...) ".
3. Il résulte de ces dispositions que le législateur a entendu que, dès lors qu'un demandeur satisfait aux conditions de temps, de lieu et de pathologie prévues par l'article 2 de la loi du 5 janvier 2010 modifiée, il bénéficie de la présomption de causalité entre l'exposition aux rayonnements ionisants dus aux essais nucléaires français et la survenance de sa maladie.
Cette présomption ne peut être renversée que si l'administration établit que la dose annuelle de rayonnements ionisants dus aux essais nucléaires français reçue par l'intéressé a été inférieure à la limite de dose efficace pour l'exposition de la population à des rayonnements ionisants fixée, dans les conditions prévues au 3° de l'article L. 1333-2 du code de la santé publique, à 1 mSv par an.
4. Il résulte de l'instruction que M. A... a séjourné dans des lieux et pendant une période définie par l'article 2 de la loi du 5 janvier 2010. La pathologie dont il souffre figure sur la liste annexée au décret du 15 septembre 2014. Il bénéficie donc d'une présomption de causalité entre l'exposition aux rayonnements ionisants dus aux essais nucléaires français et la survenue de sa maladie.
5. Mme A... ne peut utilement soutenir que le CIVEN ne démontrait pas que la pathologie de son mari résulterait exclusivement d'une cause étrangère, dès lors cette notion ne s'appliquait qu'aux décisions prises en application des dispositions de l'article 4 de la loi du 5 janvier 2010, dans sa rédaction issue de la loi n° 2017-256 du 28 février 2017 relative à l'égalité réelle outre-mer, dispositions modifiées par l'article 232 de la loi n° 2018-1317 du 28 décembre 2018 de finances pour 2019.
6. M. A... a exercé des fonctions d'électricien sur le bâtiment-base Maurienne durant toute la durée de son service militaire à Mururoa. Il ne participait pas aux tirs nucléaires et il était considéré comme personnel non affecté à des travaux sous rayonnement. Dès lors, eu égard à ses conditions concrètes d'exposition, les mesures de surveillance par dosimètre individuel n'étaient pas nécessaires. Les huit dosimétries collectives effectuées sur le bâtiment-base Maurienne, du 1er octobre au 31 octobre 1973 et du 1er avril au 1er août 1974, étaient d'ailleurs toutes à dose nulle. Le CIVEN soutient, sans être contesté, que ce bâtiment était systématiquement éloigné du périmètre de sécurité lors des tirs nucléaires. Enfin, la nourriture et l'eau de boisson n'étaient pas d'origine locale, circonstance qui exclut le risque de contamination par ingestion. Par, suite, le CIVEN doit être regardé comme inversant la présomption de causalité entre l'exposition aux rayonnements ionisants dus aux essais nucléaires français et la survenue de la maladie de M. A....
7. Il résulte de tout ce qui précède que Mme A... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement du 31 janvier 2017, le tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande. Par voie de conséquence, ses conclusions ses conclusions à fin d'injonction et celles tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent être rejetées.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de Mme A... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié Mme D... A... et au comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires.
Copie sera adressée, pour information, à la ministre des armées.
Délibéré après l'audience publique du 26 juin 2019 à laquelle siégeaient :
- M. Paul-Louis Albertini, président de chambre,
- Mme Valérie Petit, président-assesseur,
- M. Jean-Jacques Gauthé, premier conseiller.
Lu en audience publique le 8 juillet 2019.
Le rapporteur,
Signé : J.-J. GAUTHÉLe président de chambre,
Signé : P.-L. ALBERTINILe greffier,
Signé : I. GENOT
La République mande et ordonne à la ministre des armées en ce qui la concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
Pour expédition conforme
Le greffier,
Isabelle Genot
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N°17DA00589
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