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30/01/2018 | FRANCE | N°16PA00668

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 8ème chambre, 30 janvier 2018, 16PA00668


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La Fondation Jérôme Lejeune a demandé au Tribunal administratif de Paris d'annuler la décision en date du 3 juillet 2013 par laquelle la directrice générale de l'Agence de la biomédecine a délivré une autorisation au centre hospitalier Cochin - Broca - Hôtel Dieu (Assistance publique - hôpitaux de Paris, service d'histologie, embryologie à orientation en biologie de la reproduction, Paris) pour mettre en oeuvre, pendant une durée de dix-huit mois, le protocole d'étude sur les embryons humains ayant po

ur finalité l'étude de l'amélioration du taux de fécondation en fécondation ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La Fondation Jérôme Lejeune a demandé au Tribunal administratif de Paris d'annuler la décision en date du 3 juillet 2013 par laquelle la directrice générale de l'Agence de la biomédecine a délivré une autorisation au centre hospitalier Cochin - Broca - Hôtel Dieu (Assistance publique - hôpitaux de Paris, service d'histologie, embryologie à orientation en biologie de la reproduction, Paris) pour mettre en oeuvre, pendant une durée de dix-huit mois, le protocole d'étude sur les embryons humains ayant pour finalité l'étude de l'amélioration du taux de fécondation en fécondation in vitro, technique existante, par la molécule tripeptide FEE cyclique (étude prospective randomisée).

Par un jugement n° 1315349/6-3 du 17 décembre 2015, le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés respectivement le 16 février 2016 et le 7 février 2017, la Fondation Jérôme Lejeune, représentée par Me Hourdin, demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1315349/6-3 du 17 décembre 2015 du Tribunal administratif de Paris ;

2°) d'annuler, pour excès de pouvoir, la décision en date du 3 juillet 2013 par laquelle la directrice générale de l'Agence de la biomédecine a délivré une autorisation au centre hospitalier Cochin - Broca - Hôtel Dieu (Assistance publique - hôpitaux de Paris, service d'histologie, embryologie à orientation en biologie de la reproduction, Paris) pour mettre en oeuvre, pendant une durée de dix-huit mois, le protocole d'étude sur les embryons humains ayant pour finalité l'étude de l'amélioration du taux de fécondation en fécondation in vitro, technique existante, par la molécule tripeptide FEE cyclique (étude prospective randomisée) ;

3°) de mettre à la charge de l'Agence de la biomédecine le versement de la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- les premiers juges n'ont pas répondu au moyen tiré de l'insuffisance de la motivation de la décision attaquée ;

- contrairement à ce qu'a estimé le tribunal administratif, la Fondation Jérôme Lejeune a intérêt à agir, en vertu de ses statuts, à l'encontre d'une décision d'autorisation d'un protocole d'étude pouvant porter atteinte à l'embryon humain ;

- la décision attaquée est insuffisamment motivée ;

- l'absence de vérification des modalités d'information et de recueil du consentement des couples, imposée par les articles R. 2141-17 et R. 2141-21 du code de la santé publique, entache d'illégalité la décision attaquée ;

- dès lors que l'innocuité de la molécule utilisée sur les embryons dans le cadre de l'étude n'a pas été établie, le protocole autorisé par la décision litigieuse doit être requalifié en protocole de recherche ; la décision attaquée méconnaît dès lors le V de l'article L. 2151-5 du code de la santé publique qui dispose que les embryons sur lesquels une recherche a été conduite ne peuvent être transférés à des fins de gestation ; enfin, la décision litigieuse méconnaît l'article L. 2151-2 du code de la santé publique en ce qu'elle autorise la création d'embryons poursuivant exclusivement un but de recherche.

Par des mémoires en défense, enregistrés le 12 juillet 2016 et le 5 décembre 2017, l'Agence de la biomédecine, représentée par la SCP Piwnica - Molinié, conclut au rejet de la requête et à ce que le versement de la somme de 2 000 euros soit mis à la charge de la Fondation Jérôme Lejeune sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que les moyens soulevés par la Fondation Jérôme Lejeune ne sont pas fondés.

Par un mémoire en défense produit le 16 novembre 2017 sans ministère d'avocat et régularisé par un mémoire produit le 4 décembre 2017 par Me Tsouderos, et des mémoires de production de pièces, enregistrés le 14 décembre 2017, l'Assistance publique - hôpitaux de Paris, représentée par Me Tsouderos, conclut au rejet de la requête.

Elle soutient que la requête est irrecevable du fait du défaut d'intérêt à agir de la Fondation Jérôme Lejeune, et que les moyens soulevés par la Fondation Jérôme Lejeune ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la santé publique,

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Luben,

- les conclusions de M. Sorin, rapporteur public,

- les observations de Me Hourdin, avocat de la Fondation Jérôme Lejeune,

- les observations de Me Molinié, avocat de l'Agence de la biomédecine,

- et les observations de Me Tsouderos, avocat de l'AP-HP.

Et après avoir pris connaissance de la note en délibéré présentée pour l'Agence de la biomédecine le 21 décembre 2017.

Considérant ce qui suit :

Sur l'intérêt à agir de la Fondation Jérôme Lejeune :

1. Aux termes de l'article 1er des statuts de la Fondation Jérôme Lejeune : " La fondation Jérôme Lejeune a pour but de poursuivre l'oeuvre à laquelle le professeur Jérôme Lejeune a consacré sa vie : /- la recherche médicale sur les maladies de l'intelligence et sur les maladies génétiques, / - l'accueil et les soins des personnes, notamment celles atteintes de la trisomie 21 ou d'autres d'anomalies génétiques, dont la vie et la dignité doivent être respectées de la conception à la mort " ; l'article 2 de ces statuts énumère les moyens d'action permettant à la fondation de poursuivre la réalisation de son objet.

2. Il ressort des pièces du dossier que la décision d'autorisation litigieuse concerne un protocole d'étude sur les embryons humains afin d'améliorer l'efficacité de la fécondation in vitro par l'incubation préalable des spermatozoïdes utilisés avec une molécule synthétique, la tripeptide FEE cyclique. La Fondation Jérôme Lejeune, qui soutient notamment que l'innocuité de l'utilisation de cette molécule synthétique sur les spermatozoïdes, et par voie de conséquence sur les embryons qui seront transférés dans l'utérus de la femme bénéficiaire d'une aide médicale à la procréation dans le but de donner naissance à des enfants, n'est pas établie, justifie ainsi d'un intérêt lui donnant qualité pour agir contre la décision litigieuse. Il s'en suit que le jugement attaqué, qui a accueilli la fin de non-recevoir tirée du défaut d'intérêt à agir de la Fondation requérante, doit être annulé.

Sans qu'il soit besoin de statuer sur les autres moyens de la requête :

3. Aux termes de l'article R. 2141-18 du code de la santé publique, applicable à la date de la décision attaquée : " La réalisation d'une étude sur l'embryon est subordonnée à l'autorisation préalable du protocole de l'étude par le directeur général de l'Agence de la biomédecine. L'autorisation est donnée, après avis du conseil d'orientation, pour une durée déterminée qui ne peut excéder dix-huit mois, renouvelable dans les mêmes conditions. L'Agence de la biomédecine vérifie que les conditions prévues au premier alinéa de l'article R. 2141-17 sont remplies et s'assure des dispositions prises pour respecter les conditions prévues au second alinéa du même article. En outre, elle s'assure de la faisabilité du protocole et de la pérennité de l'équipe. Elle prend en considération les titres, diplômes, expérience et travaux scientifiques du ou des responsables de l'étude. Elle tient compte des matériels et des équipements ainsi que des procédés et techniques mis en oeuvre et évalue les moyens et dispositifs garantissant que l'étude ne portera pas atteinte à l'embryon. " ; aux termes de l'article R. 2141-20 du même code, applicable à la date de la décision attaquée : " Le dépôt par un établissement ou laboratoire mentionné à l'article R. 2141-19 d'une demande d'autorisation de pratiquer des études sur l'embryon et l'instruction de celle-ci par l'Agence de la biomédecine se font dans les conditions définies à l'article R. 2151-6 à l'exception de son deuxième alinéa " ; aux termes de l'article R. 2151-6 du même code, applicable à la date de la décision attaquée : " La demande d'autorisation d'un protocole de recherche sur l'embryon ou sur les cellules souches embryonnaires est adressée au directeur général de l'agence de la biomédecine sous pli recommandé avec demande d'avis de réception ou déposée contre récépissé auprès de l'agence dans les mêmes conditions. Cette demande est accompagnée d'un dossier qui comprend tous les éléments permettant de vérifier que les conditions légales sont remplies et dont la forme et le contenu sont fixés par décision du directeur général de l'agence. (...) / Lorsque des pièces indispensables à l'instruction de la demande font défaut, l'avis de réception fixe le délai dans lequel ces pièces doivent être fournies. (...) / Le directeur général de l'agence peut demander, par lettre recommandée avec demande d'avis de réception, toute information complémentaire, qu'il estime nécessaire à l'instruction du dossier d'autorisation. Il indique au demandeur le délai dans lequel il doit fournir ces éléments. Cette demande d'information complémentaire suspend le délai mentionné au quatrième alinéa. " ; aux termes de l'article R. 2141-17 du même code, applicable à la date de la décision attaquée : " L'étude ne peut être conduite que si l'embryon est conçu in vitro dans le cadre d'une assistance médicale à la procréation et si le consentement écrit préalable du couple dont il est issu a été recueilli dans les conditions prévues à l'article R. 2141-21. " ; aux termes de l'article R. 2141-21 du même code, applicable à la date de la décision attaquée : " Le praticien intervenant, conformément au cinquième alinéa de l'article L. 2142-1, dans un établissement ou un laboratoire autorisé en application du même article peut proposer aux deux membres du couple que leurs embryons fassent l'objet d'une étude. Après les avoir informés des objectifs, du protocole et des conséquences de l'étude ainsi que des éventuelles contraintes qui lui sont liées, il recueille leur consentement libre et éclairé. Si le protocole prévoit que l'étude est susceptible de se poursuivre après le transfert et, le cas échéant, l'implantation de l'embryon, le couple doit en être informé. Le consentement de chacun des membres du couple est révocable sans motif à tout moment. / Le responsable de l'étude doit pouvoir justifier à tout moment au cours de celle-ci du recueil du consentement des deux membres du couple. ". Il résulte de l'ensemble de ces dispositions qu'il appartient à l'Agence de la biomédecine de vérifier, préalablement à la délivrance de l'autorisation d'une étude sur l'embryon, le caractère libre et éclairé du consentement à l'étude du couple dont est issu l'embryon et que, dans l'hypothèse où les couples concernés par l'étude n'auraient pas été sélectionnés à la date de l'autorisation, de vérifier que les formulaires types d'information et de recueil du consentement des couples permettent l'expression effective de leur consentement libre et éclairé.

4. Il ressort des pièces du dossier que la demande d'autorisation dont s'agit a été soumise au conseil d'orientation de l'Agence de la biomédecine dans sa séance du 23 mai 2013, au cours de laquelle plusieurs membres ont fait valoir que les formulaires d'information des couples et de recueil de leur consentement souffraient d'insuffisance et comportaient des mentions erronées, ce qui a conduit à ce qu'il soit décidé que l'examen du dossier de demande devait être poursuivi à une séance ultérieure. Lors de la séance du conseil d'orientation du 20 juin 2013, le président de ce conseil a estimé que le formulaire d'information pourrait être amélioré afin d'être plus facilement compréhensible du grand public et un autre membre du conseil a jugé que le formulaire d'information était mal rédigé en citant plusieurs exemples, si bien que le président du conseil d'orientation a conclu en indiquant que les propositions de modifications du formulaire de consentement devaient être transmises au responsable de l'étude dont l'autorisation était demandée. La directrice générale de l'Agence de la biomédecine a ainsi notifié la décision d'autorisation litigieuse par une lettre du 8 juillet 2013 qui " attir[ait] [l']attention [du bénéficiaire de l'autorisation] sur le fait que le conseil d'orientation a considéré que des modifications devraient être apportées au formulaire d'information et au modèle de recueil de consentement qu['il] av[ait] adressés afin de s'assurer que les couples qui seraient pris en charge dans le cadre de cette étude randomisée bénéficient d'une information complète et compréhensible sur les objectifs, la méthodologie et les résultats de l'étude. ", ces termes ne pouvant faire regarder la lettre de notification comme une autorisation conditionnelle. A cette lettre de notification était seulement joint, en sus de la décision attaquée, l'avis du conseil d'orientation du 20 juin 2013. Si l'Agence de la biomédecine a produit un document d'information et de recueil du consentement portant la mention " version proposée par le conseil d'orientation de l'Agence de la biomédecine du 20 juin 2013 ", ce document, qui ainsi n'émane pas de ses services, a été rédigé sur la base des préconisations du conseil d'orientation du 20 juin 2013 mais postérieurement à la décision attaquée. Par suite, la directrice générale de l'Agence de la biomédecine, en autorisant l'étude sur les embryons dont s'agit sans vérifier concrètement que les modalités d'information et de recueil du consentement des couples présentaient effectivement un caractère libre et éclairé, a méconnu les dispositions réglementaires précitées. Il s'en suit que la décision contestée de la directrice générale de l'Agence de la biomédecine doit être annulée.

Sur les conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

5. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Agence de la biomédecine le paiement à la Fondation Jérôme Lejeune de la somme de 1 500 euros au titre des frais liés à l'instance en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

6. En vertu des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative la cour ne peut pas faire bénéficier la partie tenue aux dépens ou la partie perdante du paiement par l'autre partie des frais liés à l'instance ; dès lors, les conclusions présentées à ce titre par l'Agence de la biomédecine doivent être rejetées.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement n° 1315349/6-3 du 17 décembre 2015 du Tribunal administratif de Paris et la décision du 3 juillet 2013 de la directrice générale de l'Agence de la biomédecine sont annulés.

Article 2 : L'Agence de la biomédecine versera à la Fondation Jérôme Lejeune une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : La demande présentée par l'Agence de la biomédecine sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative est rejetée.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la Fondation Jérôme Lejeune, à l'Agence de la biomédecine, à l'Assistance publique - hôpitaux de Paris et à la ministre des solidarités et de la santé.

Délibéré après l'audience du 21 décembre 2017, à laquelle siégeaient :

- M. Lapouzade, président,

- M. Luben, président assesseur,

- MmeA..., première conseillère.

Lu en audience publique, le 30 janvier 2018.

Le rapporteur,

I. LUBENLe président,

J. LAPOUZADELa greffière,

Y. HERBERLa République mande et ordonne à la ministre des solidarités et de la santé en ce qui la concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 16PA00668


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 8ème chambre
Numéro d'arrêt : 16PA00668
Date de la décision : 30/01/2018
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

61-05-03 Santé publique. Bioéthique. Tissus, cellules et produits.


Composition du Tribunal
Président : M. LAPOUZADE
Rapporteur ?: M. Ivan LUBEN
Rapporteur public ?: M. SORIN
Avocat(s) : TSOUDEROS

Origine de la décision
Date de l'import : 07/08/2018
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2018-01-30;16pa00668 ?
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