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20/10/2017 | FRANCE | N°16NT02708

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 4ème chambre, 20 octobre 2017, 16NT02708


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Le groupement d'intérêt public (GIP) Vitalys a demandé au tribunal administratif de Rennes, premièrement, de condamner la société Lucas Gueguen, à titre principal, sur le fondement de la garantie décennale des constructeurs, ou à défaut sur le fondement de la responsabilité pour faute assimilable à une fraude ou un dol, à lui verser la somme de 924 179,09 euros toutes taxes comprises (TTC), majorée des intérêts de droit et capitalisation des intérêts, deuxièmement, de condamner la société Lucas

Gueguen à lui verser la somme de 4 000 euros sur le fondement des dispositions de ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Le groupement d'intérêt public (GIP) Vitalys a demandé au tribunal administratif de Rennes, premièrement, de condamner la société Lucas Gueguen, à titre principal, sur le fondement de la garantie décennale des constructeurs, ou à défaut sur le fondement de la responsabilité pour faute assimilable à une fraude ou un dol, à lui verser la somme de 924 179,09 euros toutes taxes comprises (TTC), majorée des intérêts de droit et capitalisation des intérêts, deuxièmement, de condamner la société Lucas Gueguen à lui verser la somme de 4 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ainsi qu'aux entiers dépens, troisièmement et à titre subsidiaire, de condamner solidairement la société Icade G3A et le groupement conjoint de maîtrise d'oeuvre constitué des sociétés AIA, Cera Ingenierie et Novorest Ingenierie, sur le fondement de la responsabilité contractuelle pour manquement à leur devoir de conseil, à lui verser la somme de 924 179,09 euros TTC, majorée des intérêts de droit et capitalisation des intérêts et, quatrièmement, de condamner solidairement la société Icade G3A et le groupement conjoint de maîtrise d'oeuvre constitué des sociétés AIA, Cera Ingenierie et Novorest Ingenierie à lui verser la somme de 4 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-l du code de justice administrative ainsi que les entiers dépens.

Par un jugement n° 1301097 du 3 juin 2016, le tribunal administratif de Rennes a, premièrement, condamné solidairement les sociétés Icade Promotion, AIA et Cera Ingenierie à payer au GIP Vitalys la somme de 539 300,71 euros TTC, deuxièmement mis à la charge les frais d'expertise, taxés et liquidés à la somme de 30 859,67 euros par ordonnance du président du tribunal du 5 septembre 2011, solidairement des sociétés Icade Promotion, AIA et Cera Ingenierie à hauteur de 20 596,45 euros, et du GIP Vitalys à hauteur de 10 298,22 euros, troisièmement, constaté qu'il n'y a pas lieu de statuer sur les appels en garantie présentés par la société Lucas Gueguen à l'encontre des sociétés AIA, Cera Ingenierie, Novorest Ingenierie et Icade Promotion ni sur les appels en garantie présentés par la société Novorest Ingenierie à l'encontre de la société Lucas Gueguen, Icade Promotion et AIA, quatrièmement, condamné les sociétés AIA et Cera Ingenierie à garantir solidairement la société Icade Promotion à hauteur de 50 % des condamnations solidaires prononcées à son encontre, et cinquièmement, rejeté le surplus des conclusions de la requête et des demandes des parties.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés le 29 juillet 2016 et le 20 février 2017, la société Icade Promotion, représentée par MeB..., demande à la cour :

1°) à titre principal, de réformer ce jugement du tribunal administratif de Rennes du 3 juin 2016 en ce qu'il l'a condamnée solidairement avec les sociétés AIA et Cera Ingenierie à payer au GIP Vitalys la somme de 539 300,71 euros TTC et la somme de 20 596,45 euros et de rejeter les demandes du GIP Vitalys tendant à sa condamnation ;

2°) à titre subsidiaire, de réduire la part de responsabilité mise à sa charge, de réformer le jugement en ce qu'il a écarté la responsabilité de la société Lucas Gueguen et a rejeté sa demande en garantie à son encontre, de condamner la société Lucas Gueguen à la garantir de toutes condamnations susceptibles d'être prononcées à son encontre, en principal, intérêts, frais et dépens ;

3°) de mettre à la charge de toute partie succombante une somme de 8 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- les désordres n'étaient pas connus dans toute leur ampleur et leurs conséquences lors de la réception et de la levée des réserves, de sorte qu'ils ne pouvaient être considérés comme étant apparents lors de la réception ; ces désordres relevaient en conséquence de la garantie décennale des constructeurs ; la responsabilité décennale de la société Lucas Gueguen devait être engagée ;

- la responsabilité contractuelle pour fraude ou dol de la société Lucas Gueguen devait être engagée à titre subsidiaire ; les opérations d'expertise ont démontré que la société Lucas Gueguen a volontairement mis en oeuvre une colle non conforme aux bons de commande et à la réglementation en vigueur lors du chantier, alors qu'elle ne pouvait ignorer la destination de l'ouvrage, et ses conséquences sur la pérennité de l'ouvrage ; elle a de plus fait appel à un sous-traitant occulte ;

- aucune part de responsabilité ne peut lui être imputée ; elle n'a pas la qualité de constructeur ; seul le maître d'oeuvre pourrait se voir reprocher un manquement à son obligation de conseil à l'égard du maître de l'ouvrage dès lors qu'il lui incombait de vérifier la parfaite exécution de la pose du revêtement de sol par la société Lucas Gueguen et des travaux de réfection réalisés ; sa mission de conduite d'opération était exclusive de toute mission de maîtrise d'oeuvre portant sur le même ouvrage ;

- à titre subsidiaire, la part de responsabilité de la maîtrise d'oeuvre doit être augmentée ;

- compte tenu des fautes caractérisées de la société Lucas Gueguen, cette dernière doit être condamnée à la garantir de toute condamnation prononcée à son encontre.

Par un mémoire en défense, enregistré le 8 novembre 2016, le GIP Vitalys, représenté par MeC..., demande à la cour :

1°) à titre principal, par la voie de l'appel provoqué, de condamner la société Lucas Gueguen à lui verser la somme de 924 179,09 euros TTC, augmentée des intérêts dus de droit avec anatocisme, sur le fondement de la responsabilité décennale des constructeurs ;

2°) à titre subsidiaire, par la voie de l'appel incident et provoqué, de condamner in solidum la société Icade Promotion et le groupement conjoint d'entreprises constitué des sociétés AIA, Cera et Novorest, à lui verser la somme de 924 179,09 € TTC, augmenté des intérêts dus de droit avec anatocisme et la somme de 6 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- la responsabilité décennale de la société Lucas Gueguen est engagée en raison des désordres affectant la réalisation du sol de la cuisine centrale construite en 2002 ; il s'agit de désordres évolutifs qui se sont significativement aggravés à compter de la fin de l'année 2005 ; les travaux de reprise effectués avant la levée des réserves par la société Lucas Gueguen laissaient croire, à tort, avoir permis de remédier aux désordres ;

- à titre subsidiaire, la responsabilité de la société Lucas Gueguen est engagée sur le fondement de la faute assimilable à une fraude ou un dol ; elle a volontairement mis en oeuvre une colle inappropriée pour fixer le revêtement de sols souples, en violation de ses obligations contractuelles, alors qu'elle ne pouvait pas ignorer les conséquences de cette substitution sur la pérennité de 1'ouvrage, étant un professionnel ;

- à titre très subsidiaire, la responsabilité du maître d'oeuvre et du conducteur d'opération est engagée sur le fondement de la responsabilité contractuelle, sans être atténuée par une soi-disant imprudence du GIP qui ne dispose d'aucune compétence en matière de construction et avait fait appel non seulement aux services d'une équipe de maîtrise d'oeuvre mais également à un conducteur d'opération auquel était confiée une mission d'assistance générale ;

- l'indemnisation demandée correspond au coût des travaux de remise en état pour un montant de 514 819,14 euros toutes taxes comprises, au préjudice financier d'immobilisation évalué par le sapiteur de l'expert à la somme de 378 500, 28 euros toutes taxes comprises et au montant des frais d'expertise à hauteur de 30 859,67 euros toutes taxes comprises.

Par un mémoire, enregistré le 27 février 2017, les sociétés AIA Atelier de la Rize et AIA Ingenierie, représentées par MeF..., demandent à la cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Rennes du 3 juin 2016 ;

2°) de rejeter la demande présentée par le GIP Vitalys à leur encontre devant le tribunal administratif de Rennes ;

3°) à titre subsidiaire, de condamner, par la voie de l'appel provoqué, la société Lucas Gueguen à les garantir intégralement de toutes les condamnations prononcées à leur encontre ;

4°) par la voie de l'appel provoqué, de réduire la demande indemnitaire du GIP Vitalys en tenant compte de sa propre responsabilité et de la TVA récupérable ;

5°) par la voie de l'appel incident, de rejeter les demandes d'appel en garantie de la société Icade Promotion à leur encontre ;

6°) de mettre à la charge du GIP Vitalys et de toutes les parties perdantes une somme de 4 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elles soutiennent que :

- le groupement de maitrise d'oeuvre ne peut être tenu pour responsable des désordres apparents ; seule la responsabilité de la société Lucas Gueguen doit être mise en cause dans le cadre de la garantie décennale ;

- la société Lucas Gueguen a commis des fautes dolosives à l'encontre du groupement de maitrise d'oeuvre ;

- la société Icade Promotion a un rôle de conseil privilégié auprès du maître de l'ouvrage ; elle ne peut donc obtenir leur condamnation à la garantir alors que sa faute est prépondérante du fait de sa mission spécifique.

Par un mémoire, enregistré le 1er mars 2017, la société Lucas Gueguen, représentée par MeA..., conclut :

1°) à titre principal, au rejet de la requête et des appels incidents et provoqués ;

2°) à titre subsidiaire, par la voie de l'appel incident et provoqué, à la condamnation des sociétés AIA Atelier de la Rize, AIA Ingenierie, Novorest Ingenierie et Icade Promotion à la garantir de toutes condamnations prononcées à son encontre ;

3°) de mettre à la charge in solidum du GIP Vitalys, de la société Icade Promotion, de la société AIA Atelier de la Rize et de la société AIA Ingenierie une somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que les moyens soulevés par l'appel principal de la société Icade Promotion et par les autres parties à l'appui de leur appel incident ou provoqué doivent être rejetés.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code civil ;

- la loi n° 85-704 du 12 juillet 1985 relative à la maîtrise d'ouvrage publique et à ses rapports avec la maîtrise d'oeuvre privée ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Allio-Rousseau,

- les conclusions de M. Bréchot, rapporteur public,

- et les observations de MeD..., représentant la société Icade promotion, de MeE..., représentant le GIP Vitalys et de MeA..., représentant la société Lucas Gueguen.

1. Considérant que le groupement d'intérêt public (GIP) Vitalys a lancé en 2000 une opération de construction d'une unité centrale de production culinaire d'une capacité de 6 500 repas par jour sur le territoire de la commune de Pluguffan (Finistère) ; qu'il a conclu le 5 janvier 2000 un marché de conduite d'opération consistant en une assistance générale à caractère administratif, financier et technique à maîtrise d'ouvrage avec la société SCIC Développement, devenue Icade G3A puis lcade Promotion ; que, par acte d'engagement du 22 décembre 2000, le GlP Vitalys a confié au groupement conjoint constitué des sociétés AIA, Cera Ingenierie et Novorest Ingenierie une mission complète de maîtrise d'oeuvre ; que, par un marché conclu le 29 novembre 2001, les travaux correspondant au lot n° 14 " revêtement de sols souples " ont été confiés à la société Lucas Gueguen ; que ces travaux ont été réalisés dans le courant de l'année 2002 ; que, le 6 février 2003, la réception des travaux a été prononcée avec effet à la date du 3 janvier 2003 avec un certain nombre de réserves s'agissant du lot n° 14, la mise en oeuvre des sols collés n'étant pas satisfaisante, réserves levées par le GIP Vitalys le 5 mars 2004 au vu d'un procès-verbal dressé le 19 janvier 2004 par le maître d'oeuvre ; que les désordres affectant les revêtements de sols persistant, le GIP Vitalys a saisi le juge des référés du tribunal administratif de Rennes, lequel a, par une ordonnance du 10 juillet 2007, désigné un expert, puis étendu les opérations d'expertise aux différents intervenants ; que l'expert a remis le 1er août 2011 son rapport, concluant que les désordres consistant en des décollements généralisés des revêtements de sols de la cuisine centrale autour des siphons de sols, des joints de soudure et des joints avec d'autres matériaux tels que du carrelage ou des pièces de seuil en inox trouvaient leur origine dans l'utilisation d'une colle à base acrylique au lieu de la colle polyuréthane bicomposant préconisée ; que le GIP Vitalys a saisi le tribunal administratif de Rennes d'une demande tendant à la condamnation, à titre principal, de la société Lucas Gueguen sur le fondement de la garantie décennale des constructeurs ou à défaut sur le fondement de la responsabilité pour faute assimilable à une fraude ou un dol, à titre subsidiaire à la condamnation de la société Icade Promotion et du groupement conjoint de maîtrise d'oeuvre constitué des sociétés AIA, Cera Ingenierie et Novorest Ingenierie sur un fondement contractuel, pour manquement à leur devoir de conseil ; que, par un jugement du 3 juin 2016, le tribunal administratif de Rennes a, par son article 1er, condamné solidairement les sociétés Icade Promotion, AIA et Cera Ingenierie à payer au GIP Vitalys la somme de 539 300,71 euros TTC, par son article 2, mis à la charge les frais d'expertise, taxés et liquidés à la somme de 30 859,67 euros par ordonnance du président du tribunal du 5 septembre 2011, solidairement des sociétés Icade Promotion, AIA et Cera Ingenierie à hauteur de 20 596,45 euros, et du GIP Vitalys à hauteur de 10 298,22 euros, par son article 3, constaté qu'il n'y a pas lieu de statuer sur les appels en garantie présentés par la société Lucas Gueguen à l'encontre des sociétés AIA, Cera Ingenierie, Novorest Ingenierie et Icade Promotion ni sur les appels en garantie présentés par la société Novorest Ingenierie à l'encontre des sociétés Lucas Gueguen, Icade Promotion et AIA, par son article 4, condamné les sociétés AIA et Cera Ingenierie à garantir solidairement la société Icade Promotion à hauteur de 50 % des condamnations solidaires prononcées à son encontre, et, par son article 5, rejeté le surplus des conclusions de la requête et des demandes des parties ; que la société Icade Promotion relève appel de ce jugement et demande, à titre principal, de le réformer en ce qu'il l'a condamnée solidairement avec la société AIA et la société Cera Ingenierie à payer au GIP Vitalys la somme de 539 300,71 euros TTC et la somme de 20 596,45 euros et, à titre subsidiaire, de réduire la part de responsabilité mise à sa charge, de réformer le jugement en ce qu'il a écarté la responsabilité de la société Lucas Gueguen et a rejeté sa demande en garantie à son encontre, de condamner la société Lucas Gueguen à la garantir de toutes condamnations susceptibles d'être prononcées à son encontre, en principal, intérêts, frais et dépens ;

Sur l'appel principal :

2. Considérant, en premier lieu, qu'il résulte de l'instruction que la réception du lot n° 14 prononcée le 6 février 2003 était assortie de réserves portant sur des problèmes d'étanchéité, de huilages, de cloques et de défaut d'adhérence du revétement ; que, dans son rapport de fin de travaux du 25 février 2003, le contrôleur technique, s'agissant des prestations de la société Lucas Gueguen, a rappelé ses craintes sur la tenue des joints de dilatation et des liaisons entre les sols plastiques et les résines, ainsi que sur la tenue des revêtements ; qu'à la suite de la visite de levée de réserves du 12 mai 2003, le maître d'oeuvre a listé les réserves de parfait achèvement dont divers défauts affectant les revêtements de sols souples, en particulier des décollements en zone de préparation froide et en zone cuisson ; que, dans une lettre adressée le 3 juillet 2003 au maître d'oeuvre, le GIP Vitalys a rappelé la nécessité de procéder dans les plus brefs délais à la réfection des sols souples afin d'éviter toute extension du décollement ; que le GIP Vitalys a dénoncé la médiocre qualité des travaux de réfection entrepris le 29 juillet 2003 par la société Lucas Gueguen puis rappelé la persistance des problèmes dans des messages adressés les 17 novembre 2003 et 21 janvier 2004 à l'architecte, déclarant craindre que leur évolution ne l'oblige à stopper toute exploitation pour une reprise générale ; que, dans ces conditions, si les dommages avaient été réparés, au moins en partie, avant la réception définitive et alors même que leur cause exacte n'aurait pas encore été connue, le maître de l'ouvrage, eu égard à l'ampleur des désordres constatés, était en mesure de prévoir leur extension et leurs conséquences ; que ces désordres étaient donc apparents à la date de la réception définitive et ne sont pas susceptibles d'engager la responsabilité de la société Lucas Gueguen sur le fondement de la garantie décennale des constructeurs ;

3. Considérant, en deuxième lieu, qu'alors que la colle UZIN KR 421, qui devait être posée selon les prescriptions techniques du marché et qui a été commandée par la société Lucas Gueguen, est composée d'un liant à base de résine époxy spéciale réticulée à la polyamine et sans eau, il résulte de l'instruction qu'une colle à base d'un liant polyacrylique, c'est-à-dire sensible à l'eau et peu adaptée à la destination de l'ouvrage, a été posée par un sous-traitant occulte de cette société pour fixer le revêtement de sol de la cuisine industrielle ; que, toutefois, la seule utilisation d'une fourniture différente de celle prévue au marché, du fait de l'emploi d'une colle non conforme aux prescriptions techniques, ne suffit pas, dans les circonstances de l'espèce, à constituer une fraude viciant le consentement donné par le maître d'ouvrage à la réception définitive dès lors qu'il ne résulte pas de l'instruction que ce manquement présenterait un degré de gravité lui conférant le caractère d'une faute qui, par sa nature et ses conséquences sur l'ouvrage, dont la solidité n'est pas menacée et dont la destination n'est pas durablement compromise, serait assimilable à une fraude ou à un dol de nature à engager la responsabilité de la société Lucas Gueguen ;

4. Considérant, en troisième lieu, que la responsabilité du maître d'oeuvre pour manquement à son devoir de conseil peut être engagée, dès lors qu'ils s'est abstenu d'appeler l'attention du maître d'ouvrage sur des désordres affectant l'ouvrage et dont il pouvait avoir connaissance, en sorte que la personne publique soit mise à même de ne pas réceptionner l'ouvrage ou d'assortir la réception de réserves ; qu'il importe peu, à cet égard, que les vices en cause aient ou non présenté un caractère apparent lors de la réception des travaux, dès lors que le maître d'oeuvre en avait eu connaissance en cours de chantier ; que, de même, lorsque le maître d'ouvrage s'est attaché l'assistance d'un conducteur d'opération, au sens de l'article 6 de la loi du 12 juillet 1985 relative à la maîtrise d'ouvrage publique et à ses rapports avec la maîtrise d'oeuvre privée, et que le contrat conclu à cet effet prévoit que cette prestation d'assistance comporte la vérification de l'élément de mission en cause du maître d'oeuvre, la responsabilité du conducteur d'opération peut être également engagée pour manquement à son devoir de conseil ;

5. Considérant, d'une part, que le GIP Vitalys a eu recours à l'intervention d'un conducteur d'opération, la société lcade G3A devenue la société Icade Promotion, pour une assistance générale à caractère administratif, financier et technique ; que tant l'article 4 du cahier des clauses administratives particulières (CCAP) du marché de conduite d'opération que l'article 4.3.1.de son cahier des clauses techniques particulières (CCTP) prévoient une assistance au maître de l'ouvrage lors des opérations préalables aux levées de réserves ; qu'il résulte de l'instruction, notamment du rapport d'expertise, que les problèmes de décollement du revêtement de sols n'avaient pas été résolus à la date de la levée des réserves et menaçaient de se généraliser ; qu'en s'abstenant de conseiller le maître d'ouvrage, la société Icade Promotion, nonobstant la disposition de son contrat stipulant que sa responsabilité ne se substituait pas à celle de la maîtrise d'oeuvre, a manqué aux obligations qui découlaient de ce contrat ; que ce manquement constitue une faute pour laquelle sa responsabilité pouvait être recherchée par le maître de l'ouvrage en même temps que celle des autres intervenants à l'opération litigieuse ;

6. Considérant, d'autre part, qu'il ne résulte pas de l'instruction que le groupement de maîtrise d'oeuvre ait recommandé au GIP Vitalys de ne pas lever les réserves, alors même, que les travaux de réparation de l'entreprise Lucas Gueguen n'avaient pas permis de remédier à la dégradation constatée du revêtement des sols ; qu'en proposant, dans ces conditions, dès le 19 janvier 2004, la levée des réserves à la date de réception des travaux alors que les désordres apparents n'avaient pas cessé, les membres concernés du groupement conjoint de maîtrise d'oeuvre, dans le cadre de leur mission d'assistance au maître de l'ouvrage lors des opérations de réception, ont commis un manquement à leur obligation de conseil de nature à engager leur responsabilité contractuelle ;

7. Considérant, en quatrième lieu, qu'en se bornant à relever que le partage de responsabilité retenu en première instance n'est pas correct dès lors qu'il retient une part de responsabilité équivalente entre elle et le maître d'oeuvre, la société Icade Promotion ne conteste pas sérieusement, eu égard aux missions respectives du conducteur d'opération et de la maîtrise d'oeuvre dans les opérations de réception, l'appréciation portée par les premiers juges fixant à hauteur de deux tiers leur responsabilité solidaire dans la réparation des conséquences de leurs manquements respectifs à leur devoir de conseil, soit à hauteur de 539 300,71 euros, et condamnant les sociétés AIA et Cera Ingenierie à la garantir à hauteur de 50 % du montant des condamnations solidaires prononcées ;

8. Considérant, en cinquième et dernier lieu, que le préjudice subi par le maître d'ouvrage qui a été privé de la possibilité de refuser la réception des ouvrages ou d'assortir cette réception de réserves, du fait d'un manquement du maître d'oeuvre à son obligation de conseil ou d'un manquement du conducteur d'opération auquel incombe une obligation du même type et dont ces derniers doivent réparer les conséquences financières, n'est pas directement imputable aux manquements aux règles de l'art commis par les entreprises en cours de chantier ; qu'il suit de là qu'en raison de la spécificité du fondement de sa responsabilité, la société Icade Promotion ne peut être fondée à solliciter la condamnation de la société Lucas Gueguen à la garantir des condamnations prononcées à son encontre ;

Sur l'appel incident :

9. Considérant qu'il résulte de l'instruction que les représentants du maître d'ouvrage ont insisté à plusieurs reprises eux-mêmes sur la persistance des décollements ou sur la médiocrité des interventions réparatrices de l'entreprise Lucas Gueguen, notamment le 21 janvier 2004 après la proposition de levée des réserves formulée le 19 janvier par la maîtrise d'oeuvre, mais ont néanmoins décidé, le 5 mars 2004 et sans que l'état du revêtement de sols souples présente la moindre perspective d'amélioration, la levée des réserves portant sur les décollements de ce revêtement ; que, compte tenu de l'insuffisante attention ainsi portée aux opérations de réception définitive des travaux en cause, le GIP Vitalys, alors même qu'il n'est pas un professionnel de la construction et s'est attaché les services d'une équipe de maîtrise d'oeuvre et d'un conducteur d'opération, n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal a retenu une faute " d'imprudence " exonérant les sociétés AIA, Cera Ingenierie et Icade Promotion d'un tiers de leur responsabilité solidaire ;

10. Considérant, en revanche, que, comme il le demande, le GIP Vitalys a droit aux intérêts au taux légal sur la somme mise à la charge de la société Icade Promotion à compter du 29 mars 2013, date de l'enregistrement de sa demande présentée devant le tribunal administratif ; que ces intérêts devront être capitalisés au 29 mars 2014, date où était due pour la première fois une année d'intérêts, et à chaque échéance annuelle à compter de cette date ;

Sur les conclusions d'appel provoqué :

11. Considérant qu'il résulte de tout ce qui a été dit ci-dessus que le présent arrêt n'aggrave la situation d'aucune des parties présentant des conclusions d'appel d'intimé à intimé ; que, par suite, les conclusions d'appel provoqué sont irrecevables ;

Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

12. Considérant qu'il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions présentées au titre des frais exposés et non compris dans les dépens par les parties ;

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de la société Icade Promotion est rejetée.

Article 2 : L'indemnité mise à la charge de la société Icade Promotion par le jugement du tribunal administratif de Rennes du 3 juin 2016 sera assortie des intérêts au taux légal à compter du 29 mars 2013. Ces intérêts devront être capitalisés au 29 mars 2014 et à chaque échéance annuelle à compter de cette date.

Article 3 : Le jugement du tribunal administratif de Rennes du 3 juin 2016 est réformé en ce qu'il a de contraire à l'article 2 du présent arrêt.

Article 4 : Le surplus des conclusions d'appel incident et provoqué présentées par les parties et celles présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à la société Icade Promotion, au GIP Vitalys, à la société AIA Atelier de la Rize, à la société AIA Ingenierie, à la société Novorest Ingenierie et à la société Lucas Gueguen.

Délibéré après l'audience du 3 octobre 2017, à laquelle siégeaient :

- M. Lainé, président de chambre,

- Mme Tiger-Winterhalter, présidente-assesseure,

- Mme Allio-Rousseau, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 20 octobre 2017.

Le rapporteur,

M-P. Allio-RousseauLe président,

L. Lainé

Le greffier,

V. Desbouillons

La République mande et ordonne au préfet du Finistère en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 16NT02708


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 16NT02708
Date de la décision : 20/10/2017
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : M. LAINE
Rapporteur ?: Mme Marie-Paule ALLIO-ROUSSEAU
Rapporteur public ?: M. BRECHOT
Avocat(s) : CHAUVERON VALLERY-RADOT LECOMTE FOUQUIER

Origine de la décision
Date de l'import : 21/11/2017
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2017-10-20;16nt02708 ?
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