LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
Statuant sur les pourvois formés par :
- M. Patrick X...,
contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de NÎMES, en date du 19 mars 2015, qui, dans la procédure suivie contre lui des chefs de viols et agressions sexuelles aggravés, a rejeté sa demande de mise en liberté ;
Joignant les pourvois en raison de la connexité ;
Sur le pourvoi formé le 26 mars 2015 :
Attendu que le demandeur, ayant épuisé, par l'exercice qu'il en avait fait le 24 mars 2015, le droit de se pourvoir contre l'arrêt attaqué, était irrecevable à se pourvoir à nouveau contre la même décision ; que seul est recevable le pourvoi formé le 24 mars 2015 ;
Vu les mémoires ampliatif et personnel produits ;
Sur le premier moyen de cassation du mémoire personnel, pris de la violation des articles 55 de la Constitution, premier, 5, § 3, 6, § 1, et 46 de la Convention européenne des droits de l'homme, 591 et 593 du code de procédure pénale ;
Sur le second moyen de cassation du mémoire personnel, pris de la violation des articles 5, § 3, et 6, § 1, de la Convention européenne des droits de l'homme, 591, 593, 367, 137 à 150 du code de procédure pénale ;
Sur le moyen unique de cassation du mémoire ampliatif, pris de la violation des articles 5, § 3, et 6, § 1, de la Convention européenne des droits de l'homme, 144, 144-1, 591 et 593 du code de procédure pénale, défaut de base légale ;
"en ce qu'il est fait grief a l'arrêt attaqué d'avoir rejeté la demande de mise en liberté directe déposée par le demandeur ;
"aux motifs qu'aux termes de l'article 5, § 3, de la Convention européenne des droits de l'homme, toute personne arrêtée ou détenue doit être jugée dans un délai raisonnable ou libérée durant la procédure ; que selon l'article 6, § 1, de ce même texte, toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal impartial et indépendant, établi par la loi ; que l'article 367 du code de procédure pénale dispose que l'arrêt de la cour d'assises vaut titre de détention jusqu'à ce que la durée de la détention ait atteint celle de la peine prononcée ; qu'en l'espèce Patrick X..., né le 18 décembre 1985, a été mis en examen et placé sous mandat de dépôt le 28 septembre 2010 ; qu'il a fait l'objet d'un arrêt de mise en accusation devant la cour d'assises du Gard, en date du 13 septembre 2012, pour viol sur mineures de 15 ans et viol sur la personne de sa concubine, faits commis entre 2002 et 2010 sur les personnes de Mélodie Y..., née le 15 avril 1989, Tiphaine Z..., née le 27 août 1990 et Alicia Y..., née le 15 septembre 1986 ; que, par arrêt du 30 mai 2013, la cour d'assises du Gard s'est déclarée incompétente au motif que l'accusé était mineur en ce qui concerne les faits commis en 2002 et jusqu'au 18 décembre 2003 ; que, par arrêt du 26 juin 2013, la chambre criminelle de la Cour de cassation a réglé les juges et désigné la cour d'assises des mineurs du Gard pour statuer ; que, par arrêt du 2 juillet 2013, la chambre de l'instruction a, conformément aux dispositions de l'article 181 du code de procédure pénale, ordonné la prolongation de la détention pour une nouvelle durée de six mois à compter du 12 septembre 2013 ; que Patrick X... a comparu devant la cour d'assises des mineurs du Gard le 15 novembre 2013 et il a été condamné, le 20 novembre 2013, par cette juridiction à la peine de quinze ans de réclusion criminelle ; qu'ayant relevé appel de cette condamnation, le 26 novembre 2013, appel suivi, à la même date, de celui du ministère public, il est dans l'attente de sa comparution devant la juridiction d'appel, à savoir la cour d'assises des mineurs du Vaucluse devant laquelle il comparaîtra à l'automne 2015 ; que quelle que soit l'opinion à cet égard du gouvernement français qui ne lie pas les juridictions de l'ordre judiciaire, la durée de la détention provisoire de Patrick X... ne saurait être considérée comme déraisonnable, dès lors, que l'instruction, qui portait sur de multiples faits de viols qui auraient été commis sur une période de huit ans et sur trois personnes, a duré deux ans (septembre 2010/septembre 2012), la durée de cette détention étant conforme aux dispositions de l'article 144-1 du code de procédure pénale ; que le délai entre l'arrêt de mise en accusation et la comparution devant la cour d'assises des mineurs du Gard a été, compte tenu des difficultés ayant nécessité un règlement de juges, de quatorze mois (septembre 2012 / novembre 2013), la durée de cette détention étant conforme aux dispositions de l'article 181 du code de procédure pénale ; qu'à la date du 20 novembre 2013, Patrick X... a été condamné à la peine de quinze ans de réclusion criminelle, après que sa cause ait été entendue « équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi », en l'espèce une cour d'assises ; qu'à la date de sa comparution devant la cour d'assises d'appel, à l'automne 2015, la durée de sa détention provisoire sera de cinq ans, soit le tiers de la durée de la peine à laquelle il a été condamné en première instance, étant précisé qu'il encourt une peine de vingt ans de réclusion criminelle ; que les trois parties civiles vont être amenées, une nouvelle fois, à rappeler les faits dénoncés ; que la procédure étant orale, il y a lieu d'éviter toute pression sur ces dernière, pression dont elles ont pu, jusqu'à ce jour, être préservées du fait de l'incarcération de l'intéressé, étant rappelé qu'elles ont manifesté un sentiment profond et durable de peur, généré par les menaces proférées à leur encontre par l'accusé, sentiment qui est attesté par de nombreux témoins ainsi que par les expertises psychiatriques et psychologiques dont elles ont fait l'objet ; que ce sentiment doit être apprécié au regard du rapport d'expertise psychologique de l'accusé établi par M. Philippe A... qui a écrit : la « volonté de domination et de destruction des victimes telle que décrite par ces dernières est très probable au vu de la structure de la personnalité de l'accusé » dont il a relevé « les aménagements pervers », précisant : « M. Patrick X... se situe dans le registre des dispositions de la personnalité que sont les troubles du caractère et les aménagements pervers ; ses attitudes d'évitement, de dissimulation, sur un mode « agressif/passif » en sont des expressions. le déni et la protection, la fracture narcissique et l'impossibilité de fantasmer ¿ et donc de symboliser ¿ en sont des constituants ; que cet expert a ajouté : « il est dans ce cas de figure difficile de se réadapter sans le pénaliser, cette configuration psycho-pathologique étant réputée rebelle au traitement. Néanmoins, il est essentiel de prendre en compte cette spécificité afin d'identifier les moyens à mettre en oeuvre pour favoriser la réadaptation ; ceux-ci devant impérativement comporter un contrôle permettant de ne pas se laisser leurrer par les démonstrations visant à esquiver le problème. Autrement dit, cette structure de personnalité implique la dissimulation qui vise à démontrer que tout va bien et que tout est normal, afin de ne pas être inquiété. Néanmoins, une psychothérapie doit toujours être envisagée, mais le profil psycho-pathologique inquiétant doit être pris en compte » ; qu'eu égard à la gravité de la sanction prononcée par la juridiction de première instance et à celle de la sanction encourue devant la juridiction d'appel, l'attestation d'embauche et d'hébergement délivrée par la tante de l'accusé, à Montpellier, ville toute proche du département du Gard où les faits ont été commis et où sont domiciliées les parties civiles, est insuffisante à garantir sa représentation en justice ; que la mise en liberté de l'accusé, après sa condamnation par une cour d'assises à une peine de15 ans de réclusion criminelle pour viols sur trois jeunes filles, dont deux mineures de 15 ans, ne manquerait pas de raviver le trouble exceptionnel causé à l'ordre public par les faits dont s'agit ; qu'en cet état ni le contrôle judiciaire ni l'assignation à domicile avec surveillance électronique ne peuvent empêcher ces risques de : - pression sur les témoins et les victimes - non représentation s'agissant de mesures - qui laissent intacts tous les moyens de communication possible - qui sont totalement dépourvues de réel caractère coercitif ; qu'ainsi il est démontré que la détention provisoire constitue l'unique moyen de parvenir aux objectifs suivants et que ceux-ci ne sauraient être atteints en cas de placement sous contrôle judiciaire ou d'assignation à résidence avec surveillance électronique : empêcher une pression sur les témoins ou les victimes ainsi que sur leur famille, garantir le maintien de la personne mise en examen (il faut lire de l'accusé) à la disposition de la justice, mettre fin au trouble exceptionnel et persistant à l'ordre public provoqué par la gravité de l'infraction, les circonstances de sa commission ou l'importance du préjudice qu'elle a causé ; qu'en conséquence, la demande sera rejetée ;
"1°) alors que le juge national, premier garant du respect des dispositions conventionnelles, doit faire respecter les dispositions de la Convention européenne sans attendre que sa décision soit attaquée devant la Cour européenne ; que la Cour européenne des droits de l'homme rappelle constamment qu' « il incombe aux Etats d'agencer leur système judiciaire de manière à permettre aux tribunaux de répondre aux exigences de l'article 5 » ; qu'il en ressort que les autorités compétentes doivent apporter une diligence particulière à la poursuite de la procédure en veillant à ne pas maintenir trop longtemps un accusé en détention provisoire avant qu'il soit jugé ; qu'en l'espèce, le demandeur a été détenu plus de trois ans avant l'audiencement de l'affaire ; qu'en outre il a comparu devant la cour d'assises des mineurs quatorze mois après l'arrêt de mise en accusation et de renvoi, en raison d'une erreur manifeste de la chambre de l'instruction qui l'a renvoyé devant une cour d'assises incompétente ; que la chambre de l'instruction a pourtant considéré que la durée de détention du demandeur était raisonnable ; qu'en statuant ainsi, la chambre de l'instruction a violé les articles visés au moyen ;
"2°) alors qu'il résulte de l'article 144 du code de procédure pénale que la détention provisoire ne peut être prolongée que s'il est démontré, au regard d'éléments précis et circonstanciés résultant de la procédure, qu'elle constitue notamment l'unique moyen d'empêcher une pression sur les témoins ; que si le risque de pression sur les témoins ou les victimes a pu exister dès le commencement de la procédure, il perd de sa pertinence avec l'écoulement du temps et dès lors que les témoins ou les victimes ont tous été entendus, sauf à être justifié par les circonstances précises de la cause ; qu'en l'espèce, la chambre de l'instruction s'est contentée d'affirmer l'existence d'un risque de pression sur les victimes, qui subsisterait au bout de quatre ans et presque six mois, alors qu'aucune menace n'a été proférée durant ce laps de temps et que les trois victimes ont été entendues durant l'instruction et ont déposé devant la cour d'assises ; qu'en statuant, sans étayer, au regard des circonstances de la cause, l'existence d'un risque de pression sur les victimes, la chambre de l'instruction a violé les articles 144 et 144-1 du code de procédure pénale et 5, § 3, de la CESDH et a privé sa décision de base légale ;
"3°) alors qu'il résulte des articles 144 du code de procédure pénale et 5, § 3, de la Convention européenne des droits de l'homme qu'une personne ne peut être maintenue en détention dès lors qu'elle fournit des garanties permettant de prendre des mesures alternatives à sa détention ; qu'en l'espèce, pour rejeter la demande de mise en liberté du demandeur, la chambre de l'instruction s'est fondée essentiellement sur la gravité de la peine pour en déduire qu'elle obérait ses garanties de représentation, alors même que le demandeur produisait une attestation d'hébergement et d'embauche ; que, par ailleurs, la chambre de l'instruction a considéré qu'un contrôle judiciaire ou une assignation à résidence, « laissant intacts tous les moyens de communication » et « totalement dépourvus de réel caractère coercitif » n'était pas de nature à empêcher le risque de non représentation ; qu'en statuant ainsi, en totale contradiction avec les exigences conventionnelles, la chambre de l'instruction a violé les textes visés au moyen ;
"4°) alors qu'il résulte de l'article 144 du code de procédure pénale et 5, § 3, de la Convention européenne des droits de l'homme que la détention provisoire ne peut être prolongée que s'il est démontré, au regard d'éléments précis et circonstanciés résultant de la procédure, qu'elle constitue notamment l'unique moyen de parvenir à mettre fin au trouble exceptionnel et persistant à l'ordre public causé par l'infraction ; que l'impératif de l'ordre public décroît au fil du temps ; qu'en l'espèce, la chambre de l'instruction s'est référée, non à la persistance et à la réalité d'un trouble exceptionnel à l'ordre public causé quatre ans et six mois auparavant pour justifier le maintien en détention, mais aux conséquences de la mise en liberté qui « raviverait » un trouble qui était donc en voie de disparaître ; qu'en statuant ainsi, la chambre de l'instruction a violé les articles 144 du code de procédure pénale et 5 de la Convention européenne des droits de l'homme ;
"5°) alors que, selon les dispositions l'article 6, § 1, de la CESDH, toute personne a le droit d'être jugée dans un délai raisonnable ; que la Cour européenne apprécie la durée raisonnable de la procédure en tenant notamment compte de l'enjeu du litige pour l'accusé et de l'attitude des autorités compétentes, qui, dès lors que l'accusé est placé en détention provisoire, doivent faire preuve de diligences particulières ; qu'en l'espèce, la chambre de l'instruction a considéré qu'une durée de cinq ans, à supposer que l'audience d'appel ait lieu à l'automne 2015, pour voir sa cause entendue par la cour d'assises d'appel, était une durée raisonnable au regard de la gravité de la peine ; qu'en statuant ainsi, sans prendre en compte l'enjeu du litige et l'absence de diligence des autorités compétentes, qui l'ont renvoyé devant une cour d'assises incompétente et n'ont pas encore fixé la date de l'audience d'appel, la chambre de l'instruction a violé l'article 6, § 1, de la CESDH ; "
Les moyens étant réunis ;
Vu les articles 6, § 1, de la Convention européenne des droits de l'homme et 593 du code de procédure pénale ;
Attendu que, d'une part, la durée de la détention provisoire ne doit pas excéder le délai raisonnable imposé par le premier de ces textes ;
Attendu que, d'autre part, tout arrêt de la chambre de l'instruction doit comporter les motifs propres à justifier la décision et répondre aux articulations des mémoires des parties ; que l'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué que M. X..., placé sous mandat de dépôt le 28 septembre 2010, a été renvoyé le 13 septembre 2012, pour viols et agressions sexuelles aggravés, devant la cour d'assises du Gard qui, par arrêt du 26 juin 2013, a constaté son incompétence, certains faits ayant été commis alors qu'il était mineur ; qu'il a interjeté appel de l'arrêt, en date du 20 novembre 2013, de la cour d'assises des mineurs l'ayant condamné à quinze ans de réclusion criminelle ; que, le 19 janvier 2015, l'accusé a présenté une demande de mise en liberté ;
Attendu que, pour rejeter cette demande, la chambre de l'instruction, après avoir relevé que l'information, qui a porté sur de multiples faits de viol commis pendant huit ans sur trois personnes, a duré deux ans, énonce notamment que la durée de la détention provisoire ne saurait être considérée comme déraisonnable, le délai de quatorze mois entre l'arrêt de mise en accusation et la comparution de M. X... devant la cour d'assises des mineurs du Gard, qui "résulte des difficultés ayant nécessité un règlement de juges", étant conforme aux exigences de l'article 6, §1, de la Convention européenne des droits de l'homme ; que les juges ajoutent qu'à la date de sa comparution devant la cour d'assises chargée de statuer en appel, à l'automne 2015, la durée de la détention provisoire de l'accusé sera de cinq ans, soit le tiers de la peine prononcée en première instance ;
Mais attendu qu'en l'état de ces énonciations, insuffisantes à justifier le délai de comparution de l'accusé devant les cours d'assises des premier et second degré, la chambre de l'instruction, qui n'a pas caractérisé les diligences particulières ou les circonstances insurmontables qui auraient pu expliquer, au regard des exigences conventionnelles ci-dessus rappelées, la durée de la détention provisoire de M. X..., n'a pas justifié sa décision ;
D'où il suit que la cassation est encourue ;
Par ces motifs :
I - Sur le pourvoi formé le 26 mars 2015 :
Le DECLARE IRRECEVABLE ;
II - Sur le pourvoi formé le 24 mars 2015 :
CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Nîmes, en date du 19 mars 2015, et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi,
RENVOIE la cause et les parties devant la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Nîmes, autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil, qui statuera dans le plus bref délai ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Nîmes et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt annulé ;
Ainsi jugé et prononcé par la Cour de cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;
Etaient présents aux débats et au délibéré : M. Guérin, président, M. Sadot, conseiller rapporteur, Mme Nocquet, M. Soulard, Mmes de la Lance, Chaubon, M. Germain, Mme Planchon, conseillers de la chambre, M. Azéma, Mme Pichon, conseillers référendaires ;
Avocat général : M. Cuny ;
Greffier de chambre : Mme Randouin ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre.