Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société Mandataires judiciaires associés (MJA) a demandé au Tribunal administratif de Paris de condamner l'Etat à lui verser, en sa qualité de mandataire liquidateur de la société Coopérative d'exportation du livre français (CELF), la somme de 21 009 063 euros, assortie des intérêts au taux légal et leur capitalisation, en réparation des préjudices causés à la société CELF par la mise en oeuvre, puis la récupération d'une aide d'Etat.
Par un jugement n° 1221941/7-3 du 10 avril 2014, le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.
Procédure devant la Cour :
Par une requête et des mémoires enregistrés respectivement les 13 juin 2014, 29 mai 2015 et 12 février 2016, la société MJA, représentée par Me Tabouis et MeA..., demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement du Tribunal administratif de Paris n°1221941/7-3 du 10 avril 2014 ;
2°) de condamner l'Etat à lui verser la somme de 21 009 063 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 27 mars 2012 et de la capitalisation de ces intérêts ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat les dépens de première instance et d'appel, ainsi que le versement d'une somme de 15 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- elle agit en tant que liquidateur du CELF et représentant de ses créanciers ;
- la responsabilité de l'Etat est engagée du fait de la faute simple que constitue la violation du droit communautaire en matière d'aides d'Etat ;
- l'intégralité des préjudices résultant de la liquidation du CELF sont indemnisables, au bénéfice des créanciers ;
- sa créance n'est pas prescrite, le fait générateur de l'obligation de reversement ne pouvant être intervenu avant la notification le 6 mai 2009 du titre de perception émis par l'Etat ;
- l'Etat a commis plusieurs fautes en ne notifiant pas préalablement cette aide à la Commission en violation de l'article 108 § 3 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;
- il a commis des fautes en ne notifiant pas cette aide a posteriori après la notification de régularisation de la Commission, laissant s'aggraver le préjudice en violation de la règle de " standstill ", en n'informant pas le CELF du risque d'illégalité de cette aide en méconnaissance de l'obligation de loyauté contractuelle, en octroyant une aide incompatible avec les règles du marché intérieur, en ne coopérant pas avec la Commission pour démontrer la proportionnalité des aides versées aux obligations de service public découlant du programme " petites commandes ", en ne protégeant pas les intérêts du CELF dans cette procédure, et en émettant des titres exécutoires illégaux faute de mentionner les bases de liquidation des intérêts ;
- le CELF n'a pas commis de faute en considérant que l'aide octroyée était légale, faute d'information de l'Etat en ce sens ;
- l'Etat n'était pas en situation de compétence liée pour récupérer l'aide en cause ;
- ces fautes de l'Etat sont la cause directe et exclusive de la liquidation judiciaire du CELF, le montant des intérêts représentant 150 % du principal des aides en cause ;
- l'absence de reversement effectif des sommes mises à sa charge est sans incidence sur l'existence et le caractère réparable du préjudice ;
- le préjudice indemnisable est équivalent au passif de liquidation, incluant l'insuffisance d'actif net, le coût des licenciements et la perte de chance de poursuivre son activité rentable ;
- les obligations de service public mises à la charge du CELF dans le cadre du programme " petites commandes " doivent être intégralement indemnisées sur le fondement contractuel ou quasi-contractuel, dès lors que l'aide les compensant doit être restituée ;
- les fautes de l'Etat ont causé un préjudice moral et d'image au CELF ;
- l'Etat s'est enrichi sans cause en ne supportant pas le coût de cette mission de service public, puisqu'il va récupérer l'aide en cause en bénéficiant d'intérêts à un taux supérieur à celui du marché bancaire ;
- elle a droit aux intérêts sur les sommes due à compter de la date de sa demande indemnitaire préalable, et à la capitalisation de ces intérêts.
Par un mémoire en défense, enregistré le 30 décembre 2014, la ministre de la culture et de la communication, représenté par la SCP Lyon-Caen et Thiriez, conclut au rejet de la requête et à ce que le versement d'une somme de 8 000 euros soit mis à la charge de la société MJA sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la créance dont se prévaut la société MJA est atteinte par la prescription quadriennale, l'intéressée ne pouvant être regardée comme ayant ignoré l'existence de sa créance jusqu'à la décision de la Commission du 14 décembre 2010 déclarant définitivement l'aide en cause incompatible avec le droit communautaire ;
- l'Etat n'a pas commis de violation caractérisée du droit communautaire, seule de nature à engager sa responsabilité, en ne notifiant pas l'aide en cause qui n'a été jugée illégale qu'après 17 années de procédure ;
- en tout état de cause, les sommes mises à la charge de MJA ne sont que la contrepartie de l'avantage indu dont elle a bénéficié entre 1980 et 2001 et ne peuvent avoir créé un préjudice indemnisable ;
- le bénéficiaire d'une aide illégale ne peut être admis à la récupérer sur le terrain indemnitaire, une telle indemnité ayant pour effet de faire échec aux stipulations du traité ;
- une notification de régularisation aurait en tout état de cause été sans effet sur le cours des intérêts, lequel a pour origine la longueur de la procédure ayant abouti à la déclaration d'incompatibilité de l'aide en cause ;
- les intérêts ne constituent pas un préjudice indemnisable mais la restauration de la situation juridique antérieure au versement de l'aide illégale ;
- elle ne peut invoquer une confiance légitime dans la régularité de l'aide versée ;
- l'Etat n'a aucune obligation d'informer le bénéficiaire d'une aide des conséquences de son éventuelle illégalité ;
- le CELF avait une parfaite connaissance de ces risques ;
- l'Etat n'a commis aucune faute dans son comportement vis-à-vis de la Commission à laquelle il a fourni les éléments nécessaires à sa décision, dans une procédure à laquelle le CELF a toujours été associée ;
- la responsabilité de l'Etat à raison des titres de perception émis ne peut être engagée, dès lors qu'il était tenu de procéder au recouvrement des aides versées ;
- la requérante n'établit pas le lien de causalité direct et certain entre le recouvrement des aides versées et sa mise en liquidation ;
- le MJA n'agit pas dans l'intérêt des créanciers mais du CELF ;
- la perte de chance de poursuivre une activité bénéficiaire n'est pas établie ;
- le coût des obligations de service public non compensées n'est pas établi ;
- l'atteinte à l'image n'est pas établie ;
- l'Etat ne n'est pas enrichi ;
- le CELF a commis une faute à l'origine de son préjudice en ne justifiant pas du coût de la mission que l'aide attribuée avait vocation à compenser et en n'ayant pas anticipé la possible illégalité de cette aide.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le Traité de l'Union européenne et le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;
- le code de commerce ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Even,
- les conclusions de M. Cantié, rapporteur public,
- les observations de Me Tabouis, avocat de la société MJA ;
- et les observations de Le Léron, avocat du ministre de la culture.
Une note en délibéré, enregistrée le [BE1]10 mai 2016, a été présentée pour la société MJA.
1. Considérant que la société anonyme coopérative d'exportation du livre français (CELF), qui exerçait jusqu'en 2009 une activité de commissionnaire à l'exportation de livres, brochures et autres supports de communication vers l'étranger et les territoires et départements d'outre-mer français, a bénéficié, de 1980 à 2002, dans le cadre d'un programme dénommé " petites commandes ", de subventions d'exploitation accordées par l'État français pour compenser le surcoût du traitement des petites commandes passées par les libraires établis à l'étranger ; qu'à la suite d'une plainte déposée au cours de l'année 1992 par la SIDE, concurrent du CELF, la Commission des Communautés européennes a admis, par une décision n° 127/92 du 18 mai 1993, la compatibilité des aides en cause avec le marché commun ; que par un arrêt du 18 septembre 1995, SIDE/Commission n° T-49/93, le Tribunal de l'Union européenne a annulé cette décision pour autant qu'elle concernait la subvention accordée exclusivement au CELF pour compenser le surcoût de traitement des petites commandes de livres en langue française passées par des libraires établis à l'étranger en considérant que la Commission aurait dû engager la procédure contradictoire prévue à l'article 93, paragraphe 2, du traité CE, devenu l'article 88, paragraphe 2, de ce traité ; que par une décision n° 1999/133/CE, du 10 juin 1998, relative à l'aide d'État en faveur de la société CELF, la Commission a constaté l'illégalité des aides, mais a une nouvelle fois admis leur compatibilité avec le marché commun ; que par un arrêt du 28 février 2002, SIDE/Commission, n°T-155/98, le Tribunal de l'Union européenne a annulé cette décision en tant qu'elle déclarait les aides en cause compatibles avec le marché commun, au motif que la Commission avait commis une erreur manifeste d'appréciation quant à la définition du marché pertinent ; que par une décision n° 2005/262/CE du 20 avril 2004 relative à l'aide mise à exécution par la France en faveur de la société CELF, la Commission a admis pour la troisième fois la compatibilité des aides ; que par un arrêt du 15 avril 2008, SIDE/Commission, n° T-348/04, devenu définitif, le Tribunal de l'Union européenne a annulé l'article 1er de la décision de la Commission des Communautés européennes en date du 20 avril 2004 en tant qu'il déclare l'aide compatible avec le marché commun aux motifs que la Commission avait commis, d'une part, une erreur de droit en appliquant l'article 87, paragraphe 3, sous d), du traité CE à la période antérieure au 1er novembre 1993, au lieu d'appliquer les règles de fond alors en vigueur pour la période en cause, et, d'autre part, une erreur manifeste d'appréciation dans l'examen de la compatibilité des aides litigieuses ; que la Commission a adopté le 8 avril 2009 une décision d'extension de la procédure formelle d'examen entamée au cours de l'année 1996, de manière à exposer ses doutes relatifs à la compatibilité des aides en cause, à la lumière de l'arrêt du Tribunal de l'Union européenne du 15 avril 2008, SIDE/Commission, précité, et à permettre à la République française, au bénéficiaire des aides et aux autres parties intéressées de s'exprimer à nouveau, avant qu'une décision finale ne soit prise ; que par un jugement du 25 avril 2009, le tribunal de commerce de Paris a ouvert une procédure de sauvegarde à l'égard de la société CELF avec une période d'observation de six mois ; que par un jugement du 9 septembre 2009, constatant l'absence de solution transactionnelle et l'existence d'un passif excluant la perspective d'un plan de continuation, ce tribunal a prononcé la liquidation judiciaire du CELF et désigné un liquidateur ; que par un arrêt n° 27493 du 29 mars 2006, le Conseil d'État statuant en cassation contre un arrêt n° 01PA02717 du 5 octobre 2004 par lequel la Cour administrative d'appel de Paris avait rejeté les conclusions dirigées contre le jugement du tribunal administratif annulant la décision du directeur du livre et de la lecture du 9 octobre 1996 refusant de cesser le versement des aides et de récupérer les aides versées au CELF et enjoignant à l'Etat de procéder à la mise en recouvrement des sommes allouées au CELF au titre des aides versées, a décidé de surseoir à statuer et de poser plusieurs questions préjudicielles à la Cour de justice de l'Union européenne ; que par un arrêt du 12 février 2008, CELF et ministre de la culture et de la communication, n° C-199/06, la Cour de justice de l'Union Européenne a dit pour droit que " L'article 88, paragraphe 3, dernière phrase, CE doit être interprété en ce sens que le juge national n'est pas tenu d'ordonner la récupération d'une aide mise à exécution en méconnaissance de cette disposition, lorsque la Commission [...] a adopté une décision finale constatant la compatibilité de ladite aide avec le marché commun au sens de l'article 87 CE. En application du droit communautaire, il est tenu d'ordonner au bénéficiaire de l'aide le paiement d'intérêts au titre de la période d'illégalité. Dans le cadre de son droit national, il peut, le cas échéant, ordonner en outre la récupération de l'aide illégale, sans préjudice du droit de l'État membre de mettre celle-ci à nouveau à exécution, ultérieurement. Il peut également être amené à accueillir des demandes d'indemnisation de dommages causés en raison du caractère illégal de l'aide " ; que " dans une situation procédurale telle que celle du litige au principal, l'obligation, résultant de l'article 88, paragraphe 3, dernière phrase, CE, de remédier aux effets de l'illégalité d'une aide s'étend également, aux fins du calcul des sommes à acquitter par le bénéficiaire, et sauf circonstances exceptionnelles, à la période écoulée entre une décision de la Commission [...] constatant la compatibilité de cette aide avec le marché commun et l'annulation de ladite décision par le juge communautaire." ; que sur la base de ces réponses, le Conseil d'État a, par un arrêt du 19 décembre 2008, confirmé l'annulation de la décision administrative attaquée du 9 octobre 1996 précitée et a enjoint au ministre de la culture et de la communication de procéder au recouvrement, à l'encontre du CELF, d'intérêts sur les aides illégales pour les périodes comprises entre 1980, année de début du versement de celles-ci, et la date de la décision de renvoi, et entre la date de la décision de renvoi et la date à laquelle, ou bien il aura été définitivement constaté la compatibilité de ces aides avec le marché commun, ou bien il aura été procédé, à titre définitif, à la restitution desdites aides ; qu'en ce qui concerne la question du remboursement du montant principal des aides versées, le Conseil d'Etat a estimé que la solution du litige dépendait d'une interprétation du droit communautaire en raison de la nouvelle annulation prononcée par l'arrêt du Tribunal de l'Union européenne du 15 avril 2008, SIDE/Commission ; que le Conseil d'État a en conséquence décidé de surseoir à statuer et de poser de nouvelles questions préjudicielles ; que, par un arrêt du 11 mars 2010, la Cour de justice de l'Union européenne, statuant sur les questions préjudicielles qui lui avaient été soumises par la décision susvisée du Conseil d'Etat, statuant au contentieux, du 19 décembre 2008, a dit pour droit que " Une juridiction nationale, saisie, sur le fondement de l'article 88, paragraphe 3, CE, d'une demande visant à la restitution d'une aide d'État illégale, ne peut pas surseoir à l'adoption de sa décision sur cette demande jusqu'à ce que la Commission des Communautés européennes se soit prononcée sur la compatibilité de l'aide avec le marché commun après l'annulation d'une précédente décision positive " et que " L'adoption par la Commission des Communautés européennes de trois décisions successives déclarant une aide compatible avec le marché commun, qui ont ensuite été annulées par le juge communautaire, n'est pas, en soi, susceptible de constituer une circonstance exceptionnelle de nature à justifier une limitation de l'obligation du bénéficiaire de restituer cette aide, lorsque celle-ci a été mise à exécution en méconnaissance de l'article 88, paragraphe 3, CE " ; que par une décision du 14 décembre 2010, qui est devenue définitive, la Commission européenne a décidé, conformément aux règles fixées par le règlement CE n° 659/1999 du Conseil portant modalités d'application de l'article 93 du traité CE, que le mécanisme d'aide en cause était incompatible avec le marché intérieur ; qu'elle a par la même décision fixé une obligation de récupération des aides de 1982 à 2001 et estimé que les sommes à récupérer produisaient des intérêts à partir de la date à laquelle elles ont été mises à disposition du bénéficiaire jusqu'au 25 février 2009, date du jugement du tribunal de commerce de Paris ouvrant la procédure de sauvegarde du CELF ; que par un arrêt du 30 décembre 2011, n° 274923, le Conseil d'Etat a enjoint à l'Etat de procéder à la récupération des intérêts afférents aux aides versées au CELF durant les années 1982 à 2001, depuis la date à laquelle ces aides ont été mises à disposition jusqu'au 25 février 2009, les intérêts devant être calculés conformément au règlement (CE) n° 794/2004 ; que par un jugement du 29 avril 2013, devenu définitif, le Tribunal administratif de Paris a annulé, pour défaut d'indication des bases de la liquidation, le titre de perception relatif aux intérêts de l'aide versée, émis par le ministre de la culture le 23 mai 2011, et a rejeté les conclusions dirigées contre le titre du 1er juin 2011 tendant au recouvrement du principal de cette aide ; que la société Mandataires Judiciaires Associés (MJA), mandataire liquidateur de la société CELF, relève appel du jugement du 10 avril 2014 par lequel le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à la condamnation de l'Etat à l'indemniser des préjudices résultant des diverses fautes commises à l'occasion du versement de cette aide ;
Sur la responsabilité de l'Etat :
2. Considérant qu'aux termes de l'article 107, paragraphe 1, du Traité de l'Union européenne, issu de l'article 87, paragraphe 1, du Traité du 25 mars 1957 instituant la Communauté économique européenne : " 1. sauf dérogations prévues par le présent traité, sont incompatibles avec le marché commun, dans la mesure où elles affectent les échanges entre Etats membres, les aides accordées par les Etats au moyen de ressources d'Etat sous quelque forme que ce soit, qui faussent ou qui menacent de fausser la concurrence en favorisant certaines entreprises ou certaines productions (...) " ; qu'aux termes de l'article 108 du même Traité, issu de l'article 88 du Traité du 25 mars 1957 instituant la Communauté économique européenne : " 1. La Commission procède avec les Etats membres à l'examen permanent des régimes d'aides existant dans ces Etats. Elle propose à ceux-ci les mesures utiles exigées par le développement progressif ou le fonctionnement du marché commun (...) 3. La Commission est informée, en temps utile pour présenter ses observations, des projets tendant à instituer ou à modifier des aides. Si elle estime qu'un projet n'est pas compatible avec le marché commun, aux termes de l'article 87, elle ouvre sans délai la procédure prévue au paragraphe précédent. L'Etat membre intéressé ne peut mettre à exécution les mesures projetées, avant que cette procédure ait abouti à une décision finale. " ; qu'il appartient aux gouvernement des Etats membres, pour l'application des stipulations précitées du Traité instituant la Communauté européenne, de notifier à la Commission les projets tendant à instituer ou à modifier des aides ; que les gouvernements doivent aussi, notamment quand ils sont saisis d'une demande en ce sens, notifier à la Commission les textes relatifs à des aides qui n'auraient pas fait l'objet d'une notification avant leur adoption ;
3. Considérant qu'il est constant que l'Etat français n'a pas procédé, conformément aux stipulations de l'article 108 précité du Traité de l'Union européenne, à la déclaration, avant son versement, de l'aide accordée à la société CELF dans le cadre du programme " petites commandes ", ni après le début du versement de cette aide ; que la société MJA estime que l'Etat a commis des fautes en ne notifiant pas cette aide a posteriori après la notification de régularisation de la Commission, laissant s'aggraver le préjudice en violation de la règle de " standstill ", en n'informant pas le CELF du risque d'illégalité de cette aide en méconnaissance de l'obligation de loyauté contractuelle, en octroyant une aide incompatible avec les règles du marché intérieur, en ne coopérant pas avec la Commission pour démontrer la proportionnalité des aides versées au regard des obligations de service public découlant du programme " petites commandes ", en ne protégeant pas les intérêts du CELF dans cette procédure, et en émettant des titres exécutoires illégaux faute de mentionner les bases de liquidation des intérêts ; qu'à les supposer établies, de telles fautes ne sont de nature à engager la responsabilité de l'Etat que si elles ont directement causé un préjudice indemnisable ;
4. Considérant, en premier lieu, que, ainsi qu'il a été dit plus haut, par une décision du 14 décembre 2010, qui n'a pas été contestée et est devenue définitive, la Commission européenne a décidé, conformément aux règles fixées par le règlement (CE) n° 659/1999 du Conseil portant modalités d'application de l'article 93 du traité CE, que le mécanisme d'aide en cause était incompatible avec le marché intérieur ; qu'elle a par la même décision fixé une obligation de récupération des aides de 1982 à 2001 et estimé que les sommes à récupérer produisaient des intérêts à partir de la date à laquelle elles ont été mises à disposition du bénéficiaire jusqu'au 25 février 2009, date du jugement du tribunal de commerce de Paris ouvrant la procédure de sauvegarde du CELF ;
5. Considérant qu'il résulte de la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne qu'une décision de la Commission européenne demandant à un Etat membre de récupérer une aide déclarée incompatible avec les dispositions du droit de l'Union européenne prohibant les aides d'Etat s'impose aux autorités comme aux juridictions nationales lorsque sa validité n'a pas été contestée dans le délai requis devant les juridictions de l'Union européenne par le bénéficiaire de l'aide, ce qui est le cas en l'espèce ; que ce dispositif de récupération des aides d'Etat incompatibles avec le marché intérieur vise à rétablir la situation telle qu'elle existait avant l'octroi de l'aide, afin d'assurer l'égalité de traitement et l'effet utile de la prohibition des aides d'Etat par le droit de l'Union européenne ;
6. Considérant que, par suite, ni les dettes constituées par l'obligation de reverser le principal et les intérêts afférents à l'aide dont la société CELF a indûment bénéficié, ni la perte de cette aide contraire aux dispositions du droit de l'Union européenne prohibant les aides d'Etat ne sauraient constituer un préjudice indemnisable en lien direct avec les fautes commises par l'Etat français ; que, pour les mêmes motifs, la société MJA n'est pas fondée à soutenir que l'Etat bénéficierait d'un enrichissement sans cause par le reversement de l'aide illégalement versée et des intérêts y afférents ;
7. Considérant, en second lieu, que la société Mandataires Judiciaires Associés (MJA) n'est pas fondée à obtenir des indemnités correspondant aux autres dettes commerciales et sociales observées à la date de la liquidation de la société CELF, qui ne peuvent compenser la disparition d'une aide d'Etat illégale et dont il n'est pas établi qu'elles seraient directement liées aux fautes commises par l'Etat ;
8. Considérant, en troisième lieu, que la société Mandataires Judiciaires Associés (MJA) n'est pas fondée à obtenir une indemnité destinée à compenser le coût de la mise en oeuvre des obligations alléguées de service public liées au programme " petites commandes ", alors qu'il n'est pas établi que la société CELF supportait de telles obligations, comme l'a d'ailleurs relevé la Commission dans sa décision du 14 décembre 2010 ;
9. Considérant, en quatrième lieu, que la société Mandataires Judiciaires Associés (MJA) n'établit pas l'existence du préjudice moral et d'image allégué et de la perte de chance pour la société CELF de poursuivre une activité rentable de ventes de livres sans aide d'Etat, ni qu'ils seraient en lien direct avec les fautes commises par l'Etat ;
10. Considérant, enfin, que le coût de la mise en oeuvre des procédures de licenciement induites par le placement en liquidation du CELF, dont l'origine est au moins pour partie imputable à la suppression du versement des aides illégales, ne sont pas en lien direct avec la faute commise par l'Etat à raison de la méconnaissance du droit de l'Union européenne et ne sauraient donc engager sa responsabilité ;
11. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède, tous les chefs de préjudices revendiqués étant rejetés, sans qu'il soit besoin de statuer sur la prescription quadriennale opposée par l'Etat, que la société MJA n'est pas fondée à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande ;
Sur les conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
12. Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement de la somme que la société MJA demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ; que, dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu en revanche de faire droit aux conclusions de l'Etat sur le fondement des mêmes dispositions ;
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de la société Mandataires Judiciaires Associés (MJA) est rejetée.
Article 2 : Les conclusions de l'Etat présentées sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la société MJA et au ministre de la culture et de la communication.
Délibéré après l'audience du 10 mai 2016, à laquelle siégeaient :
- M. Even, président de chambre,
- Mme d'Argenlieu, premier conseiller,
- M. Dellevedove, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 14 juin 2016.
Le président rapporteur,
B. EVEN L'assesseur le plus ancien,
E. DELLEVEDOVE
Le greffier,
AL. CALVAIRELa République mande et ordonne au ministre de la culture et de la communication en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
[BE1]A compléter
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N° 14PA02611