LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Nîmes, 4 septembre 2014), rendu sur renvoi après cassation (Com., 20 mars 2012, pourvoi n° 11-13.942), que l'association Inter Rhône, qui vient aux droits du Comité interprofessionnel des vins d'appellation d'origine contrôlée du Rhône et de la vallée du Rhône, a pour objet de financer les opérations de valorisation des vins, ainsi que les études techniques et économiques les concernant ; qu'elle perçoit, en vue de l'accomplissement de cette mission, une cotisation résultant d'accords interprofessionnels étendus par arrêtés ; qu'elle a assigné l'exploitation agricole à responsabilité limitée Vignobles Paul Jeune (l'EARL) en paiement des cotisations dues au titre de vins commercialisés sous l'appellation « Côtes du Ventoux » ;
Sur le premier moyen :
Attendu que l'EARL fait grief à l'arrêt de dire que le régime des cotisations volontaires obligatoires ne méconnaît pas l'article 11 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, alors, selon le moyen :
1°/ qu'une personne morale de droit privé, dotée du statut d'association, constituée à l'initiative des organisations professionnelles viti-vinicoles et composée de membres désignés par ces organisations en vue de collecter des cotisations à caractère obligatoire, qui sont des créances privées et dont elles déterminent librement le montant, constituent une association au sens donné à cette notion autonome par la Cour européenne des droits de l'homme ; qu'en retenant le contraire, la cour d'appel a violé l'article 11 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
2°/ que nul ne saurait être contraint d'adhérer à une association professionnelle afin de bénéficier d'un label de protection d'un produit lié à son origine géographique et à certaines caractéristiques de fabrication ; qu'en retenant que l'EARL reste libre de ne pas adhérer à l'association Inter Rhône après avoir relevé que l'absence d'adhésion excluait qu'elle puisse bénéficier de l'appellation d'origine contrôlée pour ses produits, la cour d'appel a, une nouvelle fois, violé l'article 11 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
Mais attendu que l'arrêt relève, par motifs propres et adoptés, que l'association Inter Rhône a été créée par la puissance publique, qui a défini sa composition, son fonctionnement, ses objectifs et ses modes de financement direct ou indirect, qu'elle exerce une prérogative de puissance publique en percevant des cotisations dont le caractère obligatoire résulte de l'application de la loi et de la mise en oeuvre d'accords interprofessionnels étendus par arrêtés et qu'elle est soumise au contrôle de l'Etat ; que la cour d'appel en a exactement déduit que cette organisation ne disposait pas de la latitude permettant de la tenir pour une association au sens de l'article 11 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; que le moyen n'est pas fondé ;
Et attendu que les deuxième et troisième moyens ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la société Vignobles Paul Jeune aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du quatorze janvier deux mille seize.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt :
Moyens produits par la SCP Fabiani, Luc-Thaler et Pinatel, avocat aux Conseils, pour la société Vignobles Paul Jeune
PREMIER MOYEN DE CASSATION :
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir dit que le régime des CVO ne violait pas l'article 11 de la Convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales,
AUX MOTIFS PROPRES et ADOPTES QUE :
« L'association INTER RHONE, créée par la puissance publique, qui a défini sa composition, son fonctionnement, ses objectifs et ses modes de financement direct ou indirect, et qui ne dispose d'aucune latitude à cet égard, n'est pas une « association » au sens des dispositions de l'article 11 de la Convention européenne des droits de l'homme, alors qu'elle exerce une prérogative de puissance publique en percevant des cotisations dont le caractère obligatoire résulte de l'application de la loi et de la mise en oeuvre d'arrêtés ministériels portant extension d'accords, dans le cadre défini par les dispositions des articles L. 632-1 et suivants du code rural ; que l'EARL VIGNOBLES PAUL JEUNE reste, comme tout exploitant, libre de ne pas adhérer à l'association et la circonstance qu'elle ne puisse bénéficier de l'appellation faute d'adhésion, n'a pas pour conséquence de lui dénier le droit de ne pas s'associer et ne dénature pas davantage la notion d'AOC alors qu'il n'est pas contesté que les produits bénéficiant d'une telle appellation remplissent bien les critères rappelés par l'EARL VIGNOBLES PAUL JEUN et définis par l'INAO » ;
ALORS, d'une part, QU'une personne morale de droit privé, dotée du statut d'association, constituée à l'initiative des organisations professionnelles viti-vinicoles et composée de membres désignés par ces organisations en vue de collecter des cotisations à caractère obligatoire, qui sont des créances privées et dont elles déterminent librement le montant, constituent une association au sens donné à cette notion autonome par la Cour européenne des droits de l'homme ; qu'en retenant le contraire, la cour d'appel a violé l'article 11 de la Convention européenne des droits de l'homme ;
ALORS, d'autre part, QUE nul ne saurait être contraint d'adhérer à une association professionnelle afin de bénéficier d'un label de protection d'un produit lié à son origine géographique et à certaines caractéristiques de fabrication ; qu'en retenant que l'EARL VIGNOBLES JEUNE reste libre de ne pas adhérer à l'association INTER RHONE après avoir relevé que l'absence d'adhésion excluait qu'elle puisse bénéficier de l'appellation d'origine contrôlée pour ses produits, la cour d'appel a, une nouvelle fois, violé l'article 11 de la Convention européenne des droits de l'homme.
DEUXIEME MOYEN DE CASSATION :
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir dit que le régime des cotisations volontaires obligatoires ne constituait pas des aides d'Etat et dit n'y avoir lieu de poser à la Cour de Justice de l'Union européenne la question préjudicielle demandée par l'EARL VIGNOBLES PAUL JEUNE,
AUX MOTIFS QUE :
« La Cour de justice de l'Union européenne a jugé le 30 mai 2013 que « l'article 107, paragraphe 1, du TFUE doit être interprété en ce sens que la décision d'une autorité nationale étendant à l'ensemble des professionnels d'une filière agricole un accord qui, comme l'accord interprofessionnel en cause au principal, institue une cotisation dans le cadre d'une organisation interprofessionnelle reconnue par l'autorité nationale et la rend ainsi obligatoire en vue de permettre la mise en oeuvre d'actions de communication, de promotion, de relations extérieures, d'assurance qualité, de recherche et de défense des intérêts du secteur concerné, ne constitue pas un élément d'une aide d'Etat » ; qu'il s'en déduit que les CVO en cause ne sauraient être qualifiées d'aides d'Etat illégales et cette cour ne saurait s'ériger en juge de l'opportunité des actions menées par l'association INTER RHONE, critiquées avec force par l'EARL VIGNOBLES PAUL JEUNE, étant observé qu'il n'est pas contestable que l'action mise en exergue par ce dernier relève bien de la promotion du vin et il n'y a pas lieu de poser une question préjudicielle sur le financement de dépenses de fonctionnement étrangères aux actions définies par la Cour de justice de l'Union européenne dans son arrêt du 30 mai 2013, alors que les termes mêmes de l'arrêt en question donnent la réponse à cette question dès lors qu'il est affirmé qu'il s'agit de « permettre la mise en oeuvre d'actions de communication, de promotion, de relations extérieures, d'assurance qualité, de recherche et de défense des intérêts du secteur concerné » ; que l'EARL VIGNOBLES PAUL JEUNE ne saurait davantage, sans démonstration particulière, au soutien de sa demande de question préjudicielle, invoquer les restrictions portées aux règles de la libre concurrence et à la libre circulation des marchandises alors que la Commission, saisie par les autorités françaises, a conclu par lettre du 10 décembre 2008, que la mesure, à savoir le régime-cadre des aides en cause, ne risquait pas d'affecter les conditions d'échange dans une mesure contraire à l'intérêt commun et qu'elle pouvait donc bénéficier de la dérogation de l'article 87 paragraphe 3 point c) du traité en tant que mesure pouvant contribuer au développement du secteur » ;
ALORS QUE la Commission européenne n'a compétence exclusive que pour se prononcer sur la compatibilité des mesures d'aides avec le marché commun ; qu'en dehors des aides d'Etat, il est, en revanche, de l'office du juge nationale de faire application du droit communautaire de la concurrence, sauf, en cas de difficultés sérieuses, à poser une question préjudicielle à la Cour de justice de l'Union européenne ; qu'en statuant par un motif inopérant, dès lors qu'elle constatait que les cotisations volontaires obligatoires ne constituent pas des aides d'Etat, pris de ce que la Commission européenne, saisie par les autorités françaises, a conclu par lettre du décembre 2008, que « la mesure, à savoir le régime-cadre des aides en cause, ne risquait pas d'affecter les conditions d'échange dans une mesure contraire à l'intérêt commun et qu'elle pouvait donc bénéficier de la dérogation de l'article 87 paragraphe 3 point c) du traité », sans rechercher si les cotisations volontaires obligatoires n'étaient pas incompatibles avec le droit communautaire de la concurrence, au besoin en posant une question préjudicielle à la Cour de justice de l'Union européenne, la cour d'appel a méconnu les exigences de l'article 455 du code de procédure civile.
TROISIEME MOYEN DE CASSATION :
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir rejeté l'exception d'incompétence opposée par l'EARL VIGNOBLES PAUL JEUNE sur le fondement de l'article 17 des statuts de l'association INTER RHONE,
AUX MOTIFS expressément ADOPTES QUE :
« En ce qui concerne l'obligation de recourir à l'arbitrage, les arguments de l'EARL VIGNOBLES PAUL JEUNE ne sont pas opérants puisqu'il s'agit d'une obligation concernant les membres du groupement interprofessionnel ; que l'article 17 des statuts prévoit une commission de conciliation des d'arbitrage pour "les litiges pouvant survenir à l'occasion de l'application des accords interprofessionnels" ; que l'EARL VIGNOBLES PAUL JEUNE fait partie du groupement des producteurs AOC des Côtes du Ventoux mais ne représente pas à elle seule le groupement ou la branche. Il lui appartient a priori de saisir son représentant pour qu'il fasse état du litige concernant l'application de l'accord interprofessionnel et obtienne ainsi la réunion de la commission de conciliation » ;
ALORS QUE l'article 17 des statuts de l'association INTER RHONE prévoit qu'« il est prévu une commission de conciliation et d'arbitrage composée du président et des deux vices présidents d'INTER RHONE pour les litiges pouvant survenir à l'occasion de l'application des accords inter professionnels » et qu'« en cas d'échec de la procédure de conciliation, l'arbitre prend seul la décision dans un délai de huit jours suivant la fin du mois prévu pour la conciliation » ; qu'il en résulte une procédure de conciliation puis d'arbitrage pour statuer, peu important les parties au litige, sur les litiges liés à l'application des accords interprofessionnels, lesquels échappent alors à la compétence des tribunaux étatiques ; qu'en retenant que si l'EARL VIGNOBLES PAUL JEUNE fait partie du groupement des producteurs AOC des Côtes du Ventoux, elle ne représente pas à elle seule le groupement ou la branche, de sorte qu'il lui appartenait de saisir son représentant, seul à même de solliciter la réunion de la commission de conciliation, la cour d'appel a dénaturé les statuts de l'association INTER RHONE en violation de l'article 1134 du code civil.