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18/02/2016 | FRANCE | N°13VE02491

France | France, Cour administrative d'appel de Versailles, 3ème chambre, 18 février 2016, 13VE02491


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La SA ORANGE, anciennement dénommée FRANCE TÉLÉCOM SA, a demandé au Tribunal administratif de Montreuil de prononcer la décharge ou, à défaut, la réduction des cotisations supplémentaires à l'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre de ses exercices clos en 2005 et 2006, ainsi que des intérêts de retard correspondants, à hauteur de 1 952 322 455 euros.

Par un jugement n° 1110039 du 4 juillet 2013, le Tribunal administratif de Montreuil a rejeté cette demande. >
Procédure devant la Cour :

Par une requête, enregistrée le 29 juillet 2013, la SA ORANGE,...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La SA ORANGE, anciennement dénommée FRANCE TÉLÉCOM SA, a demandé au Tribunal administratif de Montreuil de prononcer la décharge ou, à défaut, la réduction des cotisations supplémentaires à l'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre de ses exercices clos en 2005 et 2006, ainsi que des intérêts de retard correspondants, à hauteur de 1 952 322 455 euros.

Par un jugement n° 1110039 du 4 juillet 2013, le Tribunal administratif de Montreuil a rejeté cette demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête, enregistrée le 29 juillet 2013, la SA ORANGE, représentée par Me Austry, avocat, demande à la Cour :

1° d'annuler ce jugement ;

2° de prononcer la décharge ou, à défaut, la réduction sollicitée ;

3° de mettre à la charge de l'État la somme de 20 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

La SA ORANGE soutient que :

- le jugement attaqué est irrégulier faute pour le tribunal, d'une part, d'avoir répondu au moyen, né du jugement du Tribunal administratif de Montreuil n° 1102120 du 20 juin 2013, tiré de l'imputation sur l'exercice 2005 d'une moins-value à long terme reportable et, d'autre part, d'avoir rouvert l'instruction à la suite de ce jugement ;

- la déduction fiscale d'une provision comptable étant une décision de gestion, ce qu'a d'ailleurs reconnu le service lors d'un précédent contrôle, elle n'était pas tenue de déduire la provision pour dépréciation des titres de participation de la société FRANCE TÉLÉCOM SA dans la société Cogecom constituée à hauteur de 11 519 000 000 euros ; par suite, le service n'était pas fondé à imposer la reprise de cette provision ;

- en outre, et alors que la reprise d'une provision est une écriture de bilan, le principe d'intangibilité du bilan d'ouverture du premier exercice non prescrit, posé par l'article 38 4 bis du code général des impôts, fait obstacle à une telle rectification ;

- en tout état de cause, la provision litigieuse n'est pas déductible en application du 5° du 1 de l'article 39 du code général des impôts ; en effet, la méthode utilisée pour la constitution de la provision comptable des titres Cogecom, à savoir la méthode DCF, laquelle repose sur de simples conjectures, ne permet pas d'évaluer la dépréciation de ces titres avec une approximation suffisante pour autoriser la déduction de la provision au plan fiscal ; de surcroît, au niveau de Cogecom, dont les principaux actifs ont été évalués exclusivement selon la méthode DCF, les valorisations des filiales sont données sous forme de fourchettes, si bien que l'addition de ces fourchettes, en démultipliant les incertitudes sur la valeur de chaque filiale, ne saurait conduire à apprécier, de manière suffisamment précise, la valeur de la société Cogecom au niveau de la société FRANCE TÉLÉCOM SA ; par ailleurs, sur le terrain de la doctrine, il convient de relever que l'administration s'est opposée à la méthode DCF tant dans son projet de guide de l'évaluation des entreprises qu'à l'occasion de précédents contrôles fiscaux ;

- en cas de confirmation du rehaussement litigieux, elle est fondée à solliciter, à titre subsidiaire, une réduction de 260 000 000 euros de son résultat à long terme de l'exercice 2005 correspondant à la majoration de la plus-value réalisée par Cogecom lors de la cession à un tiers des titres TDF, le 13 décembre 2002.

Par un mémoire en défense, enregistré le 24 février 2014, le ministre de l'économie et des finances conclut au rejet de la requête.

Il fait valoir que :

- la demande de dégrèvement en base d'une somme de 266 000 000 euros sur l'exercice clos en 2002 et, par suite, d'imputation de cette somme sur les plus-values à long terme de l'exercice 2005, demande formulée seulement dans la note en délibéré produite devant le tribunal, s'analyse comme une demande distincte et, par suite, irrecevable ; la décision des premiers juges, dans le cadre du présent litige, n'a pu être altérée par cette demande ; ainsi, le tribunal n'a pas entaché son jugement d'irrégularité en ne rouvrant pas l'instruction ;

- la provision litigieuse est déductible au sens des dispositions du 5° du 1. de l'article 39 du code général des impôts ; en effet, et alors que la société a été réticente à fournir des éléments pertinents lors du contrôle, l'analyse du service vérificateur, qui a porté sur une part significative (98,80 %) de la provision sur titres constatée par Cogecom, a conduit à une valorisation multicritères, individualisée, précise et détaillée permettant de conclure à une perte probable de la valeur de Cogecom, dans les limites de la fourchette invoquée par la requérante ; par ailleurs, cette dernière, dont les comptes ont été certifiés par les commissaires aux comptes, a précisé, dans sa réclamation, que la société Cogecom avait été estimée à partir de sa valeur d'utilité conformément à l'article 332-3 du plan comptable général ; en outre, elle a considéré avoir subi une perte réelle lors de l'absorption de Cogecom d'un montant égal en déduisant un mali équivalent au montant de la provision ; s'agissant plus particulièrement de la méthode DCF, d'une part, il convient d'observer que la provision litigieuse n'a pas été calculée à partir de cette méthode mais sur la base de la situation nette de la société Cogecom corrigée de ses plus-values latentes et que toutes les filiales de Cogecom n'ont pas été valorisées en fonction de cette méthode ; d'autre part, l'administration n'a jamais remis en cause sur le principe la méthode DCF ; à cet égard, la société ne saurait se prévaloir, sur le fondement de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales, d'un projet de guide de l'évaluation des entreprises et des observations formulées sur ce projet par des organismes privés ; elle ne saurait pas davantage se prévaloir, sur ce même fondement, de contrôles fiscaux antérieurs qui soit portaient sur des faits différents et n'ont conduit qu'à une remise en cause des paramètres retenus pour la mise en oeuvre de la méthode DCF, soit n'ont conduit à aucun rehaussement ;

- une provision comptabilisée et fiscalement déductible doit être déduite des résultats et donc être soumise à l'impôt lors de sa reprise ; à cet égard, l'administration n'a nullement pris une position contraire lors d'un précédent contrôle ;

- la requérante ne peut invoquer la règle d'intangibilité du premier exercice non prescrit dès lors qu'elle a commis des erreurs délibérées et répétées ; en effet, elle avait parfaitement connaissance du caractère fiscalement déductible de la provision dans la mesure où elle a déduit un mali de même montant au cours de l'année 2005, reconnu dans d'autres circonstances que les provisions pour dépréciations des titres ASB, ORANGE et TPSA étaient déductibles et s'est opposée à l'examen de la déductibilité de la provision par le service vérificateur ;

- la solution retenue par la requérante revient à déduire de ses résultats deux fois les mêmes pertes, une première fois par la remontée des pertes de Cogecom au sein de l'intégration et une seconde fois par la déduction du mali au moment de la transmission universelle de son patrimoine au profit de FRANCE TÉLÉCOM SA ; en l'espèce, la société aurait dû, sur les exercices de dotation, procéder à la déduction fiscale de la provision et la neutraliser dans le cadre du résultat d'ensemble en application des articles 223 B et 223 D du code général des impôts, puis, sur l'exercice de reprise, taxer cette reprise sans la neutraliser dès lors que Cogecom est sortie de l'intégration par l'effet de la transmission universelle de patrimoine ;

- à titre subsidiaire, et par voie de compensation, il est sollicité de ne pas admettre la déduction du mali de fusion, égal au montant de la provision en litige, aux motifs, d'une part, que la société n'a pas respecté les conditions fixées par l'instruction administrative sur laquelle elle s'est fondée pour déduire extra-comptablement ce mali et, d'autre part, que la constatation d'un mali n'est pas justifiée si la provision est considérée comme non déductible ; en outre, la requérante a sous-évalué son mali technique comptabilisé à l'actif pour un montant de 308 000 000 euros de sorte qu'à tout le moins, le mali déduit extra-comptablement doit être rejeté à hauteur de ce montant ;

- il y a lieu de rejeter les conclusions subsidiaires de l'appelante tendant à la rectification de ses résultats déclarés en 2002, non visés par la réclamation préalable ; ainsi, l'assiette de l'impôt sur les sociétés des exercices clos en 2005 et 2006 ne saurait être corrigée d'une erreur commise par FRANCE TÉLÉCOM SA sur l'exercice 2002 ; par ailleurs, ces conclusions ne sont pas fondées ; en effet, si l'acquisition des titres Atrium 3 auprès de la société TDF s'est opérée à un prix majoré, sans contrepartie, cet acte anormal de gestion n'a donné lieu à aucun rehaussement ; dès lors, la somme de 266 000 000 euros ne peut être requalifiée en indemnité et donc venir minorer la plus-value de cession des titres TDF imposée au taux réduit en 2002.

Par un mémoire en réplique, enregistré le 9 mai 2014, la SA ORANGE conclut aux mêmes fins que la requête par les mêmes moyens.

Elle soutient, en outre, que :

- elle renonce à son moyen tiré du caractère de décision de gestion de la non déduction sur le plan fiscal des provisions constatées sur le plan comptable ;

- l'exercice de reprise étant le premier exercice non prescrit, le caractère délibéré de l'erreur prétendument commise est sans incidence sur la règle d'intangibilité du bilan d'ouverture de cet exercice, qui a une portée objective et absolue ;

- en tout état de cause, les circonstances invoquées par le ministre, dont certaines sont postérieures aux exercices de dotation des provisions, comme la déduction du mali ou son attitude lors du contrôle, et, par suite, inopérantes, ne sont pas de nature à établir une intention délibérée ; par ailleurs, l'existence d'un doute quant à la déductibilité de la provision, notamment quant à la pertinence de la méthode DCF, exclut toute mauvaise foi, l'administration ayant d'ailleurs reconnu, en réponse à ses observations, l'absence d'élément intentionnel ;

- de surcroît, en invoquant l'erreur délibérée seulement à l'appui du rejet de la réclamation, le ministre a substitué ce motif à celui fondé initialement sur le caractère inopérant de l'intangibilité du bilan d'ouverture du premier exercice non prescrit ; une telle substitution est impossible dès lors qu'elle a été privée de la possibilité de saisir la commission nationale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires du nouveau motif invoqué qui soulève une question de fait ;

- les règles de l'intégration fiscale n'interdisent pas la prise en compte de pertes à l'occasion de la dissolution-confusion d'une filiale intégrée ; en outre, en l'espèce, le mali déduit correspond non à des pertes sous-jacentes ayant donné naissance à des déficits fiscaux mais à une moins-value sur les titres Cogecom, déductible dans les conditions du droit commun ; ainsi, elle est en droit de déduire le vrai mali correspondant à la moins-value sur les titres de l'absorbée, même si les pertes de l'absorbée ont été transmises au groupe fiscal ;

- la demande de compensation présentée par le ministre ne pourra qu'être rejetée ; en effet, d'une part, la déduction du mali résulte d'une application correcte des dispositions législatives en vigueur ; d'autre part, l'absence de retraitement d'une provision non déduite au plan fiscal ne saurait, même au regard de la doctrine, interdire la déduction du mali ; enfin, il n'y a eu aucune sous-estimation du mali technique à hauteur de 308 000 000 euros ;

- sa demande subsidiaire est recevable dès lors qu'elle vise à corriger son stock de moins-values à long terme et à tenir compte de cette correction pour calculer l'imposition due au titre de l'exercice 2005, premier exercice au cours duquel une plus-value à long terme, nette des moins-values reportables, a été dégagée ; cette demande n'est pas nouvelle puisqu'elle avait été formulée dès l'introduction de sa requête devant le tribunal ; sur le fond, en 2001, la société Cogecom a acquis la société Atrium 3 auprès de sa filiale TDF ; l'administration a estimé que le prix d'acquisition avait été indument majoré de 266 000 000 euros, ce qui constituait ainsi un acte anormal de gestion ; le 13 décembre 2002, Cogecom a cédé TDF à un tiers non membre de l'intégration, dégageant une plus-value à long terme imputée sur le stock de moins-values à long terme de l'exercice 2002 ; le versement complémentaire, qualifié d'acte anormal de gestion par le ministre, ayant eu pour effet de valoriser le prix de revient de l'ensemble des actions TDF, et donc de diminuer la plus-value de cession de ces actions, il convient de majorer le stock de moins-values à long terme reportable à hauteur de ce versement.

Par un nouveau mémoire en défense, enregistré le 26 septembre 2014, le ministre des finances et des comptes publics persiste dans ses conclusions par les mêmes moyens.

Il fait valoir, au surplus, que :

- la déduction fiscale du mali de fusion suppose que soient reprises et imposées les dépréciations constituées sur les titres de la société absorbée pour éviter qu'une même dépréciation soit déduite à deux occasions du résultat imposable de la société émettrice des titres puis absorbante ;

- le moyen tiré de la règle d'intangibilité du bilan fiscal du premier exercice non prescrit est inopérant ; en effet, l'appréciation portée sur le caractère déductible de la dépréciation de la provision litigieuse n'emporte, en application des articles 223 B et 223 D du code général des impôts, aucune incidence sur le bilan fiscal d'ouverture du groupe d'intégration et n'est donc pas susceptible de justifier une quelconque correction de ce bilan ; à cet égard, l'arrêt de la Cour de céans n° 11VE03381 du 15 mai 2014, SAS Becton Dickinson France, est parfaitement transposable à l'espèce ;

- bien que le service n'ait pas initialement fondé la rectification en litige sur le caractère délibéré de l'erreur commise par la contribuable, il était loisible à cette dernière, qui, dans ses observations, avait soutenu que le caractère irrégulier de ses écritures 2002 et 2003 n'était pas démontré, de soumettre ce point à la commission nationale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires et ce, alors même que le vérificateur avait indiqué ne pas retenir cette circonstance pour écarter l'application de la règle d'intangibilité ;

- à titre subsidiaire, il est maintenu que l'erreur délibérée fait obstacle à l'application de la règle d'intangibilité, qui, contrairement à ce que soutient l'appelante, ne revêt pas un caractère objectif et absolu ; à cet égard, le service n'a pas pris position, au cours du contrôle, sur le caractère non délibéré de l'erreur commise par la société ; sur cette question, cette dernière ne peut se borner à évoquer un doute quant à la pertinence de la méthode DCF étant relevé que les provisions constituées par Cogecom ont elles-mêmes été déduites du résultat propre de cette filiale ;

- à titre très subsidiaire, la rectification n'ayant conduit à aucune correction d'une écriture de bilan au sens de l'article 38-2 du code général des impôts, l'appelante n'est pas fondée à invoquer le bénéfice des dispositions du 4 bis de l'article 38 du même code ;

- à titre hautement subsidiaire, il est soutenu que le bilan de la société FRANCE TÉLÉCOM SA au 1er janvier 2005 ne constitue pas le bilan d'ouverture de premier exercice non prescrit ; en effet, le résultat d'ensemble du groupe a fait l'objet d'un rehaussement au titre de l'exercice clos en 2004, notifié le 4 juillet 2007, de sorte que le délai de prescription, ainsi interrompu, n'était pas expiré lorsque le service a procédé, le 23 décembre 2008, à la correction du résultat d'ensemble 2005 ; à cette date, en vertu des dispositions de l'article R. 196-3 du livre des procédures fiscales, le délai de réclamation dont disposait la société pour contester les impositions supplémentaires mises à sa charge au titre de l'exercice 2004 mais également les impositions primitives du même exercice n'était pas expiré ;

- à titre infiniment subsidiaire, l'administration entend maintenir sa demande de compensation sur le fondement des dispositions de l'article 38-2 du code général des impôts.

Par un mémoire en réplique, enregistré le 21 novembre 2014, la SA ORANGE conclut aux mêmes fins que la requête par les mêmes moyens.

Elle soutient, en outre, que :

- contrairement à ce que soutient le ministre, à titre très subsidiaire, une reprise de provision constitue une écriture de bilan ;

- aucune imposition supplémentaire n'ayant été établie au titre de l'exercice 2004, au motif que cet exercice est resté déficitaire, la proposition de rectification notifiée le 4 juillet 2007 n'a eu aucune conséquence sur la prescription du droit de reprise de l'administration ; par suite, au sens et pour l'application du 4 bis de l'article 38 du code général de impôts, le premier exercice prescrit est bien l'exercice 2005 ; à cet égard, l'invocation par l'administration de l'article R. 193-3 du livre des procédures fiscales est erronée ; enfin, la doctrine administrative (4 A-10-06 n° 24) indique que la présence de déficits reportables au titre du premier exercice non prescrit n'influe pas sur la détermination du bilan d'ouverture intangible ;

- outre les doutes, déjà mentionnés, quant à la méthode DCF, le contexte juridique prévalant à la date de constitution de la provision, soit antérieurement à l'intervention de la décision du Conseil d'État n° 346018 du 23 décembre 2013, ne permet pas de considérer que l'absence de déduction fiscale procéderait d'une erreur délibérée ; à cet égard, l'administration ne saurait déduire l'intention de la requérante à partir des effets fiscaux d'une opération postérieure ;

- elle ne pouvait saisir la commission nationale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires d'un motif qui, à la date de cette saisine, ne fondait pas les impositions en litige ;

- le ministre, qui procède par affirmations, ne démontre pas en quoi il y aurait une double déduction des pertes - lesquelles reflétées dans le mali de confusion, auraient, selon lui, été déduites du résultat d'ensemble - qui devrait être neutralisée par l'imposition du produit constatant la reprise de la provision ;

- la théorie du bilan fiscal du groupe, telle que défendue par le ministre, est contraire à la loi et à la jurisprudence qui imposent une démarche en deux temps consistant à déterminer d'abord les résultats de chaque filiale dans les conditions de droit commun puis à faire application des règles spécifiques de l'intégration au résultat d'ensemble ; l'arrêt

SAS Becton Dickinson, cité par l'administration à l'appui de sa défense, n'est pas pertinent en l'espèce, dès lors qu'il traite d'une reprise de provision antérieure à 2005 et se situe ainsi dans le cadre jurisprudentiel tracé par la décision du Conseil d'État SARL Ghesquière Equipement, qui autorisait la correction symétrique même sur des exercices prescrits.

Par un nouveau mémoire en défense, enregistré le 2 septembre 2015, le ministre des finances et des comptes publics persiste dans ses conclusions par les mêmes moyens.

Il fait valoir, au surplus, que :

- le Tribunal administratif de Montreuil a jugé, dans l'instance n° 1102120, que le moyen tiré de ce que la société Cogecom n'avait pas commis d'acte anormal de gestion dans le cadre de l'acquisition des titres Atrium 3 était dépourvu de portée, l'administration n'ayant procédé de ce chef à aucun rehaussement ; le tribunal, qui, au regard de ce motif, ne pouvait accueillir la demande subsidiaire de la requérante, n'a pas entaché son jugement d'irrégularité ;

- la société ne précise toujours pas quelles conditions parmi celles prévues par les dispositions du 5° de l'article 39-1 du code général des impôts auraient fait obstacle à la déduction de la provision dès lors que la dépréciation en cause remplit toutes les conditions de déduction posées par le droit comptable auquel, en l'espèce, les règles fiscales ne dérogent pas ;

- les dispositions du 4 bis de l'article 38 du code général des impôts ne conduisent à aucune solution différente de celle dégagée par l'arrêt Becton Dickinson ; au regard du résultat d'ensemble de l'intégration à la tête de laquelle se trouve FRANCE TÉLÉCOM SA, la rectification du service revient à replacer la société dans la situation qui aurait été la sienne si elle avait procédé à une correcte application des dispositions du 5° du 1 de l'article 39 du code général des impôts et de l'article 38 quater de l'annexe III à ce code, d'une part, et celles des articles 223 B et 223 D du même code, d'autre part ;

- la qualification d'erreur délibérée est une question de droit qui échappe à la compétence de la commission nationale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires ; par suite, la requérante ne peut, en tout état de cause, faire utilement valoir que, faute d'avoir pu saisir la commission sur ce point, elle aurait été privée d'une garantie substantielle de procédure ;

- s'agissant de la prescription, la société n'est pas fondée à invoquer l'instruction

4 A-10-06 du 29 juin 2006, qu'elle ne cite que partiellement, et qui précise qu'il doit être tenu compte, pour la détermination de l'actif net intangible, des actes ayant interrompu la prescription conformément à l'article L. 189 du livre des procédures fiscales.

Par deux nouveaux mémoires, enregistrés les 26 octobre et 12 novembre 2015, la

SA ORANGE conclut aux mêmes fins que la requête par les mêmes moyens.

Elle soutient, en outre, que :

- l'argumentation du ministre relative à la double déduction des pertes ne saurait prospérer que dans l'hypothèse où l'administration entendrait fonder les rectifications sur l'article L. 64 du livre des procédures fiscales ; toutefois, ne s'étant pas conformée aux exigences procédurales posées par cet article, elle ne saurait à ce stade du litige, substituer ce fondement au fondement initialement retenu ;

- à supposer, comme le soutient le ministre, que l'exercice 2005 ne soit pas le premier exercice non prescrit, en tout état de cause, la prescription n'aurait été interrompue sur l'exercice précédent qu'à concurrence du montant des rehaussements notifiés, soit 2 343 214 881 euros au titre des moins-values à long terme ; ce n'est donc que dans cette mesure que l'argumentation de l'administration pourrait avoir une incidence sur l'application des règles relatives à l'intangibilité du bilan d'ouverture ;

- le mali a été déduit à hauteur de 8 578 317 000 euros selon le régime des plus values à court terme et 2 940 683 000 selon le régime des plus values à long terme ; ainsi, à supposer que le mali ne soit pas déductible, la compensation demandée par l'administration ne pourrait justifier le rehaussement qu'à due concurrence d'un montant en base de 2 940 683 euros dans le secteur long terme ; s'agissant du secteur court terme, les déficits reportables avant contrôle s'établissaient à 28 497 056 889 euros au 31 décembre 2005 ; la demande de l'administration ne pourrait donc conduire qu'à une minoration de ce déficit mais ne pourrait fonder les impositions supplémentaires en litige.

Par un nouveau mémoire, enregistré le 12 novembre 2015, le ministre des finances et des comptes publics persiste dans ses conclusions par les mêmes moyens.

Il soutient, au surplus, que :

- le rehaussement, fondé sur la méconnaissance du 5° du 1. de l'article 39 du code général des impôts et de l'article 38 quater de l'annexe III à ce code, ne relève pas, en l'espèce, de la procédure de répression des abus de droit prévue par l'article L. 64 du livre des procédures fiscales ;

- s'agissant de ses conclusions relatives à la non déductibilité du mali, le courriel de la direction de la législation fiscale du 17 octobre 2005, produit par l'appelante, n'exprime aucune prise de position sur l'application d'une disposition fiscale au regard des conditions particulières d'absorption de la société Cegecom par FRANCE TÉLÉCOM SA.

Par un nouveau mémoire, enregistré le 19 novembre 2015, la SA ORANGE conclut aux mêmes fins que la requête par les mêmes moyens.

Elle soutient, au surplus, que le courrier du 17 octobre 2005 de la direction de la législation fiscale constitue bien une prise de position formelle opposable à l'administration sur le fondement des articles L. 80 A et L. 80 B du livre des procédures fiscales.

Par ordonnance du président de la 3ème chambre en date du 12 novembre 2015, la clôture d'instruction a été fixée au 20 novembre 2015, en application de l'article R. 613-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Huon,

- les conclusions de M. Coudert, rapporteur public,

- et les observations de Me Austry, pour la SA ORANGE, et de M.A..., pour le ministre des finances et des comptes publics.

Une note en délibéré présentée par le ministre des finances et des comptes publics a été enregistrée le 14 janvier 2016.

1. Considérant que, jusqu'au 31 décembre 2004, la société FRANCE TÉLÉCOM SA (FTSA), devenue la SA ORANGE, mère d'un groupe fiscalement intégré au sens des dispositions de l'article 223 A du code général des impôts, détenait 100 % de sa filiale Cogecom, membre du périmètre d'intégration fiscale, laquelle avait pour activité la détention et la gestion des principales participations du groupe ; que les titres Cogecom, inscrits à l'actif du bilan de la société pour un montant de 30 260 millions d'euros (M€) ont, en 2002 et 2003, fait l'objet de provisions, non déduites fiscalement, pour dépréciation s'élevant, compte tenu d'une reprise partielle, opérée en 2004, à 11 519 M€ au 31 décembre de l'exercice clos en 2004 ; que, le 5 décembre 2005, la société Cogecom a fait l'objet d'une transmission universelle de patrimoine au profit de la société FRANCE TÉLÉCOM SA avec effet rétroactif au 1er janvier 2005 ; que la provision sur les titres Cogecom a été purement et simplement annulée, sans qu'en l'absence de déduction initiale, cette annulation ne soit rapportée aux résultats imposables de la société FRANCE TÉLÉCOM SA de l'exercice 2005 ; que, corrélativement, la requérante a substitué l'actif net reçu de Cogecom (16 945 M€) à la valeur comptable de ces titres (18 433 M€) et a inscrit le mali technique (1 488 M€), calculé par différence entre ces deux valeurs, à l'actif de son bilan ; que le vrai mali, d'un montant égal à la provision pour dépréciation, a été déduit fiscalement, cette déduction ayant été répartie, selon que les titres étaient détenus depuis plus ou moins de deux ans, entre les régimes des plus values à long terme (2 940 M€) et à court terme (8 578 M€) ; qu'à la suite d'une vérification de comptabilité et aux termes d'une proposition de rectification du 23 décembre 2008, l'administration a notamment estimé que, conformément aux dispositions du 5° du 1. de l'article 39 du code général des impôts, les provisions comptabilisées en 2002 et 2003 auraient dû être déduites du résultat de la société, avant d'être neutralisées au niveau du résultat d'ensemble, puis reprises à la suite de la transmission universelle de patrimoine, les rendant sans objet ; que relevant que l'imposition de cette reprise ne pouvait être neutralisée en raison de la sortie de la société Cogecom de l'intégration, le service a ainsi rehaussé le résultat à long terme de la société FRANCE TÉLÉCOM SA pour un montant net de 11 319 884 643 euros ; que, par ailleurs, par une proposition de rectification du 27 octobre 2009, l'administration, afin de tirer les conséquences de ce rehaussement sur l'exercice 2006, a remis en cause le report des moins-values à long terme constatées au cours d'exercices précédents à hauteur de 3 775 M€ compte tenu de la rectification opérée au titre de l'exercice 2005 sur lequel ces moins-values reportables ont été intégralement imputées ; qu'elle a, par suite, rehaussé le résultat imposable à long terme de l'exercice 2006 de la société d'un montant de 1 689 M€ ; que la SA ORANGE relève appel du jugement du 4 juillet 2013 par lequel le Tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande tendant à la décharge des cotisations supplémentaires à l'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre de ses exercices clos en 2005 et 2006, ainsi que des intérêts de retard correspondants, à hauteur de 1 952 322 455 euros ;

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. Considérant que lorsque le juge administratif est saisi, postérieurement à la clôture de l'instruction et au prononcé des conclusions du rapporteur public, d'une note en délibéré émanant d'une des parties à l'instance, il lui appartient dans tous les cas d'en prendre connaissance avant la séance au cours de laquelle sera rendue la décision ; que, s'il a toujours la faculté, dans l'intérêt d'une bonne justice, de rouvrir l'instruction et de soumettre au débat contradictoire les éléments contenus dans la note en délibéré, il n'est tenu de le faire à peine d'irrégularité de sa décision que si cette note contient soit l'exposé d'une circonstance de fait dont la partie qui l'invoque n'était pas en mesure de faire état avant la clôture de l'instruction et que le juge ne pourrait ignorer sans fonder sa décision sur des faits matériellement inexacts, soit d'une circonstance de droit nouvelle ou que le juge devrait relever d'office ;

3. Considérant que, par un jugement n° 1102120 du 20 juin 2013, ainsi postérieur à la clôture de l'instruction de la présente affaire qui avait été fixée par ordonnance au 21 mai 2013, le Tribunal administratif de Montreuil s'est prononcé sur le litige relatif aux rehaussements notifiés à la requérante au titre de ses exercices 2000 à 2004 ; que, par note en délibéré du

28 juin 2013, la SA ORANGE, s'appuyant sur ce jugement, a fait valoir, devant le tribunal, que, dans l'hypothèse où ses conclusions principales seraient rejetées, elle pourrait prétendre à une réduction en bases de 266 M€, au motif que ses moins-values reportables auraient dû, selon elle, être majorées de ce montant, après correction de la plus-value à long terme réalisée par la société Cogecom lors de la cession, en 2002, de ses titres TDF ; que, toutefois, cette argumentation, qui n'avait pas été expressément présentée avant la clôture de l'instruction, ne procède pas de circonstances de fait nouvelles qui auraient été révélées par le jugement du 20 juin 2013, lequel s'est borné à estimer, sur ce point, que le moyen soulevé devant lui était dépourvu de portée dès lors qu'aucun rehaussement n'avait été prononcé à ce titre ; qu'elle ne procède pas davantage de circonstances de droit nouvelles dès lors que, si, dans l'affaire n° 1102120, le tribunal a, par ailleurs, jugé que la contribuable n'était pas recevable à contester, sur le fondement du

2ème alinéa de l'article L. 190 du livre des procédures fiscales, la minoration de ses déficits reportables, il n'en demeure pas moins qu'avant l'intervention du jugement en cause, il était loisible à la société, qui se prévaut elle-même de la possibilité qui lui était ouverte à cette fin par la décision du Conseil d'État n° 61555 du 17 mai 1991, de demander l'imputation sur l'exercice 2005 de son déficit antérieur, majoré dans les conditions ci-dessus rappelées ; que, par suite, la requérante, dont les autres conclusions subsidiaires ont été expressément rejetées par le tribunal, n'est pas fondée à soutenir qu'en s'abstenant de rouvrir l'instruction et de répondre au moyen susanalysé, qui contrairement à ce qu'elle affirme, n'est pas " né du jugement du 20 juin 2013 ", le tribunal aurait entaché son jugement d'irrégularité ;

Sur le bien-fondé des impositions :

En ce qui concerne les conclusions principales de la SA ORANGE :

4. Considérant que la SA ORANGE, qui a expressément renoncé au moyen tiré de ce que la non déduction, sur le plan fiscal, d'une provision constatée au plan comptable revêtirait le caractère d'une décision de gestion régulière, soutient, sur le terrain tant de la loi fiscale, que de l'interprétation administrative de cette loi, que la provision litigieuse n'est pas fiscalement déductible et qu'en tout état de cause, les dispositions du 4 bis de l'article 38 du code général des impôts font obstacle au rehaussement en litige ;

Quant à la déductibilité de la provision :

S'agissant de l'application de la loi fiscale :

5. Considérant, d'une part, qu'aux termes de l'article 39 du code général des impôts : " 1. Le bénéfice net est établi sous déduction de toutes charges, celles-ci comprenant, sous réserve des dispositions du 5, notamment : / (...) 5° Les provisions constituées en vue de faire face à des pertes ou charges nettement précisées et que des événements en cours rendent probables, à condition qu'elles aient été effectivement constatées dans les écritures de l'exercice (...) " ; qu'il résulte de ces dispositions qu'une entreprise peut porter en provision et déduire des bénéfices imposables d'un exercice des sommes correspondant à des pertes ou charges qui ne seront supportées qu'ultérieurement par elle, à la condition que ces pertes ou charges soient nettement précisées quant à leur nature et susceptibles d'être évaluées avec une approximation suffisante, qu'elles apparaissent, en outre, comme probables eu égard aux circonstances constatées à la date de clôture de l'exercice et qu'enfin, elles se rattachent par un lien direct aux opérations de toute nature déjà effectuées à cette date par l'entreprise ; que, par ailleurs, lorsqu'une provision a été constituée dans les comptes de l'exercice, et sauf si les règles propres au droit fiscal y font obstacle, notamment les dispositions particulières du 5° du 1 de cet article limitant la déductibilité fiscale de certaines provisions, le résultat fiscal de ce même exercice doit, en principe, être diminué du montant de cette provision dont la reprise, lors d'un ou de plusieurs exercices ultérieurs, entraîne en revanche une augmentation de l'actif net du ou des bilans de clôture du ou des exercices correspondants ;

6. Considérant, d'autre part, qu'aux termes de l'article 38 quater de l'annexe III au code général des impôts : " Les entreprises doivent respecter les définitions édictées par le plan comptable général, sous réserve que celles-ci ne soient pas incompatibles avec les règles applicables pour l'assiette de l'impôt. " ; qu'aux termes de l'article 332-3 du plan comptable général : " A toute autre date que leur date d'entrée, les titres de participation, cotés ou non, sont évalués à leur valeur d'utilité représentant ce que l'entité accepterait de décaisser pour obtenir cette participation si elle avait à l'acquérir (...) " ;

7. Considérant que, si elle ne conteste pas avoir évalué les titres Cogecom à leur valeur d'utilité, conformément au plan comptable général, duquel la loi fiscale ne diverge pas sur ce point, la SA ORANGE fait valoir que la méthode DCF (Discounted cash flows), utilisée pour cette évaluation, ne peut, dès lors qu'elle repose sur des projections, justifier à elle seule, avec une approximation suffisante, la probabilité d'une dépréciation au sens des dispositions du 5° du 1. de l'article 39 du code général des impôts ; que, toutefois, il résulte de l'instruction que la valeur d'utilité de la participation de la société FRANCE TÉLÉCOM SA dans la société Cogecom a été déterminée sur la base de sa situation nette comptable corrigée des plus-values latentes et non selon la méthode DCF ; qu'en outre, s'il est exact que cette méthode a été utilisée pour apprécier la valeur des participations détenues par la société Cogecom, il n'est pas sérieusement contesté que, d'une part, elle ne l'a pas été pour toutes ses filiales, dont chacune a été valorisée selon la méthode la plus appropriée et, que, d'autre part, lorsqu'elle a été mise en oeuvre, elle a été combinée avec d'autres facteurs et ses résultats ont été corroborés au terme d'une analyse précise d'autres paramètres d'évaluation, ainsi qu'il ressort des énonciations particulièrement détaillées de la proposition de rectification ; qu'à cet égard, il convient d'ailleurs de relever qu'en déduisant fiscalement des provisions à raison de ses participations, la société Cogecom a nécessairement estimé suffisamment probable et précise la dépréciation de ses filiales ; que, certes, à ce propos, la requérante fait valoir que, si, prises une à une, les incertitudes relatives à la valorisation de chacune des filiales de la société Cogecom peuvent être regardées comme suffisamment limitées pour ne pas faire obstacle à la constatation d'une provision fiscalement déductible, il en va autrement lorsqu'il s'agit d'apprécier la valeur de Cogecom dès lors que ces incertitudes se trouvent démultipliées ; que, cependant, il ressort de l'étude produite par la SA ORANGE à l'appui de cette affirmation que la valeur de la société Cogecom au 31 décembre 2004, analysée à partir de cinq participations significatives, dont trois étaient dépréciées par cette société, représentant 83 % de la valeur totale de ses participations, était comprise entre 9 654 M€ et 13 919 M€ ; que ces titres figurant à l'actif de la société pour une valeur brute de 25 250 M€, il s'en déduit une dépréciation comprise entre 11 331 M€ et

15 596 M€ ; que dès lors que le montant de la provision litigieuse, soit 11 519 M€, se situe à l'intérieur de la fourchette de valorisation et est même proche de sa limite basse, la dispersion des évaluations n'est pas de nature à faire regarder le calcul de cette provision comme exagérément approximatif, ainsi, d'ailleurs, que l'a relevé la commission nationale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires dans son avis du 7 mai 2010 ; que, par suite, l'administration établit que cette provision, destinée à faire face à une perte probable et évaluée avec une approximation suffisante, répondait aux conditions de déduction posées par les dispositions précitées du 5° du 1 de l'article 39 du code général des impôts ;

S'agissant de l'application de la garantie contre les changements de doctrine administrative :

8. Considérant qu'aux termes de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales : " Il ne sera procédé à aucun rehaussement d'impositions antérieures si la cause du rehaussement poursuivi par l'administration est un différend sur l'interprétation par le redevable de bonne foi du texte fiscal et s'il est démontré que l'interprétation sur laquelle est fondée la première décision a été, à l'époque, formellement admise par l'administration (...) " ;

9. Considérant, en premier lieu, que la SA ORANGE n'est pas fondée à se prévaloir, en application de ces dispositions, des énonciations d'un projet de guide de l'évaluation des entreprises et des titres de société qui, selon elle, prohiberait le recours à la méthode DCF dès lors que ce document, adressé pour avis, courant 2005, à certains organismes et grandes entreprises, n'est qu'un document préparatoire, au surplus postérieur aux exercices de constitution de la provision litigieuse, ne recélant aucune interprétation formelle du texte fiscal ; qu'elle ne peut non plus se prévaloir des commentaires formulés sur ce projet par l'association française des entreprises privées ou par la société française des évaluateurs, qui ne sont pas des autorités fiscales ; qu'enfin, il n'est pas contesté que la version définitive du guide, diffusée en novembre 2006, outre qu'elle ne contient que des recommandations et est également postérieure aux exercices concernés, intègre la méthode DCF comme méthode d'évaluation des titres de sociétés ;

10. Considérant, en second lieu, que la requérante ne peut davantage opposer à l'administration, compte tenu de la date à laquelle elles ont été formulées, des observations émises le 14 septembre 2007 dans le cadre d'un contrôle fiscal dont elle a elle-même fait l'objet au titre des années 2002 et 2003 ; que, de surcroît, ces observations ne concernaient pas la société FRANCE TÉLÉCOM SA, mais une autre société du groupe, ne visaient pas une provision pour dépréciation de titres de participation et ne comportaient aucune remise en cause du principe même du recours à la méthode DCF ;

Quant à l'application du principe d'intangibilité du bilan d'ouverture du premier exercice non prescrit :

11. Considérant qu'aux termes de l'article 38 du code général des impôts : " 2. Le bénéfice net est constitué par la différence entre les valeurs de l'actif net à la clôture et à l'ouverture de la période dont les résultats doivent servir de base à l'impôt diminuée des suppléments d'apport et augmentée des prélèvements effectués au cours de cette période par l'exploitant ou par les associés. L'actif net s'entend de l'excédent des valeurs d'actif sur le total formé au passif par les créances des tiers, les amortissements et les provisions justifiés (...)

/ 4 bis. Pour l'application des dispositions du 2, pour le calcul de la différence entre les valeurs de l'actif net à la clôture et à l'ouverture de l'exercice, l'actif net d'ouverture du premier exercice non prescrit déterminé, sauf dispositions particulières, conformément aux premier et deuxième alinéas de l'article L. 169 du livre des procédures fiscales ne peut être corrigé des omissions ou erreurs entraînant une sous-estimation ou surestimation de celui-ci (...) " ;

12. Considérant, d'une part, que lorsqu'une entreprise a, au cours d'un exercice faisant l'objet d'une vérification, comptabilisé une perte tout en procédant à la reprise de la provision devenue sans objet qu'elle avait comptabilisée au titre d'un exercice antérieur en raison du caractère probable de cette perte, sans avoir tenu compte de la constitution de cette provision comptable pour la détermination du résultat fiscal de l'exercice concerné bien qu'aucune règle propre au droit fiscal n'y fît obstacle, l'administration fiscale est, en principe, en droit de corriger la surestimation de l'actif net du bilan d'ouverture de l'exercice au cours duquel la perte a été constatée et la provision a été reprise dans les comptes, en y inscrivant cette provision afin de pouvoir ensuite tirer les conséquences de sa reprise pour la détermination du résultat fiscal de cet exercice ; que la même omission, qui se retrouve dans les écritures de bilan des exercices antérieurs telles que retenues pour la détermination du résultat fiscal, doit y être symétriquement corrigée, pour autant qu'elle ne revêt pas, pour le contribuable, un caractère délibéré ; que ces corrections successives entraînent chacune la modification du bilan d'ouverture de l'exercice dont le bilan de clôture a été modifié par la correction précédente, jusqu'à l'exercice au cours duquel la provision a été comptabilisée mais non prise en compte pour la détermination du résultat fiscal, dont le bilan d'ouverture demeure inchangé à l'issue de ces corrections ; que ces dernières demeurent toutefois sans incidence sur le bien-fondé du rehaussement des bases d'imposition de l'année au cours de laquelle la perte a été constatée lorsque le plus ancien des exercices concernés est prescrit;

13. Considérant, d'autre part, qu'il résulte de la combinaison de ce principe et de la règle posée par les dispositions précitées du premier alinéa du 4 bis de l'article 38 du code général des impôts, applicable en l'espèce, que, dans l'hypothèse où l'exercice au titre duquel est intervenue, dans les écritures comptables, la reprise de la provision est le premier exercice non prescrit, son bilan d'ouverture ne peut, en principe, être corrigé de l'omission ayant entraîné une surestimation de celui-ci, ce qui fait alors obstacle à la constatation de la provision et, par suite, à la taxation de sa reprise ; que, toutefois, il ressort des dispositions du 4 bis de l'article 38 du code général des impôts, éclairées par les travaux préparatoires de l'article 43 de la loi n° 2004-1485 du 30 décembre 2004 dont elles sont issues, lequel visait à rétablir la règle jurisprudentielle abandonnée par la décision du Conseil d'État n° 230169 du 7 juillet 2004, et eu égard à l'objet même de cette règle, que l'intangibilité du bilan d'ouverture du premier exercice non prescrit ne peut bénéficier au contribuable dont la surestimation de l'actif du bilan d'ouverture procède d'initiatives délibérément irrégulières ;

14. Considérant, en premier lieu, que la société requérante soutient que l'administration ne saurait lui opposer un nouveau motif tiré de l'existence d'une erreur délibérée, qui n'a été invoquée qu'au stade de la réponse à la réclamation contentieuse, dès lors qu'au terme des opérations de contrôle, le vérificateur n'a pas retenu le caractère intentionnel de l'irrégularité constatée, de sorte qu'elle a été privée de la faculté de saisir de cette question la commission nationale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires ; que, toutefois, l'appréciation du caractère délibéré d'une erreur commise par un contribuable, de nature à restreindre le champ d'application du 4 bis de l'article 38 du code général des impôts, est une question de qualification juridique et donc une question de droit qui, en vertu de l'article L. 59 A du livre des procédures fiscales, échappe à la compétence de la commission ; que, par suite, l'absence de possibilité de saisine de la commission sur le nouveau motif invoqué par l'administration n'a pas irrégulièrement privé la société d'une garantie substantielle ;

15. Considérant, en deuxième lieu, que la SA ORANGE soutient qu'avant la décision du Conseil d'État du 23 décembre 2013 Ministre c/ société Foncière du Rond Point, il était généralement admis que la jurisprudence autorisait la non déduction des provisions comptables et qu'ainsi, elle ne pourrait avoir délibérément enfreint la règle de droit ; que, toutefois, l'existence d'un tel principe ne saurait être déduite de décisions antérieures du

Conseil d'État ayant admis que la constitution d'une provision est une faculté que l'entreprise peut ne pas exercer, dès lors que ces décisions n'ont statué que dans des hypothèses où n'était pas en cause le traitement différencié d'une provision sur les plans comptable et fiscal ; que, par suite, s'agissant du parallélisme entre la règle comptable et la règle fiscale, le Conseil d'État, dans sa décision précitée, n'a pas opéré une modification de l'état du droit existant, dont la société pourrait se prévaloir pour soutenir que son erreur, relevant d'une interprétation erronée de la jurisprudence, ne peut, en tout état de cause, être regardée comme délibérée ;

16. Considérant, en troisième lieu, que le ministre établit, ainsi qu'il a été dit au point 7., que les titres Cogecom ont été évalués conformément à l'article 332-3 du plan comptable général, auquel la loi fiscale ne déroge pas, sur la base de méthodes permettant une approximation suffisante de la dépréciation de ces titres ; qu'en outre, il relève que, alors que les sociétés FRANCE TÉLÉCOM SA et Cogecom appartiennent au même groupe d'intégration et disposent d'une direction fiscale unique, il est pour le moins paradoxal que la première se soit abstenue de provisionner fiscalement une dépréciation trouvant son origine dans la dégradation de la situation des principales filiales de la seconde, alors que celle-ci a, elle, constitué des provisions à raison même de la dépréciation desdites filiales ; qu'enfin, le ministre souligne, à juste titre, qu'alors qu'en application des dispositions du 4ème alinéa de l'article 223 B et du

6ème alinéa de l'article 223 D du code général des impôts, la déduction de la provision litigieuse serait restée neutre pour la détermination du résultat d'ensemble du groupe, la voie choisie par l'entreprise lui permettait d'éviter, dès lors que serait décidée la sortie de la société Cogecom de l'intégration, les effets s'attachant à la déneutralisation de la reprise ; que, dans ces conditions, et bien que le vérificateur ait choisi de ne pas se placer sur ce terrain, l'administration établit que le traitement de la provision litigieuse ne résultait pas d'une simple omission non intentionnelle mais revêtait le caractère d'une omission délibérée ; que, par suite, et alors même que l'exercice 2005 serait le premier exercice non prescrit comme le soutient la SA ORANGE, l'administration était en droit de corriger, à raison de cette omission, la surestimation du bilan d'ouverture de cet exercice et de tirer ensuite les conséquences de la reprise de la provision pour la détermination du résultat fiscal dudit exercice ;

17. Considérant, en quatrième lieu, qu'aux termes de l'article L. 64 du livre des procédures fiscales dans sa rédaction applicable aux impositions en litige : " Ne peuvent être opposés à l'administration des impôts les actes qui dissimulent la portée véritable d'un contrat ou d'une convention à l'aide de clauses : (...) / b) (...) qui déguisent soit une réalisation, soit un transfert de bénéfices ou de revenus ; (...) / L'administration est en droit de restituer son véritable caractère à l'opération litigieuse. En cas de désaccord sur les redressements notifiés sur le fondement du présent article, le litige est soumis, à la demande du contribuable, à l'avis du comité consultatif pour la répression des abus de droit (...) " ;

18. Considérant qu'en se prévalant ainsi de l'erreur délibérée commise par la société, le ministre n'invoque ni l'existence d'un acte fictif ni une application littérale des textes à l'encontre des objectifs poursuivis par leurs auteurs, mais se borne à opposer à la requérante le caractère délibérément irrégulier d'une décision prise par l'entreprise ; que, ce faisant, il ne se place pas implicitement et nécessairement sur le terrain de l'abus de droit ; que, par suite, la

SA ORANGE ne peut utilement soutenir qu'elle aurait été irrégulièrement privée des garanties de procédure s'attachant à cette qualification ;

19. Considérant qu'il résulte de ce qui vient d'être dit que l'administration pouvait légalement rehausser les bases d'imposition de la société FRANCE TÉLÉCOM SA de l'exercice 2005 à hauteur de la reprise de provision litigieuse, sans que la société, compte tenu du caractère délibéré de son erreur, ne puisse invoquer, à son profit, la correction symétrique des bilans ;

En ce qui concerne les conclusions subsidiaires de la SA ORANGE :

20. Considérant que la SA ORANGE fait valoir qu'en 2001, la société Cogecom a acquis la participation détenue par sa filiale TDF dans la société Atrium 3 pour un montant de 1 126 655 000 euros ; qu'à l'occasion d'une vérification de comptabilité, le service a relevé que le prix d'acquisition avait été indument majoré de 266 M€ mais n'a opéré aucune rectification de ce chef dès lors que les titres ont été inscrits à l'actif à leur valeur d'acquisition ; que, le 13 décembre 2012, la société Cogecom a cédé la société TDF à un tiers au groupe

France Télécom, en dégageant une plus-value à long terme qui, imputée sur le stock des

moins-values à long terme de l'exercice 2002, n'a pas généré d'imposition au titre de cet exercice mais a réduit le montant des moins-values à long terme reportables ; que la requérante soutient qu'il aurait dû être tenu compte de la majoration précitée de 266 M€ du prix de revient pour déterminer la plus-value de cession des titres TDF, laquelle aurait donc été surestimée du même montant ; qu'elle demande, en conséquence, que le niveau des moins-values reportables, imputées sur la plus-value à long terme taxée au titre de l'exercice 2005 à raison du rehaussement en litige, soit majoré de ce montant ;

21. Considérant, toutefois, que le " versement complémentaire " de 266 M€, qui ne constitue ni un abandon de créance à caractère financier ni une subvention, ne saurait, en tout état de cause, affecter le prix de revient des actions TDF, sur lequel la requérante, qui procède par simples affirmations, n'apporte d'ailleurs aucune précision, et, partant, le montant de la

plus-value dégagée à l'occasion de la cession de ces titres ; que la SA ORANGE ne peut, sur ce point, se prévaloir du §4 de la documentation administrative de base référencée 4 A-2162, dans les prévisions duquel elle n'entre pas ; que, par suite, et sans qu'il soit besoin de statuer sur sa recevabilité, la demande susanalysée ne peut qu'être rejetée ;

22. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que la SA ORANGE n'est pas fondée à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande ;

Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

23. Considérant qu'aux termes de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : " Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation " ;

24. Considérant que ces dispositions font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'État qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, la somme que demande la

SA ORANGE au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de la SA ORANGE est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la SA ORANGE et au ministre des finances et des comptes publics.

Délibéré après l'audience du 12 janvier 2016, à laquelle siégeaient :

M. Bresse, président de chambre,

M. Huon, premier conseiller,

M. Locatelli, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 18 février 2016.

Le rapporteur,

C. HUONLe président,

P. BRESSELe greffier,

A. FOULON

La République mande et ordonne au ministre des finances et des comptes publics en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme

Le greffier,

2

N° 13VE02491


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Versailles
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 13VE02491
Date de la décision : 18/02/2016
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : M. BRESSE
Rapporteur ?: M. Christophe HUON
Rapporteur public ?: M. COUDERT
Avocat(s) : CMS BUREAU FRANCIS LEFEBVRE

Origine de la décision
Date de l'import : 12/11/2016
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.versailles;arret;2016-02-18;13ve02491 ?
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