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24/04/2014 | FRANCE | N°13NT01435

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 3ème chambre, 24 avril 2014, 13NT01435


Vu la requête, enregistrée le 21 mai 2013, présentée pour M. A... B..., élisant domicile..., par Me David, avocat au barreau de Paris ; M. B... demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 12-1028 du 24 janvier 2013 par lequel le tribunal administratif de Caen a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du 9 janvier 2012 par laquelle l'administration pénitentiaire a autorisé la " saisie " de son ordinateur ;

2°) d'annuler cette décision ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à son conseil, qui renonce à percevoir la part con

tributive de l'Etat au titre de l'aide juridictionnelle, d'une somme de 2 500 euros ...

Vu la requête, enregistrée le 21 mai 2013, présentée pour M. A... B..., élisant domicile..., par Me David, avocat au barreau de Paris ; M. B... demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 12-1028 du 24 janvier 2013 par lequel le tribunal administratif de Caen a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du 9 janvier 2012 par laquelle l'administration pénitentiaire a autorisé la " saisie " de son ordinateur ;

2°) d'annuler cette décision ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à son conseil, qui renonce à percevoir la part contributive de l'Etat au titre de l'aide juridictionnelle, d'une somme de 2 500 euros sur le fondement des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

4°) à titre subsidiaire, de transmettre la question préjudicielle suivante à la Cour de justice de l'Union européenne : " Le droit d'être entendu dans toute procédure, lequel fait partie intégrante du principe fondamental du respect des droits de la défense et est par ailleurs consacré par l'article 41 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, doit-il être interprété en ce sens qu'il impose à l'administration pénitentiaire, lorsqu'elle saisit l'ordinateur d'un détenu de mettre en mesure l'intéressé de présenter ses observations ' " ;

5°) de surseoir à statuer dans l'attente de la décision de la Cour de justice de l'Union européenne ;

6°) d'enjoindre, sous astreinte de 100 euros par jour de retard, à l'administration pénitentiaire de lui restituer son ordinateur à compter de la notification de l'arrêt à intervenir ;

il soutient :

- que le sens des conclusions du rapporteur public mis en ligne la veille de l'audience était trop imprécis et ne répondait pas aux exigences de l'article R. 711-3 du code de justice administrative ;

- que le jugement attaqué est entaché d'irrégularité dès lors que les premiers juges n'ont pas relevé d'office le moyen tiré de la méconnaissance du principe général du droit au respect du contradictoire ;

- que la décision contestée n'est pas une mesure d'ordre intérieur et est susceptible de recours pour excès de pouvoir ; qu'il a acquis un ordinateur dans un souci d'apprentissage pour un futur métier dans l'informatique ; que la décision de saisie de son ordinateur porte atteinte au droit au travail et à l'instruction, principes fondamentaux reconnus par les lois de la République, et notamment le Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, ainsi que par les traités et conventions internationaux, et notamment par les articles 6, 7 et 13 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels et par l'article 2 du premier protocole additionnel de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, des articles 23 et 26 de la déclaration universelle des Droits de l'Homme et les articles 1er et 10 de la Charte sociale européenne ;

- que la signature de l'auteur de la décision contestée est illisible, ne permettant pas de distinguer son nom et son prénom, l'apposition du tampon encreur " correspondant local des systèmes d'informations " n'emportant pas signature, ni compétence ;

- qu'en vertu des articles 57-1 et 76-3 du code de procédure pénale, le contrôle d'un ordinateur ne peut être effectué que dans le cadre d'une perquisition par un officier de police judiciaire, sous le contrôle d'un magistrat de l'ordre judiciaire ; que les articles D. 449-1 du code de procédure pénale et 6-1 de la circulaire NOR JUSK094006C en date du 13 octobre 2009 devront être écartés comme contraires aux dispositions législatives, conventionnelles (article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales) et constitutionnelles (article 66 de la Constitution) ; que le contrôle de son ordinateur est irrégulier dès lors qu'il a été effectué par des surveillants pénitentiaires ;

- que la décision contestée n'est pas suffisamment motivée au regard des dispositions de l'article 1er de la loi du 11 juillet 1979 ;

- que la décision contestée n'a jamais été précédée d'un débat pendant lequel il aurait pu présenter ses observations ; qu'elle méconnaît le principe général du droit au respect du contradictoire et les articles 41 et 47 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;

Vu le jugement attaqué ;

Vu le mémoire en défense, enregistré le 15 janvier 2014, présenté par le garde des

sceaux, ministre de la justice, qui conclut au rejet de la requête ;

il soutient :

- que la circonstance que le rapporteur public n'a pas précisé s'il proposait le rejet de la requête en se fondant sur un motif d'irrecevabilité ou sur une raison de fond n'est pas de nature à entacher d'irrégularité le jugement attaqué ;

- que M. B... ne peut utilement soutenir que le principe général du droit de l'Union européenne des droits de la défense n'aurait pas été respecté dès lors que les dispositions relatives au droit des personnes détenues ne relèvent pas du champ d'application du droit de l'Union ;

- que la décision contestée, qui visait simplement à contrôler l'ordinateur du détenu et à le retenir temporairement après la découverte dans sa cellule de scellés coupés sur l'ordinateur, laissant présumer une utilisation interdite en détention des matériels informatiques, constitue une mesure d'ordre intérieur compte tenu de ses faibles effets et de sa courte durée ; que cette mesure de contrôle prévue aux termes des dispositions de l'article D. 449-1 du code de procédure pénale, a été opérée dans le but d'assurer la sécurité générale de l'établissement et de prévenir toute atteinte à l'ordre public ;

- que la décision contestée n'entre dans aucune des catégories des décisions devant être motivées au sens de l'article 1er de la loi du 11 juillet 1979 ; qu'au demeurant, elle comporte les éléments de fait et de droit qui la fondent ;

- que la mesure contestée ne constitue ni une décision, ni l'instruction d'une demande au sens de l'article 4 de la loi du 12 avril 2000 ; que le moyen tiré de la méconnaissance de ces dispositions est donc inopérant ; que ni l'article D. 449-1 du code de procédure pénale, ni aucune autre disposition légale ou règlementaire n'imposent que le nom et la signature de leur auteur apparaissent ; qu'en tout état de cause, l'auteur de la décision de fouille est identifiable dans la mesure où il n'existe qu'un seul correspondant local informatique au centre de détention de Caen ; que ce moyen ne pourra qu'être écarté ;

- que les articles 57-1 et 76-3 du code de procédure pénale traitent exclusivement des enquêtes judiciaires et ne sont pas applicables aux mesures de contrôle litigieuses et que l'article D. 449-1 du même code est issu du décret n° 2003-259 du 20 mars 2003 qui se fondait sur les articles 717 et 728 de ce code aux termes desquels le Premier ministre disposait d'une habilitation générale et d'une compétence pour arrêter les dispositions de cet article ; que le requérant ne précise pas en quoi les dispositions de l'article D. 449-1 du code de procédure pénale et celles de l'article 6-1 de la circulaire du 13 octobre 2009 méconnaissent les dispositions de l'article 66 de la Constitution ; que la possibilité de contrôler les ordinateurs des détenus ne contrevient ni à la protection de tout individu contre une détention arbitraire, ni à la compétence du juge judiciaire pour protéger la liberté individuelle ; que les stipulations de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales définit les normes relatives au droit à un procès équitable et non le cadre dans lequel des mesures de contrôle peuvent être mises en oeuvre ;

- que l'alinéa 1 de l'article 52 de la Charte des droits fondamentaux prévoit la possibilité de limiter l'exercice des droits et libertés qu'elle reconnaît lorsqu'une telle limitation est prévue par la loi et respecte le contenu essentiel de ces droits et libertés ; qu'aux termes de l'article 24 de la loi du 12 avril 2000, la mise en oeuvre d'une procédure contradictoire avant toute décision individuelle devant être motivée, ne s'applique pas en cas d'urgence ou de circonstances exceptionnelles, ou lorsque leur mise en oeuvre serait de nature à compromettre l'ordre public ; que l'intéressé a pu présenter ses observations dans le cadre de la procédure disciplinaire engagée à son encontre ;

Vu la décision du président de la section administrative du bureau d'aide juridictionnelle près le tribunal de grande instance de Nantes en date du 2 mai 2013 admettant M. B... au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale au titre de cette instance et désignant Me David pour le représenter ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la Constitution, et notamment son article 66 ;

Vu le pacte international relatif aux droits civils et politiques du 16 décembre 1966 ratifié par la France le 4 octobre 1981 ;

Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

Vu le code de procédure pénale ;

Vu la loi n° 79-587 du 11 juillet 1979 ;

Vu la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991, modifiée, relative à l'aide juridique ;

Vu la loi n° 2000-321 du 12 avril 2000 ;

Vu le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 3 avril 2014 :

- le rapport de Mme Gélard, premier conseiller,

- et les conclusions de M. Degommier, rapporteur public ;

1. Considérant que le 9 janvier 2012, à la suite d'une fouille de la cellule de M. B... dans le cadre de la recherche d'une corde de rappel dérobée en salle de sport, il a été constaté que les scellés de son ordinateur avaient été coupés et décidé de procéder au contrôle de cet appareil ; que l'intéressé a saisi le tribunal administratif de Caen d'une demande tendant à l'annulation de cette mesure ; que par un jugement du 24 janvier 2013 les premiers juges ont rejeté sa demande ; que M. B... fait appel de ce jugement ;

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. Considérant que M. B... soutient que le sens des conclusions du

rapporteur public mis en ligne la veille de l'audience était trop imprécis et ne répondait pas aux exigences de l'article R. 711-3 du code de justice administrative en vertu duquel : " Si le jugement de l'affaire doit intervenir après le prononcé de conclusions du rapporteur public, les parties ou leurs mandataires sont mis en mesure de connaître, avant la tenue de l'audience, le sens de ces conclusions sur l'affaire qui les concerne (...) " ; que toutefois, s'il appartient au rapporteur public de préciser, en fonction de l'appréciation qu'il porte sur les caractéristiques de chaque dossier, les raisons qui déterminent la solution qu'appelle, selon lui, le litige, et notamment d'indiquer, lorsqu'il propose le rejet de la requête, s'il se fonde sur un motif de recevabilité ou sur une raison de fond, et, de mentionner, lorsqu'il conclut à l'annulation d'une décision, les moyens qu'il propose d'accueillir, la communication de ces informations n'est pas prescrite à peine d'irrégularité du jugement ; que par suite, ce moyen ne pourra qu'être écarté ;

3. Considérant par ailleurs que le moyen tiré de la méconnaissance du principe général du droit au respect du contradictoire n'est pas d'ordre public ; que par suite, M. B... n'est pas fondé à soutenir qu'en ne soulevant pas d'office ce moyen, les premiers juges auraient entaché d'irrégularité le jugement attaqué ;

Sur la recevabilité de la demande de première instance :

4. Considérant que pour établir si une mesure de l'administration pénitentiaire constitue un acte susceptible de recours pour excès de pouvoir, il y a lieu d'apprécier sa nature et l'importance de ses effets, tant directs qu'indirects, sur la situation des détenus ;

5. Considérant qu'aux termes de l'article D. 449-1 du code de procédure pénale dans sa rédaction alors en vigueur : " Les détenus peuvent acquérir par l'intermédiaire de l'administration et selon les modalités qu'elle détermine des équipements informatiques. / Une instruction générale détermine les caractéristiques auxquelles doivent répondre ces équipements, ainsi que les conditions de leur utilisation. En aucun cas, les détenus ne sont autorisés à conserver des documents, autres que ceux liés à des activités socioculturelles ou d'enseignement ou de formation ou professionnelles, sur un support informatique. / Ces équipements ainsi que les données qu'ils contiennent sont soumis au contrôle de l'administration. Sans préjudice d'une éventuelle saisie par l'autorité judiciaire, tout équipement informatique appartenant à un détenu peut, au surplus, être retenu, pour ne lui être restitué qu'au moment de sa libération, dans les cas suivants : 1° Pour des raisons d'ordre et de sécurité ; 2° En cas d'impossibilité d'accéder aux données informatiques, du fait volontaire du détenu " ;

6. Considérant que la mesure contestée est intitulée " procès-verbal de contrôle " ; que son objet est la " fouille physique et logique des matériels informatiques appartenant à une PPSMJ (personne placée sous main de justice) par le personnel pénitentiaire habilité " ; que ce document précise qu'en application des dispositions précitées de l'article D. 449-1 du code de procédure pénale, la tour fixe de l'ordinateur de M. B... va être soumise au contrôle de l'administration pénitentiaire ; que cette mesure, qui a été prise par le correspondant local des systèmes d'information du centre pénitentiaire de Caen, était justifiée par la nécessité de retrouver rapidement une corde de rappel de 7 mètres dérobée quelques jours plus tôt en salle de sport afin de prévenir toute tentative d'évasion d'un détenu ; qu'il ne ressort pas des pièces du dossier qu'elle ait été de nature à mettre en cause les libertés et droits fondamentaux de M. B... dont ne relève pas, en tout état de cause, l'objectif invoqué de réinsertion sociale des détenus ; que, dans ces conditions, et alors même que l'ordinateur de l'intéressé a également fait l'objet d'une saisie judiciaire dans le cadre d'une procédure distincte engagée par les autorités judiciaires, c'est à juste titre que les premiers juges ont estimé, pour rejeter la demande dont ils étaient saisis, que la mesure administrative contestée consistant à procéder au contrôle de l'ordinateur détenu par M. B... ne constituait pas une décision faisant grief susceptible de faire l'objet d'un recours pour excès de pouvoir ;

7. Considérant qu'il résulte de ce qui précède, et sans qu'il soit besoin de saisir la Cour de justice de l'Union européenne d'une question préjudicielle et de surseoir à statuer dans l'attente de sa décision, que M. B... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Caen a rejeté sa demande ; que, par voie de conséquence, les conclusions susvisées présentées par l'intéressé à fin d'injonction sous astreinte seront également rejetées ;

Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative :

8. Considérant que ces dispositions font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, le versement de la somme que le conseil de M. B... demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ;

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de M. B... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B...et au garde des sceaux, ministre de la justice.

Délibéré après l'audience du 3 avril 2014, où siégeaient :

- M. Coiffet, président,

- Mme Specht, premier conseiller,

- Mme Gélard, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 24 avril 2014.

Le rapporteur,

V. GÉLARDLe président,

O. COIFFET

Le greffier,

C. GUÉZO

La République mande et ordonne au garde des sceaux, ministre de la justice en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

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N° 13NT01435


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 13NT01435
Date de la décision : 24/04/2014
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

54-01-01-02-03 Procédure. Introduction de l'instance. Décisions pouvant ou non faire l'objet d'un recours. Actes ne constituant pas des décisions susceptibles de recours. Mesures d'ordre intérieur.


Composition du Tribunal
Président : M. COIFFET
Rapporteur ?: Mme Valérie GELARD
Rapporteur public ?: M. DEGOMMIER
Avocat(s) : DAVID

Origine de la décision
Date de l'import : 02/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2014-04-24;13nt01435 ?
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