LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
Statuant sur le pourvoi formé par :
- M. Hervé Edwy X...,- M. Stéphane D...,
contre l'arrêt de la cour d'appel de PARIS, chambre 2-7, en date du 13 novembre 2013, qui, pour diffamation publique envers particulier, les a condamnés respectivement à 250 euros d'amende, et 250 euros d'amende avec sursis, et a prononcé sur les intérêts civils ;
La COUR, statuant après débats en l'audience publique du 12 mai 2015 où étaient présents dans la formation prévue à l'article 567-1-1 du code de procédure pénale : M. Guérin, président, M. Monfort, conseiller rapporteur, M. Straehli, conseiller de la chambre ;
Greffier de chambre : M. Bétron ;
Sur le rapport de M. le conseiller MONFORT, les observations de la société civile professionnelle DIDIER et PINET, la société civile professionnelle BORÉ et SALVE DE BRUNETON, avocats en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général LIBERGE ;
Vu les mémoires produits en demande et en défense ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure, qu'à la suite de la publication, sur le site internet " lexpress. fr ", d'une interview de M. Arnaud Z..., et sur le site " mediapart. fr " d'une interview de Mme Eva A..., invités l'un et l'autre à réagir à la diffusion dans la presse d'enregistrements de conversations privées entre Mme Liliane B... et M. Patrice Y..., gérant de la société " Clymène ", chargée de gérer sa fortune, Mme Florence E... a porté plainte et s'est constituée partie civile du chef de diffamation publique envers particulier ; qu'au terme de l'information, le juge d'instruction a renvoyé devant le tribunal, de ce chef, d'une part, le directeur de publication du site " lexpress. fr ", le journaliste auteur de l'interview de M. Z..., et ce dernier, en raison de la publication des propos de celui-ci, d'autre part, M. X..., directeur de publication du site " mediapart. fr ", M. D..., journaliste auteur de l'interview de Mme A..., et cette dernière, en raison de la publication des déclarations de celle-ci ; que le tribunal a retenu M. X... et M. D... dans les liens de la prévention, et renvoyé les autres prévenus des fins de la poursuite ; que M. X..., M. D..., M. Z..., le ministère public et la partie civile ont relevé appel de cette décision ; que, devant la cour d'appel, M. Z... s'est désisté de son appel, de même que le ministère public et la partie civile à l'encontre de ce dernier ;
Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 10 de la Convention européenne des droits de l'homme, 23, 29 alinéa 1er, 32 alinéa 1er, de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, 42, 43, 47, 48, 93-3 de la loi du 29 juillet 1982, 591 et 593 du code de procédure pénale ;
" en ce que l'arrêt attaqué, partiellement confirmatif, a déclaré MM. X... et D..., respectivement coupables de diffamation envers un particulier et de complicité de ce délit, les a condamnés à une amende de 250 euros, avec sursis simple concernant le second, et s'est prononcé sur les intérêts civils ;
" aux motifs que la cour constate le désistement par Mme C..., épouse E..., partie civile, à l'encontre de M. Z..., par M. Z... et par le ministère public à l'encontre de M. Z..., des appels qu'ils ont interjetés du jugement déféré » ; que « le désistement en matière de presse ne met fin aux poursuites du chef de diffamation et n'éteint l'action à l'égard de tous auteurs, coauteurs et complices que dans les cas de faits de diffamation communs à l'ensemble des prévenus ; qu'il résulte de la procédure que si les poursuites ont été exercées à la suite d'une seule plainte avec constitution de partie civile, les propos poursuivis, comme diffamatoires, sont totalement distincts ; que les propos qui étaient reprochés à M. Z... résultent d'une interview publiée le 19 juin 2010 sur le site internet www. l'express. fr alors que ceux donnant lieu aux poursuites exercées à l'encontre de MM. X..., D... et Mme A... résultent de propos distincts tenus par cette dernière et diffusés le 20 juin 2010 sur le site www. médiapart » ; qu'« il en résulte que la cour reste saisie des appels régulièrement interjetés les 21 janvier 2013 par MM. X..., D... et le ministère public à l'égard de M. D..., et le 24 janvier 2013 par Mme C..., épouse E..., à l'égard de MM. X..., D... et Mme A... » ;
" alors qu'il résulte de l'article 49 de la loi du 29 juillet 1881 que le désistement du plaignant, lorsqu'il en a été donné acte par jugement, met fin aux poursuites du chef de diffamation et éteint l'action à l'égard de tous auteurs, co-auteurs ou complices des faits poursuivis ; que la cour d'appel a jugé que le désistement de la partie civile à l'encontre de M. Z... n'emportait extinction de l'action publique qu'à l'égard des personnes poursuivis pour les propos diffusés sur le site lexpress. fr mais pas de celles poursuivies pour les propos diffusés sur le site mediapart ; qu'en cet état, alors que l'ensemble des propos en cause avaient donné lieu à une seule plainte de la partie civile, faisaient l'objet d'une même procédure et portaient tous sur les réactions à la diffusion de transcriptions d'enregistrements de conversation entre Mme B... et son gestionnaire de fortune concernant l'implication de la partie civile dans une fraude fiscale, la cour d'appel a méconnu l'article précité " ;
Attendu que, pour constater les désistements d'appel intervenus au cours de l'instance devant la cour, et dire que celle-ci restait saisie des appels interjetés par MM. X... et D..., le ministère public à l'égard de ce dernier, et la partie civile à l'égard de MM. X..., D... et Mme A..., l'arrêt prononce par les motifs repris au moyen ;
Attendu que l'arrêt n'encourt pas la censure, dès lors que le désistement, par la partie civile, de l'appel interjeté contre les dispositions du jugement ayant relaxé M. Z... n'éteignait pas l'action à l'égard des autres prévenus poursuivis en qualité d'auteurs, coauteurs ou complices ;
D'où il suit que le moyen doit être écarté ;
Sur le second moyen de cassation, pris de la violation des articles 10 de la Convention européenne des droits de l'homme, 23, 29 alinéa 1er, 32 alinéa 1er, de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, 42, 43, 47, 48, 93-3 de la loi du 29 juillet 1982, 591 et 593 du code de procédure pénale ;
" en ce que l'arrêt attaqué, partiellement confirmatif, a déclaré MM. X... et D..., respectivement coupables de diffamation envers un particulier et de complicité de ce délit, les a condamnés à une amende de 250 euros, avec sursis simple concernant le second, et s'est prononcé sur les intérêts civils ;
" aux motifs que les propos ont été recueillis à l'occasion d'une interview ; qu'il est constant que, dans ce cadre, si le sujet est d'intérêt général et si le journaliste n'a pas excédé, dans son questionnement, les limites admises pour que l'interviewé réagisse sur le sujet traité, il n'est pas demandé à l'intervieweur, au cas où les propos qu'il diffuse, revêtiraient un caractère diffamatoire, de justifier des éléments permettant de bénéficier de l'excuse de bonne foi ; qu'il ne lui est notamment pas demandé de produire les éléments d'enquête de nature à accréditer les propos de l'interviewé, ni de répondre de l'animosité qui a pu animer ce dernier » ; qu'« en revanche, le journaliste est tenu de transcrire fidèlement les propos recueillis et ce d'autant plus s'il a nécessairement conscience que ceux-ci revêtent un caractère diffamatoire » ; qu'il en résulte, qu'en l'espèce, les prévenus doivent bénéficier de la bonne foi accordée à l'intervieweur pour l'ensemble des propos poursuivis, à l'exception de la phrase litigieuse dont le journaliste a reconnu, qu'à défaut de l'avoir enregistrée, il ne pouvait justifier qu'elle correspondait aux propos qu'avait tenus l'interviewée, Mme A... en l'occurrence » ; que « il n'est pas contesté que selon la phrase inexacte publiée, Mme A... affirme que la partie civile " ¿ a participé à l'évasion fiscale de la fortune B... ", imputation manifestement contraire à l'honneur et à la considération de Mme E... puisque celle-ci est désignée comme participant à une infraction pénale » ; que « les prévenus ne sont pas fondés à faire valoir, que l'erreur de retranscription, immédiatement rectifiée, ne les prive pas de la possibilité d'exciper de leur bonne foi, notamment en justifiant des éléments d'enquête, alors que dans le cadre d'une interview, il est exigé du journaliste qu'il reproduise fidèlement les propos recueillis de l'interviewé » ; que « le jugement sera en conséquence confirmé en ce qu'il a retenu la culpabilité d'e M. Hervé X..., en qualité de directeur de publication et donc d'auteur, et de M. D..., en qualité de journaliste et donc de complice du délit de diffamation publique envers Mme E... et sur les peines, à juste titre très modérées compte tenu des circonstances de l'espèce ;
" et aux motifs adoptés « le journaliste a expliqué à l'audience avoir réalisé, par téléphone, cette interview de Mme A... le 19 juin au soir alors que celle-ci était pressée car elle devait se rendre à un dîner, que ne disposant plus de piles électriques pour alimenter son enregistreur il avait pris des notes manuscrites de cet entretien qu'il n'a pas pu faire relire à l'intéressée avant sa mise en ligne ; que Mme A... ayant le 22 juin suivant, contesté avoir tenu les propos litigieux, une rectification, décidée en accord avec sa rédaction, a été publiée le mercredi 23 juin, en même temps qu'était annoncée l'intention de Mme E... d'engager des poursuites en diffamation » ; que, compte tenu de ces éléments, la phrase objet des présentes poursuites « alors même que sa femme a participé à l'évasion fiscale de la fortune B..., ne peut être imputée à Mme A... ; que pour le reste de son intervention qui se borne à une critique du ministre M. E... ainsi que des liens entre le pouvoir politique, le pouvoir financier et de l'autorité judiciaire, elle ne contient aucune imputation visant la partie civile » ; que Mme A... doit donc être renvoyée des fins de la poursuite » ; que « s'agissant de la responsabilité du journaliste et du directeur de la publication, qu'il est certes exact, comme le rappellent ces prévenus, que, lorsqu'un organe de presse recueille les déclarations d'une personne et les publie, sous forme d'interview, dans ses colonnes, il ne saurait répondre des propos tenus par la personne qui a été ainsi interrogée, et il lui suffit, pour établir sa bonne foi, de justifier qu'il était légitime de susciter les déclarations de la personnes concernée et de les porter à la connaissance de ses lecteurs, dès lors qu'il est clair pour les lecteurs qu'ils ne prennent pas connaissance du fruit d'une enquête journalistique sérieuse et complète sur les faits évoqués dans l'interview mais du seul point de vue subjectif de la personne qui s'exprime ; que « cependant cette exonération de responsabilité est notamment soumise à la condition que lesdites déclarations ont été exactement retranscrites, sans erreur ni dénaturation » ; qu'« en l'espèce, l'erreur dans la retranscription des propos de Mme A... est reconnue par les prévenus » ; que « la phrase initialement publiée " alors même que sa femme d'Eric E... a participé à l'évasion fiscale de la fortune B... " contient l'imputation d'avoir participé à une évasion fiscale, qui est un fait précis contraire à l'honneur et à la considération et par conséquent diffamatoire au sens de l'article 29 de la loi du 29 juillet 1881 » ; que « le directeur de publication et le journaliste, en raison de l'erreur commise ne peuvent bénéficier de l'excuse de bonne foi dès lors qu'il est de principe en ce domaine, qu'en raison des obligations qui pèsent sur les professionnels, de l'information et particulièrement celle de publier des informations exactes, ils ne peuvent échapper à leur responsabilité du fait de la publication de propos diffamatoires lorsque ceux-ci ne sont que le fruit d'une erreur » ;
" 1°) alors que, lorsqu'est diffusée une interview dans la presse, le directeur de publication et le journaliste ne peuvent être condamnés pour diffamation résultant des propos tenus par la personne interviewée si les questions portaient sur un sujet d'intérêt général ; que la retranscription erronée des propos de l'interviewée exclut la responsabilité en tant que complice de droit commun de cette personne et lui permet d'engager éventuellement une action pénale ou civile contre le journaliste ou le directeur de publication qui ont mal retranscrit ses propos ; qu'en revanche, les propos devant dès lors être considérés comme émanant du journaliste et non de la personne interviewée, la bonne foi ne saurait être exclue au regard de la seule inexactitude des propos diffusés, sans qu'il soit recherché si ces propos n'étaient pas justifiés par un sujet d'intérêt général, une enquête sérieuse, une absence d'animosité personnelle, et des termes n'excédant pas les limites de la critique admissible ; qu'en jugeant, pour déclarer le directeur de publication et le journaliste coupables respectivement de diffamation et complicité de diffamation, que l'erreur commise par le journaliste excluait la possibilité d'invoquer la bonne foi en matière d'interview, la cour d'appel a privé sa décision de base légale ;
" 2°) alors que la retranscription d'une interview, comporterait-elle une erreur n'exclut la bonne foi du journaliste et du directeur de publication que si cette erreur procède d'une dénaturation intentionnelle des propos de la personne interviewée, excluant le sérieux de l'enquête ; qu'en l'espèce, en considérant que dès lors que le journaliste et le directeur de publication reconnaissaient l'erreur dans la transcription des propos de l'interviewée, ils ne pouvaient invoquer la bonne foi, quand il résulte des termes mêmes de la rectification apportée aux propos, que si l'interviewée prétendait n'avoir pas dit que Mme E... avait participé à l'évasion fiscale, elle avait stigmatisé le fait que celle-ci était salariée d'une société pratiquant l'évasion fiscale, après avoir dénoncé la contradiction d'intérêts du ministre du budget, son mari, qui prétendait lutter contre la fraude fiscale, ce qui interrogeait sur l'égalité des citoyens devant la loi, ce qui établit que le défaut dans la retranscription de ces propos résultait d'une erreur, comme l'admettent les juges, et non d'une dénaturation intentionnelle ; que dès lors, malgré l'erreur prétendument commise, l'information délivrée ne procédant d'aucune dénaturation intentionnelle des propos de l'interviewée, la bonne foi ne pouvait être exclue sans méconnaître les articles 10 de la Convention européenne des droits de l'homme et 29 de la loi du 29 juillet 1881 " ;
Attendu que, pour refuser à M. X... et à M. D... le bénéfice de l'excuse de bonne foi, et confirmer la déclaration de culpabilité de ces deux prévenus à raison d'un seul passage des propos litigieux, prêtant à Mme A..., qui l'a démentie, l'affirmation selon laquelle " Mme E... a participé à l'évasion fiscale de la fortune B... ", l'arrêt retient que le journaliste, qui n'a pu justifier de l'exactitude de sa retranscription, et a dû procéder à une rectification ultérieure, a manqué à son devoir de reproduire fidèlement les propos recueillis lors de l'entretien, et ce d'autant plus qu'il devait avoir conscience de leur caractère diffamatoire ;
Attendu qu'en prononçant par ces motifs, d'où il résulte que les prévenus n'ont pas satisfait à leur devoir de surveillance et de rigueur dans la diffusion de l'information, la cour d'appel a justifié sa décision, sans méconnaître par ailleurs les dispositions conventionnelles invoquées ;
D'où il suit que le moyen ne saurait être accueilli ; Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;
REJETTE le pourvoi ;
FIXE à 1 000 euros la somme globale que MM. X... et D... devront payer à Mme E... en application de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le vingt-trois juin deux mille quinze ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre.