AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le vingt et un juin deux mille cinq, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le rapport de M. le conseiller référendaire VALAT, les observations de Me ROUVIERE, de la société civile professionnelle Le GRIEL, avocats en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général DI GUARDIA ;
Statuant sur le pourvoi formé par :
- X... Philippe,
- LA SOCIETE LE PARISIEN LIBERE, civilement responsable,
contre l'arrêt de la cour d'appel de PARIS, 11ème chambre, en date du 23 septembre 2004, qui, pour injures publiques envers un particulier, a condamné le premier à 1 500 euros d'amende et a prononcé sur les intérêts civils ;
Vu les mémoires produits en demande et en défense ;
Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 29, 31 et 49 de la loi du 29 juillet 1881, 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut et contradiction de motifs et manque de base légale ;
"en ce que l'arrêt attaqué, après avoir constaté le désistement d'appel mutuel de Philippe Y... et de Pierre Z... et dit que le jugement déféré sera définitif à l'égard de Philippe Y..., a confirmé la décision attaquée en ce qu'elle a retenu la culpabilité de Philippe X... du chef d'injure publique envers un particulier et l'a condamné, sur l'action publique à une amende de 1 500 euros et sur l'action civile, à payer à Pierre Z..., solidairement avec Philippe Y..., la somme de 2 000 euros à titre de dommages et intérêts et à faire publier un communiqué dans le journal Le Parisien ;
"aux motifs que Philippe Y... se désiste de son appel ; que Mme l'avocat général se désiste de l'appel incident formé par le ministère public à l'encontre de Philippe Y... ; que Pierre Z..., partie civile, se désiste de l'appel formé envers Philippe Y... et ne forme devant la Cour aucune demande à son encontre ; qu'il convient en conséquence de constater ces désistements et le caractère définitif du jugement entrepris à l'égard de Philippe Y... ;
"alors que le désistement du plaignant du chef d'injure publique envers un particulier opère in rem et éteint l'action publique à l'égard de tous autres coauteurs ou complices ; qu'en l'espèce, la cour d'appel, qui constate le désistement de l'instance d'appel de la partie plaignante à l'égard de l'une des parties poursuivie devait faire produire à ce désistement effet à l'égard de Philippe X..., dès lors que les poursuites étaient communes aux deux prévenus; qu'en maintenant les actions publique et civile à l'encontre de ce dernier, la cour d'appel a violé les textes visés au moyen" ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure qu'à la suite de la publication dans le quotidien Le Parisien d'un article intitulé "le stalinien et le nazi", Pierre Z... a fait citer Philippe X..., directeur de la publication, et Philippe Y..., auteur des propos, devant le tribunal correctionnel, respectivement comme auteur et complice du délit d'injure publique envers un particulier ; que le tribunal les a déclarés coupables, que les prévenus, le procureur de la République et la partie civile ont interjeté appel ; que, devant la cour d'appel, Philippe Y... s'est désisté de son appel de même que le ministère public et la partie civile à l'égard de Philippe Y... ;
Attendu que, pour confirmer la condamnation de Philippe X..., l'arrêt prononce par les motifs repris au moyen ;
Attendu qu'en cet état, la cour d'appel a justifié sa décision dès lors que le désistement, par Pierre Z..., de l'appel interjeté contre les dispositions du jugement ayant condamné Philippe Y..., n'éteint pas l'action à l'égard des autres auteurs, coauteurs ou complices ;
D'où il suit que le moyen doit être écarté ;
Sur le second moyen de cassation, pris de la violation de l'article 10 de la Convention européenne des droits de l'homme, des articles 29, 31 et 53 de la loi du 29 juillet 1881, 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale ;
"en ce que l'arrêt confirmatif attaqué a déclaré Philippe X..., coupable du délit d'injure publique envers un particulier, et l'a, en répression, condamné à une amende de 1 500 euros ainsi qu'à une somme de 2 000 euros à titre de dommages-intérêts ;
"aux motifs que, Philippe X... et la société Le Parisien Libéré ne contestent plus devant la Cour que les mots " un nazi " constituent une expression outrageante caractérisant une injure publique au sens de l'article 29, alinéa 2, de la loi du 29 juillet 1881 ; que, cependant, sur le fondement de l'article 10 de la Convention européenne des droits de l'homme et la jurisprudence de la Cour de Strasbourg, ils invoquent l'absence d'intention délictueuse ; qu'ils soutiennent que le journal en cause a rapporté fidèlement les propos tenus par Philippe Y..., que la direction de la publication n'a aucunement entendu les reprendre à son compte, et que, contrairement à ce qu'a estimé le tribunal, le fait qu'un homme politique traite son opposant de nazi, à l'occasion d'élections, méritait un écho particulier et procédait d'une information à caractère général ; que les propos exactement tenus par Philippe Y... étaient les suivants " moi, je ne vote ni pour un stalinien ni pour un nazi " et s'inscrivaient dans l'éventuel " duel " opposant Patrick A..., député communiste sortant, à Pierre Z..., candidat du Front National ; que les propos de Philippe Y... méritaient d'être portés à la connaissance du public ; que, cependant, pour présenter ces propos, Le Parisien a titré simplement " le stalinien et le nazi " ; que ce titre, qui avait pour objectif d'attirer l'attention du lecteur a, en sortant les mots de leur contexte et en n'exposant que deux qualificatifs, et ce de manière brutale et sans réserve, présenté comme acquise la qualité imputée à chacune des deux parties en cause ; que l'article " le " utilisé avant chaque qualificatif procédait à une désignation sans nuance ni prudence des intéressés ;
que cette présentation a pu donner au lecteur l'impression que le journal faisait sienne l'opinion de Philippe Y... ; que par là même, le quotidien n'a pas diffusé une information objective et fidèle mais a volontairement amplifié l'impact de celle-ci en mettant en exergue l'attribution de qualités particulièrement injurieuses, à deux personnalités politiques ; que, dès lors, la responsabilité de Philippe X..., directeur de publication, sera retenue ;
"alors, d'une part, que le principe de proportionnalité de l'article 10-2 de la Convention européenne nécessite que les exigences de la protection de la réputation ou des droits d'autrui soient mises en balance avec celles de la liberté d'expression ; que porte une atteinte disproportionnée à la liberté de la presse le fait d'exiger de manière générale des journalistes qu'ils se distancient systématiquement et formellement du contenu d'une citation qui pourrait insulter des tiers ; qu'en condamnant du chef du délit d'injure publique envers un particulier le directeur de publication du journal Le Parisien pour avoir fidèlement rendu compte, sous le titre " le nazi et le stalinien ", de propos tenus, lors d'une émission publique sur une chaîne parlementaire, par un député à l'encontre de deux candidats de sa circonscription, affirmant " moi je ne vote ni pour un stalinien ni pour un nazi ", la cour d'appel a porté une atteinte disproportionnée à la liberté de la presse et privé sa décision de base légale au regard de l'article 10 de la Convention européenne des droits de l'homme ;
"alors, d'autre part, que l'objet de la poursuite ainsi que les points sur lesquels le prévenu aura à se défendre sont définitivement fixés par la citation, le juge ne pouvant fonder une condamnation sur des faits autres que ceux qui sont ainsi précisés ;
qu'en prononçant une condamnation du directeur de publication du journal Le Parisien non sur la base de la teneur du texte publié, dont il a été constaté qu'il répondait à un but légitime d'information du public, mais uniquement sur la base du titre donné à l'article, lequel n'avait pas été poursuivi, dans la citation directe délivrée par la partie plaignante, indépendamment du texte qui l'accompagnait, l'une et l'autre partie ayant été, au contraire, visées comme un ensemble indissociable, la cour d'appel a violé les textes visés au moyen ;
"alors, enfin, que la cour d'appel ne pouvait entrer en voie de condamnation en se fondant uniquement sur le titre de l'article sans le rapprocher du contenu de cet article qu'il annonce ; qu'ainsi, l'arrêt est à nouveau entaché d'une violation des textes visés au moyen" ;
Attendu que, pour confirmer la déclaration de culpabilité de Philippe X... du chef d'injure publique envers un particulier, l'arrêt prononce par les motifs repris au moyen ;
Attendu qu'en statuant ainsi et dès lors que la citation visait les termes outrageants contenus tant dans le corps de l'article que dans son titre, la cour d'appel a justifié sa décision sans méconnaître, par ailleurs, les dispositions conventionnelles invoquées ;
D'où il suit que le moyen ne saurait être accueilli ;
Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;
REJETTE le pourvoi ;
DIT n'y avoir lieu à application, au profit de Pierre Z... des dispositions de l'article 618-1 du Code de procédure pénale ;
Ainsi jugé et prononcé par la Cour de cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;
Etaient présents aux débats et au délibéré : M. Cotte président, M. Valat conseiller rapporteur, M. Joly, Mmes Chanet, Anzani, MM. Beyer, Pometan, Mmes Palisse, Guirimand conseillers de la chambre, Mme Ménotti conseiller référendaire ;
Avocat général : M. Di Guardia ;
Greffier de chambre : Mme Daudé ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;