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16/05/2013 | FRANCE | N°12BX02550

France | France, Cour administrative d'appel de, 1ère chambre - formation à 3, 16 mai 2013, 12BX02550


Vu, la requête enregistrée le 24 septembre 2012 par télécopie, régularisée le 2 octobre 2012, présentée pour la SCI Lou, dont le siège est 2 rue du Trou au chat à Le Lamentin (97232), par Me A...;

La SCI Lou demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1101198 du 29 juin 2012 en tant que le tribunal administratif de Fort-de-France n'a pas fait droit à l'ensemble de ses conclusions indemnitaires ;

2°) de mettre à la charge de la commune du Lamentin la somme de 3 323 000 euros en réparation de ses préjudices ;

3°) de mettre à la charge de la c

ommune du Lamentin la somme de 10 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justi...

Vu, la requête enregistrée le 24 septembre 2012 par télécopie, régularisée le 2 octobre 2012, présentée pour la SCI Lou, dont le siège est 2 rue du Trou au chat à Le Lamentin (97232), par Me A...;

La SCI Lou demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1101198 du 29 juin 2012 en tant que le tribunal administratif de Fort-de-France n'a pas fait droit à l'ensemble de ses conclusions indemnitaires ;

2°) de mettre à la charge de la commune du Lamentin la somme de 3 323 000 euros en réparation de ses préjudices ;

3°) de mettre à la charge de la commune du Lamentin la somme de 10 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Elle soutient :

- que le tribunal administratif de Fort-de-France a reconnu l'illégalité de la décision de retrait du permis de construire en tant que tardive et infondée, ce qui constitue des fautes de nature à engager la responsabilité de la commune ;

- qu'aucune faute ne lui est imputable ; qu'en effet, la SCI Lou n'est pas responsable de la résiliation du bail qui est le fait de son cocontractant, la Société Total Caraïbes ; qu'elle n'avait aucune obligation de proposer un nouveau bail à ce cocontractant à compter de la notification du jugement reconnaissant sur la demande de la société Total Caraïbes l'illégalité du retrait le 7 novembre 2008 du permis de construire du 7 mars 2007, d'autant qu'elle n'était pas partie à l'instance, ni n'avait été informée de celle-ci ; que par suite, le tribunal administratif ne pouvait arbitrairement borner la période de réparation du préjudice né de sa perte de loyers à la date de notification à un tiers de ce jugement ;

- que cette instance était issue d'un recours en réparation intenté par la société Total Caraïbes et non d'un recours en annulation ; qu'elle a combattu, devant le juge judiciaire, la position de son cocontractant selon lequel le retrait de ce permis constituait un évènement de force majeure l'empêchant totalement de poursuivre la relation contractuelle ; qu'il ne saurait valablement lui être reproché l'inertie contentieuse de la société Total Caraïbes alors que la Cour de cassation a estimé que l'arrêté de suspension des travaux et le retrait litigieux du permis de construire étaient des évènements insurmontables, quels que soient les recours possibles, contraignant la société locataire à cesser les travaux ;

- que les mesures imprévisibles d'une personne publique affectant les conditions déterminantes d'un contrat causent un préjudice que cette personne publique doit réparer ; que le retrait fautif par la commune du Lamentin du permis de construire, qui était une condition d'existence du bail, a causé la résiliation de celui-ci lui occasionnant ainsi un préjudice ;

- que ce préjudice est constitué de la perte des loyers escomptés soit, après déduction des 70 000 euros versés par la société Total Caraïbes, une somme de 1 883 000 euros TTC et, en vertu de l'article L. 251-1 et 2 du code de la construction et de l'habitation, de la perte de la valeur des bâtiments qui auraient dû être construits, soit une somme de 1 440 000 euros hors taxes ;

- que l'absence de réparation de ce préjudice provoquerait une rupture d'égalité devant les charges publiques en méconnaissance de l'article 13 de la Déclaration des droits de l'homme et des citoyens ; qu'il en résulterait un système d'irresponsabilité fondé sur un renvoi de l'ordre judiciaire vers l'ordre administratif dès lors que ces deux ordres juridictionnels auraient des conceptions différentes des fautes de nature à préjudicier à la victime finale d'une décision administrative ;

Vu le mémoire, enregistré le 10 janvier 2013, présenté par la commune du Lamentin, par Me de Faÿ, avocat ;

La commune du Lamentin conclut :

- au rejet de la requête ;

- par la voie de l'appel incident, à l'annulation du jugement n° 1101198 du 29 juin 2012 en tant que le tribunal administratif de Fort-de-France a engagé sa responsabilité ;

- à titre subsidiaire, à la confirmation du jugement en ce qu'il a circonscrit la période d'indemnisation entre le 7 novembre 2008 et le 29 avril 2011 ;

- à la mise à la charge de la SCI Lou d'une somme de 10 000 euros au titre de l'article L.761-1 du code de justice administrative ;

Elle soutient :

- que la requête est irrecevable en vertu de l'article R.411-2 du code de justice administrative, faute pour la SCI Lou d'avoir justifié s'être acquittée de la contribution pour l'aide juridique ;

- qu'il n'existe qu'un lien indirect entre la faute imputable à l'administration et le préjudice de la société dès lors que celui-ci trouve son origine dans les stipulations d'un contrat de droit privé et nonobstant la faute commise par l'administration ; que c'est la résiliation judiciaire du contrat qui a mis un terme à la possibilité pour la société requérante de percevoir des loyers ; que c'est bien la SCI Lou qui a saisi la juridiction judiciaire, et poursuivi la procédure jusqu'en cassation pour obtenir des indemnités de la société Total Caraïbes ;

- que cette société justifiait d'un intérêt, en sa qualité de propriétaire du terrain d'assiette du projet en litige, à demander l'abrogation de l'arrêté retirant le permis de construire, son annulation et sa suspension, ce qu'elle n'a pas fait ; que la circonstance que la société Total Caraïbes s'en soit également abstenue peut utilement être invoquée par la commune pour soutenir que sa responsabilité n'est pas engagée ;

- que ni la perte des loyers, ni celle de la construction d'un bâtiment ne constituent un préjudice certain ; que la société n'établit pas que l'activité de la station aurait perduré durant toute la durée du bail alors que ce secteur économique est instable, connaît des hausses de prix et une concurrence accrue ; qu'il n'est pas établi qu'en 2036, les bâtiments construits seraient encore en bon état et qu'ils auraient pu être cédés au meilleur prix ; que les modalités de calculs ne permettent pas de présager la valeur des bâtiments à l'issue du bail ;

- que c'est à bon droit que le tribunal a circonscrit la durée d'indemnisation de l'appelante à la période comprise entre le 7 novembre 2008 et le 29 avril 2011, date de la notification du jugement opposant la ville à la société Total Caraïbes ; que la requête introductive d'instance présentée par la SCI Lou et enregistrée le 13 décembre 2011 révèle qu'elle a été informée du jugement rendu par le tribunal administratif le 30 mars 2011 ; qu'en tout état de cause, la période d'indemnisation ne saurait aller au-delà du 14 août 2012, date à laquelle la société Sodisbouf a présenté une déclaration de travaux sur le terrain en litige, sur lequel elle exploite désormais un établissement de restauration rapide ;

Vu le jugement attaqué ;

Vu l'ordonnance du 15 janvier 2013 reportant la date de la clôture de l'instruction au 20 février 2013 ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code de l'urbanisme ;

Vu le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 4 avril 2013 :

- le rapport de Mme Sabrina Ladoire, conseiller ;

- et les conclusions de Mme Christine Mège, rapporteur public ;

1. Considérant que la SCI Lou et la société Total Caraïbes ont conclu, le 7 juillet 2006, un bail à construction aux termes duquel la société Total Caraïbes s'est engagée à édifier, sur un terrain appartenant à la SCI Lou et sis rue du Trou au chat dans le quartier de Bas Mission sur le territoire de la commune du Lamentin, en Martinique, une construction destinée à l'exploitation d'une station service et d'autres commerces ; que ce bail était conclu à la condition, pour la société Total Caraïbes, de se voir délivrer le permis de construire ; que ce permis lui ayant été accordé le 7 mars 2007, la société Total Caraïbes a entrepris les travaux de construction de cette station-service ; que cependant, par arrêté du 7 décembre 2007, le maire a prononcé la suspension des travaux, durant l'instruction par les services de l'Etat d'une demande d'augmentation de la capacité des cuves, en raison du " climat d'inquiétude grandissante dans le quartier " et de l'opposition de certains habitants à ce projet ; que par arrêté du 7 novembre 2008, le maire du Lamentin a finalement retiré le permis de construire qu'il avait délivré ; que la SCI Lou a, par lettre du 29 juin 2011, sollicité, auprès de la commune du Lamentin la réparation de ses préjudices consécutifs à la résiliation judiciaire pour force majeure du bail à construction qu'elle avait conclu avec la société Total Caraïbes, confirmée par décision de la Cour de cassation du 1er juin 2011 ; que sa demande indemnitaire a été rejetée par une décision du 13 octobre 2011 ; que la SCI Lou relève appel du jugement n° 1101198 du 29 juin 2012 en tant que le tribunal administratif de Fort-de-France a limité à la somme de 148 062 euros la condamnation de la commune du Lamentin en réparation de son préjudice alors qu'elle avait chiffré celui-ci à la somme de 3 323 000 euros ; que la commune du Lamentin conteste, par la voie de conclusions incidentes, l'existence du lien de causalité entre le retrait du permis de construire qu'elle avait accordé à la société Total Caraïbes et les préjudices subis par la SCI Lou ;

Sur la recevabilité de l'appel :

2. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que la SCI Lou s'est acquittée, lors de l'introduction de sa requête, de la contribution pour l'aide juridique prévue à l'article 1635 bis Q du code général des impôts ; que, par suite, la fin de non recevoir invoquée à ce titre doit être rejetée ;

Sur la responsabilité de la commune du Lamentin :

3. Considérant en premier lieu, qu'aux termes de l'article L. 424-5 du code de l'urbanisme dans sa rédaction issue de la loi n° 2006-872 du 13 juillet 2006 : " Le permis de construire, d'aménager ou de démolir, tacite ou explicite, ne peut être retiré que s'il est illégal et dans le délai de trois mois suivant la date de cette décision. Passé ce délai, le permis ne peut être retiré que sur demande explicite de son bénéficiaire " ; qu'il est constant que le maire de Lamentin a procédé au retrait du permis délivré le 7 mars 2007 pour la construction d'une station-service par arrêté du 7 novembre 2008, soit plus d'un an et demi après son édiction ; que par suite c'est à juste titre que les premiers juges ont retenu que ce retrait, intervenu tardivement, était illégal ; qu'est à cet égard en tout état de cause sans incidence la circonstance que le permis de construire en question, retiré à une date où il était devenu définitif, aurait été entaché d'illégalité ;

4. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la commune du Lamentin n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Fort-de-France a estimé que le retrait de l'autorisation de construire accordée à la société Total Caraïbes constituait une faute de nature à engager sa responsabilité ;

Sur le lien de causalité et les préjudices :

5. Considérant que la faute commise par la commune n'ouvre droit à indemnité que dans la mesure où il est justifié de préjudices en lien direct avec l'illégalité fautive, actuels et certains ;

6. Considérant en premier lieu, que la commune du Lamentin fait valoir, dans son appel incident, que le préjudice de la SCI Lou résulte de la résiliation du bail et des conditions dans lesquelles elle a été prononcée par la juridiction judiciaire, et qu'ainsi ce préjudice ne procède qu'indirectement du retrait du permis de construire ; qu'il résulte de l'instruction que le tribunal de grande instance de Fort-de-France, saisi par la SCI Lou d'une demande de résiliation pour faute de son cocontractant à avoir suspendu le paiement des loyers, l'en a déboutée le 27 janvier 2009 en faisant droit à la demande reconventionnelle de la société Total Caraïbes de résiliation du bail pour force majeure du fait du retrait du permis de construire ; que la cour d'appel de Fort-de-France a confirmé cette décision ; que dans son arrêt du 1er juin 2011, la Cour de cassation a estimé " qu'ayant pu retenir que l'interruption des travaux puis le retrait du permis de construire constituaient des événements insurmontables s'agissant de décisions administratives s'imposant immédiatement quels que soient les recours possibles et contraignant la société locataire à interrompre sur le champ puis à cesser les travaux, la cour d'appel, qui n'était pas tenue d'apprécier le mérite d'un éventuel recours devant les juridictions administratives, a pu en déduire que l'impossibilité d'exécuter le contrat caractérisait la force majeure et décider que devait être prononcée pour ce motif la résiliation du contrat à compter de l'arrêté d'annulation " ; que cette décision ne saurait, en l'absence d'identité de cause, d'objet et de parties avec le présent litige, comporter aucune appréciation qui s'impose à la juridiction administrative, seule compétente pour se prononcer sur les actions en responsabilité dirigées contre une collectivité publique ; que, par suite, cette décision ne fait pas obstacle à ce que soit remise en cause devant la juridiction administrative l'appréciation portée sur le caractère irrésistible des décisions prises par le maire du Lamentin ;

7. Considérant en deuxième lieu, que la société Total Caraïbes s'est abstenue de mettre en oeuvre les recours effectifs dont elle disposait pour solliciter la suspension et l'annulation du retrait de permis de construire, qui lui auraient permis d'obtenir satisfaction au regard du motif d'illégalité précédemment rappelé, et a préféré s'engager dans la négociation d'une transaction ou d'un échange de parcelles avec la commune, qui n'a pu aboutir ; que cette circonstance fait obstacle à ce que le préjudice invoqué par la SCI Lou puisse être regardé comme en lien direct avec l'illégalité du retrait du permis de construire, sans qu'il soit besoin de s'interroger sur la capacité du bailleur à saisir lui-même la juridiction administrative pour demander l'annulation du retrait du permis de construire accordé à son locataire ; que, par suite, la commune du Lamentin est fondée à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif a retenu que constituaient un préjudice résultant directement du comportement fautif de la commune, les loyers non perçus entre le 7 novembre 2008, date du retrait du permis de construire et d'effet de la résiliation judiciaire, et le 29 avril 2011, date à laquelle a été notifié, au demeurant seulement à la société Total Caraïbes, le jugement du tribunal administratif constatant, sur le recours indemnitaire de celle-ci, l'illégalité du retrait de permis de construire ;

8. Considérant en troisième lieu, qu'il résulte de ce qui précède que les conclusions de l'appel principal de la SCI Lou tendant à la majoration des sommes qui lui ont été allouées ne peuvent en tout état de cause qu'être rejetées ;

En ce qui concerne l'application des dispositions de l'article L.761-1 du code de justice administrative :

9. Considérant qu'il n'y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit à aucune des conclusions des parties présentées au titre de ces dispositions ;

DECIDE :

Article 1er : Le jugement n° 1101198 du 29 juin 2012 du tribunal administratif de Fort-de-France est annulé.

Article 2 : La demande de la SCI Lou et le surplus de ses conclusions d'appel sont rejetés.

Article 3 : Les conclusions de la commune de Fort-de-France au titre de l'article L.761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la SCI Lou et à la commune de Lamentin.

Délibéré après l'audience du 4 avril 2013 à laquelle siégeaient :

Mme Catherine Girault, président,

M. Didier Péano, président-assesseur,

Mme Sabrina Ladoire, conseiller.

Lu en audience publique, le 16 mai 2013.

Le rapporteur,

Sabrina LADOIRELe président,

Catherine GIRAULTLe greffier,

Florence FAURE

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

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No 12BX02550


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de
Formation : 1ère chambre - formation à 3
Numéro d'arrêt : 12BX02550
Date de la décision : 16/05/2013
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

Responsabilité de la puissance publique - Réparation - Préjudice - Caractère direct du préjudice - Absence.

Urbanisme et aménagement du territoire - Permis de construire - Régime d'utilisation du permis - Retrait du permis.

Urbanisme et aménagement du territoire - Permis de construire - Contentieux de la responsabilité (voir : Responsabilité de la puissance publique).


Composition du Tribunal
Président : Mme GIRAULT
Rapporteur ?: Mme Sabrina LADOIRE
Rapporteur public ?: Mme MEGE
Avocat(s) : SENART

Origine de la décision
Date de l'import : 02/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.de;arret;2013-05-16;12bx02550 ?
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