LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
Statuant sur les pourvois formés par :
- Le Syndicat des casinos modernes de France,- M. Jonathan X..., parties civiles,
contre l'arrêt de la cour d'appel de VERSAILLES, 9e chambre, en date du 5 juillet 2012, qui, dans la procédure suivie contre la société La Française des jeux et M. Christophe Y... des chefs d'organisation de loterie prohibée et de participation à la tenue d'une maison de jeu de hasard, a déclaré irrecevable leur action civile ;
Joignant les pourvois en raison de la connexité ;
Vu le mémoire commun aux demandeurs et le mémoire en défense produits ;
Sur la recevabilité des pourvois contestée en défense :
Attendu que les pourvois, formés par un avocat inscrit au barreau de Paris et qui avait assisté les prévenus devant le tribunal correctionnel de Nanterre dans l'instance ayant donné lieu à l'arrêt attaqué, est recevable par application des articles 576 du code de procédure pénale et 1er, III, de la loi n° 71-1130, du 31 décembre 1971;
Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 460, 513, 591 et 593 du code de procédure pénale, 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
"en ce que l'arrêt attaqué constate qu'à l'audience des débats du 21 juin 2012, a été entendu Me Le Fur, avocat, en sa plaidoirie pour M. Y..., lequel a eu la parole en dernier ;
"alors que devant la cour d'appel, saisie du seul appel de la partie civile, la partie civile appelante doit avoir la parole en dernier ; que, dès lors, en donnant la parole en dernier à l'avocat de M. Y..., intimé sur l'appel des parties civiles demanderesses, la cour d'appel a méconnu les règles du procès équitable et violé l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme" ;
Attendu que les demandeurs ne sauraient se prévaloir de l'inobservation de l'ordre de parole prévu à l'article 513 du code de procédure pénale, dès lors que seule est prescrite à peine de nullité l'audition en dernier du prévenu ou de son avocat ;
Sur le second moyen de cassation, pris de la violation des articles L. 2132-3 du code du travail, 1 à 4 de la loi du 21 mai 1836, 1er de la loi du 12 juillet 1983, 2, 3, 427, 485, 512, 591 et 593 du code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;
"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré irrecevable l'action civile de la société Française des jeux et de M. X... ;
"aux motifs que, selon les parties, la SA Francaise des jeux et son président, M. Y..., auraient violé le principe d'interdiction des loteries issues des dispositions de la loi du 21 mai 1836 limitativement autorisé par l'article 136 de la loi du 31 mai 1933, en ce qu'ils auraient diffusé une offre de paris sportifs en dehors de tout cadre légal ; qu'il résulte des dispositions de l'article L. 4111-11 du code du travail que « les syndicats professionnels, comme les simples particuliers lésés par une infraction peuvent porter leur action civile soit devant un tribunal civil, soit devant un tribunal répressif, par voie de citation directe (¿), toutes les fois que l'infraction a porté atteinte, même indirectement, à l'intérêt collectif de la profession qu'il représente » ; qu'en l'espèce, il apparaît que le SCMF est en charge de la défense des intérêts de la profession qui, selon lui, subirait un préjudice du fait de l'activité illégale de la société Française des jeux, et en particulier des jeux sur internet de toutes sortes, qui concurrenceraient les jeux de casino, notamment du fait de l'interdiction de fumer qui a été instaurée en janvier 2008 dans les casinos ; que, par ailleurs, le Syndicat des casinos modernes de France a, selon ses statuts, pour objet, par tout moyen, l'étude et la défense des intérêts économiques matériels et moraux de ses membres ; qu'il apparaît donc que ses membres sont des personnes morales titulaires d'une autorisation d'exploitation de casino ; que le syndicat mentionne qu'une part très importante des joueurs de casino peut désormais jouer sur internet plutôt que dans les casinos et que la substituabilité des jeux de hasard pur et les jeux de pronostics sur internet serait incontestable ; qu'enfin, M. X... se décrit lui-même comme un amateur de football, de sport en général, ayant ouvert un compte auprès de la société Française des jeux et ayant joué sur son site « Parions web » courant avril 2010 ; qu'en ce qui concerne la société Française des jeux, il apparaît que cette dernière a pour principales activités l'organisation et la gestion de loterie de jeux d'argent y compris sur internet ; qu'elle bénéficie d'un monopole légal pour organiser et gérer des loteries de jeux d'argent, par dérogation à la loi du 21 mai 1836 portant prohibition des loteries ; que peu à peu, cette société a diversifié ses produits de loterie, en renouvelant ses jeux, lesquels sont de deux sortes : des jeux de tirage en temps réel et, d'autre part, des jeux de grattage ; qu'elle organise également des jeux de pronostics sportifs, autorisés par l'article 42 de la loi de finances pour 1985 ; que les paris sportifs sont organisés, d'une part, par une vente directe et, d'autre part, par une offre de paris en ligne « Parions Web », développée dans le cadre du décret n° 85-390 du 1er avril 1985, modifié par le décret n° 2009-998 du 24 août 2009 ; qu'il est manifeste que l'action du syndicat repose sur l'hypothèse que, d'une part, la société Française des jeux et les casinos interviendraient sur le même marché et s'adresseraient à une même clientèle et que, d'autre part, ils auraient des produits substituables ; que, dès lors, la violation par la société Française des jeux des dispositions relatives aux loteries et pronostics sportifs aurait selon le syndicat des casinos des conséquences sur l'activité de ces derniers ; que cependant, en premier lieu, les opérateurs intervenant sur ces marchés sont régis par des dispositions législatives et réglementaires distinctes ; qu'en second lieu, les offres de jeux proposées par la Française des jeux et les casinos sont différentes, puisque les jeux de casino appartiennent à la catégorie des jeux dits de hasard pur et que les paris sportifs sont considérés comme des jeux de hasard partiellement maîtrisés ; que cette différence résulte du fait que dans les jeux de hasard partiellement maîtrisé, les connaissances des joueurs interviennent en plus du seul hasard ; que dans ces conditions, ces différents types de jeu obéissent à des principes manifestement différents ; qu'on ne saurait également soutenir que la clientèle de la société Française des jeux et des casinos est identique ; qu'en effet, les casinos proposent leurs jeux en des lieux limités sur le territoire français ainsi qu'à l'intérieur d'une maison de jeu alors que les jeux de la Française des jeux sont distribués sur l'ensemble du territoire par de nombreux commerces ; qu'ils sont également disponibles sur internet alors que les jeux de casino ne sont pas autorisés en ligne ; que les casinos et la Française des jeux ne sont donc pas en situation de concurrence et ce encore moins en ce qui concerne les paris sportifs ; que la jurisprudence, en la matière, tant de la Cour de cassation que du Conseil de la concurrence, corrobore cette analyse ; que les casinos et la SA Française des jeux opèrent donc sur des marchés totalement distincts ; que c'est, dès lors, à bon droit que le tribunal de grande instance de Nanterre a retenu qu'en l'espèce, le syndicat des casinos modernes de France qui fondait son argumentation sur l'affirmation qu'une part importante de gens de casino joue désormais sur internet plutôt que dans les casinos peuvent jouer sur internet aux pronostics sportifs de la même façon qu'un jeu de hasard pur, ne produisait aucun élément permettant d'établir le bien-fondé d'une telle affirmation et qu'à l'inverse des pièces produites par la société Française des jeux faisaient apparaître que les produits proposés par celle-ci sont différents et ne sont pas substituables entre eux et qu'ainsi leur clientèle respective est très différente ; que les premiers juges en ont donc justement déduit que le syndicat des casinos modernes de France ne démontrait pas que les faits dénoncés portaient atteinte aux intérêts collectifs qu'il défend et que l'atteinte à l'image des opérateurs de jeux français invoquée par le syndicat relevait de l'intérêt général dont la défense incombe au seul ministère public ; que l'absence d'intérêt à agir du syndicat des casinos moderne de France est ainsi manifeste et le jugement doit être confirmé quant à l'irrecevabilité prononcée ; que, s'agissant de l'action de M. X..., celui-ci indique avoir constaté par la lecture des textes que la loi française ne serait pas respectée par la Française des Jeux dans la mesure où cette société devait garantir la régularité et qu'en l'espèce, il aurait été trompé, son consentement au contrat de jeux ayant été vicié ; que ce dernier demande, en conséquence, la réparation du préjudice matériel et moral pour le dol que la Française des jeux lui aurait causé ; que son action s'inscrit toutefois dans le cadre de l'article 2 du code de procédure pénale qui exige un lien direct entre le préjudice souffert et l'infraction alléguée ; qu'en l'espèce, il n'apparaît pas que les actes illicites imputés à la société Française des jeux pourraient avoir directement causé un quelconque préjudice à M. X... ; qu'en outre, ce dernier allègue un préjudice sans en expliciter ni l'étendue ni le lien de causalité avec l'infraction reprochée ; que comme l'a justement relevé le tribunal de Nanterre, rien n'obligeait celui-ci à participer à des jeux de paris proposés sur internet par la SA Française des jeux ; que, dès lors, le jugement qui a déclaré l'action de M. X... irrecevable pour défaut d'intérêt, en l'absence de lien direct et personnel, actuel et certain, doit être confirmé ;
"1°) alors qu'en se bornant à énoncer que les offres de jeux respectivement proposées par la société La Française des jeux et ceux des casinos sont différentes, dès lors que les jeux de casino appartiennent à la catégorie des jeux de hasard pur, tandis que les paris sportifs sont considérés comme des jeux de hasard partiellement maîtrisé, pour en déduire que les casinos et la société La Française des jeux ne sont pas en situation de concurrence et qu'ainsi le syndicat exposant est dépourvu d'intérêt à agir du chef d'organisation d'une loterie prohibée, sans répondre au chef péremptoire des conclusions d'appel de la partie civile, qui faisait valoir que la substituabilité, au moins partielle, des jeux de hasard pur et des jeux de pronostics était incontestable, dès lors qu'en réalité de nombreux parieurs se livrant à des pronostics sportifs s'en remettent purement et simplement au hasard, sans chercher à améliorer leurs chances de gains par une quelconque expertise, de sorte que l'activité « Parions web » développée illégalement par la société La Française des jeux était nécessairement de nature à porter un préjudice direct ou indirect à l'intérêt collectif de la profession que l'exposant représente, la cour d'appel a violé l'article 593 du code de procédure pénale ;
"2°) alors que dans leurs conclusions d'appel, les parties civiles ont expressément fait valoir qu'indépendamment de l'existence d'une substituabilité existant entre les jeux de hasard pur et les jeux de pronostics, l'exploitation, par la société La Française des jeux, d'un nouveau jeu de paris en ligne était nécessairement de nature à détourner au moins partiellement la clientèle potentielle des casinos, dès lors d'une part que les joueurs sont souvent adeptes en même temps de plusieurs types de jeux et distribuent leurs ressources disponibles entre les différentes offres sur le marché, de sorte que les mises de sommes d'argent opérées sur le site litigieux, dénoncé comme illégal, s'effectuaient, au moins en partie, au détriment de mises opérées dans les jeux de hasard des casinos, d'autre part que cette captation de la clientèle potentielle des clients de casinos était encore renforcée par la dénomination donnée par la Française des jeux à certains de ses jeux de hasard, tels que banco, black jack, vegas, poker d'as, évoquant les jeux des casinos, enfin du fait de l'interdiction de fumer à l'intérieur des casinos, incitant les fumeurs à demeurer à leur domicile pour jouer ; que, dès lors, en se bornant à énoncer, par une formule lapidaire, que la clientèle de la société Française des jeux et celle des casinos ne sont pas identiques, sans répondre à ce chef péremptoire des conclusions d'appel des parties civiles, de nature à démontrer l'existence d'un intérêt à agir sur le fondement de l'article 2 du code de procédure pénale, la cour d'appel a violé l'article 593 du même code" ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué que le Syndicat des casinos modernes de France et M. X... ont fait citer La Française des jeux et son directeur, M. Christophe Y..., devant le tribunal correctionnel pour avoir créé illégalement un site internet permettant de parier sur les résultats des événements sportifs ;
Attendu que, pour juger cette action irrecevable, faute d'intérêt à agir, l'arrêt prononce par les motifs repris au moyen ;
Attendu qu'en cet état, la cour d'appel, qui a répondu comme elle le devait aux chefs péremptoires des conclusions des parties, a justifié sa décision ;
D'où il suit que le moyen, qui se borne à remettre en question l'appréciation souveraine, par les juges du fond, des faits et circonstances de la cause, ainsi que des éléments de preuve contradictoirement débattus, ne saurait être admis ;
Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;
REJETTE les pourvois ;
FIXE à 3 000 euros la somme globale que le Syndicat des casinos modernes de France et M. X... devront payer à la société La Française des jeux et à M. Y... au titre de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;
Ainsi jugé et prononcé par la Cour de cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;
Etaient présents aux débats et au délibéré, dans la formation prévue à l'article 567-1-1 du code de procédure pénale : M. Louvel président, M. Soulard conseiller rapporteur, M. Dulin conseiller de la chambre ;
Greffier de chambre : Mme Randouin ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;