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05/07/2012 | FRANCE | N°11/02826

France | France, Cour d'appel de Versailles, 1ère chambre 1ère section, 05 juillet 2012, 11/02826


COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES





Code nac : 63B



1ère chambre 1ère section



ARRET N°



CONTRADICTOIRE



DU 05 JUILLET 2012



R.G. N° 11/02826



AFFAIRE :



SCP CHARLES SIRAT ET AUTRES





C/







M° [I]-[P] Prise en qualité de liquidateur à la liquidation judiciaire de la SARL ENTREPOTS KOLD STAR

...













Décision déférée à la cour :

Jugement du TG

I de PARIS, 1ère chambre 1ère section du 11 avril 2002

N° RG : 01/00997











Expéditions exécutoires

Expéditions

Copies

délivrées le :

à :



SCP BOMMART MINAULT





M° E. JULLIEN









REPUBLIQUE FRANCAISE



AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS







LE CINQ J...

COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 63B

1ère chambre 1ère section

ARRET N°

CONTRADICTOIRE

DU 05 JUILLET 2012

R.G. N° 11/02826

AFFAIRE :

SCP CHARLES SIRAT ET AUTRES

C/

M° [I]-[P] Prise en qualité de liquidateur à la liquidation judiciaire de la SARL ENTREPOTS KOLD STAR

...

Décision déférée à la cour :

Jugement du TGI de PARIS, 1ère chambre 1ère section du 11 avril 2002

N° RG : 01/00997

Expéditions exécutoires

Expéditions

Copies

délivrées le :

à :

SCP BOMMART MINAULT

M° E. JULLIEN

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LE CINQ JUILLET DEUX MILLE DOUZE,

La cour d'appel de VERSAILLES, a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :

DEMANDERESSE devant la cour d'appel de Versailles saisie comme cour de renvoi, en exécution d'un arrêt de la Cour de cassation (Première chambre civile) du 17 février 2011 cassant et annulant l'arrêt rendu par la cour d'appel de Paris (1ère chambre Section A) le 28 octobre 2008 sur appel du jugement rendu le 11 avril 2002 par le tribunal de grande instance de Paris (1ère chambre 1ère section)

SCP d'avocats CHARLES SIRAT ET AUTRES

ayant son siège social [Adresse 1]

[Adresse 1]

prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège.

assistée de la SCP BOMMART-MINAULT, agissant par maitre Laurent BOMMART, avocat au barreau de VERSAILLES - N° du dossier 00039638,

Plaidant par Me Jean-Pierre CORDELIER, avocat au barreau de PARIS

****************

DEFENDERESSE DEVANT LA COUR DE RENVOI

Maître [V] [I]-[P]

mandataire de justice

[Adresse 2]

[Adresse 2]

agissant en sa qualité de mandataire liquidateur de la Société entrepôts KOLD STAR, désignée par jugement du tribunal de commerce de Paris en date du 11 février 2011

rep/assistant : Me Emmanuel JULLIEN, AARPI JRF avocats au barreau de VERSAILLES - N° du dossier 20111045

Plaidant par Michel DUTILLEUL-FRANCOEUR, avocat au barreau de PARIS

****************

Composition de la cour :

En application des dispositions de l'article 786 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 31 Mai 2012, les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Madame Marie-Gabrielle MAGUEUR, président chargé du rapport et Madame Dominique LONNE, conseiller.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Marie-Gabrielle MAGUEUR, président,

Madame Dominique LONNE, conseiller,

Madame Claire DESPLAN, conseiller,

qui en ont délibéré,

Greffier, lors des débats : Madame Sylvie RENOULT

Vu le jugement rendu le 11 avril 2002 par le tribunal de grande instance de Paris qui a condamné la SCP JEAN-PAUL GILLI CHARLES SIRAT à payer à la société KOLD STAR la somme de 450.000 € à titre de dommages-intérêts, rejeté toute autre demande, condamné la SCP JEAN-PAUL GILLI CHARLES SIRAT aux dépens ainsi qu'à payer à la société KOLD STAR la somme de 1.600 € en application de l'article 700 du Code de procédure civile ;

Vu l'arrêt rendu le 10 novembre 2003 par la cour d'appel de Paris qui, réformant le jugement précité, a condamné la SCP JEAN-PAUL GILLI CHARLES SIRAT à payer à la société KOLD STAR la somme de 15.250 € à titre de dommages-intérêts ;

Vu l'arrêt rendu le 28 octobre 2008 par lequel la cour d'appel de Paris, sur renvoi après cassation en toutes ses dispositions de l'arrêt du 10 novembre 2003, infirmant le jugement déféré, a rejeté l'intégralité des demandes présentées par la SARL KOLD STAR et condamné la SARL KOLD STAR aux dépens ;

Vu l'arrêt du 17 février 2011 par lequel la Cour de cassation a cassé et annulé dans toutes ses dispositions l'arrêt rendu le 28 octobre 2008 entre les parties par la cour d'appel de Paris, remis la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et les a renvoyées devant la cour d'appel de Versailles ;

Vu la déclaration de saisine de la cour après renvoi déposée le 8 avril 2011 par la SCP Charles SIRAT et autres ;

Vu les dernières conclusions signifiées le 27 avril 2012 par lesquelles la SCP Charles Sirat et autres, appelante, poursuivant l'infirmation du jugement entrepris, au terme d'une série de «dire et juger» et «constater» qui ne constituent pas des prétentions au sens de l'article 4 du Code de procédure civile, prie la cour, de débouter Maître [I], ès-qualités de mandataire liquidateur de la société KOLD STAR, de toutes ses demandes, fins et conclusions et de la condamner, ès-qualités, aux entiers dépens ainsi qu'au paiement de la somme de 25.000 € sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, fût-ce à titre symbolique en raison de l'insolvabilité habilement organisée par la société en état de liquidation judiciaire ;

Vu les dernières écritures signifiées le 3 mai 2012 par lesquelles Maître [V] [I]-[P], agissant en qualité de mandataire liquidateur à la liquidation judiciaire de la société Entrepôts KOLD STAR, conclut à la confirmation du jugement déféré en ce qu'il a retenu les fautes et la responsabilité de la SCP GILLI-SIRAT et prie la cour de l'infirmer pour le surplus, statuant à nouveau, de condamner la SCP Charles SIRAT et autres, outre aux entiers dépens, à payer les sommes de :

- 1.535.673 € au titre de la perte de valeur d'actif avec intérêts de droit à compter du jour du présent arrêt,

- 1.750.562 € au titre de la perte de rentabilité, avec intérêts de droit à compter du jour de l'arrêt à intervenir,

- 1.219.592,14 € au titre de la perte des filiales de la société KOLD STAR, et ce, avec intérêts de droit à compter du 1er janvier 1990,

- 11.960 € au titre des sommes indûment exposées au titre des frais et de la clause pénale, avec intérêts de droit à compter de la présente décision,

- 159.476,99 € TTC au titre des honoraires et frais injustifiés exposés par la société KOLD STAR, avec intérêts de droit à compter du jour du prononcé de cet arrêt,

- 5.000 € au titre des sommes réglées pour la clause pénale,

- 50.000 € sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

Vu l'ordonnance de clôture du 10 mai 2012 ;

Vu les conclusions signifiées le 14 mai 2012 par lesquelles la SCP Charles SIRAT et autres demande à la cour de rejeter les écritures signifiées le 3 mai 2012 par Maître [I] [P] és qualités ;

Vu les écritures en réplique signifiées le 24 mai 2012 aux termes desquelles Maître [I]-[P] en sa qualité de mandataire liquidateur à la liquidation judiciaire de la SARL Entrepôts KOLD STAR, conclut au rejet de la demande de rejet ;

SUR QUOI, LA COUR

Sur la procédure

Considérant que, pour conclure au rejet des écritures signifiées le 3 mai 2012 par Maître [I]-[P], la SCP Charles SIRAT soutient qu'elles modifient sensiblement son argumentation et qu'elle n'a pu y répliquer avant le prononcé de l'ordonnance de clôture ;

Mais considérant que les écritures incriminées répliquent aux conclusions signifiées le 27 avril 2012 par la SCP Charles SIRAT sans développer de moyen nouveau de fait ou de droit qui n'était pas contenu dans les écritures précédentes ; que Maître [I]-[P] relève, à juste titre, qu'elle ne pouvait se dispenser de répondre aux nouveaux arguments exposés par la SCP Charles SIRAT dans les conclusions du 3 mai 2012 et de s'expliquer sur la pièce nouvelle communiquée le même jour ;

Que la SCP SIRAT qui ne précise pas en quoi il aurait été porté atteinte au principe de la contradiction, sera donc déboutée de sa demande de rejet des conclusions signifiées le 3 mai 2012 ;

Sur le fond

Considérant que la société KOLD STAR a acquis en 1986 le fonds de commerce d'achat et de distribution de produits surgelés en provenance d'Asie de la société COPROMER ; qu'en 1987, elle a repris les locaux de cette société sis à [Adresse 8], en obtenant le transfert à son profit du contrat de crédit bail immobilier que celle-ci avait conclu avec la société EUROBAIL-SICOMI ;

Qu'en 1989, la société KOLD STAR désirant obtenir un financement à long terme de sa banque, la société PARIBAS, a décidé de mettre en vente l'ensemble immobilier dans lequel elle exerce son activité ; qu'elle expose avoir mis en place une opération de crédit-bail dite de lease-back, par laquelle la société PARICOMI, filiale de PARIBAS, devenait propriétaire de l'immeuble pour le montant du financement accordé, soit 15 millions de francs, porté à 25 millions de francs, et le louait à la société KOLD STAR pour une durée de 15 ans avec une promesse de vente au terme de la location ; que ce montage imposait que la société EUROBAIL-SICOMI, propriétaire de l'immeuble, permette à la société KOLD STAR de lever de manière anticipée la promesse de vente insérée dans le contrat de crédit-bail et que la société KOLD STAR le rétrocède à la société PARICOMI ;

Que c'est ainsi que la société KOLD STAR a, le 17 novembre 1989, déposé une déclaration d'intention d'aliéner ce bien pour le prix de 25.000.000 FF convenu avec l'acquéreur (soit 3.811.225,43 €) ;

Que la Ville de Paris ayant décidé d'exercer son droit de préemption et offert la somme de 10.250.000 FF (soit 1.562.602,43 €), la société KOLD STAR a confié la défense de ses intérêts à la SCP JEAN-PAUL GILLI-CHARLES SIRAT ;

Que par jugement du 8 octobre 1990, le juge de l'expropriation du tribunal de grande instance de Paris a fixé à 18.131.000 F, le montant de l'indemnité de dépossession ; que ce prix est porté à 23.000.000 FF (soit 3.506.327,40 €) par arrêt de la cour d'appel de Paris du 6 décembre 1991 ;

Que la société KOLD STAR s'étant inquiétée auprès de son avocat de la volonté, exprimée par la Ville de Paris, de voir mentionner dans le projet d'acte de cession, que le prix devait s'entendre comme celui correspondant à la valeur du bien libre de toute occupation et exclusif de tout préjudice commercial, la SCP GILLI-SIRAT a saisi d'une demande d'interprétation la chambre des expropriations de la cour d'appel qui, par arrêt du 23 juillet 1992, a dit que l'indemnité de 23.000.000 FF (soit 3.506.327,40 €) avait été fixée «compte tenu de l'occupation commerciale qui y était exercée par la société KOLD STAR, propriétaire exploitant, à l'exclusion de tout autre préjudice éventuel» ;

Que la Ville de Paris s'est pourvue en cassation contre cet arrêt,

Que, sans attendre les résultats de ce pourvoi, l'acte de cession a été régularisé le 30 octobre 1992 et, sur sommation du 18 mars 1993, la société KOLD STAR a libéré les lieux le 5 octobre 1994 ;

Que par arrêt du 1er juillet 1994, sur appel de la Ville de Paris d'un jugement rendu le 22 juin 1993 par le juge de l'expropriation de Paris qui a fixé l'indemnité d'éviction à la somme de 5.943.380 FF (soit 906.062,44 €), la chambre des expropriation de la cour d'appel de Paris a réduit l'indemnité réparatrice du préjudice commercial à la somme de 2.185.000 FF (333.101,10 €) puis accordé une somme complémentaire de 900.000 FF (soit 137.204,12 €) ;

Que statuant sur renvoi après cassation, au visa de l'article L.231-4 du code de l'urbanisme, la cour d'appel de Rouen a, par arrêt du 17 décembre 1996, réformé en toutes ses dispositions le jugement du 22 juin 1993 et débouté la société KOLD STAR de toutes ses demandes ;

Que, par ailleurs, la Cour de cassation avait, par arrêt du 5 avril 1995, rejeté le pourvoi formé contre l'arrêt interprétatif du 3 juillet 1992 au motif que la cour d'appel n'avait pas modifié le dispositif de sa précédente décision en précisant que le prix avait été fixé compte tenu de l'occupation commerciale de l'immeuble ;

Que la société KOLD STAR a, alors saisi la chambre des expropriations de la cour, aux fins de voir rectifier l'erreur matérielle affectant l'arrêt du 6 décembre 1991 et dire que la valeur occupée fixée par cet arrêt doit être convertie en «valeur libre de toute occupation» et de voir le prix porté à la somme de 38.333.333 FF (soit 5.843.878,94 €) ; que la cour d'appel a rejeté cette requête, par arrêt du 14 mai 1998 ;

Qu'ensuite de cette décision, la société KOLD STAR a saisi le juge de l'expropriation d'un mémoire tendant à ce que le prix en valeur libre soit fixé à la somme de 57.500.000 FF (soit 8.765.818,49 €) ; que par jugement du 27 mars 2000, la chambre des expropriations a fixé le prix à la somme de 27.000.000 FF (soit 4.116.123,47 €) ; que ce jugement a été infirmé par arrêt du 22 mars 2001 et a fait l'objet d'un pourvoi qui a été rejeté le 25 septembre 2002 ;

Que c'est dans ces circonstances que la société KOLD STAR a assigné la SCP GILLI-SIRAT pour manquement à son devoir de conseil devant le tribunal de grande instance de Paris, qui par jugement du 11 avril 2002, a retenu l'existence d'une faute du conseil en choisissant délibérément de réclamer uniquement la fixation du prix en valeur occupée, en omettant tant devant le premier juge que devant la cour de faire état d'une valeur libre et du montant de l'abattement à pratiquer sur cette valeur libre pour déterminer le prix de préemption en valeur occupée, et lui a accordé les sommes de 450.000 € compensatrice du préjudice ainsi causé et 1.600 € sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

Que sur appel de ce jugement, la cour d'appel de Paris a, par arrêt du 10 novembre 2003, retenu que la responsabilité de la SCP GILLI-SIRAT se trouvait engagée mais seulement pour avoir entraîné la société KOLD STAR dans des procédures vouées à un échec certain et mis à sa charge une somme de 15.250 € de dommages-intérêts ;

Que sur renvoi après cassation, la cour d'appel de Paris a, par arrêt du 28 octobre 2008, infirmant partiellement le jugement du 11 avril 2002, rejeté l'intégralité des demandes présentées par la société KOLD STAR à l'encontre de la SCP GILLI-SIRAT ;

Que sur le pourvoi formé par la société KOLD STAR, la 1ère chambre civile de la Cour de cassation, par arrêt du 17 février 2011, a cassé et annulé, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 28 octobre 2008, entre les parties, par la cour d'appel de Paris, remis, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et les a renvoyés devant cette cour ;

Que la cour de cassation relève, au visa de l'article 1134 du Code civil, que pour débouter la société KOLD STAR de ses demandes tendant à rechercher la responsabilité de son avocat, la SCP GILLI-SIRAT, pour ne pas avoir soulevé l'irrégularité de la décision de préemption datée du 17 janvier 1990, l'arrêt retient que cette décision fait suite à une déclaration d'intention d'aliéner datée par le notaire rédacteur de l'acte du 17 novembre 1989, soit un vendredi, et qu'elle n'a, à l'évidence, pu être reçue par la Ville de Paris au mieux que le 18 novembre 1989 ; qu'elle décide, qu'en statuant ainsi, la cour d'appel qui a dénaturé par omission la décharge, versée aux débats et visée par les conclusions de la société KOLD STAR, par laquelle la ville de Paris reconnaissait avoir reçu la déclaration le 17 novembre 1989, a violé le texte susvisé ;

Sur la responsabilité professionnelle de la SCP SIRAT

Considérant que Maître [I]-[P], agissant en qualité de liquidateur de la société KOLD STAR, reproche, en premier lieu, à la SCP GILLI-SIRAT, ci-après SCP SIRAT, d'avoir manqué à son devoir de conseil en ne contestant pas la régularité de la préemption exercée par la Ville de Paris ; qu'elle fait valoir, à cet effet, d'une part, que l'opération envisagée, dont son conseil avait connaissance, était une opération de financement, sous la forme d'un crédit-bail immobilier, dit lease-back, et que les immeubles cédés dans le cadre du crédit-bail ne sont pas soumis au droit de préemption, d'autre part, que la préemption était caduque, comme notifié hors du délai légal prévu à l'article L.213-2 du Code de l'urbanisme ; qu'elle ajoute, que la déclaration d'intention d'aliéner n'émanant pas du propriétaire de l'immeuble, elle devait le faire intervenir auprès de la mairie de [Adresse 2] de manière à l'informer de la véritable nature de l'opération financière qui ne rentrait pas dans le cadre de la préemption ;

Que la SCP SIRAT réplique qu'elle n'est pas l'auteur de la déclaration d'intention d'aliéner, qu'elle ne pouvait déceler le montage effectué par la société KOLD STAR ; qu'elle n'a été mandatée en mars 1990, date à laquelle les délais de recours étaient quasiment expirés, par la société KOLD STAR, que pour contester le prix offert par la ville de [Adresse 2] et obtenir une offre plus élevée et non pour s'opposer à la préemption ; qu'elle ajoute que la décision de préemption a été notifiée dans le délai de deux mois de la réception de la déclaration d'intention d'aliéner ;

Mais considérant que la déclaration d'intention d'aliéner- DIA-, datée du 17 novembre 1989, a été établie par [N] [D], gérant de la SARL Entrepôts KOLD STAR, qui précise que le local à usage commercial est occupé par le propriétaire qui a recherché et trouvé un acquéreur, la société PARICOMI, disposé à acheter le bien au prix de 25.000.000 F ; que sous la rubrique «indications complémentaires», il est mentionné que «la présente déclaration est faite sous condition suspensive de l'acquisition par le vendeur des biens ci-dessus» ;

Que cette déclaration a fait l'objet d'un dépôt le 17 novembre 1989 à la direction de la construction et du logement de la mairie de [Adresse 2] ; que par lettre datée du 17 janvier 1990, la mairie de [Adresse 2], rappelant avoir été avisée par envoi reçu le 17 novembre 1989 de l'intention de la société KOLD STAR d'aliéner l'immeuble en cause, a notifié à son représentant légal, M. [D], conformément aux dispositions de l'article R.213-8 du Code de l'urbanisme, l'offre de la ville d'acquérir le bien, tel que défini dans la déclaration, moyennant le prix de 10.250.000 F en valeur libre ;

Qu'il n'est pas contesté que la société KOLD STAR a mandaté la SCP SIRAT courant mars 1990 ; qu'ainsi, par lettre du 16 mars 1990, son conseil s'adressait au maire de [Adresse 2], sous couvert de la direction de la construction et du logement, pour contester la préemption exercée le 17 janvier 1990 en ces termes :

«Je vous rappelle que l'opération envisagée, à savoir la cession de l'ensemble immobilier sis à [Adresse 8] à la société PARICOMI, c'est-à-dire à une SICOMI, avait pour objet exclusif la fourniture d'une trésorerie indispensable à la poursuite de l'activité d'une entreprise qui emploie plus de 60 personnes .
La préemption exercée supprimera purement et simplement une entreprise et mettra au chômage un nombre important de salariés .
C'est la raison pour laquelle j'ose vous demander de reconsidérer votre décision, l'opération envisagée étant strictement financière en ce sens qu'elle est destinée à fournir à ma cliente du crédit à des conditions financières relativement avantageuses .

Enfin et si par extraordinaire, vous deviez maintenir votre décision, la SARL KOLD STAR ne pourrait se situer que dans l'hypothèse de l'article R 213-10 b du Code de l'urbanisme» ;

Considérant que si la DIA qui fixe les conditions de l'aliénation du bien a été établie par la société KOLD STAR, sans l'intervention de la SCP SIRAT, il ressort des termes de la lettre précitée que le mandat qui lui a été confié n'était pas, contrairement à ses allégations, limité à la contestation du prix d'acquisition proposé par la ville de Paris mais avait pour objet principal de tenter de faire échec à la préemption au regard de l'état du droit positif ;

Que par l'indication complémentaire portée sur la DIA, la SCP SIRAT était informée de ce que la société KOLD STAR n'était pas propriétaire des locaux commerciaux qu'elle occupait ; qu'il lui appartenait de s'informer auprès de son client des conditions de son occupation, du contenu des contrats la liant à la société propriétaire et de la teneur de la condition suspensive ; que s'il n'était pas dans son pouvoir de modifier les termes de la DIA qui détermine de manière intangible les conditions de l'aliénation, elle devait attirer l'attention de la ville de [Adresse 2] sur la qualité de crédit preneur de la société KOLD STAR qui, comme elle le souligne à la page 19 § 4 de ses dernières écritures, est incompatible avec la qualité de vendeur ; que Maître [I]-[P] fait valoir, à juste titre, que la ville de [Adresse 2] n'a accepté de conclure la vente qu'une fois le bien litigieux cédé à la société KOLD STAR par la société EUROBAIL ;

Considérant, par ailleurs, qu'il résulte de l'article L.213-2 alinéa 3 du Code de l'urbanisme que le titulaire du droit de préemption dispose d'un délai de deux mois à compter de la réception de la déclaration par l'administration pour notifier son intention d'acquérir ; que la décision de préempter doit être notifiée dans ce délai à son destinataire ;

Qu'en l'espèce, la SCP SIRAT s'est abstenue de soulever la caducité de la préemption alors que la ville de Paris reconnaît, dans la lettre du 17 janvier 1990, ci-dessus mentionnée, avoir reçu la DIA le 17 novembre 1989, date qui est portée sur le dépôt de la déclaration enregistrée par ses services, et a exercé son droit ce même jour de sorte que la décision de préempter datée du 17 janvier 1990 n'a pu être reçue par la société KOLD STAR au plus tôt que le 18 janvier 1990, soit hors du délai légal ;

Que la SCP SIRAT ne peut valablement soutenir qu'à la date de sa saisine, les délais de recours étaient quasiment expirés ; qu'en effet, le 16 mars 1990, date à laquelle elle a contesté la préemption auprès de la mairie de [Adresse 2], elle détenait tous les éléments lui permettant de soulever la caducité, contestation qui pouvait être formée jusqu'au 18 avril 1990 ;

Que nonobstant les erreurs affectant la DIA, en s'abstenant de soulever l'irrégularité de la décision de préemption, alors qu'elle devait mettre en oeuvre les moyens de droit et de fait au regard du droit positif en vigueur, la SCP SIRAT a failli à son obligation de conseil et de diligence ;

Considérant que Maître [I]-[P] reproche, en deuxième lieu, à la SCP SIRAT des omissions dans les demandes de fixation du prix formulées devant le juge de l'expropriation ;

Mais considérant que la SCP SIRAT réplique, à juste titre, que la DIA indiquait que l'immeuble était occupé par son propriétaire, par hypothèse non titulaire d'un titre d'occupation, donc considéré comme libre, de sorte que le juge de l'expropriation n'a pu que statuer à partir et en fonction des éléments figurant dans la déclaration ;

Que ce grief sera donc rejeté ;

Considérant que Maître [I]-[P] fait grief, en troisième lieu, à la SCP SIRAT d'avoir manqué à son devoir de conseil en la laissant signer, sans réserves, l'acte de cession du 30 octobre 1992 qui prévoyait que le bien immobilier était transféré à la ville de Paris le jour même, que la préemption porte sur un bien libre d'occupation et de location, que la ville de Paris exercera son droit de jouissance au plus tard un mois après le paiement du prix, sous peine d'une pénalité de retard de 5.000 F par jour en cas de libération tardive des locaux ;

Mais considérant que la souscription de l'acte de cession a été acceptée en toute connaissance de cause par la société KOLD STAR avec la participation de son conseil habituel, Maître [L], du représentant de son notaire qui reconnaît dans une télécopie envoyée, le 15 octobre 1992 à la SCP SIRAT que lors d'une réunion, le 8 octobre, une position commune avait été adoptée sur l'acceptation du projet établi par Maître [E] du 22 septembre 1992 notamment sur la libération des lieux le lendemain du paiement effectif par la ville de Paris afin d'éviter le paiement d'une indemnité d'occupation ;

Qu'il résulte de l'acte notarié du 30 octobre 1992 que l'arrêt du 6 décembre 1991 fixant le montant du prix de cession à la somme de 23.000.000 F est devenu définitif le 30 janvier 1992 ; que l'article L.213-7 alinéa 2 du Code de l'urbanisme prévoit qu'en cas de fixation judiciaire du prix, et pendant un délai de deux mois après que la décision juridictionnelle est devenue définitive, les parties peuvent accepter le prix fixé par la juridiction ou renoncer à la mutation ; que la SCP SIRAT fait valoir, à juste titre, qu'au regard de son endettement important qui s'élevait à 12.696.712,43 F au 30 mars 1992, en ce non compris les créanciers privilégiés, la société KOLD STAR ne pouvait renoncer à la mutation ;

Que toutefois, la SCP SIRAT qui a participé à l'élaboration des conditions de cession, comme elle le reconnaît à la page 24 § 2 de ses dernières écritures, ne justifie pas avoir tenté de négocier le montant de la pénalité en cas de retard à libérer les lieux ; que Maître [I]-[P] relève pertinemment que par arrêt du 27 juin 2007, la cour d'appel de Paris, saisie par la société KOLD STAR, a analysé cette indemnité forfaitaire en une clause pénale et l'a réduite ; que la SCP SIRAT affirme sans en justifier que la société KOLD STAR n'exerçait plus son activité dans les locaux cédés dès le mois de mars 1993 ;

Qu'il s'ensuit que la SCP SIRAT a manqué à son devoir de conseil sur ce point ;

Considérant que Maître [I]-[P] reproche, en quatrième lieu, à la SCP SIRAT d'avoir engagé des procédures vaines qui l'ont amené à exposer des frais importants et lui ont permis de réclamer des honoraires considérables ; qu'elle incrimine tant la demande indemnitaire formée devant le juge de l'expropriation en vue d'obtenir la valeur de son droit au bail que la requête en rectification de l'erreur matérielle affectant l'arrêt du 6 décembre 1991 ;

Mais considérant que la responsabilité de l'avocat ne peut s'apprécier qu'au regard du droit positif existant à l'époque de son intervention ;

Considérant, en l'espèce, que le juge de l'expropriation du tribunal de grande instance de Paris par jugement du 22 JUIN 1993, comme la chambre des expropriations de la cour d'appel de Paris par arrêt du 1er juillet 1994 ont indemnisé le préjudice commercial de la société KOLD STAR ; que si la cour de cassation a censuré cet arrêt au visa de l'article L.213-4 du Code de l'urbanisme, qui prévoit que le prix d'acquisition fixé en matière d'expropriation et exclusif de toute indemnité accessoire, il ne ressort pas des décisions versées aux débats que cette décision était conforme à la jurisprudence en vigueur ; qu'il ne peut être fait grief à la SCP SIRAT de n'avoir pas anticipé ou prévu cette évolution jurisprudentielle ;

Qu'en revanche, la SCP SIRAT a engagé sa cliente dans une procédure en rectification d'erreur matérielle de l'arrêt du 6 décembre 1991 vouée à l'échec qui tendait à obtenir la modification des droits de la société KOLD STAR, comme l'a relevé la chambre des expropriations dans son arrêt du 14 mai 1998; que débitrice d'une obligation de conseil sur l'opportunité d'engager des procédures ou de former des recours, elle avance en vain qu'elle a été pressée par sa cliente de poursuivre la réparation de son préjudice commercial ;

Qu'elle a donc failli à son devoir de conseil sur ce point ;

Sur le préjudice de la société KOLD STAR

Considérant que le préjudice de la société KOLD STAR réside dans la perte d'une chance de faire échec à la décision de préemption de la ville de [Adresse 2] et de réaliser l'opération de crédit bail qui lui aurait apporté le financement de 25.000.000 F ; qu'il convient donc de rechercher la probabilité de succès de cette action ;

Mais considérant qu'il convient de relever que le 17 novembre 1989, date de la DIA, la société KOLD STAR n'était pas propriétaire des biens litigieux, la condition suspensive prévue au crédit bail consenti par la société EUROBAIL n'étant pas réalisée ; que le financement d'un montant de 25.000.000 F, par la société PARICOMI, sous la forme d'un contrat de crédit bail sur une durée de 15 ans était à l'état de projet, ainsi qu'il ressort de la lettre adressée par celle-ci, le 24 novembre 1989 à la société KOLD STAR, étant observé qu'il n'est pas mentionné qu'elle n'était pas propriétaire des locaux alors que le tableau d'amortissement est établi à compter du 17 novembre 1989 ;

Qu'ainsi, à supposer que la décision de préempter ait été déclarée caduque, la probabilité de conclusion du contrat de crédit bail était hypothétique ;

Qu'au surplus, la société KOLD STAR ne démontre pas que l'obtention de ce financement lui aurait permis de poursuivre le développement de ses activités et de celles de ses filiales et d'éviter l'ouverture de la procédure collective ; que, d'une part, la situation économique de la société KOLD STAR était déjà obérée ; qu'en effet, si le résultat d'exploitation avait cru de 676.008 F en 1988 à 901.453 F en 1989, la charge du remboursement des emprunts et des dettes fiscales s'était accrue pour ces deux mêmes années de 4.760.900 F à 9.518.568 F ; que, d'autre part, elle ne verse aux débats aucun élément comptable sur les liens capitalistiques l'unissant à la société SUDAKO et ne justifie pas de la situation financière actuelle de cette société ;

Qu'il s'ensuit que Maître [I]-[P] ne justifie pas d'un lien de causalité entre le manquement par la SCP SIRAT à son obligation de diligence en ne soulevant pas la caducité de la décision de préemption et le préjudice commercial dont elle demande réparation ;

Qu'en revanche, le préjudice résultant pour la société KOLD STAR des frais exposés inconsidérément dans une procédure inutile de rectification d'erreur matérielle, comme pour contester le montant de la clause pénale non discutée par son conseil, sera entièrement indemnisé par l'allocation d'une indemnité de 25.000 € à titre de dommages-intérêts ;

Considérant que la SCP SIRAT sera condamnée aux dépens ;

Qu'il n'y a lieu à application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile ;

PAR CES MOTIFS

La cour,

Statuant publiquement, contradictoirement,

Dit n'y avoir lieu à rejet des conclusions signifiées le 3 mai 2012 par Maître [V] [I]-[P] en qualité de liquidateur judiciaire de la société KOLD STAR,

Confirme le jugement entrepris en ce qu'il a retenu un manquement par la SCP Charles SIRAT et autres à son devoir de conseil engageant sa responsabilité professionnelle,

Le réformant pour le surplus et statuant à nouveau,

Dit que la SCP Charles SIRAT et autres a manqué à son obligation de diligence,

Condamne la SCP Charles SIRAT et autres à payer à Maître [V] [I]-[P] en qualité de liquidateur judiciaire de la société KOLD STAR la somme de 25.000 € à titre de dommages-intérêts,

Dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile,

Condamne la SCP Charles SIRAT et autres aux dépens qui comprendront ceux de l'arrêt cassé et seront recouvrés conformément à l'article 699 du Code de procédure civile .

- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Madame Marie-Gabrielle MAGUEUR, Président et par Madame Sylvie RENOULT, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le GREFFIER,Le PRESIDENT,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Versailles
Formation : 1ère chambre 1ère section
Numéro d'arrêt : 11/02826
Date de la décision : 05/07/2012

Références :

Cour d'appel de Versailles 1A, arrêt n°11/02826 : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2012-07-05;11.02826 ?
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