LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Versailles, 7 avril 2011), que la société CSF ayant mis en oeuvre la clause compromissoire insérée au contrat conclu avec la société EDJUVE, a désigné un arbitre, que celle-ci s'y étant refusé, par ordonnance du 16 novembre 2006, le président d'un tribunal de commerce a désigné, sur la proposition de cette dernière, M. X...comme arbitre ; qu'une transaction étant intervenue entre les parties, l'arbitrage n'a pas eu lieu ; que, soutenant que cet arbitre avait fait une fausse déclaration d'indépendance lors de la procédure d'arbitrage, la société CSF l'a assigné en dommages-intérêts sur le fondement de l'article 1382 du code civil ; que le tribunal de grande instance de Versailles l'en a déboutée et l'a condamnée à payer à M. X...la somme de 50 000 euros à titre de dommages-intérêts ;
Sur le moyen unique en ses deux branches réunies :
Attendu que la société CSF fait grief à l'arrêt de la débouter des demandes et de la condamner à verser à M. X...la somme de 5 000 euros en réparation de son préjudice moral, alors, selon le moyen :
1°/ que tout justiciable a droit à ce que la contestation qui porte sur ses droits et obligations soit tranchée, dans un procès équitable, par un tribunal impartial ; qu'en matière d'arbitrage, l'arbitre doit révéler aux parties toute circonstance de nature à affecter son jugement et à provoquer dans leur esprit un doute raisonnable sur ses qualités d'impartialité et d'indépendance, qui sont de l'essence même de la fonction arbitrale ; qu'en l'espèce, la société CSF avait insisté dans ses écritures sur le fait que M. X..., arbitre de la société EDJUVE avec laquelle elle était en litige, ne lui avait pas révélé, malgré ses demandes réitérées sur son impartialité, avoir participé à une réunion organisée par le SEFAG, dont l'inimitié à l'égard du groupe Carrefour est connue, à laquelle avaient également participé le dirigeant et l'avocat de la société EDJUVE ; que la cour a constaté ce défaut de révélation ; que cette circonstance, non dévoilée au moment où M. X...a fait sa déclaration d'indépendance devant le tribunal de commerce, était donc nouvelle pour la société CSF ; qu'en décidant pourtant que M. X...n'avait commis aucune faute, motif pris de ce que, lui-même avocat spécialisé en la matière, n'avait été présent qu'occasionnellement à ce colloque, quand ce défaut de révélation constituait en lui-même un manquement à ses obligations, la cour, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, a violé l'article 1382 du code civil ;
2°/ que l'arbitre doit révéler aux parties toute circonstance de nature à affecter son jugement et à provoquer dans l'esprit des parties un doute raisonnable sur ses qualités d'impartialité et d'indépendance ; qu'en ne recherchant pas, comme elle y était invitée, si le SEFAG n'était pas connu pour son inimitié à l'égard du groupe Carrefour et n'avait pas déposé une plainte contre lui devant l'Autorité de la concurrence, de sorte que les liens de M. X...avec ce syndicat et sa participation, sur invitation, à une réunion organisée par lui, à laquelle participaient également la société EDJUVE, son dirigeant et son avocat, pouvaient faire douter de son indépendance et devaient être portés à la connaissance de la société CSF, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382 du code civil ;
Mais attendu que l'arrêt relève que, le 5 février 2007, M. X...a assisté en tant qu'avocat, sans intervenir comme orateur, à un colloque organisé par le syndicat de l'épicerie française et de l'alimentation générale, consacré aux enjeux et développements de la franchise, manifestation à laquelle la société EDJUVE a participé ; que la cour d'appel en a exactement déduit que sa présence occasionnelle, dans de telles circonstances, n'était pas de nature à faire douter de son indépendance et de son impartialité, de sorte qu'en ne la révélant pas lors de sa déclaration d'indépendance, M. X...n'avait pas commis de faute ; que le moyen n'est pas fondé ;
Et sur le moyen unique du pourvoi incident, ci-après annexé :
Attendu que ce moyen n'est pas de nature à permettre l'admission du pourvoi ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE les pourvois ;
Condamne la société CSF aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de la société CSF et la condamne à payer à M. X...la somme de 3 000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du quatre juillet deux mille douze.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt :
Moyen produit au pourvoi principal par la SCP Odent et Poulet, avocat aux Conseils, pour la société CSF.
Il est fait grief à l'arrêt attaqué D'AVOIR débouté la société CSF de ses demandes dirigées contre M. Jean-François X...et de l'avoir condamnée à lui verser la somme de 5. 000 € en réparation de son préjudice moral ;
AUX MOTIFS QUE M. Y..., gérant de société, a attesté le 04 mai 2007 qu'il a participé à la réunion organisée par le SEFAG le 05 février 2007 à Paris, qu'à la tribune des intervenants figuraient entre autres Me X..., M. Edouard Z..., Mes A...et B..., que « M. Z...a pris la parole pour exposer dans le détail les difficultés qu'il rencontrait avec Prodim et CSF dans le cadre de l'exploitation de son magasin et les actions judiciaires qu'il menait » ; que cette unique attestation d'un participant à la réunion du 05 février 2007 est contredite, quant à la nature de la participation de M. X..., lequel ne conteste pas avoir assisté à cette réunion mais conteste avoir siégé comme intervenant, d'une part, par le programme officiel de cette manifestation dont le thème est de manière générale « Franchise : Enjeux et Développement », et dont la liste des intervenants prévus ne comporte pas le nom de M. X..., d'autre part par le contenu d'un compte-rendu écrit de cette table ronde organisée par le SEFAG, paru au mois de mars 2007, dans le magazine CAPS, qui retrace les diverses interventions mais à aucun moment une quelconque intervention de M. X...en tant qu'orateur ; qu'enfin par le contenu du courrier du 29 août 2007 émanant du président du SEFAG adressé à M. COGIG en vue de sa radiation du SEFAG, courrier qui confirme que M. X...n'est pas intervenu mais était présent dans la salle comme invité du SEFAG ; que dans ces conditions, M. X...n'a pas commis de faute en ne révélant pas une présence occasionnelle à un colloque dans un domaine où il était spécialisé en tant qu'avocat, présence dont ne saurait être déduite l'absence d'indépendance d'esprit et d'impartialité suffisante pour accomplir sa mission de juger ; que la société CSF met également en avant le fait que dans sa lettre du 29 août le président du SEFAG indique que le SEFAG « fait appel à M. X...dans le cadre de certains litiges et notamment dans des procédures d'arbitrage » ainsi que le relate le compte-rendu de la réunion du 5 février 2007 paru dans la revue CAPS, en faisant notamment référence à M. Edouard Z...dirigeant de la société EDJUVE, « très impliqué dans la lutte contre les pratiques restrictives de concurrence de son franchiseur, Prodim » groupe CARREFOUR, « a apporté un témoignage capital de ses diverses actions contre son franchiseur » ; qu'il ne saurait être déduit de ce seul extrait la preuve que M. X...s'est entretenu avec M. Z...et avec Me B..., avocat de la société EDJUVE, du litige et ce dans des termes défavorables à la société CSF ; qu'il résulte du programme officiel de la table ronde du 5 février 2007 et du compte-rendu susvisé que certaines interventions étaient faites par des juristes précisément nommés sur les thèmes suivants : " les contrats de franchise ; caractéristiques et problématiques ", " le SEFAG et la franchise ; actions et développement ", " les services Isica pour la prévoyance et l'épargne des franchisés ", tandis que d'autres interventions devaient consister en des témoignages de franchisés sans qu'ils fassent l'objet d'une désignation à l'avance ; que par courrier du 7 novembre 2008, le SEFAG a indiqué que M. X...ne l'avait jamais représenté en justice ; qu'en outre, la société CSF rappelait elle-même dans le cadre de son action en récusation différentes instances dans lesquelles M. X...avait été l'avocat, non pas du SEFAG mais soit de la société Système U, société concurrente, soit de sociétés franchisées du groupe Carrefour en litige avec ce groupe ou ses filiales ; que les interventions de M. X...en tant qu'avocat étaient donc connues et ont été contradictoirement discutées devant le président du tribunal de commerce de Paris dans le cadre de la demande de récusation, en sorte qu'il ne saurait s'agir d'un fait nouveau découvert par la société CSF postérieurement à la déclaration d'indépendance et d'impartialité de M. X...; que le jugement entrepris doit être confirmé en ce qu'il a débouté la société CSF de ses demandes ;
1°/ ALORS QUE tout justiciable a droit à ce que la contestation qui porte sur ses droits et obligations soit tranchée, dans un procès équitable, par un tribunal impartial ; qu'en matière d'arbitrage, l'arbitre doit révéler aux parties toute circonstance de nature à affecter son jugement et à provoquer dans leur esprit un doute raisonnable sur ses qualités d'impartialité et d'indépendance, qui sont de l'essence même de la fonction arbitrale ; qu'en l'espèce, la société CSF avait insisté dans ses écritures sur le fait que M. X..., arbitre de la société EDJUVE avec laquelle elle était en litige, ne lui avait pas révélé, malgré ses demandes réitérées sur son impartialité, avoir participé à une réunion organisée par le SEFAG, dont l'inimitié à l'égard du groupe CARREFOUR est connue, à laquelle avaient également participé le dirigeant et l'avocat de la société EDJUVE ; que la cour a constaté ce défaut de révélation ; que cette circonstance, non dévoilée au moment où M. X...a fait sa déclaration d'indépendance devant le tribunal de commerce, était donc nouvelle pour la société CSF ; qu'en décidant pourtant que M. X...n'avait commis aucune faute, motif pris de ce que, luimême avocat spécialisé en la matière, n'avait été présent qu'occasionnellement à ce colloque, quand ce défaut de révélation constituait en lui-même un manquement à ses obligations, la cour, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, a violé l'article 1382 du code civil ;
2°/ ALORS QUE l'arbitre doit révéler aux parties toute circonstance de nature à affecter son jugement et à provoquer dans l'esprit des parties un doute raisonnable sur ses qualités d'impartialité et d'indépendance ; qu'en ne recherchant pas, comme elle y était invitée, si le SEFAG n'était pas connu pour son inimitié à l'égard du groupe CARREFOUR et n'avait pas déposé une plainte contre lui devant l'Autorité de la concurrence, de sorte que les liens de M. X...avec ce syndicat et sa participation, sur invitation, à une réunion organisée par lui, à laquelle participaient également la société EDJUVE, son dirigeant et son avocat, pouvaient faire douter de son indépendance et devaient être portés à la connaissance de la société CSF, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382 du code civil. Moyen produit au pourvoi incident par la SCP Vincent et Ohl, avocat aux Conseils pour M. X....
En ce que l'arrêt attaqué, de ce chef infirmatif, a débouté Monsieur X...de sa demande de dommages et intérêts au titre du préjudice matériel ;
Aux motifs que La société CSF fait grief aux premiers juges d'avoir alloué à M. X...la somme de 50. 000 6 à titre de dommages-intérêts en réparation de son préjudice matériel et moral. Devant la cour, M. X..., appelant incident sur le montant des dommages-intérêts qui lui ont été alloués, demande la condamnation de la société CSF à lui payer la somme de 70. 000 € au titre de son préjudice économique en raison de la perte du bénéfice des honoraires d'arbitre qu'il aurait pu percevoir et la somme de 30. 000 € en réparation du préjudice moral qu'il a subi pour avoir été présenté comme un arbitre dépourvu de toute distance et de toute indépendance, ces accusations étant de nature à nuire à sa réputation. Mais il n'est pas contesté que l'arbitrage n'a pas eu lieu, les parties ayant transigé, en sorte que M. X..., qui dans le cadre de sa désignation comme arbitre par ordonnance du 16 novembre 2006 dans le litige opposant la société CSF à la société Edjuve, n'a fourni aucune prestation, ne peut prétendre ni avoir subi un préjudice matériel lié à une perte d'honoraires, ni justifier d'une perte de chance de les avoir perçus (arrêt attaqué, p. 7) ;
Alors qu'en statuant comme elle a fait, cependant que les dommages et intérêts sollicités par Monsieur X...au titre de son préjudice économique n'étaient pas seulement destinés à compenser la perte des honoraires afférents à l'arbitrage litigieux, mais également la perte de chance, pour l'avenir, d'être désigné en qualité d'arbitre dans des litiges pouvant concerner le groupe Carrefour et de percevoir les honoraires s'y rapportant, la cour d'appel a méconnu les termes du litige, en violation de l'article 4 du code de procédure civile.