LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le moyen unique, pris en sa première branche :
Vu les articles L. 461-1 et R. 142-24-2 du code de la sécurité sociale ;
Attendu, selon l'arrêt attaqué, que M. X..., salarié de la société Eternit (la société) du 9 mai 1960 au 4 juillet 1964, a adressé, le 10 octobre 2003, à la caisse primaire d'assurance maladie de Montpellier (la caisse) une déclaration de maladie professionnelle faisant état d'une lésion carcinomateuse épidermoïde ; que, le 10 juin 2004, la caisse, après avis du comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles de Montpellier, a reconnu le caractère professionnel de la maladie ; que, le 26 mars 2005, M. X..., qui avait saisi le Fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante (le Fonds), a accepté l'offre d'indemnisation faite par cet organisme lui attribuant la somme de 48 000 euros en réparation de ses préjudices personnels ; que le Fonds a saisi une juridiction de sécurité sociale en reconnaissance de la faute inexcusable de la société ;
Attendu que pour accueillir cette demande, l'arrêt retient que l'avis du comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles de Montpellier est clair et non équivoque sur la relation du cancer broncho-pulmonaire avec l'exposition à l'amiante que la victime a inhalée au sein de la société entre 1960 et 1964 et que cet avis doit être déclaré opposable à l'employeur, qui ne démontre aucune contradiction entre les documents dudit comité et ne verse aux débats aucun élément médical susceptible d'écarter le travail de ce collège d'experts médicaux ou de rendre nécessaire le recours à un autre comité ou à une expertise ;
Qu'en statuant ainsi, alors que la maladie déclarée par l'assuré ne remplissait pas les conditions d'un tableau des maladies professionnelles, que la caisse avait suivi l'avis d'un comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles, et qu'il incombait aux juges du fond, avant de statuer sur la demande du Fonds en reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur, de recueillir l'avis d'un autre comité régional, dès lors que le caractère professionnel de la maladie était contesté par l'employeur, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur la seconde branche du moyen :
CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 27 janvier 2010, entre les parties, par la cour d'appel de Montpellier ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Nîmes ;
Condamne le Fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes respectives des parties ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du dix-sept mars deux mille onze.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
.Moyen produit, par la SCP Célice, Blancpain et Soltner avocat aux Conseils, pour la société Eternit.
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir dit qu'il y a lieu de retenir la faute inexcusable de la société ETERNIT à l'origine de la maladie professionnelle de Monsieur Jean X..., fixé au maximum la majoration de rente au maximum, fixé la réparation des préjudices personnels de Jean X... et dit que la CPAM de MONTPELLIER devrait verser ces sommes au FIVA et pourrait en obtenir le remboursement auprès de la société ETERNIT ;
AUX MOTIFS QUE
II.- Sur le caractère professionnel de la maladie
L'article L. 461-1 du Code de la Sécurité Sociale prévoit :
- qu'est présumé d'origine professionnelle toute maladie désignée dans un tableau de maladies professionnelles et contractées dans les conditions mentionnées à ce tableau » (alinéa 2),
- que si une ou plusieurs conditions tenant au délai de prise en charge, à la durée d'exposition ou à la liste limitative des travaux ne sont pas remplies, la maladie telle qu'elle est désignée dans un tableau de maladies professionnelles peut être reconnue d'origine professionnelle lorsqu'il est établi qu'elle est directement causée par le travail habituel de la victime (alinéa 3),
- que peut être également reconnue d'origine professionnelle, une maladie caractérisée non désignée dans un tableau de maladies professionnelles lorsqu'il est établi qu'elle est essentiellement et directement causée par le travail habituel de la victime et qu'elle entraîne le décès de celle-ci ou une incapacité permanente d'un taux évalué dans les conditions mentionnées à l'article L. 434-2 et au moins égal à un pourcentage déterminé (25 %) (alinéa 4),
- que dans les cas mentionnés aux deux alinéas précédents, la Caisse Primaire reconnaît l'origine professionnelle de la maladie après avis motivé d'un Comité Régional de reconnaissance des maladies professionnelles …. L'avis du Comité s'impose à la Caisse dans les mêmes conditions que celles fixées à l'article L. 315-2.
En l'espèce, l'organisme social a suivi pour la reconnaissance de la maladie professionnelle relevant du régime complémentaire, (et notamment de l'alinéa 3 de l'article susvisé) la procédure légale spécifique fondée sur l'expertise individuelle confiée au Comité Régional de reconnaissance des maladies professionnelles à qui il appartient de démontrer le lien de causalité entre la maladie donnée et le travail habituel, procédure qui a bien été en l'état respectée.
L'avis du Comité de la Région Languedoc Roussillon, produit au débat précise que l'affection de Jean X... est caractérisée selon le décret n° 96-445 du 22 mai 1996 – modifié par le décret n° 200-343 du 14 avril 2000 au titre du tableau n° 30 A chapitre C – Cancer broncho-pulmonaire dégénérescence d'une affection bénigne (plaques pleurales) …. Jean X... étant atteint d'un carcinome peu différencié de la lingula et conclut que compte tenu de l'ensemble des informations médicotechniques obtenues de façon contradictoire et portée à sa connaissance, le comité considère qu'il existe bien un lien certain et direct de causalité entre le travail habituel de la victime et la pathologie dont elle se plaint ; la durée de l'exposition étant proche de la durée requise, il doit bénéficier d'une prise en charge au titre du tableau n° 30 des maladies professionnelles.
Cet avis est clair et non équivoque sur la relation du cancer bronchopulmonaire avec l'exposition à l'amiante que la victime a inhalé au sein de la société ETERNIT de 1960 à 1964.
Cet avis doit donc être déclaré opposable à la Société ETERNIT laquelle ne démontre aucune contradiction entre les documents médicaux de la victime et les conclusions dudit Comité et ne verse au débat pas plus en première instance qu'en appel aucun élément médical susceptible d'écarter le travail de ce collège d'experts médicaux ou de rendre nécessaire le recours à un autre comité ou à une expertise.
Au demeurant, il convient de relever que l'appelante, qui argue du fait que la victime a été fumeur, n'apporte aucun élément pour démontrer que le tabac serait à l'origine exclusive de sa pathologie.
Dans ces conditions, le jugement déféré qui a retenu qu'au vu l'avis du CRRMP de Montpellier, l'origine professionnelle de la maladie déclarée le 10 octobre 2003 de Jean X... est établie, doit être confirmé.
III.- Sur la faute inexcusable
En vertu du contrat de travail, l'employeur est tenu envers le salarié d'une obligation de sécurité de résultat notamment en ce qui concerne les maladies professionnelles contractées par l'intéressé du fait des produits fabriqués ou utilisés dans l'entreprise.
Le manquement à cette obligation a le caractère d'une faute inexcusable, au sens de l'article L. 452-1 du Code de la Sécurité Sociale lorsque l'employeur avait ou aurait du avoir conscience du danger auquel était exposé le salarié et qu'il n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver.
Il appartient à la victime ou à ses ayants droits en l'occurrence au FIVA subrogé dans les droits de la victime, de rapporter la preuve de cette faute inexcusable.
En l'état, pour statuer sur la demande de reconnaissance de la faute inexcusable, les premiers juges ont procédé à une analyse détaillée et circonstanciée des éléments de fait et de droit versés au débat, ont développé des motifs pertinents que la Cour adopte pour confirmer sur ce point leur décision.
Il convient d'ajouter que les attestations d'anciens collègues de travail de la victime qu'il n'y a pas lieu d'écarter des débats dès lors qu'elles relèvent d'un mode de preuve légal, sont particulièrement éloquentes sur les conditions de travail au sein de l'établissement situé à Vitry en Charolais où il n'existait aucune protection individuelle ni aucun système de dépoussiérage individuel ou collectif.
Par ailleurs, il s'avère que la Société ETERNIT qui n'était pas un utilisateur occasionnel de l'amiante, mais qui était spécialisée dans l'amiante ciment et l'utilisait dans la fabrication de ses produits devait avoir conscience du danger de ses fibres même à l'époque concernée 1960-1964 alors que dès 1945 comme le rappelle à juste titre le FIVA, la première pathologie, liée à l'amiante, était déjà inscrite dans un tableau de maladies professionnelles.
Au surplus, il est permis de constater que rien dans les pièces produites par l'appelante n'établit que l'employeur aurait pris des mesures pour préserver ses salariés du danger des fibres d'amiante.
IV.- Sur les conséquences de la faute inexcusable
Selon l'article L. 452-1 du Code de la Sécurité Sociale lorsque la maladie professionnelle est due à la faute inexcusable de l'employeur, la victime a droit à une indemnisation complémentaire dans les conditions définies par les articles qui suivent …
Selon l'article L. 452-3 du Code de la Sécurité Sociale, il est prévu qu'indépendamment de la majoration de rente qu'elle reçoit en vertu de l'article précédant L. 452-2, la victime a le droit de demander à l'employeur la réparation du préjudice causé par les souffrances physiques ou morales, par elle, endurées, de ses préjudices esthétique et d'agrément ainsi que celle du préjudice résultant de la perte ou de la diminution de ses possibilités de promotions professionnelles ; si la victime est atteinte d'un taux d'incapacité de 100 %, il lui est alloué en outre une indemnité forfaitaire égale au montant du salaire minimum légal en vigueur à la date de la consolidation.
En l'état, le FIVA, subrogé dans les droits de la victime, est donc bien fondé à demander la majoration de la rente versée par l'organisme social qui sera fixée à son maximum et devra suivre l'évolution du taux d'incapacité permanente de la victime.
Sur ce point, il est permis de rappeler qu'il n'y a pas double indemnisation au niveau de la rente servie par l'organisme social et ce, dans la mesure où celle allouée par le FIVA a été déduite de celle versée par la Caisse Primaire d'Assurance Maladie de Montpellier puisque toutes les deux concernent pour un retraité forcément le déficit fonctionnel permanent, ce qui est conforme à la jurisprudence et ce, quelque soit la classification retenue par le FIVA en tant que préjudice patrimonial ou désormais de préjudice extra patrimonial.
Quant aux préjudices complémentaires (souffrances physiques et morales, préjudices esthétique et d'agrément) susceptibles d'être réparés en cas de faute inexcusable de l'employeur qui sont limitativement prévus, mais qui recouvrent en fait les chefs de préjudices indemnisés par le FIVA dans le cadre de la législation spécifique aux victimes de l'amiante sauf pour le préjudice d'agrément ainsi qu'il sera expliqué ci-après, il n'est pas justifié d'ordonner une mesure d'expertise dès lors qu'il apparaît que l'offre du FIVA accepté par la victime correspond à une évaluation certes conforme à l'application des règles de la réparation intégrale (comme pour les préjudices complémentaires en matière de faute inexcusable), mais qui est encadrée par le barème indicatif du FIVA, ce qui n'est nullement aux désavantages de l'employeur tenu de rembourser l'organisme social en cas de faute inexcusable.
Au demeurant, l'offre a tenu compte de la gravité de la pathologie (cancer broncho-pulmonaire qui n'a aucune spécificité pour les malades exposés à l'amiante et les autres) du traitement subi (constitué en l'espèce d'une chirurgie par lobectomie) et de l'âge de la victime au moment de l'apparition de celle-ci.
Dès lors, sauf pour le préjudice d'agrément qui ne peut viser que la réparation du préjudice lié à l'impossibilité pour la victime de pratiquer régulièrement une activité spécifique sportive et de loisirs et qui, en l'état dans le cadre de cette nouvelle définition selon la nomenclature Dinthilac, n'est pas justifié par le FIVA indépendamment du déficit fonctionnel permanent indemnisée par la rente, il convient, au vu des pièces médicales produites, d'entériner les évaluations de l'offre acceptée du FIVA à savoir 23. 000 € au titre de son préjudice moral, 14. 000 € au titre des souffrances physiques, 1. 000 € au titre de son préjudice esthétique.
V.- Sur l'action récursoire
La Caisse Primaire d'Assurance Maladie de Montpellier est recevable et bien fondée en application de l'article L. 452-3 dernier alinéa du code de la sécurité sociale à récupérer auprès de la Société ETERNIT l'indemnisation des préjudices dont elle aura fait l'avance au titre de la faute inexcusable.
Le moyen tiré du défaut d'information invoquée par l'appelante pour s'y opposer ne peut prospérer.
En effet, il s'avère que la Caisse a instruit la demande de reconnaissance de la maladie professionnelle invoquée en informant le dernier employeur de la victime la Société TUVEDOC et n'avait aucune obligation de le faire à l'égard de l'ensemble des employeurs. En l'état, elle justifie par les lettres qu'elle produit avoir satisfait aux exigences de l'article R. 441-11 du code susvisé.
ET AUX MOTIFS EVENTUELLEMENT ADOPTES QUE
Sur l'opposabilité à la Société ETERNIT de la décision de reconnaissance de la maladie professionnelle de Monsieur Jean X... prise par la Caisse.
Attendu qu'il résulte de l'article R. 441-11 du Code de la Sécurité Sociale que l'obligation d'information qui incombe à la Caisse ne concerne que la victime, ses ayants droit et la personne physique ou morale qui a la qualité d'employeur actuel ou de dernier employeur de la victime ;
Que la Société ETERNIT, qui est un ancien employeur de Monsieur Jean X..., ne saurait se prévaloir du caractère non contradictoire à son égard de la procédure de reconnaissance du caractère professionnel de la maladie et ne peut que contester le caractère professionnel de la maladie devant les juridictions en cas d'action en reconnaissance de sa faute inexcusable ;
Sur la demande tendant à la reconnaissance de la faute inexcusable de la Société ETERNIT
* concernant le caractère professionnel de la maladie de Monsieur Jean X...
Attendu qu'aux termes des dispositions de l'article L. 461-1 du Code de la Sécurité Sociale, « Les dispositions du présent livre sont applicables aux maladies d'origine professionnelle sous réserve des dispositions du présent titre. En ce qui concerne les maladies professionnelles, la date à laquelle la victime est informée par un certificat médical du lien possible entre sa maladie et une activité professionnelle est assimilée à la date de l'accident. Est présumée d'origine professionnelle toute maladie désignée dans un tableau de maladies professionnelles et contractée dans les conditions mentionnées à ce tableau.
Si une ou plusieurs conditions, tenant au délai de prise en charge, à la durée d'exposition ou à la liste limitative des travaux, ne sont pas remplies, la maladie, telle qu'elle est désignée dans un tableau de maladies professionnelles, peut être reconnue d'origine professionnelle lorsqu'il est établi qu'elle est directement causée par le travail habituel de la victime.
Peut être également reconnue d'origine professionnelle une maladie caractérisée non désignée dans un tableau de maladies professionnelles lorsqu'il est établi qu'elle est essentiellement et directement causée par le travail habituel de la victime et qu'elle entraîne le décès de celle-ci ou une incapacité permanente d'un taux évalué dans les conditions mentionnées à l'article L. 434-2 et au moins égal à un pourcentage déterminé.
Dans les cas mentionnés aux deux alinéas précédents, la Caisse Primaire reconnaît l'origine professionnelle de la maladie après avis motivé d'un Comité Régional de reconnaissance des maladies professionnelles. La composition, le fonctionnement et le ressort territorial de ce Comité ainsi que les éléments du dossier au vu duquel il rend son avis sont fixés par décret.
L'avis du Comité s'impose à la Caisse dans les mêmes conditions que celles fixées à l'article L. 315-1 ;
Qu'en l'espèce, il est justifié de l'avis motivé du Comité de reconnaissance des maladies professionnelles de Montpellier ;
Qu'aux termes de cet avis, l'affection de Monsieur Jean X... est caractérisée selon le décret N° 96-445 du 22/ 05/ 199 6 – modifié par le décret n° 2000-343 du 14/ 04/ 2000 au titre du tableau n° 30 A Chapitre C – cancer bronchopulmonaire dégénérescence d'une affection bénigne (plaques pleurales) (…) Monsieur Jean X... est atteint d'un carcinome peu différencié de la lingula ;
Qu'en outre, le Comité a conclu de la manière suivante : Compte tenu de l'ensemble des informations médico-techniques obtenues de façon contradictoire, et portées à sa connaissance, le Comité de reconnaissance des maladies professionnelles de Montpellier considère qu'il existe bien un lien certain et direct de causalité entre le travail habituel de Monsieur Jean X... et la pathologie dont il se plaint (à savoir un carcinome de la lingula) pour laquelle il demande reconnaissance et réparation, la durée d'exposition réelle étant proche de la durée requise. Il doit donc bénéficier d'une prise en charge au titre du tableau n° 30 des maladies professionnelles ;
Attendu que cet avis, versé aux débats, a été soumis à la libre discussion des parties et que la Société ETERNIT ne saurait donc se prévaloir de son inopposabilité ;
Attendu qu'en outre, il convient d'observer que nulle contradiction n'est démontrée entre les certificats médicaux et notamment le certificat médical initial dans lequel est mentionnée la présence d'une lésion carcinomateuse épidermoïde peu différenciée et l'avis du Comité de reconnaissance des maladies professionnelles, aux termes duquel Monsieur Jean X... souffrait d'un « carcinome de la lingula ;
Que par ailleurs, la Société ETERNIT ne verse aux débats aucune pièce médicale susceptible de remettre en cause l'avis rendu par le collègue de trois médecins et d'établir que la maladie dont souffrait Monsieur Jean X... ne constituait pas une dégénérescence maligne broncho-pulmonaire compliquant les lésions parenchymateuses et pleurales bénignes mentionnées au A et B du tableau n° 30 des maladies professionnelles ;
Qu'enfin, la société défenderesse ne conteste pas que Monsieur Jean X... ait été effectivement exposée à l'amiante au sein de son établissement pendant une durée de plus de quatre années et ne verse aux débats aucun élément permettant d'exclure le rôle causal de cette exposition dans l'apparition des lésions chez la victime ;
Que dès lors, il convient de considérer qu'au vu de l'avis rendu par le Comité de reconnaissance des maladies professionnelles de Montpellier, l'origine professionnelle de la maladie déclarée par Monsieur Jean X... le 10 octobre 2003 est établie dans les rapports entre la victime et l'employeur ;
* concernant la faute inexcusable
Attendu qu'en vertu du contrat de travail le liant à son salarié, l'employeur est tenu envers celui-ci d'une obligation de sécurité de résultat, notamment en ce qui concerne les maladies professionnelles contractées par ce salarié du fait des produits fabriqués ou utilisés par l'entreprise ;
Que le manquement à cette obligation a le caractère d'une faute inexcusable, au sens de l'article L. 452-1 du Code de la Sécurité Sociale, lorsque l'employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé le salarié, et qu'il n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver ;
Que par conséquent, il incombe au Fonds d'Indemnisation des Victimes de l'Amiante de démontrer la conscience, qu'avait ou aurait dû avoir l'employeur, du danger auquel il exposait son salarié, celle-ci s'appréciant toujours in abstracto et de l'absence de mesures nécessaires pour préserver le salarié de ce danger ;
Attendu qu'il n'est pas contesté qu'à son embauche par la Société ETERNIT, Monsieur Jean X... a été affecté à la fabrication des tuyaux, plus particulièrement au démoulage de ces tuyaux, et qu'il a ensuite été employé comme conducteur de locomotive ;
Que dans son attestation, Monsieur Jean Y..., ancien collègue de travail de Monsieur Jean X..., explique que le travail de démoulage des tuyaux était effectué dans un environnement très pollué par des particules d'amiante très nocives et que les ouvriers étaient dépourvus de toute protection tant individuelle que collective ;
Qu'il indique qu'ensuite, Monsieur Jean X... a conduit des locomotives tractant des sacs d'amiante et précise que les sacs d'amiante étaient souvent éventrés, que l'amiante était à l'air libre et que les ouvriers la ramassant à la main, au mépris des règles les plus élémentaires de sécurité ;
Que par ailleurs, il ressort de l'attestation de Monsieur Gilbert Z..., collègue de Monsieur Jean X... de 1960 à 1964, qu'il n'y avait aucun dépoussiérage aussi bien collectif qu'individuel ainsi qu'un manque de masque et d'habit de protection ;
Que ceci est confirmé par Monsieur Maurice A..., un autre collègue de la victime, qui mentionne dans son attestation qu'il n'y avait ni protection ni aspiration des poussières d'amiante ;
Qu'ainsi, au vu de ces différents éléments, il est établi que l'activité de Monsieur Jean X... le mettait au contact quotidien de l'amiante ;
Attendu que la conscience du danger qu'avait ou qu'aurait dû avoir l'employeur doit s'apprécier à l'époque des faits en tenant compte de la réglementation alors en vigueur relative à la protection contre les poussières, des l'inscription des affections respiratoires liées à l'amiante dans un tableau des maladies professionnelles à partir de 1945 et des connaissances scientifiques raisonnablement accessibles à l'époque de l'exposition du salarié ;
Attendu que si les premiers textes réglementant spécifiquement l'amiante datent de 1976-1977, d'autres textes, en vigueur depuis longtemps, avaient pour objectif de prévenir les dangers consécutifs à l'inhalation de poussières en général, parmi lesquelles figuraient les poussières d'amiante ;
Qu'ainsi, dès une loi du 12 juin 1893 et son décret d'application du 10 mars 1894, il était prévu que les poussières sans distinction de nature ou de composition devaient être évacuées directement en dehors de l'atelier au fur et à mesure de leur production et qu'il devait être installé des ventilations aspirantes énergiques ;
Que le décret du 11 juillet 1903 (J. O. du 22/ 07/ 1903), étendait les dispositions de la loi du 12 juin 1893 aux usines, chantiers, ateliers de quelque nature que ce soit, publics ou privés et le décret du 20 novembre 1904 imposait l'évacuation immédiate des poussières de quelque nature qu'elles soient ;
Que par la suite, la loi du 26 novembre 1912, portant codification des lois ouvrières abrogea la loi du 12 juin 1893, en reprenant in extenso ses dispositions, notamment dans son article 66 ; Les établissements visés à l'article précédent doivent être tenus dans un état constant de propreté et présenter des conditions d'hygiène et de salubrité nécessaires à la santé du personnel et être aménagés de manière à garantir la santé des travailleurs (…) ;
Que le décret du 10 juillet 1913 reprit à son tour les dispositions du décret du 10 mars 1894, en prescrivant, en son article 6 que les poussières ainsi que les gaz incommodes, insalubres ou toxiques seront évacués directement en dehors des locaux de travail au fur et à mesure de leur production (…) L'air des ateliers sera renouvelé de façon à rester dans l'état de propreté nécessaire à la santé des ouvriers ;
Que le décret du 13 décembre 1948 prescrivait à titre subsidiaire, en cas d'impossibilité de mettre en place des équipements de protection collectifs, le port de masques et de dispositifs individuels appropriés ;
Attendu que par ailleurs en France, la conscience du danger des fibres d'amiante a été mise en évidence par l'inscription d'une première pathologie liée à l'amiante dans un tableau de maladies professionnelles, par une ordonnance du 2 août 1945 et par l'instauration d'un tableau N° 30 des maladies professionnelles consacré à l'asbestose professionnelle par un décret du 31 août 1950 ;
Que le contenu de ces tableaux devait inciter les employeurs à une attitude de vigilance et de prudence dans l'usage, alors encore licite, de cette fibre, les tableaux de maladies professionnelles constituant une reconnaissance officielle de l'existence d'un risque professionnel que ne peut ignorer un employeur dans le cadre de ses obligations légales en matière d'hygiène et de sécurité des salariés et ceci, quelque soit les travaux effectués ou la date d'inscription de l'affection déclarée ;
Attendu qu'enfin, s'agissant des connaissances scientifiques disponibles, de nombreux documents, études et rapports publiés depuis le début du XXème siècle constituent la preuve d'une connaissance très ancienne des dangers de l'amiante ;
Qu'ainsi, les premiers cas de fibrose pulmonaire chez des sujets exposés à l'amiante ont été décrits pour la première fois en 1906 par l'inspecteur du travail Denis B... ;
Que dès 1935, un rapport de LYNCH suggérait l'existence d'une relation ente le risque de cancer du poumon et une exposition professionnelle à l'amiante ; que cette relation était confirmée, d'une façon rigoureuse en 1955 par l'étude de DOLL, dans une population de travailleurs de l'amiante textile en Grande-Bretagne ;
Que par suite, toutes les études ont confirmé les risques d'affections graves, en particulier cancéreuses, pour les salariés exposés à l'amiante ;
Que ce fut le cas de l'étude de SELIKOFF, en 1960, à propos des calorifugeurs de la Ville de NEW-YORK et de la Conférence de l'académie des Sciences de NEW-YORK, toujours en 1960, qui mit l'accent sur la responsabilité de l'exposition professionnelle à l'amiante dans la survenue du cancer du poumon dans les mines d'amiante, dans les chantiers navals, chez les calorifugeurs et les travailleurs de l'amiante textile ;
Qu'en France, dès 1930, des scientifiques français comme le Docteur C... publiaient dans la revue intitulée « La médecine du travail » plusieurs pages de recommandations précises en direction des industriels utilisateurs d'amiante sur les mesures à prendre en milieu de travail afin de supprimer les poussières ;
Que d'ailleurs, dans son rapport remis le 15 juillet 1998, le Professeur D... a rappelé l'ancienneté de la connaissance du danger en indiquant que le risque d'asbestose avait été identifié en France en 1906 et que le risque de développer un cancer, en particulier pleural, était bien identifié depuis 1955 pour le cancer bronchopulmonaire et en 1960 pour le mésothéliome ;
Que pour l'instant, force est de constater qu'il est établi qu'elle n'a pris aucune mesure pour préserver son salarié de ce danger ;
Que dans ces conditions, il est établi que la Société ETERNIT a commis une faute inexcusable à l'origine de la maladie de Monsieur Jean X... ;
Sur l'indemnisation des préjudices
Attendu qu'aux termes des articles L. 452-2 et L. 452-3 du Code de la Sécurité Sociale, la victime d'une maladie professionnelle a droit, en cas de faute inexcusable de son employeur à une majoration de son indemnité en capital, de sa rente, ou au versement d'une indemnité forfaitaire en cas d'incapacité permanente totale et à la réparation de son préjudice causé par les souffrances physiques ou morales endurées, de ses préjudices esthétique et d'agrément, et de son préjudice résultant de la perte ou de la diminution de ses possibilités de promotion professionnelles ;
Qu'en application de l'article L. 452-2 du Code de la Sécurité Sociale, la majoration de la rente au maximum est de droit en cas de reconnaissance de la faute inexcusable ;
Qu'en conséquence, il y a lieu de fixer au taux maximum la majoration de la rente servie à Monsieur Jean X... ;
Qu'elle sera versée directement par la Caisse Primaire d'Assurance Maladie de Montpellier à Monsieur Jean X... et suivra l'évolution du taux d'incapacité permanente de la victime ;
Qu'en l'état, il n'appartient pas au tribunal de statuer sur les conséquences d'un éventuel décès de la victime ;
Attendu qu'en ce qui concerne le montant des indemnisations proposées par le Fonds d'Indemnisation des Victimes de l'Amiante et acceptées par Monsieur Jean X..., il résulte des pièces versées au dossier qu'il tient compte de la gravité de la pathologie et de l'âge de la victime au moment de l'apparition de celle-ci ;
Qu'en outre, aucune contestation sur le montant des sommes versées n'est élevée ;
Qu'il doit, en conséquence, être validé, sans qu'il y ait lieu d'ordonner une expertise, le tribunal au vu des certificats médicaux versés aux débats, notamment, disposant de suffisamment d'éléments pour apprécier les préjudices subis par Monsieur Jean X... ;
Qu'il s'ensuit qu'il sera alloué la somme de 14. 000 € en réparation du préjudice physique de la victime, la somme de 23. 000 € en réparation de ses souffrances morales, la somme de 10. 000 € en réparation de son préjudice d'agrément et la somme de 1. 000 € en réparation de son préjudice esthétique ;
Sur la demande de la Caisse tendant au remboursement par la Société ETERNIT au remboursement des sommes dont elle fera l'avance
Attendu qu'il convient d'observer que le caractère professionnel de la maladie de Monsieur Jean X... est établi dans les rapports entre la caisse et l'employeur par l'avis du Comité de reconnaissance des maladies professionnelles que la Société ETERNIT ne conteste pas valablement ;
Que par ailleurs, il y a lieu de rappeler que la Société ETERNIT qui est un ancien employeur de Monsieur Jean X... ne saurait se prévaloir du caractère non contradictoire à son égard de la procédure de reconnaissance du caractère professionnel de la maladie et ne peut invoquer le non-respect des dispositions de l'article R. 441-11 du Code de la Sécurité Sociale, l'obligation d'information qui incombe à la Caisse ne concernant que la victime, ses ayants droit et la personne physique ou morale qui a la qualité d'employeur actuel ou de dernier employeur de la victime ;
Que dans la mesure où la faute inexcusable de la Société ETERNIT, dans laquelle la victime a été exposée au risque, est démontrée, peu important l'inscription au compte spécial des dépenses afférentes à la maladie professionnelle, elle devra rembourser les sommes dont la Caisse Primaire d'Assurance Maladie de Montpellier aura fait l'avance au titre de cette faute inexcusable ;
Qu'au vu de ces éléments, il sera donc fait droit à la demande de la Caisse à ce titre ;
Attendu qu'enfin, il convient d'observer que l'appréciation de l'affectation au compte spécial de la branche AT/ MP constitue une question relative à la tarification, laquelle relève de la compétence exclusive de la juridiction technique et non du contentieux général ;
Que la demande de la Société ETERNIT tendant à voir dit et jugé que les conséquences d'une éventuelle faute inexcusable devront être affectées au compte spécial de la branche AT/ MP est irrecevable ;
ALORS QUE si l'assuré et la caisse peuvent agir en reconnaissance de faute inexcusable et en remboursement des conséquences financières de celle-ci à l'encontre d'un ancien employeur qui n'a pas été partie à la procédure administrative de reconnaissance de maladie professionnelle, cette reconnaissance ne peut intervenir que si le caractère professionnel de la maladie est établi à l'égard de cet employeur dans le cadre d'un débat judiciaire contradictoire ; qu'il résulte de l'article R. 142-24-2 du Code de la sécurité sociale que lorsque le différend porte sur la reconnaissance de l'origine professionnelle d'une maladie dans les conditions prévues aux troisième et quatrième alinéas de l'article L. 461-1, la juridiction de sécurité sociale est tenu de recueillir préalablement l'avis d'un comité régional autre que celui qui a déjà été saisi par la caisse en application du cinquième alinéa de l'article L. 461-1 ; qu'au cas présent, il est établi que la société ETERNIT, qui n'avait pas été invitée à la procédure d'instruction ayant conduit la CPAM de MONTPELLIER à reconnaître le caractère professionnel de la maladie déclarée par Monsieur Jean X... après l'avis du CRRMP de MONTPELLIER, contestait l'origine professionnelle de la maladie ainsi prise en charge ; que la Cour d'appel ne pouvait dès lors statuer elle-même sur le caractère professionnel de la maladie, sans recueillir préalablement l'avis d'un nouveau CRRMP ; qu'en estimant devoir reconnaître l'origine professionnelle de l'affection de Monsieur X... qui avait été prise en charge en application des alinéas 3 et 5 du Code de la sécurité sociale n'était pas fondée, sans avoir recueilli préalablement l'avis d'un nouveau CRRMP, la Cour d'appel a privé sa décision de toute base légale au regard des articles R. 142-24-2 et L. 461- 1du Code de la sécurité sociale ;
ALORS, SUBSIDIAIREMENT, QU'une procédure ne présente pas un caractère équitable lorsque le juge fonde sa décision sur l'avis d'un expert émis sans que les parties aient disposé préalablement de la possibilité de faire valoir contradictoirement leurs observations, dans les litiges portant sur des données techniques que le juge n'a pas la compétence nécessaire pour appréhender l'avis de l'expert, de sorte que celui-ci s'avère prépondérant pour la solution du litige ; qu'en se fondant sur l'avis du CRRMP de MONTPELLIER pour dire que le lien entre la maladie de Monsieur X... et son activité professionnelle était établi sans vérifier préalablement si l'employeur avait pu avoir accès au dossier médical et présenter utilement des observations avant que le comité ne rende son avis, la Cour d'appel a privé sa décision de toute base légale au regard des articles 16 du Code de procédure civile 6-1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.