Vu la requête, enregistrée le 28 novembre 2008, présentée pour M. et Mme Paul A, ... Suisse, par Me Cavaillé ; M. et Mme A demandent à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 0204170/2 du 5 août 2008 par lequel le Tribunal administratif de Paris a rejeté leur demande tendant à la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu, de contribution sociale généralisée, de contribution au remboursement de la dette sociale et de prélèvement social, ainsi que des pénalités y afférentes, auxquelles ils ont été assujettis au titre de l'année 1998 ;
2°) de prononcer la décharge demandée ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
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Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le traité sur l'établissement des Français en Suisse et des Suisses en France du 23 février 1882 ;
Vu la convention entre la France et la Suisse en vue d'éviter les doubles impositions sur le revenu et sur la fortune du 9 septembre 1966 modifiée ;
Vu le Traité sur l'Union européenne, et, notamment, son article 43 ;
Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et les premier et quatrième protocoles additionnels à cette convention ;
Vu l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, notamment ses articles 23-1 à 23-12 ;
Vu la loi organique n° 2009-1523 du 10 décembre 2009 relative à l'application de l'article 61-1 de la Constitution, notamment ses articles 2, 3, 4 et 5 ;
Vu le code général des impôts ;
Vu le livre des procédures fiscales ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 8 décembre 2010 :
- le rapport de M. Magnard, rapporteur,
- les conclusions de M. Egloff, rapporteur public,
- et les observations de Me Cavaillé, pour M. et Mme A ;
Considérant que M. et Mme A font appel du jugement du 5 août 2008 par lequel le Tribunal administratif de Paris a rejeté leur demande tendant à la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu, de contribution sociale généralisée, de contribution au remboursement de la dette sociale et de prélèvement social, ainsi que des pénalités y afférentes, auxquelles ils ont été assujettis au titre de l'année 1998 ;
Sur l'étendue du litige :
Considérant que, par une décision postérieure à l'introduction de la requête d'appel, le directeur général des finances publiques a prononcé le dégrèvement, en droits et pénalités, à concurrence de 1 667 euros, des cotisations supplémentaires de contribution sociale généralisée, de contribution au remboursement de la dette sociale et de prélèvement social auxquelles M. et Mme A ont été assujettis au titre de l'année 1998 ; que les conclusions de la requête relatives à ces impositions sont, dans cette mesure, devenues sans objet ;
Sur le bien fondé de l'imposition :
Considérant qu'aux termes de l'article 167 1 bis du code général des impôts, alors en vigueur, issu de l'article 24 de la loi de finances pour 1999 du 30 décembre 1998 : Lorsque le contribuable transfère son domicile hors de France, les plus-values de cession ou d'échange de valeurs mobilières ou de droits sociaux dont l'imposition a été reportée sont immédiatement imposables. ; qu'aux termes de l'article 24 de la loi de finances pour 1999 susvisée : (...). IV. - Les dispositions du présent article sont applicables aux contribuables qui transfèrent leur domicile hors de France à compter du 9 septembre 1998. ;
En ce qui concerne le moyen tiré de l'inapplicabilité des dispositions de l'article 167 1 bis du code général des impôts en raison de la résidence fiscale de M. et Mme A à compter du 1er septembre 1998 :
Considérant, d'une part, qu'aux termes de l'article 4 A du code général des impôts : Les personnes qui ont en France leur domicile fiscal sont passibles de l'impôt sur le revenu en raison de l'ensemble de leurs revenus. (...). ; qu'aux termes de l'article 4 B de ce même code : 1. Sont considérées comme ayant leur domicile fiscal en France au sens de l'article 4 A : a. Les personnes qui ont en France leur foyer ou le lieu de leur séjour principal ; (...). ;
Considérant, d'autre part, qu'aux termes de l'article 4 de la convention conclue le 9 septembre 1966 entre la France et la Suisse en vue d'éviter les doubles impositions en matière d'impôts sur le revenu et la fortune : 1. Au sens de la présente convention, l'expression résident d'un Etat contractant désigne toute personne qui, en vertu de la législation dudit Etat, est assujettie à l'impôt dans cet Etat en raison de son domicile, de sa résidence, de son siège de direction ou de tout autre critère de nature analogue. 2. Lorsque, selon la disposition du paragraphe 1, une personne physique est considérée comme résident de chacun des Etats contractants, le cas est résolu d'après les règles suivantes : a) Cette personne est considérée comme résident de l'Etat contractant où elle dispose d'un foyer d'habitation permanent, cette expression désignant le centre des intérêts vitaux, c'est-à-dire le lieu avec lequel ses relations personnelles sont les plus étroites (...). ;
Considérant qu'il résulte des modalités d'utilisation de sa carte bancaire ainsi que des chèques émis par Mme A que cette dernière était présente en France, notamment à Lyon, au cours de 53 jours durant la période allant du 1er septembre 1998 au 12 novembre suivant, soit 73 jours ; qu'il résulte d'un certificat de l'office cantonal de la population de Genève, en date du 16 octobre 1998, que M. A est marié seul à Genève ; qu'en outre, sa présence est établie en France, au cours de la période susmentionnée, au cours de 25 jours ; qu'il ressort d'une facture du déménageur, en date du 14 décembre 1998, que les véhicules des requérants n'ont quitté la France qu'à cette date du 14 décembre 1998 ; qu'enfin, il résulte de l'instruction que, si une partie des biens personnels de M. et Mme A ont été déménagés en Suisse dès le mois d'août 1998, le déménagement desdits biens s'est poursuivi au cours des mois qui ont suivi ; qu'ainsi, et alors même que, le 1er septembre 1998, ils avaient pris en location un appartement sis 15 rue Michel Chauvet à Genève, il ne sont pas fondés à soutenir qu'ils avaient, dès cette date, cessé d'avoir leur foyer en France au sens des dispositions précitées de l'article 4 B ; que, de même, eu égard aux éléments qui précèdent, M. et Mme A doivent être regardés comme ayant conservé leurs relations personnelles les plus étroites en France postérieurement à la date du 1er septembre 1998, et, par suite, comme ayant conservé dans ce pays, postérieurement à cette date, leur foyer d'habitation permanent au sens des stipulations conventionnelles précitées ; qu'en se bornant devant la Cour à se prévaloir d'une attestation de l'administration fiscale cantonale de Genève du 27 septembre 1999 certifiant qu'ils ont la qualité de résidents de Suisse depuis le 31 août 1998, M. et Mme A ne fournissent aucun élément permettant de remettre en cause l'appréciation des premiers juges selon laquelle les intéressés n'auraient pas transféré leur domicile hors de France avant le 9 septembre 1998 ;
En ce qui concerne le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 27-3 de la convention conclue le 9 septembre 1966 entre la France et la Suisse :
Considérant que l'article 27-3 de la convention susmentionnée, qui n'a trait qu'aux procédures amiables, ne peut être invoqué dans le cadre d'un litige tendant à la décharge d'impositions ;
En ce qui concerne la méconnaissance des stipulations combinées de l'article 43 du traité sur l'Union européenne et de l'article 6 de l'accord d'établissement franco-suisse du 23 février 1882 susvisé :
Considérant, d'une part, qu'aux termes de l'article 43 du traité sur l'Union européenne : (...) les restrictions à la liberté d'établissement des ressortissants d'un Etat membre dans le territoire d'un autre Etat membre sont interdites. (...). ;
Considérant que les stipulations de l'article 43 du Traité CE, qui s'opposent à l'institution, par un Etat membre de l'Union européenne, de règles qui auraient pour effet d'entraver la liberté d'établissement de certains de ses ressortissants sur le territoire d'un autre Etat membre, ne sauraient être utilement invoquées par les requérants, qui ont établi leur domicile fiscal en dehors de l'Union européenne ;
Considérant, d'autre part, qu'aux termes de l'article 6 de l'accord d'établissement franco-suisse du 23 février 1882 susvisé : Tout avantage que l'une des Parties Contractantes aurait concédé ou pourrait encore concéder à l'avenir, d'une manière quelconque, à une autre Puissance, en ce qui concerne l'établissement des citoyens (...), sera applicable, de la même manière et à la même époque, à l'autre Partie, sans qu'il soit nécessaire de faire une convention spéciale à cet effet. ;
Considérant que M. et Mme A soutiennent que les stipulations précitées ont pour effet d'étendre aux ressortissants français qui s'établissent en Suisse le bénéfice du principe de liberté d'établissement résultant de l'article 43 du traité sur l'Union européenne ; que, cependant, lesdites stipulations, qui sont relatives à l'établissement des Français en Suisse et des Suisses en France, ne visent que l'application, par chacun des Etats signataires de l'accord, de la clause de la nation la plus favorisée aux ressortissants de l'autre Etat signataire et non les mesures prises par l'un des Etat vis-à-vis de ses propres ressortissants ; qu'ainsi, le moyen tiré de la violation de ces stipulations doit être écarté ;
En ce qui concerne les moyens tirés de la violation de la Constitution :
Considérant que M. et Mme A soulèvent, par la voie de l'exception, l'inconstitutionnalité des dispositions précitées de l'article 167 1 bis du code général des impôts ; que, par une ordonnance du 10 mars 2010, le président de la 2ème chambre de la Cour, statuant dans le cadre de la procédure prévue par l'article 23-1 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, modifiée par la loi susvisée du 10 décembre 2009 relative à l'application de l'article 61-1 de la Constitution, a rejeté la demande de M. et Mme A tendant à ce que soit transmise au Conseil d'Etat, à fin de saisine du Conseil constitutionnel, la question portant sur la constitutionnalité de l'article 167-1 bis du code général des impôts, tel qu'il était issu de l'article 24 de la loi de finances n° 98-1266 du 30 décembre 1998, avant son abrogation par l'article 19 de la loi n° 2004-1484 du 30 décembre 2004, au motif que le texte litigieux avait été déclaré conforme à la Constitution par le Conseil constitutionnel et qu'aucun changement de circonstances ne venait justifier la transmission demandée ; qu'il résulte des dispositions de l'article R. 771-7 du Code de justice administrative que ce refus de transmission dessaisit la juridiction du moyen d'inconstitutionnalité ; qu'en dehors du cadre créé par les dispositions susmentionnées de la loi organique sur le Conseil Constitutionnel, il n'appartient pas au juge administratif de se prononcer sur la conformité d'une loi à la Constitution ; que le moyen soulevé doit donc être écarté ;
En ce qui concerne le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 2 du quatrième protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales :
Considérant qu'aux termes de l'article 2 du quatrième protocole additionnel 7-3 à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : 1 Quiconque se trouve régulièrement sur le territoire d'un Etat a le droit d'y circuler librement et d'y choisir librement sa résidence. / 2 Toute personne est libre de quitter n'importe quel pays, y compris le sien. / 3 L'exercice de ces droits ne peut faire l'objet d'autres restrictions que celles qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au maintien de l'ordre public, à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. ; que les dispositions de l'article 167 1 bis du code général des impôts n'ont, contrairement à ce que soutiennent les requérants, ni pour objet, ni pour effet de soumettre à de quelconques restrictions ou conditions l'exercice effectif, par les personnes qu'elles visent, de la liberté de circuler librement sur le territoire d'un Etat, d'y choisir librement sa résidence ou de quitter son pays au sens des stipulations précitées ;
En ce qui concerne le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales :
Considérant qu'aux termes de l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international. Les dispositions précitées ne portent pas atteinte au droit que possèdent les États de mettre en vigueur les lois qu'ils jugent nécessaires pour réglementer l'usage des biens conformément à l'intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d'autres contributions ou amendes ; qu'un contribuable ne peut prétendre au bénéfice de ces stipulations que s'il peut faire état de la propriété d'un bien que cet article a pour objet de protéger et à laquelle il aurait été porté atteinte ; qu'à défaut de créance certaine, l'espérance légitime d'obtenir la restitution d'une somme d'argent doit être regardée comme un bien au sens de ces stipulations ; que le report d'imposition d'une plus-value réalisée au cours d'une année précédente, report qui n'est à l'origine ni d'une créance sur l'Etat, ni de l'espérance légitime d'une telle créance, ne saurait être regardé comme un bien au centre des stipulations précitées ; que M. et Mme A ne sauraient, en conséquence, se prévaloir de la méconnaissance desdites stipulations ;
En ce qui concerne le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations combinées de l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article 14 de cette convention :
Considération qu'ainsi qu'il vient d'être dit, le report d'imposition d'une plus-value précédemment réalisée ne saurait être regardé comme un bien au sens des stipulations de l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; qu'il en résulte que M. et Mme A ne sauraient valablement soutenir avoir fait l'objet dans l'exercice du droit au respect de leurs biens d'une atteinte discriminatoire, en méconnaissance des stipulations de l'article 14 de cette convention, aux termes duquel La jouissance des droits et libertés reconnus dans la présente convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l'origine nationale ou sociale, l'appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que M. et Mme A ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Paris a rejeté leur demande ;
Considérant qu'il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions de M. et Mme A présentées sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
D E C I D E :
Article 1er : Il n'y a pas lieu de statuer sur les cotisations supplémentaires de contribution sociale généralisée, de contribution au remboursement de la dette sociale et de prélèvement social auxquelles M. et Mme A ont été assujettis au titre de l'année 1998 à concurrence du dégrèvement prononcé pour un montant de 1 667 euros par le directeur général des finances publiques .
Article 2 : Le surplus des conclusions de la requête de M. et Mme A est rejeté.
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N° 08PA05885