LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
Statuant sur le pourvoi formé par :
- X... Bruno, partie civile,
contre l'arrêt de la cour d'appel de MONTPELLIER, chambre correctionnelle, en date du 8 avril 2008, qui, après condamnation de Patrick Y... du chef de violences aggravées, s'est déclarée incompétente pour statuer sur sa demande en réparation ;
Vu les mémoires produits, en demande et en défense ;
Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles 3, 12, 14, 21 et 593 du code de procédure pénale, 13 de la loi des 16 et 24 août 1790, du décret du 16 fructidor an III, défaut de motifs et manque de base légale ;
"en ce que l'arrêt infirmatif attaqué a dit, sur l'action civile, que la faute commise par Patrick Y... était une faute non détachable du service, et que les juridictions judiciaires étaient incompétentes pour connaître de la demande de réparation de Bruno X... ;
"aux motifs que le 16 juillet 2005 à 4 heures, les fonctionnaires de police Patrick Y..., Gérard Z... et André A... étaient de patrouille dans le véhicule de service sérigraphie désigné sous le code Radis 34 ; qu'ils apercevaient un véhicule Peugeot 206 qui zigzaguait et roulait en pleins phares ; qu'ils décidaient de le contrôler et lui adressaient les signaux lumineux réglementaires ; que le véhicule les croisait sans s'arrêter et touchait celui de la police à l'aile et la portière gauches ainsi qu'au rétroviseur et prenait la fuite ; que les policiers prenaient le véhicule en chasse ; que celui-ci roulait très vite, le compteur du véhicule de police indiquant 110 km/h, il finissait par s'immobiliser dans une impasse ; que les fonctionnaires de police descendaient de leur véhicule et procédaient au contrôle et à l'interpellation des deux personnes qui s'y trouvaient, Laurent B..., passager, et Bruno X..., conducteur ; que l'interpellation de Laurent B... ne donnait pas lieu à difficulté particulière ; qu'au contraire, celle de Bruno X... était mouvementée et a donné lieu à deux versions opposées, ce dernier s'étant révélé lors de sa garde à vue porteur de blessures sur l'origine desquelles son récit est en contradiction avec celui des fonctionnaires de police ; qu'au cours de l'information ouverte sur plainte avec constitution de partie civile de Bruno X..., une première expertise a été confiée au Docteur C... ; qu'après avoir signalé qu'en avril 2001 celui-ci avait été victime d'une fracture du malaire gauche et de lésions dentaires et rappelé l'historique des soins prodigués, cet expert indique que l'incapacité temporaire de travail d'activités personnelles a été de 21 jours, que celle d'activités professionnelles a duré du 16 juillet 2005 au 30 septembre 2005, que la consolidation est intervenue le 16 janvier 2006, que l'incapacité permanente partielle sera de 2 %, et que les douleurs ressenties peuvent être estimées à 3/7 ; que les déclarations de Laurent B... concordent avec les conclusions du rapport d'expertise ; qu'en effet les fractures graves au niveau de la face ne peuvent s'expliquer par une simple chute au sol ; que le docteur C... indique que les blessures constatées sont compatibles avec les déclarations de Bruno X..., les fractures faciales ayant pu être provoquées par des coups de poing et de matraque, mais que la conjonction des fractures faciales et costales lui paraissent difficilement imputables à une simple chute de sa hauteur sur un sol de graviers ; qu'il est évident que Patrick Y... a usé de bien plus de force que nécessaire pour maîtriser Bruno X..., même si celui-ci était particulièrement grand et excité ; qu'il est constant que c'est lui qui a porté les coups de poing au visage, ce qui s'explique notamment par sa position à l'intérieur de la voiture lors du début de l'interpellation ; que si les violences commises par Patrick Y... constituent une infraction pénale, elles l'ont été avec les moyens du service, à l'occasion d'une opération d'interpellation d'un délinquant qui était parfaitement légale et justifiée par la nécessité de mettre fin à une infraction en cours et d'en arrêter l'auteur ; qu'elles ne traduisent aucune animosité personnelle ni intention de nuire, que le coup de pied volontairement donné à une personne au sol n'ayant pas été retenu ; que dans ces conditions, il doit être décidé qu'il s'agit d'une faute non détachable du service et dont le contentieux relève des juridictions administratives ;
"alors, d'une part, que l'opération consistant à interpeller et appréhender un individu en application de l'article 12 du code de procédure pénale, relève de l'exercice de la police judiciaire ; que les litiges relatifs aux dommages que peuvent causer les fonctionnaires de police dans de telles circonstances, et sans même qu'il soit besoin de déterminer si le dommage trouve son origine dans une faute personnelle détachable du service, relèvent de la compétence des tribunaux judiciaires ; qu'en l'espèce, il résulte des propres constatations de la cour d'appel que les violences commises par Patrick Y..., fonctionnaire de police, sur la personne de Bruno X... ont été perpétrées à l'occasion d'une opération de poursuite et d'interpellation de ce dernier en vue de mettre fin à une infraction en cours et d'en arrêter les auteurs ; que l'action en réparation des dommages liés à cette opération relevait dès lors de la compétence des juridictions judiciaires ; qu'en décidant le contraire, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;
"et alors, d'autre part, subsidiairement, que constitue une faute personnelle, détachable du service, celle qui révèle un manquement volontaire et inexcusable à des obligations d'ordre professionnel et déontologique ; qu'en l'espèce, il résulte des propres constatations de l'arrêt attaqué que Patrick Y... a été déclaré coupable de violences volontaires ayant entraîné une incapacité totale de travail de plus de huit jours sur la personne de Bruno X... pour lui avoir porté des coups au visage lors de son interpellation, violences hors de proportion avec ce qui était nécessaire pour maîtriser ce dernier ; qu'en écartant néanmoins toute faute personnelle commise par Patrick Y... en retenant que les coups portés ne révélaient pas d'animosité personnelle ni intention de nuire, la cour d'appel a ajouté à la loi une condition qu'elle ne comporte pas et a violé les textes susvisés» ;
Vu l'article 13 de la loi des 16 et 24 août 1790, le décret du 16 fructidor an III, et l'article 3 du code de procédure pénale ;
Attendu que, si la responsabilité de l'Etat est engagée en raison des fautes commises par ses agents lorsqu'elles ne sont pas dépourvues de tout lien avec le service, cette responsabilité n'est pas exclusive de celle des fonctionnaires auxquels est reprochée une faute personnelle détachable du service ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure que Patrick Y..., fonctionnaire de la police nationale en patrouille, a porté des coups à Bruno X... au moment où celui-ci a été appréhendé après avoir heurté avec son automobile le véhicule de police et s'être enfui ; qu'il a été condamné par le tribunal correctionnel à six mois d'emprisonnement avec sursis, du chef de violences aggravées, et au paiement de dommages-intérêts ;
Attendu que la cour d'appel, après avoir condamné le prévenu à un mois d'emprisonnement avec sursis, s'est déclarée incompétente pour connaître de la demande en réparation présentée par la partie civile ; que l'arrêt, après avoir énoncé que Patrick Y... avait usé de "bien plus de force que nécessaire" pour maîtriser Bruno X..., au visage duquel il avait porté des coups de poing, retient que, si les violences exercées par le policier constituent une infraction pénale, elles l'ont été avec les moyens du service et à l'occasion de l'interpellation d'un délinquant, de sorte que la faute commise n'est pas détachable du service et que le contentieux de sa réparation relève des juridictions administratives ;
Mais attendu qu'en prononçant ainsi, alors qu'il résulte de ses constatations que les violences relevées à la charge du prévenu, qui présentaient un caractère de brutalité sans rapport avec les nécessités de l'exercice de ses fonctions, constituaient une faute personnelle, la cour d'appel a méconnu le sens et la portée des textes susvisés et du principe ci-dessus rappelé ;
Par ces motifs :
CASSE et ANNULE l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Montpellier, en date du 8 avril 2008, en ses seules dispositions relatives à l'action civile, toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;
Et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée,
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Toulouse, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Montpellier, sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé ;
FIXE à 2 500 euros la somme que Patrick Y... devra payer à la société civile professionnelle d'avocats David Gaschignard au titre de l'article 618-1 du code de procédure pénale sur le fondement de l'article 2 de l'ordonnance du 8 décembre 2005 ;
Ainsi jugé et prononcé par la Cour de cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;
Etaient présents aux débats et au délibéré : M. Pelletier président, M. Delbano conseiller rapporteur, MM. Farge, Blondet, Palisse, Mme Radenne, MM. Bloch, Monfort conseillers de la chambre, Mme Agostini, M. Chaumont conseillers référendaires ;
Avocat général : M. Davenas ;
Greffier de chambre : Mme Lambert ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;