AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le quatorze juin deux mille cinq, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le rapport de M. le conseiller PALISSE, les observations de Me FOUSSARD, de la société civile professionnelle BOUTET, et de la la société civile professionnelle MONOD et COLIN, avocats en la Cour, et les conclusions de Mme l'avocat général COMMARET ;
Statuant sur les pourvois formés par :
- X... Gilles,
- Y... Erick,
- L'AGENT JUDICIAIRE DU TRESOR, partie intervenante,
contre l'arrêt de la cour d'appel de PARIS, 11ème chambre, en date du 17 mai 2004, qui, pour délit de violences, a condamné les deux premiers, chacun, à 10 mois d'emprisonnement avec sursis et a prononcé sur les intérêts civils ;
Joignant les pourvois en raison de la connexité ;
Vu les mémoires et observations complémentaires produits, en demande et en défense ;
I - Sur les pourvois de Gilles X... et d'Erick Y... :
Sur le moyen unique de cassation présenté par la société civile professionnelle Boutet pour Gilles X... et Erick Y..., pris de la violation des articles 222-13, alinéa 1er, 7, 222-44, 222-45 et 222-47, alinéa 1er du Code pénal, des articles 591 et 593 du Code de procédure pénale, manque de base légale ;
"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré Gilles X... et Erick Y... coupables de violences ayant entraîné une ITT inférieure à huit jours, en l'espèce de sept jours, sur la personne de Samy Z..., avec cette circonstance que les faits ont été commis par personnes dépositaires de l'autorité publique dans l'exercice de leurs fonctions ;
"aux motifs que les constatations médicales accréditent la thèse de violences volontaires commises sur la personne de Samy Z... ; que les différentes investigations menées permettent de retenir avec certitude que les faits ont eu lieu entre 22 heures 30 et 23 heures 30, alors que Samy Z... se trouvait dans sa cellule ;
qu'en effet, il est constant que l'interpellation de Samy Z... s'est déroulée sans incident, que lors de son retour en cellule après l'entretien avec son avocat, soit à 22 heures 30, il ne présentait aucune trace de coup ; que, en revanche, M. A..., chef de poste, a constaté à 23 heures 25 peu après sa prise de service que Samy Z... présentait un gonflement rouge en haut de sa pommette droite, résultant selon l'intéressé de coups portés par des policiers sans plus de précision ; que tout au long de la procédure, après les avoir reconnus sur photographies, Samy Z... a mis en cause Gilles X..., comme étant le premier gardien de la paix qui était entré dans sa cellule et l'avait frappé, et Erick Y... comme celui qui lui avait donné un coup de pied au visage ; que Gilles X... et Erick Y... contestent pour leur part les faits reprochés, réfutant avoir été présents dans les locaux du commissariat à l'heure indiquée, admettant néanmoins avoir eu avec Gilles X... une altercation verbale alors qu'ils se trouvaient, plus tôt dans la soirée, dans le local des cellules de garde à vue ;
que les explications et dénégations des prévenus ne convainquent pas en raison des différents éléments suivants : 1 ) reconnaissance formelle par Samy Z... des policiers sur présentation d'un album photographique, maintien de cette reconnaissance lors d'une confrontation, ainsi qu'à l'audience devant le tribunal et devant la cour d'appel ; 2 ) version des prévenus quant au seul différend verbal avec Gilles X... contredite par M. B..., voisin de cellule de garde à vue de Samy Z..., celui-ci déclarant avoir vu trois hommes en tenue arriver, dont deux sont entrés dans la cellule de ce dernier, puis avoir entendu des bruits de bagarre et précisant " visiblement quelqu'un recevait des coups il y avait du remue ménage dans la cellule ", cette déclaration étant de nature à plutôt conforter celles de la partie civile ; 3 ) reconnaissance par M. B... d'Erick Y... comme étant l'un des deux policiers étant entrés dans la cellule, ce dernier étant ressorti très énervé et le visage blême ; 4 ) témoignage du commandant de police A... et du lieutenant de police C... relatant l'attitude énervée de Samy Z... au moment du transfert aux UMJ le 24 avril vers 23 heures 45, et le fait que celui-ci se soit alors plaint d'avoir été frappé, ces propos ayant été tenus en présence de plusieurs fonctionnaires dont notamment Gilles X... , témoignage également du lieutenant D... selon lequel le 25 avril, après l'entretien avec l'avocat, Samy Z..., voyant dans les couloirs des policiers parmi lesquels les deux prévenus, s'est fortement énervé, allant jusqu'à adopter une attitude provocatrice disant qu'il allait se venger, ces trois témoignages confortant la version de Samy Z... sur le fait qu'à deux reprises il avait croisé les agents auteurs des violences dans le commissariat ; 5 ) insuffisance d'éléments pour permettre une reconstitution précise et certaine de l'emploi du temps des deux prévenus pendant la soirée, dans la mesure où la feuille de contrôle remplie par l'opérateur radio et qui indique le lieu des interventions et l'heure à laquelle ils s'y sont présentés, ne mentionne aucune heure de fin de mission ni n'indique s'ils se sont ou non présentés, s'ils sont ou non revenus au commissariat entre chaque mission, ni l'heure à laquelle ils s'y seraient trouvés ; 6 ) absence d'éléments objectifs permettant de remettre en cause les conclusions de l'IGS ayant, d'une part, relevé des contradictions dans les déclarations des deux agents ainsi que des divergences entre leurs déclarations sur le temps passé à chaque intervention et les témoignages des personnes, objet des interventions, d'autre part, indiqué que les agents avaient pu, dans ces conditions, avoir eu le temps de revenir au service ; 7 ) absence d'éléments permettant enfin de combattre utilement le témoignage de M. E..., chef de poste, qui affirme avoir vu passer Erick Y... entre 22 heures 30 et 23 heures, témoignage confirmant les conclusions de l'IGS ; qu'il s'ensuit de tous ces éléments que la décision de culpabilité prononcée par le premier juge sera confirmée ;
"alors que tout jugement doit énoncer les éléments de faits suffisant à caractériser l'infraction constatée par les juges du fond ; que dans leurs conclusions d'appel, Gilles X... et Erick Y... avaient insisté avec pertinence sur le fait qu'il ressortait de la feuille de contrôle radio qu'à 22 heures 47, ils se trouvaient rue du Théâtre et qu'à 23 heures 12, ils s'annonçaient rue Laure Surville pour une nouvelle mission ; que faute d'avoir recherché si, en particulier à l'aide du plan produit, pendant cette brève période de 26 minutes, Gilles X... et Erick Y... avaient le temps de se rendre de la rue du Théâtre au commissariat, agresser Samy Z..., et repartir pour se rendre rue Laure Surville, la Cour ne pouvait, par des motifs dubitatifs selon lesquels ladite feuille de contrôle manquait de précision et que les agents n'exposaient pas des versions identiques des événements de la soirée, retenir leur culpabilité, la matérialité des faits n'ayant pas été établie" ;
Attendu que les énonciations de l'arrêt attaqué mettent la Cour de cassation en mesure de s'assurer que la cour d'appel a, sans insuffisance ni contradiction, répondu aux chefs péremptoires des conclusions dont elle était saisie et caractérisé en tous ses éléments, tant matériels qu'intentionnel, le délit dont elle a déclaré les prévenus coupables ;
D'où il suit que le moyen, qui se borne à remettre en question l'appréciation souveraine, par les juges du fond, des faits et circonstances de la cause, ainsi que des éléments de preuve contradictoirement débattus, ne saurait être admis ;
II - Sur le pourvoi de l'agent judiciaire du Trésor :
Attendu qu'il n'y a pas lieu d'examiner le second moyen, dont le demandeur, par un mémoire complémentaire, déclare se désister ;
Mais sur le premier moyen de cassation présenté par Me Foussard pour l'agent judiciaire du trésor, pris de la violation de la loi des 16 - 24 août 1790, de l'article 1382 du Code civil, ensemble les articles 2, 3, 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs et excès de pouvoir ;
"en ce que l'arrêt attaqué a dit que les fautes commises par Gilles X... et Erick Y... n'étaient pas détachables de leurs fonctions et a condamné l'agent judiciaire du Trésor à prendre en charge les dommages et intérêts alloués à Samy Z..., partie civile ;
"aux motifs qu'il ressort des constatations qui précèdent que la faute personnelle de Gilles X... et Erick Y... n'est pas détachable de leurs fonctions dans la mesure où les violences illégitimes ont été commises au sein même du commissariat, les deux agents étant alors dans le cadre de leurs fonctions ; que la décision de première instance sera donc infirmée, la responsabilité de l'Etat retenue et l'agent judiciaire du Trésor substitué aux fonctionnaires pour la prise en charge des dommages et intérêts alloués à Samy Z... ;
"alors que, premièrement, la faute personnelle d'un agent, même commise à l'occasion du service ou avec les moyens du service, engage la responsabilité personnelle de l'agent dès lors qu'elle revêt un caractère inexcusable ; que tel est le cas en cas d'actes de violence injustifiés au regard des pratiques administratives normales et relevant d'une attitude malveillante ;
qu'au cas d'espèce, en retenant la responsabilité de l'Etat s'agissant des faits commis par Gilles X... et Erick Y... au seul motif que les violences avaient été commises au sein même du commissariat, sans rechercher si ces violences n'étaient pas inexcusables et n'étaient pas injustifiées au regard des pratiques administratives normales, et si elles ne révélaient pas une attitude malveillante chez Gilles X... et Erick Y... , les juges du fond ont privé leur décision de base légale au regard des textes susvisés ;
"alors que, deuxièmement, un fait délictueux commis par l'agent sans avoir reçu aucun ordre, de sa propre initiative, constitue une faute personnelle détachable du service ; qu'au cas d'espèce, en statuant comme ils l'ont fait, sans rechercher si les agents avaient reçus l'ordre d'exercer des violences sur Samy Z..., les juges du fond ont privé leur décision de base légale au regard des textes susvisés" ;
Vu l'article 13 de la loi des 16 et 24 août 1790, le décret du 16 fructidor an III, et l'article 3 du Code de procédure pénale ;
Attendu que, si la responsabilité de l'Etat est engagée en raison des fautes commises par ses agents lorsqu'elles ne sont pas dépourvues de tout lien avec le service, cette responsabilité n'est pas exclusive de celle des fonctionnaires auxquels est reproché un manquement volontaire et inexcusable à des obligations d'ordre professionnel et déontologique ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure que Gilles X... et Erick Y... , tous deux gardiens de la paix, ont pénétré dans la cellule où Samy Z... avait été placé en garde à vue dans une procédure de refus d'obtempérer et l'ont frappé et blessé au visage ;
Attendu qu'après avoir déclaré les prévenus coupables du chef de violences ayant entraîné une incapacité de travail inférieure à huit jours par personnes dépositaires de l'autorité publique, les premiers juges les ont condamnés à réparer le préjudice de la victime et ont mis hors de cause l'agent judiciaire du Trésor ;
Attendu que, pour infirmer de ce chef le jugement et condamner l'agent judiciaire du Trésor au paiement, au lieu et place des prévenus, des sommes allouées à la partie civile, l'arrêt énonce qu'ils ont commis des fautes personnelles, non détachables de leurs fonctions, dès lors que les violences illégitimes ont été exercées au sein du commissariat ;
Mais attendu qu'en prononçant ainsi, alors qu'il résulte de ses constatations que les fautes commises par Gilles X... et Erick Y... , si elles avaient été commises à l'occasion du service, constituaient néanmoins des manquements volontaires et inexcusables à des obligations d'ordre professionnel et déontologique, la cour d'appel a méconnu les textes susvisés et le principe ci-dessus rappelé ;
D'où il suit que la cassation est encourue de ce chef ;
Par ces motifs,
I - Sur les pourvois de Gilles X... et d'Erick Y... :
Les REJETTE ;
II - Sur le pourvoi de l'agent judiciaire du Trésor :
CASSE et ANNULE l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Paris, en date du 17 mai 2004, en ses seules dispositions relatives à l'action civile, toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;
Et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée,
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Paris autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Paris et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé ;
Ainsi jugé et prononcé par la Cour de cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;
Etaient présents aux débats et au délibéré : M. Cotte président, M. Palisse conseiller rapporteur, MM. Farge, Blondet, le Corroller, Castagnède conseillers de la chambre, Mmes Gailly, Guihal, M. Chaumont, Mme Degorce conseillers référendaires ;
Avocat général : Mme Commaret ;
Greffier de chambre : M. Souchon ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;