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16/10/2008 | FRANCE | N°07PA01331

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 1ère chambre, 16 octobre 2008, 07PA01331


Vu la requête et le mémoire ampliatif, enregistrés les 10 avril et 18 juin 2007, présentés pour M. Z X, demeurant ..., Mme A X, demeurant ..., Mme B X, demeurant ... et M. C Y, demeurant ..., par Me Balat ; M. X et autres demandent à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 0608141 en date du 8 février 2007 par lequel le Tribunal administratif de Paris a rejeté leur demande tendant à l'annulation, d'une part, de l'arrêté du

24 mars 2006 par lequel le maire de Paris a fixé les jours et horaires d'ouverture des marchés couverts de la ville de Paris en tant qu'il prév

oit dans son article 11 que le marché Riquet sis 42 rue Riquet à Paris (750...

Vu la requête et le mémoire ampliatif, enregistrés les 10 avril et 18 juin 2007, présentés pour M. Z X, demeurant ..., Mme A X, demeurant ..., Mme B X, demeurant ... et M. C Y, demeurant ..., par Me Balat ; M. X et autres demandent à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 0608141 en date du 8 février 2007 par lequel le Tribunal administratif de Paris a rejeté leur demande tendant à l'annulation, d'une part, de l'arrêté du

24 mars 2006 par lequel le maire de Paris a fixé les jours et horaires d'ouverture des marchés couverts de la ville de Paris en tant qu'il prévoit dans son article 11 que le marché Riquet sis 42 rue Riquet à Paris (75019) est ouvert du mardi au samedi de 8h30 à 19h30 et le dimanche de 8h30 à 13h, d'autre part, des lettres en date du 2 juin 2006 les mettant en demeure de respecter les horaires réglementaires du marché Riquet sous peine de sanctions administratives ;

2°) d'annuler l'arrêté en date du 24 mars 2006 et les lettres de mise en demeure du

2 juin 2006 ;

3°) de condamner la ville de Paris à leur verser chacun la somme de 2 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

..................................................................................................................

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la Constitution du 4 octobre 1958 ;

Vu la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789 ;

Vu le Pacte international relatif aux droits civils et politiques du 16 décembre 1966 ;

Vu la loi du 9 décembre 1905 ;

Vu le code général des collectivités territoriales ;

Vu le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 1er octobre 2008 :

- le rapport de Mme Lecourbe, rapporteur,

- les observations de Me Balat pour M. X et autres et celles de Me Papon pour la ville de Paris,

- les conclusions de M. Bachini, commissaire du gouvernement,

- et connaissance prise des notes en délibéré présentées le 2 octobre 2008 et le

8 octobre 2008 par Me Balat pour M. X et autres ;

Considérant que M. Z X, Mme A X, Mme B X et M. C Y sont chacun concessionnaire d'un emplacement de vente sur le marché Riquet à Paris (75019) ; que, par arrêté en date du 24 mars 2006, le maire de Paris a fixé les horaires d'ouverture des différents marchés parisiens et précisé, en son article 11, que le marché Riquet était ouvert le samedi sans prévoir de dérogation pour certains commerces ; que les requérants, qui vendent tous des aliments casher et sont de confession juive, ont néanmoins fermé leur commerce le samedi ; que par lettre en date du 2 juin 2006 adressée à chacun d'eux, le maire de Paris les a mis en demeure de respecter les horaires fixés par l'arrêté sous peine de sanctions administratives pouvant aller jusqu'à la résiliation des conventions de concession ; que M. X et autres relèvent appel du jugement du 8 février 2007 par lequel le Tribunal administratif de Paris a rejeté leur demande tendant à l'annulation de l'arrêté et des mises en demeure susmentionnées ;

Sur la régularité du jugement :

Considérant qu'aux termes de l'article R. 776-12 du code de justice administrative : « Jusqu'au moment où l'affaire est appelée, les parties peuvent présenter des conclusions ou observations écrites » ; qu'aux termes de l'article R. 776-13 du même code : « Après le rapport fait par le président du tribunal administratif ou son délégué, les parties peuvent présenter en personne ou par un avocat des observations orales. Elles peuvent également produire des documents à l'appui de leurs conclusions. Si ces documents apportent des éléments nouveaux, le magistrat demande à l'autre partie de les examiner et de lui faire part à l'audience de ses observations » ;

Considérant qu'il résulte de la combinaison de ces dispositions que si dans le cadre de la procédure orale qui succède à l'instruction contradictoire écrite les parties peuvent produire des documents nouveaux à l'appui de leurs observations orales, l'instruction écrite est normalement close, en application de l'article R. 776-12, au moment où l'affaire est appelée ; que toutefois, lorsque, postérieurement à cette clôture, le juge est saisi d'un mémoire émanant d'une partie qui n'en a pas exposé les éléments dans le cadre de la procédure orale, il lui appartient de faire application dans ce cas particulier des règles générales relatives à toutes les productions postérieures à la clôture de l'instruction ; qu'à ce titre, et conformément au principe selon lequel, devant les juridictions administratives, le juge dirige l'instruction, il lui appartient, dans tous les cas, de prendre connaissance de ce mémoire avant de rendre sa décision, ainsi, au demeurant, que de le viser sans l'analyser ;

Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que M. X et autres ont produit le

2 février 2007, soit après l'audience du 11 janvier 2007 au cours de laquelle l'affaire a été appelée mais avant la lecture du jugement attaqué, une note en délibéré ; qu'il ne ressort pas des termes de ce jugement que le tribunal a visé ladite note ; qu'ainsi, il a entaché son jugement d'irrégularité ; que par suite, ce jugement doit être annulé ;

Considérant qu'il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur la demande présentée par M. X et autres devant le Tribunal administratif de Paris ;

Sur les conclusions dirigées contre les mises en demeure du 6 juin 2006 :

Considérant qu'aux termes de l'article 27 de l'arrêté municipal du 10 janvier 1986 portant réglementation pour la concession et l'occupation des places de vente dans les marchés couverts de la ville de Paris : « La résiliation de la concession sera prononcée dans les cas suivants : « (...) / après mise en demeure d'un mois formulée par lettre recommandée : (...) / en cas de non respect de la convention de concession d'emplacement de vente et du cahier des charges » ; qu'aux termes de l'article 6.1 des conventions de concession signées par les requérants avec la ville de Paris : « L'occupant doit se conformer aux dispositions législatives et réglementaires établies en matière fiscale, sociale, commerciale, ....il est également tenu de respecter le règlement municipal en vigueur » ; qu'aux termes de l'article 15.1 de ces conventions : « / La ville peut résilier la convention dans les cas ci-après: - non-respect des obligations de la présente convention et du règlement municipal en vigueur (...)/ Dans ces hypothèses, la résiliation intervient dans un délai de 1 mois, après mise en demeure formulée par la ville par lettre recommandée avec accusé de réception et procédure contradictoire permettant à l'occupant d'exercer son droit à la défense » ;

Considérant que, par lettres en date du 2 juin 2006 le maire de Paris, après avoir rappelé les dispositions de l'article 6.1 de la convention de concession, a mis en demeure chacun des requérants de respecter les horaires d'ouverture du marché, sous peine de sanctions pouvant aller jusqu'à la résiliation de la convention de concession ; que ces mises en demeure, qui constituent ainsi un acte indétachable de l'exécution de la convention, ne sont pas susceptibles de faire l'objet d'un recours pour excès de pouvoir ; que, par suite, les conclusions susvisées sont irrecevables et doivent être rejetées ;

Sur les conclusions dirigées contre l'arrêté du 24 mars 2006 :

En ce qui concerne la légalité externe :

Considérant, en premier lieu, qu'aux termes de l'article L. 2224-18 du code général des collectivités territoriales : « Les délibérations du conseil municipal relatives à la création, au transfert ou à la suppression de halles ou de marchés communaux sont prises après consultation des organisations professionnelles intéressées qui disposent d'un délai d'un mois pour émettre un avis. / Le régime des droits de place et de stationnement sur les halles et les marchés est défini conformément aux dispositions d'un cahier des charges ou d'un règlement établi par l'autorité municipale après consultation des organisations professionnelles intéressées » ; qu'aux termes de l'article L.2212-2 du même code : « La police municipale a pour objet d'assurer le bon ordre, la sûreté, la sécurité et la salubrité publiques (...) » ;

Considérant que l'arrêté attaqué réglemente les horaires des marchés de la ville de Paris et ne traite ni de la création, de transfert ou de suppression de halle ou de marchés communaux ni des droits de place et de stationnement ; qu'il constitue ainsi une mesure de police, prise sur le fondement de l'article L. 2212-2 du même code et n'entre pas dans le champ d'application des dispositions susmentionnées de l'article L. 2224-18 ; qu'aucune autre disposition législative n'exige en la matière une consultation préalable des organisations professionnelles ;

Considérant, en second lieu, qu'aux termes de l'article L. 2122-18 du code général des collectivités territoriales : « Le maire est seul chargé de l'administration, mais il peut, sous sa surveillance et sa responsabilité, déléguer par arrêté une partie de ses fonctions à un ou plusieurs de ses adjoints et, en l'absence ou en cas d'empêchement des adjoints ou dès lors que ceux-ci sont tous titulaires d'une délégation à des membres du conseil municipal » ; qu'aux termes de l'article L. 2511-27 du même code, applicable en l'espèce à la ville de Paris : « Le maire de la commune peut donner sous sa surveillance et sa responsabilité, par arrêté, délégation de signature au directeur général des services de la mairie et aux responsables de services communaux » ... ;

Considérant que la faculté qu'ouvrent au maire les dispositions de l'article L. 2122-18 du code général des collectivités territoriales de déléguer une partie de ses fonctions est applicable en matière de police municipale, notamment de police des marchés ; que les dispositions de l'article L. 2511-27qui désignent limitativement les agents municipaux auxquels le maire de Paris peut déléguer sa signature ne font pas obstacle à ce que le maire utilise le pouvoir de déléguer à des adjoints ou conseillers municipaux que lui confère l'article L. 2122-18 ;

Considérant que par arrêté du 31 mai 2001, régulièrement publié, le maire de Paris a délégué à Mme Cohen-Solal ses fonctions en ce qui concerne les questions relatives notamment au commerce ; que si cet arrêté précisait qu'il n'emportait pas délégation de signature, par un second arrêté du 28 février 2002, également régulièrement publié, le maire a délégué à Mme Cohen-Solal sa signature à effet de signer tous les actes et décisions dans les limites de ses attributions ; qu'il suit de là que les requérants ne sont pas fondés à soutenir que l'arrêté litigieux serait entaché d'incompétence au motif qu'il est signé par Mme Cohen-Solal sur le fondement de la délégation de signature précitée ;

En ce qui concerne la légalité interne :

Considérant, en premier lieu, qu'aux termes de l'article 9 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : «1. Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion ; ce droit implique la liberté de changer de religion ou de conviction, ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction individuellement ou collectivement, en public ou en privé, par le culte, l'enseignement, les pratiques et l'accomplissement des rites. 2. La liberté de manifester sa religion ou ses convictions ne peut faire l'objet d'autres restrictions que celles qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité publique, à la protection de l'ordre, de la santé ou de la morale publiques, ou à la protection des droits et libertés d'autrui.» ; qu'aux termes de l'article 18 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques du 16 décembre 1966 : « 1. Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion ; ce droit implique la liberté d'avoir ou d'adopter une religion ou une conviction de son choix, ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction, individuellement ou en commun, tant en public qu'en privé, par le culte et l'accomplissement des rites, les pratiques et l'enseignement (...) / 3. La liberté de manifester sa religion ou ses convictions ne peut faire l'objet que des seules restrictions prévues par la loi et qui sont nécessaires à la protection de la sécurité, de l'ordre et de la santé publique, ou de la morale ou des libertés et droits fondamentaux d'autrui. » ; qu'aux termes de l'article 10 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789, auquel renvoie le préambule de la Constitution du 4 octobre 1958 : « Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l'ordre public établi par la Loi. » ; qu'aux termes de l'article 1er de la Constitution du 4 octobre 1958 : « La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l'égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d'origine, de race, ou de religion. Elle respecte toutes les croyances (...) » ; qu'aux termes de l'article 1er de la loi du

9 décembre 1905 : « La République assure la liberté de conscience. Elle garantit le libre exercice des cultes sous les seules restrictions édictées ci-après dans l'intérêt de l'ordre public » ;

Considérant que les requérants soutiennent que l'arrêté litigieux porte atteinte à la liberté religieuse garantie par les dispositions précitées en leur imposant, dans son article 11, de respecter les horaires d'ouverture fixés, ainsi qu'il a été dit, du mardi au samedi de 8h30 à 19h30 et le dimanche de 8h30 à 13h et en donnant à cette obligation un caractère général et absolu, sans prévoir la possibilité de dérogations fondées sur la pratique religieuse ; que, toutefois, ces dispositions n'ont pas eu pour objet et ne sauraient avoir légalement pour effet d'interdire aux commerçants qui en font la demande de bénéficier individuellement des autorisations de fermeture nécessaires à l'exercice d'un culte ou à la célébration d'une fête religieuse dans la mesure où ces dérogations ne seraient pas incompatibles avec le bon fonctionnement du marché et le respect de la mission d'intérêt général qui s'attache au service offert aux usagers ; que, par suite, l'article 11 de l'arrêté attaqué ne peut être regardé comme méconnaissant aucun des principes ni aucune des dispositions invoqués par les requérants ;

Considérant, en deuxième lieu, que si les requérants soutiennent que l'obligation d'ouvrir les magasins le samedi qu'entraîne les horaires prévus par l'arrêté attaqué empêcherait les commerçants de religion juive d'ouvrir un commerce dans ce marché et méconnaîtrait ainsi le principe de la liberté du commerce et de l'industrie, pour les motifs ci-dessus exposés, ce moyen doit être écarté ;

Considérant, en troisième lieu, que la circonstance que le maire de Paris ait établi des horaires différents pour chaque marché parisien et prévu des dérogations individuelles pour certains commerçants des autres marchés que le marché Riquet ne constitue pas une violation du principe d'égalité ; qu'en effet, d'une part, ces distinctions sont fondées sur les différences notables entre le nombre d'habitants et les conditions commerçantes des différents marchés et sur la recherche d'une amélioration de la fréquentation du marché Riquet, dans un but d'intérêt général, d'autre part, l'arrêté litigieux ne s'oppose pas à ce qu'une demande de dérogation d'horaire à titre individuel soit formulée par un commerçant ; qu'il ne ressort pas des pièces du dossier que les requérants auraient présenté une telle demande ; que de même, le maire a pu, sans méconnaître le principe d'égalité, résilier pour motif d'intérêt général la convention d'occupation d'un emplacement par une société exploitant une supérette et qui n'ouvrait pas le samedi dès lors que cette société, dont la convention ne comportait pas de stipulation contraignante relative aux horaires d'ouverture, n'était pas dans la même situation que les requérants ;

Considérant, enfin, que le moyen tiré du détournement de pouvoir n'est pas établi et doit être écarté ;

Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que les conclusions de M. X et autres dirigées contre l'arrêté du 24 mars 2006 du maire de Paris fixant les jours et heures d'ouverture des marchés couverts de la ville doivent être rejetées; que doivent être rejetées, par voie de conséquence leurs conclusions tendant au bénéfice des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

D E C I D E :

Article 1er : Le jugement n° 0608141 du Tribunal administratif de Paris du 8 février 2007 est annulé.

Article 2 : La demande de M. X et autres présentée devant le Tribunal administratif de Paris et le surplus des conclusions de leur requête sont rejetés.

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N° 07PA01331


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 07PA01331
Date de la décision : 16/10/2008
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme LACKMANN
Rapporteur ?: Mme Anne LECOURBE
Rapporteur public ?: M. BACHINI
Avocat(s) : FOUSSARD

Origine de la décision
Date de l'import : 06/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2008-10-16;07pa01331 ?
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