Vu la requête, enregistrée le 12 juillet 2007, présentée pour la SOCIETE NATIONALE DES CHEMINS DE FER FRANÇAIS (SNCF), dont le siège est 34 rue du Commandant Mouchotte à Paris (75014), par Me Robinet ; la SNCF demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 0504375 en date du 12 juin 2007 par lequel le Tribunal administratif de Strasbourg a rejeté comme portée devant une juridiction incompétente pour en connaître sa requête tendant à juger que la parcelle de terrain située à Riedisheim cadastrée sectionAV 207 fait partie du domaine public ferroviaire, à déclarer illégal l'acte de cession de cette parcelle à M. et Mme X, à la déclarer inopposable à elle-même et à en prononcer la nullité ;
2°) de déclarer nul cet acte de cession ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Elle soutient :
- que le litige porté devant le tribunal administratif, relatif à l'acte de cession du terrain litigieux, relève de la compétence du juge administratif, dès lors qu'il s'agit d'un contrat administratif par détermination de la loi ;
- qu'en effet, le bien litigieux, confisqué à l'Etat allemand, aurait dû faire l'objet d'une proposition de vente à la SNCF ;
- que la parcelle litigieuse a toujours été affectée au service public ferroviaire ;
- que le service des domaines a commis une faute en vendant à des tiers ce terrain, qui constitue une dépendance de l'ouvrage public ferroviaire et dès lors tant soumis au droit de préférence institué par décret du 12 janvier 1948 qu'inaliénable eu égard à l'intangibilité de l'ouvrage public ferroviaire ;
- que l'acte de cession litigieux ne lui est pas opposable et doit ainsi être annulé ;
Vu le jugement attaqué ;
Vu le mémoire en défense, enregistré le 10 octobre 2007 et complété par mémoire enregistré le 15 février 2008, présenté pour le ministre du budget, des comptes publics et de la fonction publique, qui conclut au rejet de la requête ;
Il soutient :
- que c'est à bon droit que les premiers juges ont estimé que l'Etat français n'était pas devenu propriétaire des biens allemands mis sous séquestre, et se sont, par voie de conséquence, déclarés incompétents pour connaître d'un litige relatif à la cession du bien litigieux ;
- que, subsidiairement, si la cour devait infirmer le jugement attaqué, la demande de la SNCF ne pourrait prospérer, dès lors que le décret du 12 janvier 1948 qu'elle invoque réserve expressément à l'Etat le bénéfice du droit de préférence institué par la loi du 21 mars 1947 et que la SNCF n'était pas un service de l'Etat lors de l'aliénation du terrain litigieux ;
- qu'au surplus ledit droit de préférence ne peut s'exercer que lorsque les biens anciennement allemands étaient vendus par voie d'adjudication publique, ce qui n'est pas le cas en l'espèce ;
- que la SNCF n'est pas fondée à soutenir que la parcelle litigieuse appartient au domaine public ferroviaire, dès lors qu'elle n'a jamais appartenu à l'Etat français ou à la SNCF ;
- que le fait que des câbles de signalisation et de télécommunications indispensables à l'exploitation de la ligne SNCF y aient été implantés n'a pas pour effet d'incorporer la propriété en cause dans le domaine public ferroviaire ;
- que, de même, la circonstance que le terrain en cause a été acquis par l'Etat allemand pour les besoins du service public ferroviaire n'a pas eu pour effet d'assurer par anticipation son incorporation audit domaine public ;
Vu le mémoire en défense, enregistré le 14 novembre 2007, présenté pour M. X, par Me Wahl ;
M. X conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 3 000 euros soit mise à la charge de la SNCF au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Il soutient :
- que la SNCF est irrecevable à demander l'annulation d'un acte de vente auquel elle n'est pas partie ;
- que, subsidiairement, une telle demande se heurterait à la prescription trentenaire ;
Vu le mémoire en réplique, enregistré le 12 décembre 2007, présenté pour la SNCF ;
La SNCF conclut aux mêmes fins que sa requête et soutient en outre :
- que le moyen tiré de la péremption de son action n'est pas fondé ;
- que l'acquisition de la parcelle litigieuse par un organisme relevant de l'Etat allemand a été rendue nécessaire en raison de la continuité du service public ferroviaire ;
- que, selon le cahier des charges de la SNCF, celle-ci est invertie des mêmes pouvoirs que l'administration en matière de travaux publics et dispose de tous les droits qui lui sont nécessaires pour les besoins de l'exploitation ferroviaire ;
- que le même cahier des charges lui fait obligation d'entretenir ladite parcelle ;
- que l'acte de cession est intervenu en méconnaissance de l'article 5 de la loi du 18 juillet 1845, dès lors que le terrain litigieux était partiellement inclus dans la limite du chemin de fer ;
Vu l'ordonnance du président de la première chambre de la cour, fixant la clôture de l'instruction au 22 mai 2008 à 16 heures ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code général de la propriété des personnes publiques ;
Vu la loi du 28 pluviôse an VIII ;
Vu la loi n° 47-520 du 21 mars 1947 ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 26 juin 2008 :
- le rapport de M. Vincent, président,
- les observations de Me Robinet, avocat de la SNCF ;
- et les conclusions de Mme Steinmetz-Schies, commissaire du gouvernement ;
Considérant que, par acte en date du 15 août 1942, l'organisme dénommé «Reichseisenbahnvermögen», dépendant de l'Etat allemand, a acquis auprès de propriétaires privés un terrain d'une contenance de 4,86 ares cadastré section A n° 1070 et n° 318, désormais cadastré section AV 207, sur le ban de la commune de Riedisheim, jouxtant la voie ferrée propriété de l'Etat français et concédée à la SNCF ; qu'en application de l'ordonnance du 5 octobre 1944 relative à la déclaration et à la mise sous séquestre des biens appartenant à des ennemis, une ordonnance du 22 novembre 1944 du président du tribunal civil de première instance du département de la Seine a nommé le directeur des domaines en qualité d'administrateur-séquestre de tous les biens appartenant à l'Etat allemand ; que l'article 29 de la loi n° 47-520 du 21 mars 1947 relative à diverses dispositions d'ordre financier a prévu qu'il serait procédé, par l'administration des domaines, à la liquidation des biens, droits et intérêts allemands ; que, sur le fondement de ces dispositions, le directeur départemental des impôts chargé des affaires domaniales à Colmar a, le 26 juin 1973, vendu la parcelle en cause aux époux X ; que la SNCF a saisi le Tribunal administratif de Strasbourg d'une requête tendant à l'annulation de l'acte de cession susrappelé au motif que la parcelle appartiendrait au domaine public ferroviaire et relève appel du jugement du 12 juin 2007 par lequel ledit tribunal a rejeté sa requête comme portée devant une juridiction incompétente pour en connaître ;
Sur la légalité de la cession de la parcelle litigieuse :
Considérant que la parcelle concernée a, comme il a été dit ci-dessus, été acquise par la Reichseisenbahnvermögen, organisme assurant la gestion des biens des chemins de fer allemands ; qu'il résulte de l'article 10 de l'acte d'acquisition que celle-ci a été effectuée en vue de réaliser sur la voie ferrée des travaux de construction qui étaient d'ores et déjà projetés ; que, ce faisant, les autorités allemandes ont agi selon les mêmes modalités et avec la même finalité que celles qu'aurait pratiquées et poursuivie l'Etat français ou son concessionnaire en temps de paix ; que, par suite, sans qu'y fasse obstacle la circonstance, à supposer d'ailleurs qu'il s'agisse des mêmes travaux que ceux envisagés par les autorités allemandes, que l'installation de câbles de signalisation et de télécommunication enterrés n'ait été effectuée qu'en 1957 lors des travaux d'électrification de la ligne de chemin de fer, les terrains ainsi acquis doivent être regardés comme s'étant trouvés incorporés d'emblée au domaine public ferroviaire, propriété de l'Etat français, dès le retour de l'Alsace à la France ; que c'est ainsi à tort que les premiers juges, qui ont fait indûment application de la loi susrappelée du 21 mars 1947 dès lors que la parcelle en cause ne pouvait, eu égard à ce qui précède, être regardée comme un bien de l'Etat allemand, ont estimé que la circonstance que la parcelle litigieuse avait été acquise pour les besoins du service public ferroviaire n'avait pas eu pour effet d'en transférer la propriété à l'Etat français et d'en assurer son incorporation au domaine public ferroviaire, et ont par suite décliné leur compétence au motif qu'il ne leur appartenait pas de connaître d'un litige relatif à la cession d'un bien dont l'Etat français n'est pas propriétaire ;
Considérant qu'il résulte des dispositions de l'article L. 3111-1 du code général de la propriété des personnes publiques que les biens des personnes publiques relevant du domaine public sont inaliénables et imprescriptibles ; que, par suite, sans que M. X puisse utilement invoquer une quelconque prescription trentenaire, la SNCF est fondée à demander l'annulation de l'acte par lequel le directeur départemental des impôts a vendu ladite parcelle aux époux X ; qu'à supposer même que la parcelle litigieuse ne soit occupée qu'à concurrence d'une superficie de 149 mètres carrés par le talus de la voie ferrée et les aménagements nécessaires à son exploitation, la fraction restante n'aurait en tout état de cause pu être aliénée qu'après déclassement préalable ; qu'ainsi l'acte attaqué doit être annulé dans son intégralité ;
Sur l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 000 euros au titre des frais exposés par la SNCF et non compris dans les dépens ;
Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de la SNCF, qui n'est pas partie perdante dans la présente instance, la somme que demande M. X au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens ;
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement du Tribunal administratif de Strasbourg en date du 12 juin 2007 est annulé ainsi que l'acte du 26 juin 1973 par lequel le directeur départemental des impôts du Haut-Rhin a cédé la parcelle ci-dessus référencée aux époux X.
Article 2 : L'Etat versera à la SNCF une somme de 1 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Les conclusions de M. X tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la SOCIETE NATIONALE DES CHEMINS DE FER FRANÇAIS, à M. Pierre X et au ministre du budget, des comptes publics et de la fonction publique.
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N° 07NC00907